Il y a comme une certaine crispation sur Facebook en ce moment.. Les pêcheurs sont aux aguets, prompts à sortir leur téléphone pour photographier ce qu’ils estiment comme des atteintes à la qualité des eaux des rivières comtoises. Des photos accusatrices sont publiées sur Facebook. Et comme une image vaut mille mots, la conclusion semble limpide : les rivières comtoises sont toujours en mauvaise santé. Preuve en est avec ces fonds noirs, signe d’eutrophisation. Les actions entreprises pour les sauver ne seraient donc pas à la hauteur.
Il ya quelques jours, les rivières étaient basses, aucune crue n’avait encore nettoyé les fonds. Les pêcheurs n’avaient qu’à trainer un peu les pieds pour détacher une sorte d’algue gluante accrochée aux cailloux des rivières. Cette photo là a été prise dans le Jura sur la Saine par un membre d’Anper Tos le 3 avril dernier.
Comment interpréter ces photos ? Faut-il désespérer de parvenir un jour à sauver les rivières comtoises ? Comme à chaque printemps, les agriculteurs épandent leur effluents d’élevage sur leurs terres. D’après les pêcheurs, cette activité a un impact immédiat sur les rivières surtout en période d’étiage comme c’était le cas début avril. Ils constatent chaque printemps ces fonds noirs ou ces mousses blanches signes d’excès de nutriments. « On est pas sorti de l’auberge » déplore le vice-président e la fédération de pêche du Doubs Christian Triboulet.
Cette année, l’association nationale Anper TOS (Association Nationale de Protection des Eaux et RivièresTruite Ombres Saumon) est particulièrement vigilante. Cette association reconnue d’utilité publique participe au collectif SOS LRC et elle considère que « les pêcheurs doivent être de véritables lanceurs d’alerte » d’où les photos publiées sur ses pages facebook. Une forme de dénonciation de « l’eutrophisation des rivières, l’effondrement de la biodiversité et l’appauvrissement du cheptel halieutique ».
Les agriculteurs sont-ils les seuls responsables de cet état des rivières ? Non, les causes sont multifactorielles mais l’impact de leurs activités sur la qualité de l’eau des rivières est important comme le souligne le pré-rapport d’Eric Vindimian, l’expert du ministère de l’Environnement :
« Les rivières du bassin versant de la Loue présentent toutes les caractéristiques de rivières dystrophes perturbées par des proliférations végétales et toutes les conséquences que cela entraîne pour le fonctionnement des hydrosystèmes. La pollution d’origine agricole est tout naturellement considérée comme la principale responsable de cette situation. De fait, la minceur des sols et les nombreux écoulement souterrains expliquent que les activités humaines sur les surfaces agricoles peuvent avoir un impact qui n’a rien de commun avec celui qu’on attendrait dans une région de géologie plus banale avec une utilisation des sols comparable et notamment une majorité de prairies manifestement compatibles ! Il en résulte que les moyens d’évitement des pressions ne sont pas classiques non plus. Suites aux préconisations du Conseil scientifique du Comité de bassin la lutte contre la pollution par les nitrates et les phosphates a été considérée comme une priorité absolue. Si à aucun moment le rôle des autres facteurs de perturbation n’a été remis en cause, ceux-ci ont été jugés moins prioritaires dans une logique de mesures sans regret ».
Il faut reconnaître une réelle prise de conscience du monde agricole même si quelques exemples de comportements condamnables persistent. Didier Tourenne, le spécialiste des questions d’épandage à la chambre d’agriculture du Doubs est formelle, « il y a un panel d’indices concordant qui nous indique que les choses vont dans le bon sens ».
Si les ventes d’engrais minérales sont en chute libre, d’après la chambre d’agriculture c’est parce que les agriculteurs ont appris à valoriser leurs effluents. Avant 2010, la chambre d’agriculture ne réalisait que 10 analyses d’effluents par an maintenant, elle en effectue une centaine par an. Ces analyses donnent aux agriculteurs la teneur en éléments fertilisants et permettent de calculer le gain économique réalisé. Autres indices, les journées de formation consacrées à l’épandage sont de plus en suivies par les agriculteurs et plus de 130 plans d’épandages ont été mises en place en 2015 soit une progression par rapport à l’année précédente. Enfin, les agriculteurs tiennent de plus en plus comptent des points agro-météo publiés par la chambre d’agriculture du Doubs dans le magazine « La Terre de chez nous ». Il s’agit d’un calcul à partir des températures, de la pluviométrie et de l’altitude qui permet d’indiquer le redémarrage imminent de la végétation.
Pour aller au-delà des impressions des uns et des autres, un outil existe mais les résultats ne sont pas encore diffusés. Une série de capteurs a été installée depuis septembre dernier par le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) sur la Loue et le Doubs pour mieux connaître l’impact des activités humaines sur la rivière. Cette étude sera menée pendant au moins trois ans et elle devrait permettre aux élus d’agir en conséquence. Une étude qui découle des préconisations des Conférences départementales de la Loue et des rivières comtoises et financée par l’Agence de l’eau et le conseil départemental du Doubs. Les scientifiques vont donc pouvoir calculer des flux de phospore ou d’azote en circulation dans la rivière, c’est à dire une quantité de ces éléments qui circulent entre deux points de la rivière et pendant un temps donné. Bref, c’est la mesure qui permet le mieux d’appréhender ce qui se passe dans la rivière. Pour la Loue, cette rivière aux humeurs si changeantes, c’est idéal. Une réunion vient justement de se tenir pour savoir comment diffuser ces données si précieuses.
Des résultats qui devraient permettre de préciser l’impact des épandages printaniers sur la rivière. Un point qui pourrait être à l’ordre du jour de la prochaine Conférence départemental des rivières comtoises prévue le 28 juin prochain.
Isabelle Brunnarius
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