Pas de tapage médiatique autour des Brisées. Mais cette pépite de lecture mériterait d’être plus connue, comme son auteur d’ailleurs.
Les brisées ce sont ces petites branches que l’on sème sur son chemin pour traquer une bête. Jean-Yves Laurichesse nous emmène sur les traces d’une vie, la sienne même si la première personne n’est jamais employée. Il nous livre ces minuscules choses qui construisent une existence, l’air de rien, petit à petit.
Des lieux de son enfance, il ne reste pourtant plus grand chose. Jean-Yves Laurichesse patiemment remonte le temps et reconstruit pour nous les lieux, les gens, les instants.
Pourtant Dieu sait si les descriptions m’ennuient en général. Je m’octroie souvent, je l’avoue, un des droits du lecteur de Daniel Pennac, celui de sauter des pages. Mais là, pour rien au monde je n’en aurai perdu une miette. Les images se façonnent sous les mots, les odeurs envahissent vos narines, les lumières s’invitent dans le décor. Ces Brisées, je ne les ai pas lues, Jean-Yves Laurichesse me les a racontées, doucement.
Un livre délicat, d’une belle élégance, au charme discret et raffiné, à la rêverie douce. Un ouvrage dont la tonalité lente et contemplative ne m’inspirait guère au départ mais qui m’a conquise dès les premières pages par sa tranquilité. Une parenthèse à savourer dans un bon fauteuil et la quiétude d’une soirée (par exemple…).
Les Brisées de Jean-Yves Laurichesse aux éditions Le temps qu’il fait.
- L’auteur
Jean-Yves Laurichesse est né dans la Creuse il y a 57 ans. Il enseigne la littérature française à l’université de Toulouse. Il écrit depuis l’adolescence mais laissait ses écrits dormir dans un tiroir jusqu’à ce que la découverte de vieux documents familiaux ne provoque un déclic. Et c’est tant mieux.
- L’extrait
Il lui raconte cela au dîner, sur la terrasse, tandis que la nuit comble peu à peu la vallée et qu’en bas le grondement du déversoir s’intensifie.
La fenêtre du salon était fermée de lourds rideaux bruns à croisillons d’or. Il se glissait dans l’embrasure pour y respirer l’air glacé de l’hiver, enfoncé dans l’obscurité, ne percevant plus que de très loin les bruits familiers de la maison, comme s’il était perdu dans la grande forêt des dimanches rendue à la nuit immémoriale. Il restait ainsi, immobile et parti, entre les lourds rideaux et les vitres glacées, jusqu’à ce que son père ou sa mère lui demande de sortir de peur qu’il ne prenne froid. Il retrouvait alors le salon au sol couvert de sisal jaune, qui donnait aux soirées d’hiver une couleur si chaude.
Il se souvient des histoires que son père lui racontait à voix basse le soir dans son lit, penché sur lui le visage dans l’ombre. Un petit garçon était enlevé par une horde de loups, mais sauvé par le plus vieux qui empêchait les autres de le dévorer. Et quand son père revenait dans la forêt armé d’un revolver pour l’arracher aux bêtes, l’enfant le suppliait d’épargner son ami, et le vieux loup les regardait partir avec tristesse et reconnaissance. Il se souvient aussi des grands livres que sa mère lui lisait quand il dut demeurer chaque soir immobile sur le divan du salon, les jambes serrées dans des bandes de toile, entrant pour la première fois, par le truchement mystérieux de la voix, dans le grand temps du roman, la géographie lointaine de la jungle ou de la savane, la noblesse infinie des animaux sauvages.
- Ils en parlent aussi
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Véronique Haudebourg