Depuis le pillage par l’armée soviétique en 1945 de la collection du baron Hatvany, personne ne savait où était Les Baigneuses dans la forêt. Ce tableau de Gustave Courbet va être mis aux enchères par Sotheby’s lors d’une vente qui se déroule jusqu’au 14 mai. L’estimation du prix de cette peinture est entre 149 673 euros et 207 880 euros. Après avoir spoliée deux fois, c’est la première fois que cette oeuvre est de nouveau mise en vente depuis 1908.
« C’est la première fois que je vois ce tableau en couleur ! » Même à distance, l’enthousiasme de Thierry Savatier est palpable. Cet historien de l’art, spécialiste de l’Origine du Monde a révélé en 2006 que la collection du baron juif hongrois Ferenc Hatvany (1881-1958) avait été pillée par l’armée soviétique et non par les Nazis. Avant-guerre, le baron possédait environ 800 tableaux. A gauche de la cheminée, on peut voir le petit tableau Les Baigneuses dans la forêt.
Des œuvres exceptionnelles de El Greco, Rodin, Manet et… L’origine du Monde de Gustave Courbet, achetée à la galerie Berheim-jeune à Paris. Quelques années plus tôt, en 1908, le collectionneur avait acquis, dans cette même galerie parisienne un tableau, peint en 1862, juste un peu plus grand qu’une feuille A3 : Les baigneuses dans la forêt.
Comme L’origine du Monde (1866) ou Femme nue couchée (1862), La Vague (1870), le baron Hatvany avait mis à l’abri ses précieuses toiles dans des coffres des banques de Budapest. Une histoire racontée par Thierry Savatier dans son livre « L’origine du Monde ». Des dépôts qu’il n’avait pas réalisés en son nom propre mais sous le nom de personnes de sa connaissance non juives, comme son secrétaire particulier. C’est pourquoi les nazis n’ont pas pillé ces coffres. L’armée soviétique a récupéré ces œuvres d’art.
A la Libération, le baron Hatvany parvient à récupérer L’origine du Monde et une partie de sa collection, mais certaines œuvres restent introuvables.
Avec le temps, des mystères se lèvent
Au fil des successions, quelques tableaux réapparaissent. En 2007, Dominique de Font-Réaulx et Laurence des Cars, les commissaires de la fameuse rétrospective Gustave Courbet, créent l’évènement, en exposant Femme nue couchée.
Ce tableau avait, lui aussi, disparu à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Un soldat l’avait vendu à un médecin de Bratislava pour sans doute payer ses soins. Et c’est lorsque les héritiers du médecin veulent s’en séparer que le tableau représentant une femme nue avec des bas blancs réapparait. Considéré comme une spoliation, il est rendu aux héritiers du baron Hatvany.
En 2015, ils décident de le vendre aux enchères. Le marteau du commissaire-priseur de Christie’s établira son prix de vente à plus de 12 millions d’euros. Actuellement, le propriétaire prête cette œuvre au musée d’Orsay.
L’histoire se répète avec le petit tableau qui vient d’être redécouvert. C’est le premier tableau de Courbet que le baron Hatvany s’est offert en 1908. On ne sait pas comment le tableau est parvenu jusqu’à un collectionneur, basé en Australie. Quand il a voulu vendre Les baigneuses dans la forêt, il s’est adressé à Sotheby’s. La maison de vente aux enchères vient de négocier le règlement de restitution entre le propriétaire et les héritiers Hatvany. Une famille qui recherche toujours les œuvres spoliées à leur ancêtre. C’est l’avocate Agnès Peresztegi qui en a la charge. Depuis plus de 20 ans, cette femme est spécialiste du contentieux de l’art pillé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Des dossiers toujours délicats et souvent confidentiels. La famille Hatvany a décidé de mettre en vente Baigneuses dans la forêt, comme elle l’avait fait pour Femme nue couchée.
Cette réapparition ne permet pas encore de découvrir le parcours entre 1945 et 2021 de ce petit tableau. Mais pour les historiens d’art qui ne connaissaient qu’une photo noir et blanc de cette œuvre publiée dans le catalogue raisonné Fernier, cette vente aux enchères est une belle occasion pour découvrir des détails de l’œuvre et ils ne sont pas anodins.
Sur le site de Sotheby’s, la note de présentation souligne « la palette audacieuse de Courbet révélée par les verts luxuriants de la canopée et des herbes épaisses, les gris blancs tachetés des gracieux troncs d’arbres et le noir argenté de la surface de l’eau, brisée par la forme des deux baigneuses. »
Une peinture qui a pu être réalisée par Courbet lors de son séjour en Saintonge, selon les explications d’Ann Dumas.
Dans son livre « Courbet, une révolution érotique », Thierry Savatier le décrivait ainsi dans son chapitre consacré au Saphisme :
« La proximité de ces deux femmes, blotties dans la partie inférieure droite du tableau, invite à imaginer leur intimité »
L’une est blonde, l’autre plutôt châtain. C’est un détail qui a toute son importance.
« Quand Courbet représente deux femmes, il n’y a jamais d’homme, souligne l’historien de l’art. Dans Le Sommeil ou Les demoiselles des bords de la Seine, les deux femmes sont aussi brune et blonde. Le XIXe est un siècle schizophrène ; d’un côté le puritanisme règne et de l’autre, le grand fantasme de l’homme est le couple lesbien. On a créé un cliché typique de cette époque : la brune prend le rôle viril. La représentation de ces deux femmes donne une information qui passe inaperçue aujourd’hui mais qui avait une connotation saphique à l’époque. »
Autre découverte, le support de ce tableau. Jusqu’à présent, cette œuvre était non seulement représentée en noir et blanc mais aussi comme ayant été réalisée en 1862 sur un carton. C’est ce qu’on peut lire dans le catalogue raisonné de Robert Fernier.
L’œuvre qui est actuellement mise en vente a été peinte sur toile. Les dimensions sont assez proches de celle du catalogue raisonné : 41,2×33 cm hors cadre. Sotheby’s précise que lors de la vente de ce tableau en 1885 à l’Hôtel Drouot, il y a eu une erreur sur la nature du support ! Il est aussi mentionné que le baron Hatvany a été spolié de ce tableau une première fois entre 1919 et 1923 lors du régime communiste en Hongrie. Le tableau a été authentifié par Sarah Faunce, l’une des expertes américaines de Gustave Courbet, précise Sotheby’s.
Tous les mystères sur l’histoire de ce tableau ne sont pas encore tous éclaircis. Sotheby’s a pris soin de poser un cache au dos du tableau. Comme une page blanche où tout reste à écrire.. Souvent, à cet endroit, on apprend le parcours de la toile.
La valeur d’un tableau tient à la fois à sa facture et à son histoire m’expliquait Thierry Ehrmann, le fondateur d’Artprice lors de notre rencontre au sujet du record de la vente de Femme nue couchée en 2015. Un principe qui pourrait se vérifier lors de cette vente aux enchères en ligne qui doit s’achever le 14 mai. L’estimation de ce tableau a été fixé entre 149 673 euros et 207 880 euros.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr