29 Juin

Conférence départementale de l’eau : dix ans après la crise, le dialogue porte ses fruits

5e conférence départementale de l’eau à Malbuisson

A force d’être reportée, cette 5e Conférence départementale vient finalement d’avoir lieu à Malbuisson et même en présence de Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la Transition écologique et solidaire. Initialement prévue pour se tenir chaque année, cette conférence est née d’une crise. En 2009, les poissons de la Loue meurent en masse. C’est le signe manifeste d’un mal être de la rivière. D’autres mortalités dans des cours d’eau de la région confirmeront le mauvais état des rivières comtoises. Dix ans plus tard, département du Doubs et préfecture continuent de travailler ensemble.

Créée officiellement en 2013 sous le nom « Conférence Départementale Loue et Rivières Comtoises », cette instance se nomme désormais Conférence départementale de l’eau. Lors de la précédente réunion, il y a trois ans, Eric Vindimian, l’expert nommé par le ministère de l’Environnement, avait présenté 22 recommandations pour faire des bassins versants de la Loue et des rivières comtoises un territoire d’excellence environnementale. Décroché un tel label serait le signe d’un accord réussi entre enjeux environnementaux et économiques. On en est encore loin ! Interrogée sur cette échéance, la vice-présidente du département du Doubs, Béatrix Loison, admet qu’aucune date n’est avancée.

 

#Le consensus ou le conflit

La politique des petits pas est bel et bien la stratégie adoptée par les services de l’Etat et des collectivités mais elle commence à porter ses fruits.
C’est ce qui ressort de la réunion de Malbuisson. Pour la secrétaire d’Etat, ce qui se passe sur ce bassin versant est « exemplaire ». En référence aux Assises de l’eau menée par le ministère de l’Environnement, Emmanuelle Wargon déclare à l’assistance avoir « besoin de trouver le consensus que vous avez trouvé ici ». Il faut dire que dans la salle, tout le monde a appris à se connaître. Depuis dix ans, associations de défense de l’environnement comme SOS Loue et Rivières comtoises, fonctionnaires, responsables de collectivités, élus, se retrouvent régulièrement en réunion pour trouver ce fameux « consensus ». Il a été trouvé pour améliorer globalement la gestion des milieux aquatiques sur l’ensemble du bassin versant de la Loue et du Haut-Doubs. C’était une des principales recommandations du rapport Vindimian.

Mais, beaucoup reste à faire pour la gestion de l’eau potable et des eaux usées. Comme vous allez le constater dans notre reportage tourné avec L.Brocard, R.Bolard, D.Perron et M.Blanc.

Avec les interventions de : Avec Philippe Alpy président du syndicat mixte Haut-Doubs Haute-Loue Jean-Claude Grenier Président de la communauté de communes Loue Lison Didier Segaud responsable ONF Levier.

 

 

Si il a fallu une crise pour parvenir à ce mécanisme de concertation où « les différences sont surmontées » certains avertissements sont restés lettres mortes. Anticiper les tensions, n’est pas systématique ! Preuve en est avec la gestion des boues des stations d’épurations. C’est l’adjoint au maire de la ville de Besançon chargé de la gestion de l’eau qui monte au créneau. Christophe Lime annonce le problème qui va se poser très prochainement à de nombreuses communes de la zone AOP. « J’ai interpellé tout le monde depuis deux ans avant d’aller dans le mur «  rappelle l’élu bisontin.

Le même jour que cette conférence, les professionnels de la filière comté présentaient les « mesures validées par l’Assemblée Générale du CIGC ». Parmi elles, l’interdiction d’épandre sur les prairies et les cultures en zone AOP les boues des Stations de traitements des eaux usées des communes ou communautés de communes. Raison invoquée : « produire du fourrage de qualité et en quantité tout en préservant l’environnement ». Un dossier épineux. Qui va désormais épandre ces boues ? Des agriculteurs hors zones AOP ? Pourquoi le feraient-ils alors qu’ils sont déjà sollicités par d’autres collectivités ? A la demande d’Emmanuelle Wargon, Le préfet du Doubs, Joël Mathurin, s’est engagé à réunir tous les interlocuteurs d’ici la mi-juillet. 

Autre dossier où le « consensus » est délicat à trouver : la pratique du casse-cailloux sur des prairies typiques des paysages jurassiens. L’association Murs et Murgers dénonce cette modification du paysage qui permet à des agriculteurs de gagner du terrain ou d’avoir accès avec leurs tracteurs à certaines prairies. A force de manifester mais aussi de négocier, défenseurs des paysages jurassiens sont parvenus à une entente avec les agriculteurs et l’Etat . Depuis le 18 juin, les agriculteurs du secteur doivent faire une déclaration préalable à la Direction des Territoires si ils veulent passer le casse-cailloux dans leurs prairies. Cela n’a pas de valeur juridique mais c’est une contrainte morale.

L’association Murs et Murgers souhaite aller plus loin et plus vite avec la rédaction d’un arrêté préfectoral de protection des milieux naturels.Interpellée par Guy Pourchet, un des membres de Murs et Murgers, Emmanuelle Wargon réplique « accélérons si il le faut mais il faut savoir ce que l’on protège ». Mais pour prendre cet arrêté, il faut définir ce que l’on protège et donc dresser une liste complète des affleurements rocheux du massif jurassien. Un travail de titan qui va prendre un temps fou…

Le temps, c’est bien cette composante indispensable à tout processus de décision.

 

#Que s’est-il passé depuis trois ans, date de la dernière conférence départementale ?

Trois ans, c’est court et beaucoup reste à faire. La Loue n’a pas retrouvé sa réputation qui faisait venir les pêcheurs du monde entier.

Un bon indicateur serait la présence des poissons dans les rivières. Depuis trois ans, la fédération de pêche du Doubs a obtenu des financements pour systématiser les pêches électriques sur la Loue, le Dessoubre, le Cusancin et le Lison. Chaque mois de juillet, des recensement sont réalisés sur neuf stations. Trois ans, c’est trop peu pour tirer des conclusions. « J’en suis encore au constat, regrette Christian Rossignon, le directeur de la fédération de pêche du Doubs. Pour faire une analyse il faut du long terme ». Mais déjà il faut noter qu’il n’y a pas eu sur la Loue de fortes mortalités comme en 2009. Voici quelques éléments fournis par la fédération de pêche du Doubs :

Plus spécifiquement concernant les Salmonidés, on pourra noter que :
– Sur la plupart des points inventoriés, les recrutements annuels notables révélés en 2017 (tant pour la truite que pour l’ombre) sont responsables d’une hausse remarquée des effectifs de juvéniles d’un an en 2018,
– Les recrutements annuels 2018 sont de leur côté plus modestes par rapport à l’année précédente,
– Les populations de truite fario sont stables sur l’ensemble des stations, qu’elles soient très altérées (Cusancin aval, Loue à Cléron, Lison aval…) ou en relatif bon état (Dessoubre amont),
– L’effondrement des populations d’ombre sur le Cusancin observé en 2017 (notamment sur la zone amont du cours d’eau qui présentait jusqu’alors des densités élevées) est confirmé en 2018,
– La situation est similaire pour le bas Dessoubre où la population d’ombre peine à se reconstituer,
– A contrario, celle-ci se reconstitue rapidement sur le Dessoubre en amont de Rosureux, de même que sur la Loue à Cléron.
Sur l’ensemble des points investigués, seules les 2 stations amont du Dessoubre (Consolation-Maisonnettes, Moulin de Belvoir) présentent un peuplement piscicole en relatif bon état, tant quantitativement que qualitativement.

Pour mieux comprendre les origines des pollutions et surtout comment mesurer l’impact des activités humaines sur la rivière , des études scientifiques ont été développées. C’était une des recommandations du comité scientifique lors de la Conférence Loue de 2014. Pour les défenseurs des rivières, ces études retardent les prises de décision mais, finalement, elles devraient permettre de mieux cibler les plans d’actions. C’est ainsi que depuis 2015, les flux de la Loue sont sous surveillance.

Vous pouvez consulter sur le site du nouveau syndicat mixte EaudoubsLoue les études sur la qualité des eaux menées par le BRGM, le Bureau de Recherche Géologique et Minière, le conseil départemental du Doubs, l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse et le syndicat mixte. C’est le projet QUARSTIC.

