27 Juin

L’influence internationale de Gustave Courbet décryptée lors du colloque « Courbet Autrement »

« Courbet autrement » ! C’est le thème du colloque international organisé du 27 au 29 juin à Besançon, Ornans et Flagey dans le cadre du bicentenaire de la naissance du peintre. Comme à chaque fois que des spécialistes de Gustave Courbet se retrouvent pour partager leurs recherches, les découvertes sont nombreuses et des mystères demeurent. Avec Courbet, la recherche est en mouvement !

Etats-Unis, Hongrie, Ecosse, Allemagne, Italie, Angleterre, Russie et Belgique ! En une journée, les intervenants ont rappelé la dimension internationale de Gustave Courbet. De son vivant, au XXe siècle et encore aujourd’hui.

Si Courbet a une dimension internationale, c’est parce qu’il incarne à la fois l’avant-garde et une forme de tradition. Toute la complexité de Courbet se déploie sous le prisme de l’international. L’influence de Courbet s’explique par ses idées politiques, sa peinture novatrice et ses « techniques » commerciales d’avant-garde. Etudier son influence internationale est un terrain parsemé de chausse-trappes. Les intervenants se sont employés à faire tomber des mythes, à ne s’appuyer que sur des faits.

A l’issue de cette journée, on comprend qu’être un peintre réaliste n’a pas la même signification d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre. Définitivement, il est trop réducteur de présenter Gustave Courbet comme le « maître du réalisme ».

Avant son exil en Suisse, Gustave Courbet voyageait pour présenter et vendre ses peintures lors d’expositions. Le maître d’Ornans s’est rendu à plusieurs reprises en Belgique et en Allemagne. Il a délaissé l’Italie et a peut-être fait un saut en Angleterre.

Selon le pays et les époques, la réception de la peinture de Courbet n’est pas la même.

Giuseppe Di Natale , professeur d’histoire de l’art contemporain, a épluché méthodiquement les archives de la Biennale de Venise de 1910 et de 1954. Et c’est un article de presse qui a permis à l’universitaire de recenser les oeuvres de Courbet exposées pour la première fois en Italie : Les casseurs de pierre, La fileuse, L’homme blessé, une représentation du lac Saint Point… Dix neuf tableaux sont présentés. Aucun tableau ne se vend, ni le grand public ni les critiques n’apprécient cette peinture. Un critique qualifie même Courbet de « peintre holographique et conventionnel » et de « fétichiste de la réalité », seuls les artistes lui reconnaissent du talent. Le peintre Giorgo de Chirico (1888-1978) lui consacrera une biographie.

Et c’est l’historien d’art Roberto Longhi qui a mis au goût du jour italien la peinture de Courbet. Gustave Courbet est « utile » à Roberto Longhi pour légitimer le retour sur le devant de la scène du Caravage. Le peintre italien était à cette époque tombé dans l’oubli… En mettant en avant la peinture de Courbet et ses points communs avec celle du Caravage, l’historien d’art justifie le rôle crucial du peintre italien.

En 1954, lors d’une seconde retrospective Courbet à la Biennale de Venise, c’est au tour du grand public d’apprécier l’oeuvre de Courbet. A cette époque, le Parti Communiste est le premier parti d’opposition. Le Communard Courbet a tout pour plaire !
La notoriété de Courbet en Italie est désormais acquise. L’hiver dernier, les Italiens ont marqué leur intérêt pour Courbet en venant nombreux voir une importante retrospective de ses oeuvres au Palais du diamant à Ferrare.

Et c’est là où l’on se rend compte comment les artistes peuvent être utilisés pour servir des idées, des causes d’hommes de lettres, de critiques d’art. L’intervention de Stéphanie Marchal, historienne de l’art en Allemagne est particulièrement éclairante. Sous l’empire allemand après 1870, « pour que Courbet soit acceptable, il fallait qu’il soit essentiellement sensuel et dénué de tout contenu révolutionnaire. «  Au début de la  guerre froide,  le Courbet des Allemands de l’Est n’est pas le même que celui des Allemands de l’Ouest… A partir des années 60, revirement, Courbet a un avenir à l’Ouest !  « Une histoire de caméléon » résume l’historienne.

Les Casseurs de pierre de Gustave Courbet, peint en 1849, a été détruit pendant la seconde guerre mondiale. Gravure de Emile Vernier, Institut Courbet

La « réception » d’un artiste dans un pays serait-elle finalement une histoire de perception et d’influence ? En Belgique, Courbet rencontre un franc succès. « Ce paysan du Doubs avait réalisé le miracle de révéler l’art belge à lui-même » déclarait Camille Lemonnier, biographe de Courbet et critique d’art influent. Benjamin Foudral, doctorant en histoire de l’art à la Sorbonne, décrypte la place importante que prend Courbet dans l’histoire de l’art belge. Après Lemonnier, l’artiste est de nouveau utilisé pour servir un propos au moment du cinquantenaire de l’indépendance du pays . « Il va servir de filiation entre les maîtres anciens et l’école moderne » raconte Benjamin Foudral. Mais cette influence semble avoir été mythifiée, amplifiée pour des raisons qui dépassent les artistes. Avant « Les casseurs de Pierre », tableau social de Courbet, la jeune génération avait déjà le goût pour la peinture réaliste.

