19 Avr

Doubs Franco-Suisse : Quand une forêt française devient une réserve naturelle gérée par l’association suisse Pro Natura

Le Doubs Franco-Suisse

 

C’est assez exceptionnel pour être souligné. L’association de défense de l’environnement Pro Natura du Jura vient d’acheter 12 hectares en France en lisière du Doubs pour en faire une réserve naturelle. L’association va louer son droit de pêche associé à ce terrain à l’association de pêcheurs La Franco-Suisse. Pêcheurs et défenseurs de l’environnement peuvent ainsi s’entendre pour préserver un milieu naturel en danger : la rivière Doubs.

Il suffit d’enjamber un ruisseau et nous voilà en Suisse ! Pas de bouchons, pas de douaniers, seulement deux panneaux nous indiquent que nous passons d’un pays à l’autre. Dans le monde d’avant, nous aurions pu nous attabler à la terrasse du charmant restaurant suisse de ce poste frontière de Clairbief. Nous nous contenterons de marcher au bord de ce splendide Doubs Franco-Suisse. Les pêcheurs viennent de loin pour savourer ce calme.

Côté Suisse, une délégation de membres de Pro Natura accueille les représentants des pêcheurs français. Cela pourrait ressembler à une rencontre pour un état des lieux entre propriétaire et nouveau locataire mais le « bien » n’est pas accessible à tous ! En raison des contraintes sanitaires, les adhérents de Pro Natura ne peuvent se déplacer au-delà des 30 km autour de leur domicile. Et les 12 hectares de forêt qu’ils viennent d’acheter en France sont au-delà de ce périmètre…

Pourquoi acheter ce terrain en France ? L’occasion était trop belle. Quand les responsables de l’antenne jurassienne de l’association Pro Natura ont appris que le propriétaire suisse vendait sa parcelle de forêt le long du Doubs, ils ont tout de suite manifesté leur intérêt.

L’association est déjà propriétaire, côté Suisse, d’une réserve naturelle à 1 km à vol d’oiseau de ce terrain côté France. 47 hectares de forêt, de roche et de prairies au bord du Doubs.

Les réserves à Clairbief et en France de Pro Natura

« La réserve de Clairbief nous tient particulièrement à cœur ; il s’agit en effet de la première réserve acquise par Pro Natura Jura ! Lorsque nous l’avons achetée, les berges du Doubs étaient exploitées intensivement ; on y plantait encore du maïs. Depuis, nous mettons tout en place pour que la flore et la faune rivulaires puissent s’y développer pleinement. Dans la forêt, nous intervenons également pour favoriser les espèces rares de la région. » peut-on lire sur le site de Pro Natura Jura.

Pronatura gère 700 réserves en Suisse. C’est la raison d’être de cette association de défense de l’environnement.

Grâce aux dons de ses 140 000 membres en Suisse, elle peut acheter des terrains et les gérer comme elle entend. Ici, les 12 hectares ont coûté environ 110 000 euros.

«Clairbief n’est pas soumise à une menace spécifique, explique sur son site Pro Natura. Notre action vise à renforcer la qualité biologique de ses milieux. Nous intervenons en vue d’offrir encore davantage d’habitats aux espèces rares présentes sur le site ».

Ici, la forêt est entretenue non pas pour en tirer un bénéfice financier mais pour maintenir la présence d’espèces végétales comme la Fritillaire pintade, une jolie fleur en voie de disparition. En Suisse, cette espèce est  protégée au niveau fédéral. Cette fleur rare est aussi protégée dans certaines régions dont la Franche-Comté.

Les naturalistes ont également repéré les rarissimes papillons Bacchante, des crapauds Accoucheur et des vipères Aspic.

« En terme de conservation, explique Marc Tourrette, responsable des réserves naturelles Pro Natura Jura, c’est toujours intéressant d’agrandir les réserves. Plus l’habitat est important, plus on a des chances de conserver une population. »

En achetant ces 12 hectares de forêt qui longe le Doubs côté France , les Suisses sont devenus ipso facto propriétaire du droit de pêche. En France, le propriétaire de la rive est propriétaire de la moitié du cours d’eau qui le longe.

L’ancien propriétaire de ces 12 hectares louait  ce droit de pêche sur 1,5 km aux adhérents de La Franco-Suisse qui pêchent des deux côtés du Doubs.

Qu’allaient faire les nouveaux propriétaires ? Pêcher et défendre l’environnement sont-elles des activités compatibles ?

Ailleurs les relations auraient pu être conflictuelles mais au bord du Doubs franco-suisse, écolos et pêcheurs partagent les mêmes préoccupations : préserver la rivière, la sauver des excès de l’homme. Une entente a été vite trouvée.

Pro natura reserve en France

Cette rivière est protégée par une réglementation internationale, plus stricte que celles qui régit les associations de pêche françaises. Interdiction de pêcher l’ombre et obligation de relâcher les truites qui font moins de 35 centimètres. Pas plus de trente poissons à l’année.

Une longue histoire les unit

Pro Natura et la Franco-Suisse se connaissent bien. Cela fait maintenant quinze ans qu’ils agissent ensemble pour protéger le Roi du Doubs : l’Apron, un petit poisson en voie de disparition. Les pêcheurs se sont mobilisés pour que la gestion des barrages hydroélectriques du secteur soit plus respectueuse pour les poissons. Pendant des années, des poissons mourraient asphyxiés quand l’eau était retenue par les barrages pour faciliter la production d’électricité. Aujourd’hui des accords ont été trouvés mais il reste encore à faire pour améliorer la qualité des eaux.

Christian Triboulet, président de la Franco-Suisse et membre de SOS Loue et rivières comtoises, et le garde-pêche de l’association Patrice Malavaux nous ont emmené sur le terrain pour découvrir la richesse de ce terrain de 12 hectares.

Un havre de paix et de biodiversité avec une jolie surprise : la fameuse Fritillaire pintade qui est en voie de disparition.

Frtillaire pintade

Un peu plus loin, nous découvrons une gravière, une zone écologiquement riche et indispensable à la reproduction des poissons

« Si ce n’était pas Pro Natura qui avait acheté le terrain, explique Patrice Malavaux, d’une coupe massive  forestiere qui pourrait déstabiliser les alentours. Là au moins avec Pro Natura, on a la garantie que cela va rester tel quel. »

Les pêcheurs ont déjà en projet la restauration d’un petit affluent du Doubs.

«Pro Natura est axé sur des espèces animales et végétales qui sont dans la forêt, résume Christian Triboulet. Nous, en complément, on a notre gestion patrimoniale sur les espèces de poissons qui est compatible car chacun, nous souhaitons préserver globalement la biodiversité du Doubs. »

Chaque année, La majorité des 3000 cartes de pêche de la Franco-suisse sont achetées par des pêcheurs venus d’ailleurs. La préservation de l’environnement défendue par Pro natura et la Franco-suisse, est aussi un atout économique pour le secteur.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr