08 Juil

Comme une vis sans écrou – Mufle d’Eric Neuhoff

Certains livres sont comme  une vis sans écrou… on ne sait pas quoi en faire. C’est ce qui m’arrive avec Mufle d’Eric Neuhoff. Je suis incapable de vous dire si je l’ai aimé ou pas.

Pour l’histoire, on va faire simple. Il découvre qu’elle le trompe. Il la quitte. Il essaie de s’en remettre et de passer à autre chose. Simple, clair et vieux comme le monde.

Mais sur ce coup-ci, le protagoniste est tout sauf sympathique. Celle qui le trompe est au moins aussi insupportable. Difficile dans ces conditions de compatir un tant soi peu. Difficile aussi de ressentir quoi que ce soit. Expérience d’une lecture froide, sans émotion. La quatrième de couverture parle de l’autopsie d’un mensonge. Je parlerai plutôt de l’autopsie d’une rupture,  de la dissection de la douleur, du mensonge qui s’installe jour après jour, du dégoût de l’autre. Pas grand-chose qui donne envie d’aimer en somme.

A la longue, les jérémiades et les plaintes du narrateur pourraient lasser. Heureusement, Eric Neuhoff nous livre un ouvrage assez court. Juste assez pour nous emmener au bout, sans nous dégoûter vraiment.

Des phrases et des paragraphes courts, une écriture très hachée, très parlée. Le passage du « je » au « il » déroute. Pour ma part, j’en arrive à penser que le protagoniste parle de lui à la troisième personne, preuve de la haute idée qu’il a de lui-même. Ce qui le rend d’autant plus détestable.

Ca ne donne pas de bonnes raisons de lire Mufle tout cela…. Sauf que…

Sauf que pouvoir détester quelqu’un comme cela, sans raison, gratuitement, de penser, sans aucune culpabilité que ce qui lui arrive, finalement, c’est bien fait, cela fait un bien fou. Oui j’avoue, j’en pense beaucoup de mal de cet homme, de son amante aussi d’ailleurs. Et ce n’est quand même pas tout les jours qu’on peut déverser sa bile sur quelqu’un. Le temps d’un livre, je m’en suis donnée à cœur joie. Une expérience inédite, à tenter.

Mufle d’Eric Neuhoff chez Albin Michel

  • L’auteur

Eric Neuhoff est journaliste et écrivain. Il a passé son adolescence dans le Lot avec notamment un passage au Lycée Gambetta de Cahors. Il écrit, entre autre, pour le Figaro Madame. Il a fait partie de l’équipe du Fou du roi sur France Inter, intervient dans le Masque et la plume sur la même antenne, dans Le Cercle sur Canal Plus.

Auteur de nombreux romans (dont Les hanches de Laetitia qui se déroule à Toulouse), il a reçu le prix des Deux Magots pour Barbe à Papa, le prix Interallié pour La petite Française (il fait maintenant partie du jury), et le Grand Prix du roman de l’Académie Française pour Un bien Fou.

  • Ils en ont parlé

– Livrogne
– Mille et une pages
– Sophie lit
– La cause littéraire
– Les facéties de Lucie
– Liratouva
– Sans connivence
– Le Prix Virilo

  • Extrait

« Je t’ai aimée, Charlotte. Est-ce que tu te rendras compte de ça ? Est-ce-que ça te servira à quelque chose ?

Tu sais, je comprends qu’ils soient tous dingues de toi. A côté, les autres filles ne font pas le poids. Aucune ne t’arrive à la cheville. Tu entres quelque part et plus rien d’autre n’existe. C’est comme si la pièce, Paris t’appartenaient. Tu mettais cette ville sens dessus dessous.

Cela ne durerait pas. Tout cela s’évanouirait. Sa popularité baisserait. Son kilométrage la trahirait. Elle jetterait ses derniers feux. Elle avait intérêt à se dépêcher. Bientôt, elle serait quelque chose de risible et de hagard, une caricature de blondeur et de sensualité. Il y aurait d’autres filles, sur le marché, plus belles, plus fraîches, plus exubérantes. « Charlotte, ça a été quelque chose », soupireraient ceux qui l’avaient connue à sa grande époque. Adieu, championne.

Elle pouvait crever, tiens. Mais non, pourquoi disait-il ça ?

Il ne lui voulait pas de mal. Il lui souhaitait seulement de finir comme barmaid à temps partiel ou caissière dans un hypermarché de banlieue. Il espérait sincèrement qu’avec son bronzage artificiel, ses cheveux teints d’une étrange couleur blondasse, son maquillage de Faye Dunaway à la con, elle se retrouverait au bras d’un oligarque russe. Visonoff et Limousinski. Elle serait bientôt au creux de la vague. Elle se faisait vieille. Il n’avait jamais pensé à elle en ces termes. C’était sa faute. Il détestait la voir comme ça. Il doutait de l’avoir jamais eue. Elle irait là où les femmes de son âge ont du succès, avec des agents de change en pardessus de cachemire, des milliardaires faisandés ou des jeunes brokers en quête d’une maman pas si mal conservée. Tous ces gars-là lui tourneraient autour, lui offriraient des vacances à Moustique. Un peu de réalisme.

Et lui ? Il prendrait du bide. Des poils lui sortiraient des oreilles. Ses ongles de pieds deviendraient durs et jaune comme du touron. Un second souffle ? Un troisième, un quatrième, voilà ce qu’il lui fallait. Dieu avait intérêt à être généreux. Il emmènerait au Seychelles des filles beaucoup plus jeunes que lui, des filles qui n’auraient jamais entendu parler d’Alvin Lee ou de Joanna Shimkus. Il jouerait son va-tout. Si ça foirait, ça foirerait solidement, définitivement, quelque chose de bien. Il se préparait un avenir de regret et de gueule de bois. Seigneur ! »

Véronique Haudebourg