Marianne Camus, professeur émérite en littérature anglaise à l’université de Bourgogne, a travaillé sur des artistes contemporains de Courbet : les préraphaélites anglais. Au départ, on pourrait penser qu’il y a « une communauté de projet sur ce que devait être la peinture ». Les préraphaélites ont des principes ! Ils insistent pour représenter le « vrai » et préconisent une « étude attentive de la nature ». Des mots qui peuvent évoquer Courbet mais qui se traduisent dans un univers pictural lointain.

Une après dînée à Ornans de Gustave Courbet. 1849.

Séverine Petit enfonce le clou et tord le cou aux idées reçues. La jeune femme, en charge des projets muséaux du musée Courbet d’Ornans, a étudié pendant plusieurs années en Russie. L’historienne d’art nous a précisé que le réalisme était le mouvement artistique majeur de la seconde moitié du XIXe siècle en Russie. Selon ses recherches, il n’y a qu’un « lien ténu » entre le maître d’Ornans et les artistes incarnant le renouveau artistique russe de l’époque.

Au delà du prestige de Courbet en raison de son engagement politique, quel a été la réelle influence de Courbet sur les artistes russes ? Les faits manquent et là aussi le mythe est déconstruit. Séverine Petit lance trois pistes de recherches :
-Les bourses d’études délivrées aux étudiants russes leur permettent de venir à Paris à la fin des années 1850. Ont-ils rencontré Courbet ?
-l’influence des expositions universelles et du pavillon de 1867 de Courbet sur les visiteurs russes.
-Les rôles du musicien et ami de  Courbet Alphonse Promayet, professeur de musique de la famille Romanov en Russie , et du poète Théophile Gautier. Ce connaisseur de l’oeuvre de Courbet a lui aussi séjourné en Russie.

Ilya Repin (1844-1930). Les Bateliers de la Volga 1870-1873)

Cette première journée du colloque « Courbet autrement » a également mis en exergue le rôle des collectionneurs, des marchands d’art dans la diffusion de l’oeuvre de Courbet et sa « réception » dans les pays.

Les riches amateurs d’art du XIXe siècle ont également joué un rôle dans la diffusion internationale de Courbet. Courbet peignait le peuple mais aimait vendre aux riches. En Belgique, il avait noué des contacts avec des aristocrates, des notables. Les marchands d’art pouvaient alors avoir un puissant pouvoir de prescription. Alexander Reid, marchand d’art, joue un rôle important dans l’acquisition de six tableaux de Courbet pour le Sir William Burrel, collectionneur richissime possédant 8000 objets d’art. C’est ce que nous a raconté Vivien Hamilton, directrice de recherche sur les beaux-arts des musées de Glasgow. Aujourd’hui, plusieurs villes écossaises exposent des tableaux de Courbet.

Et si on peut admirer au musée des Beaux-arts de Budapest Les lutteurs de Courbet, c’est lié à l’histoire d’une autre splendide collection d’art. Celle de la famille Hatvany. Judit Gesko, directrice de recherche au musée des beaux-arts de Budapest a détaillé l’univers de cette famille qui avait réuni avant la seconde guerre mondiale 900 oeuvres juste dans leur villa de Budapest. Parmi elles, Les Lutteurs, L’Origine du Monde, Femme nue couchée ..

L’exemple le plus éloquent vient des Etats-Unis. Mary Morton, conservatrice et chef du département des peintures françaises à la National Gallery of Art de Washington, a étudié comment le réalisme de Courbet avait été exporté aux Etats-Unis. Dès 1866, des tableaux de Courbet sont exposés aux Etats-Unis. Comme souvent, ce sont des artistes qui font connaître l’oeuvre de Courbet. Mary Morton a rappelé le rôle majeure de Mary Cassatt (1844-1926). Si les visiteurs du Metropolitan Museum of Art de New york peuvent admirer une trentaine de tableaux de Courbet, c’est en partie grâce à elle. L’artiste était aussi marchand de tableaux. C’est elle qui fit découvrir à Louisine Havemeyer l’art de Courbet.

Mary Cassatt: Petite fille dans un fauteuil bleu. National Gallery of Art, Washington, DC

Aujourd’hui la majorité des ventes aux enchères des oeuvres de Courbet ont lieu aux Etats-Unis. C’est ce que révèle les statistiques de Artprice, la banque de données mondiale de l’art. Et cela n’a rien d’un hasard. Comme le dit si justement Marianne Camus, son étude des liens éventuels entre les préraphaélites anglais et Courbet lui a permis de comprendre combien la peinture de Courbet était « libre et annonciatrice » alors que celle des préraphaélites était tournée vers le passé.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr