Après les mortalités de truites constatées en début d’année, c’est au tour des ombres de subir la mauvaise qualité des eaux de la Loue alors qu’ils sortent de leur période de reproduction Tristesse, abattement, colère… Le moral des amis des rivières franc-comtoises est au plus bas.
Des actions sont entreprises pour sauver les rivières mais elles sont encore insuffisantes pour avoir un réel impact. Le risque est d’avoir investi beaucoup d’énergie et d’argent et qu’il soit finalement trop tard alors que la situation semble encore réversible.
Alerté, Christian Rossignon, hydrobiologiste à la fédération de pêche du Doubs vient de retourner sur place à Ornans, vers le ruisseau de la Bonneille. Le spécialiste a repéré une vingtaine d’ombres morts ou à l’agonie.
« J’en ai jamais vu autant. C’est déprimant. Je crains que la majorité des géniteurs ait disparue. Il faudra tout recommencer comme il y a dix ans… »
Les habitués des bords de la Loue sont de plus en plus nombreux à envoyer leurs photos ou leurs vidéos au collectif SOS Loue et Rivières Comtoises :
« Si nous recevons énormément de photos et de messages, explique Manon Silvant, la responsable des réseaux sociaux du collectif SOS Loue et rivières comtoises, c’est parce que nous publions de plus en plus de posts depuis un an. Nous sommes plus visibles donc nous recevons plus de messages. »
Mis à part cet « effet boule de neige », la réalité est indéniable : les truites et les ombres ne parviennent pas à vivre, se reproduire normalement dans la Loue mais aussi dans d’autres rivières karstiques, signe d’un mauvais état des cours d’eau.
Cette publication du mois d’avril montre des trainées noires dans le cours d’eau. Ce n’est pas l’eau qui est foncée c’est le fond de la rivière, complétement eutrophisé, c’est-à-dire étouffé par des algues. Une flore indésirable qui s’est développée en raison d’une trop forte présence de nutriments comme les nitrates dans l’eau. L’origine agricole a été démontrée même si les origines de pollutions viennent aussi des stations d’épurations et d’autres activités humaines.
Pourquoi alors continuer à écrire des articles si c’est pour réitérer les mêmes informations ? Parce qu’il n’est pas encore trop tard pour que les rivières fassent preuve de résilience !
En mars dernier, deux étudiants de BTS agricole du lycée Granvelle de Dannemarie-sur-Crête organisaient, avec leurs enseignants , une Conférence via zoom intitulée « Construisons ensemble l’agroécologie de demain ». Face aux élèves, des scientifiques et des représentants de la filière comté, production agricole dominante dans le Doubs.
L’objectif de cet après-midi d’échanges et de réflexion était justement de « réfléchir ensemble aux grands enjeux environnementaux de l’agriculture par le prisme de la filière Comté ».
L’agriculture vit aujourd’hui un nouveau tournant de son histoire en devenant un enjeu fondamental pour notre société. L’agriculture nous nourrit, l’agriculture façonne nos territoires, l’agriculture impacte nos paysages et nos espaces naturels. En se tournant progressivement vers l’agroécologie, l’agriculture cherche à intégrer dans ses pratiques une dimension environnementale dans laquelle la biodiversité devient centrale.
Simon Escarbelt et Antonin Querry, étudiants en 2ème année de BTS ACSE
Dans notre région, l’environnement, c’est la préservation c’est en particulier la préservation des milieux aquatiques, particulièrement vulnérables en raison de leur origine karstique. Ce n’est pas la première fois que scientifiques, défenseurs de l’environnement et représentants de la filière comté se retrouvent côte à côte.
François Degiorgi, hydrobiologiste au laboratoire Chrono-Environnement de l’université de Franche-Comté et coauteur d’une étude approfondie sur les causes de cette pollution, rappelle des faits désormais établis :
« Actuellement, on observe des taux de 7-8 milligrammes de nitrates par litre d’eau or il faut descendre en dessous de 3 pour que tout l’écosystème de la zone à truites et zones à ombres puisse vivre normalement ».
C’est une des conditions de retour à la bonne santé de ce milieu qui va , pour la Loue, de la source à Arc et Senans. L’enseignant-chercheur est formel :
« La filière comté est vertueuse dans ses pratiques par rapport à d’autres secteurs agricoles car une limitation des intrants a été mise en place. Ces efforts sont louables mais insuffisants. Pour être efficace, il faudrait une réelle réduction des intrants et pas seulement une limitation. Cela passe par une réduction de la production. Le risque, c’est que tous ces efforts ne soient pas utiles parce qu’ils ne sont pas suffisants pour restaurer la qualité de l’écosystème ».
Pourquoi est-ce urgent d’agir maintenant ?
« Il n’est pas encore trop tard car les rivières ont encore des capacités de résilience. Des espèces de macro invertébrés se sont regroupées dans des petits refuges écologiques. Elles peuvent encore recoloniser le milieu plus vaste. Mais si rien n’est fait, le potentiel écologique va finir par s’éteindre. »
Pour être efficace, conclut François Degiorgi,
«Il faut à la fois continuer de restaurer les milieux humides, changer certaines pratiques agricoles en favorisant l’agroécologie et engager une réflexion sur les traitements anti-parasitaires pour les animaux de production et pour ceux de nos maisons ».