Dans son rapport publié en 2018, le BRGM conclut :

Les résultats des mesures et analyses réalisées sur le réseau montrent que les eaux de la Loue dépassent de manière chronique les seuils naturels en azote et phosphore sur toutes les stations. L’analyse des principaux paramètres et la comparaison inter-sites montrent que les tronçons de rivière délimités au niveau des 5 stations ont des comportements variables dans l’espace et le temps, illustrant la variabilité des sources de contamination, ainsi que du fonctionnement hydrologique et écologique du bassin de la Loue.
Les résultats marquants indiquent que la température est la plus élevée et la plus fluctuante de manière saisonnière sur les stations aval, avec des températures supérieures à 25°C de manière chronique en été sur le Doubs à Arçon et la Loue à Chenecey-Buillon. Les exportations les plus importantes en azote sont estimées sur les sous-bassins aval à Chenecey-Buillon et l’impluvium de la source de la Loue (potentiellement sur-estimées du fait des apports issus des pertes du Doubs). Les flux conséquents en phosphore sont observés sur le Lison à Nans-Sous-Sainte-Anne en période estivale du fait de concentrations ponctuellement très élevées.

François Degiorgi et ses confrères du laboratoire Chrono-environnement poursuivent leurs études.Depuis septembre 2015, les scientifiques ont installé, à différents endroits du bassin versant de la Loue, un dispositif de plaques lysimètriques qui captent les eaux de pluies dans des sols profonds ou superficiels, dans des prairies ou des cultures. L’objectif  est « d’identifier les sources de contaminations ou de perturbations ainsi que des mécanismes de transferts dans les sols à l’échelle du bassin versant ».
Leur publication devrait être présentée à l’automne prochain. Mais, François Degiorgi  affirme d’ores et déjà que « plus on perturbe les sols,  plus il y a des risques de transfert d’azote ». En clair, la pratique de retournement des sols pour planter des prairies temporaires peut avoir un impact direct sur la qualité des eaux.

 

#Quelles actions concrètes ?

Outre la création d’un EPAGE (établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau)  pour gérer les milieux aquatiques d’un même bassin versant, une charte engageant l’ensemble de la filière bois a été signée lors de cette 5e conférence départementale de l’eau. Le rapport Vindimian soulignait l’importance d’agir dans cette filière pour améliorer la qualité de l’eau des rivières. Les actions décidées dans le contrat de territoire Haut-Doubs Haute-Loue n’ayant pas été réalisées.

Les forestiers sont loins des cours d’eau mais leurs traitements du bois avec des produits phyto sanitaires peut avoir des conséquences sur la faune des rivières. Levier est en plein coeur du bassin versant de la Loue. Jusqu’à présent, c’était un peu le grand flou. La filière bois avait d’autres préoccupations et rien ne se mettait en place. Il a fallu deux ans de concertation pour formaliser cette « Charte pour une meilleure prévention des risques piqûre ». Sous la houlette de l’ONF, la filière a accepté d’évaluer ses pratiques.

Julien Courtet, de la scierie RHD, et Didier Segaud, responsable ONF de l’unité territoriale de la forêt de Levier nous ont emmenés, mes confrères et moi sur une parcelle forestière de Levier. Nous avons vu les ravages des piqûres d’insectes sur des bois non traités. « Une dépréciation du prix du bois, explique Julien Courtet. On le vendra en emballage et non en ameublement ». L’idée de cette charte est de connaître précisément la quantité de produits utilisés pour traiter et d’aménager les pratiques professionnelles pour diminuer les traitements.

La filière forestière, la filière comté, les élus… Tous commencent à prendre conscience de l’urgence de la protection de la ressource en eau, du rôle des zones humides, de l’importance de redonner leur libertés au cours d’eau. L’eau devient une priorité. Dans le Haut-Doubs, c’est même un bien qui peut devenir rare. Juste avant de venir assister à cette 5e conférence, Emmanuelle Wargon avait admiré le lac Saint-Point. Depuis des années, le barrage du lac, propriété de l’Etat, est mal en point. Des travaux sont indispensables pour justement mieux gérer la ressource en eau. L’Etat vient de débloquer 100 000 euros pour financer les études préalables aux travaux. Là aussi, il va falloir être patient mais un pas a été franchi.

 

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr