17 Oct

Vox Bigerri : la recherche du son en commun

C’est devenu LA référence du chant polyphonique pyrénéen. Vox Bigerri sort son 7ème album « Jorn ». Un mélange de créations, chant traditionnels, reprise jazz. 4 hommes dans le vent pour un disque de très haute volée. Guidés par la recherche du son commun.

C’est un temps suspendu, contemplatif. Se poser, fermer les yeux, écouter, observer. Un disque de Vox Bigerri, ça se savoure, durablement. Pascal Caumont, Fabrice Lapeyrère, Régis Latapie et Bastien Zaoui sortent aujourd’hui leur 7ème album. Ils sont devenus LA référence du chant polyphonique traditionnel et contemporain. Un travail historique, scientifique et artistique avec des chants collectés dans les vallées pyrénéennes, des adaptations et des créations.

« Jorn » un disque de polyphonies de tous les temps

Ce qui frappe en premier lieu, c’est la puissance du son. Un son qui va au-delà de l’écoute, avec beaucoup de force et de sérénité. Jusqu’à présent, ils étaient 5. Mais la voix la plus haute (Olivier Capmartin) s’est envolée. Ce qui n’est pas un problème car dans la polyphonie traditionnelle, il y a 3 registres de voix. Désormais, les 4 compagnons de voix voyagent sur tous les tons. « Dans nos chants, il y avait souvent 3, 4 voix maxi, rarement 5. Donc nous alternons les registres, avec plus de souplesse. » Pascal Caumont est à l’origine de cette formation masculine.

Vox Bigerri – La nòvis n’a la corona li tomba

 

Jusqu’alors, les disques étaient thématiques : le chant sacré (Cap aus Sorelhs, vers les soleils), le chant festif (Ligams, liens), la rythmique jazz avec l’intrusion du batteur américain Jim Black (Tiò). Dans le nouveau CD « Jorn » (jour), il y a un peu de tout. Le morceau « Jorn » justement est une création, des paroles de Pascal Caumont mises en « musique » par Fabrice Lapeyrère. N’allez pas croire que ça parle de bergers, de troupeaux égarés et de femmes éplorées ! « Cette création me plaît beaucoup. Elle parle des valeurs de notre société. Nous avons beaucoup de forces en nous pour affronter la mauvaise période que nous traversons. Il nous faut aller de l’avant pour bâtir une société plus juste et plus coopérative ». Avec la période que nous traversons, la résonnance est évidente.

Le son commun

« SON » : pronom personnel possessif. Une définition qui vaut pour la langue française. Mais Vox Bigerri chante surtout en occitan! Alors le SON est bien « personnel » dans le sens d’unique, propre, mais il n’a rien de « possessif ». Il serait plutôt synonyme de partage. C’est la recherche perpétuelle du son commun. Aucun doute à l’écoute de ce nouveau CD. En studio, sur scène, il y a cette manière d’être ensemble, de faire communion. Les 4 voix s’harmonisent parfaitement, servant d’écho et de support les unes aux autres. Un chant à l’unisson rempli de résonnances.

Sur la pochette de ce nouveau CD, les anneaux de Saturne (le lien) et sa lune Rhéa, la femme de Cronos, maître du temps. Les chansons interprétées sont en effet moins soumises au temps, la rythmique pourtant complexe se fait discrète pour porter l’ampleur des voix. Tout est aérien et suspendu. Comme le temps qui s’arrête pour faire place aux voix. Les chanteurs remplissent l’espace. La polyphonie sonne alors comme une plénitude. On se retrouve transporté hors du temps.

Vox Bigerri – Jorn (Création 2020) from Pirèna Immatèria on Vimeo.

« Nous voulons être dans le son de la voix, une connexion pour faire accord, entrer en harmonie. Quand nous chantons comme ça, nous ressentons des vibrations dans tout le corps. Le rythme est organique, pas mécanique », explique Pascal Caumont. Et ce n’est pas une gasconade !

Le chant comme un ballon de rugby

Chaque langue a sa musicalité mais Vox Bigerri passe aisément de l’occitan au français, parfois dans le même chant comme « Aquesta neit n’èi hèit un rève » (Cette nuit j’ai fait un rêve). Dans la très réussie reprise de « Strange fruit » (Fruit étrange) de Billie Holiday puis Nina Simone, ils s’approprient la mélodie, tantôt en anglais, tantôt en occitan. Autant dire que le chant du groupe Vox est protéiforme, dans son univers pour les traditions, dans les cieux pour le chant religieux (« Sanctus-Benedictus », « Kyrie Eleison »)), transcendé par le rythme quand pointe le jazz (« Strange Fruit »).

Un travail de funambule, toujours en équilibre, à la recherche du bon rebond vocal.

Il faut être concentrés, posés, regarder ce qui se passe chez l’autre. Nous sommes tout le temps en connexion, toujours à regarder où va tomber le chant de l’autre, comme le rebond aléatoire du ballon de rugby!

Ce son commun toujours en osmose, Vox Bigerri en a fait sa marque de fabrique.

Réinventer la tradition en se nourrissant de l’Histoire

Dans l’album « Jorn », il y a aussi matière à réfléchir. Comme avec cet air traditionnel, un tube pyrénéen « Sendèrs de tèrra nera » (Sentiers de terre noire) que l’on doit à Jean-Claude Coudouy. Le mémorable interprète du « Hilh de puta! » a fait une magnifique mélodie mais le texte d’un autre auteur un peu macho, parle de « race », incompatible donc avec l’esprit et la vision du groupe. Alors, Pascal Caumont prend la décision de le réécrire, et ces sentiers sont désormais propice à l’admiration de la voûte céleste, prétexte à s’interroger sur le devenir de la planète.

Vox Bigerri – Sendèrs de tèrra nera

L’Histoire est très présente avec « Lo purmèr de març » (Le premier mars), le moment où les jeunes garçons partaient travailler en Espagne pour gagner un peu d’argent du XVe jusqu’au XVIIIe. Histoire encore avec « La cançon de Grangèr » (La chanson de Granger) sur la fugue d’un jeune voulant échapper au service militaire (7 ans à l’époque!) qui réussit à désarmer et mettre en fuite les gendarmes.

Et puis il y a « Montségur », lieu du massacre qui mit fin à l’hérésie cathare en 1244. Ils avaient déjà mis en musique le célèbre poème de René Nelli écrit 700 ans après sur une blessure plus vive que jamais. Sur ce disque, c’est une nouvelle version de « Montségur », sur un poème de la Catalane Susanna Rafart. « Nous avons rencontré Susanna Rafart à Barcelone. C’est un écrivain très connu en Catalogne et en Espagne aussi. Elle nous a montré ce poème qui a résonné comme une suite au Montségur de Nelli. Je l’ai mis en musique. Le premier Montségur s’achève sur un cri. Ici le chemin est plus apaisé. Dans le ciel, on regarde les aigles voler au dessus du château ». L’aigle, qui peut voler très haut, et dont les larmes ne peuvent pas geler car elles sont faites d’huile…

Un disque aérien, au son ample, qui nous laisse en lévitation, apaisés et transportés par les voix.

Vox Bigerri – Jorn

Le travail de Vox Bigerri est remarquable, tant sur un plan artistique que technique et historique. Le groupe ne se répète pas d’un disque à l’autre mais va explorer toujours de nouveaux espaces. Ils préparent déjà une nouvelle création « Milharis » qui mélangera musique électronique, jazz avec des flutes traditionnelles, le tout accompagné par l’orchestre de chambre de Toulouse. Rien n’arrête ces explorateurs de sons.

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PIRENA IMMATERIA

Benoît Roux