Un message entendu par la filière comté. Philippe Cuinet, agriculteur et président de l’établissement agricole, l’a exprimé en guise de conclusion.
« On a senti que le temps pressait. La résilience doit être dans nos exploitations. Il s’agit d’agir pour un résultat favorable pour tout le monde ».
Si les agriculteurs de la filière comté sont en première ligne pour parvenir à cette révolution des esprits vers une transition agro-écologique, il n’y a pas qu’eux. L’industrie du bois, les stations d’épurations des eaux usées, nos pratiques quotidiennes sont aussi à modifier. Les fromageries sont aussi concernées.
Dans son rapport annuel présentant les actions de la police de l’environnement, la préfecture du Doubs précise que 17 collectivités font « l’objet de police administrative » et qu’un « plan de mise en conformité des rejets des 26 stations d’épuration des fromageries a été initié avec 21 contrôles inopinés des rejets, 8 procédures administratives et 1 procédure judiciaire initiées ».
Une procédure judiciaire qui concerne la fromagerie Monnin à Chantrans. Deux mises en demeure lui ont été adressées par l’Etat en raison de rejets polluants dans l’environnement. « La première remonte à 2018 », souligne Manon Silvant de SOS Loue et rivières comtoises. Cette « impression d’impunité » est incomprise par les défenseurs des milieux naturels.
Contacté à la mi-mars par mes consoeurs Florence Petit et Elisabeth Braconnier, l’avocat de la fromagerie avait précisé que
« La fromagerie, fait son possible pour remédier à cette situation. Il y a des outils existants que l’on peut améliorer, et des outils nouveaux que l’on peut créer. la société Monnin travaille sur ces deux aspects-là. »
Une nouvelle station d’épuration doit être construite d’ici l’automne prochain. Quant à l’installation de traitement actuelle, la société devait trouver des solutions d’ici les travaux.
Ces travaux peuvent être subventionnés. Le grand financeur des travaux d’amélioration des milieux aquatiques, c’est l’Agence de l’eau. Pour le bassin versant Rhône Méditerranée Corse, l’Agence vient d’annoncer qu’elle vient d’investir 21,4 millions d’euros au 1er trimestre 2021 en Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est pour les projets en faveur de l’eau. (109, 6 millions pour l’ensemble du bassin versant).
L’Agence de l’eau veut particulièrement agir sur les pollutions industrielles.
« 1,1 M€ ont été attribués à la réduction des rejets de polluants non toxiques tels que les matières organiques, les matières en suspension, les nutriments qui peuvent avoir un impact sur le milieu naturel. Un financement rendu possible par un élargissement des critères d’attribution dans le cadre de l’appel à projets « Rebond eau, biodiversité, climat 2020-2021. Quatre fromageries ont ainsi pu bénéficier de 892 000 euros d’aides pour améliorer ou créer leur station d’épuration sur l’ensemble du Bassin versant Rhône Méditerranée Corse. »
Deux de ces fromageries sont dans le Jura et les deux autres sont dans le Doubs. Une aubaine pour ces entreprises car Le 11ème programme de l’Agence de l’eau ( 2019-2024) se concentrait initialement « uniquement sur la réduction des pollutions industrielles toxiques ». C’est cet appel à projets qui a élargi les aides aux pollutions organiques « classiques », explique l’Agence de l’eau. La fromagerie Monnin de Chantrans ne fait pas partie de ces fromageries qui sont aidées pour que leurs rejets n’impactent plus le milieu naturel.
« La fromagerie Monnin ne peut pas bénéficier d’aide pour ses travaux. En effet, aucune aide ne peut être attribuée pour les travaux faisant l’objet d’une mise en demeure »
précise l’Agence de l’eau.
Face à l’incompréhension des défenseurs de l’environnement, les services de l’Etat apportent des précisions sur cette pollution récurrente. « Pour répondre à la mise en demeure de décembre 2020, l’entreprise transfère 1/3 du volume d’effluents à traiter vers la station d’épuration de Déservillers. La charge polluante résiduelle est donc notablement diminuée. Toutefois, le volume restant demande un rééquilibrage de la dynamique d’épuration de la station de la fromagerie, qui devrait intervenir pour la fin du mois. Pour ce faire, l’entreprise est appuyée par un laboratoire spécialisé dans ce domaine ».
Plus au sud de ce vaste bassin versant, une autre rivière a été victime de pollutions : la Bienne. Cette fois-ci, il s’agit essentiellement de pollution domestique, le premier poste de subventions de l’Agence. Elle a versé une subvention de 625 000 euros à la commune de Saint Claude, pour mettre en conformité ses réseaux d’assainissement. Obsolètes, ils sont à l’origine de nombreuses mortalités piscicoles dans la Bienne. Cinq ans de travaux sont prévus. Pour 2021, le budget des travaux est de 1,25 M€.
On le voit, des sommes importantes d’argent sont déjà mobilisées pour les milieux aquatiques. Mais, tous ces efforts pourraient être ruinés si ils arrivent trop tard pour sauver les rivières karstiques. Comme le montre cette photo de Laurent Cheviet, elles sont des emblèmes touristiques et patrimoniales de la Franche-Comté.
Isabelle Brunnarius
Isabelle.brunnarius(a)francetv.fr