06 Déc

La politique des petits pas de la Conférence départementale de la Loue et des rivières comtoises

La Conférence déparementale de la Loue et des rivières comtoises du 5 décembre 2014.

La Conférence déparementale de la Loue et des rivières comtoises du 5 décembre 2014.

L’homme a l’élégance discrète des scientifiques. Sur l’estrade de cette salle du Fort Griffon à Besançon, il est le nouveau venu. Éric Vindimian est un des experts du ministère de l’environnement et du développement durable et il vient d’être chargé d’une mission d’appui auprès du préfet du Doubs. Pendant les quatre heures de cette troisième conférence départementale de la Loue et des rivières comtoises, l’expert prend des notes sur son ordinateur, écoute plus qu’il ne parle. Sa présence est l’une des conséquences du rendez-vous du 10 octobre dernier entre Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, et le président du conseil général du Doubs Claude Jeannerot ainsi que le préfet du Doubs Stéphane Fratacci. Au centre de cette rencontre au sommet, les actions pour rétablir la santé des rivières comtoises.

Et si cet expert s’est déplacé, c’est bien parce que la question est si complexe qu’un avis supplémentaire n’est pas inutile. Un travail de longue haleine, médiatiquement ingrat car pour l’instant les résultats sont toujours invisibles. « Il n’y aura pas de déclaration spectaculaire » prévient d’emblée Claude Jeannerot. Etat et département du Doubs ne peuvent que miser sur le long terme d’où leur interrogation constante : « Avons-nous mis en place la bonne méthode ? » pour qu’un jour truites et ombres fraient dans des eaux de meilleure qualité.

Leur méthode est d’arriver à faire travailler ensemble des hommes et des femmes que, a priori, tout peut opposer. En trois ans, le dialogue s’est noué entre agriculteurs et défenseurs de l’environnement et le cercle des intervenants s’est agrandi : spéléologues et pêcheurs sont aussi consultés.

Autre principe, s’appuyer sur le travail du groupe scientifique pour décider des actions à entreprendre. Le laboratoire de Chrono-Environnement de l’université de Franche-Comté a récemment présenté des premiers éléments mais c’est seulement au printemps prochain que les scientifiques devraient pouvoir publier des études traitant de l’influence des phosphates, nitrates et micropolluants sur la qualité des eaux. L’objectif est également de rendre accessible à tous l’ensemble des données scientifiques collectées.

Cette méthode des petits pas et du dialogue porte ses fruits. Entre les conférences départementales, des groupes de travail se retrouvent régulièrement. C’est le cas du groupe agricole composé aussi bien d’agriculteurs que de défenseurs de l’environnement. Douze propositions viennent d’être présentées lors de cette conférence départementale. Les voici :

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Reste une question : Comment et quand vont être appliquées ces propositions ?

Au fil des ans, il apparaît essentiel de ne pas raisonner sur un territoire mais plutôt au niveau de chaque exploitation. L’une des mesures du groupe agricole est de privilégier les plans d’épandages individuels plutôt que ceux des cartes communales.

Les chambres d’agriculture de la région et la fédération départementale des coopératives laitières Doubs et Jura s’orientent également vers un travail au plus près d’une exploitation. Elles doivent justement lancer des opérations pilotes pour « réduire les risques de pollutions agricoles des eaux ». Deux « unités économiques » sont pressenties, l’une dans le canton de Vercel et l’autre sur le bassin-versant du Dessoubre dans le canton de Saint Hippolyte. Ces expérimentations pourraient donner des clés pour ensuite arbitrer entre enjeux environnementaux, techniques et économiques.

Des choix résumés par Daniel Prieur, le président de la Chambre d’agriculture du Doubs-Territoire de Belfort : « Je ne souhaite qu’une chose, que cela soit nickel dans les rivières et que les touristes repartent avec du Comté et de la Morteau ! » et la salle de rajouter « Et des truites ! »
Tout l’enjeu des années à venir est de prendre les bonnes décisions pour parvenir au souhait de Daniel Prieur.

Le président du Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté Claude Vermot-Desroches a annoncé lors de cette conférence départementale une nouvelle mesure pour tenter de parvenir à ce délicat équilibre entre développement économique et préservation de l’environnement. Il s’agit de limiter la productivité de chaque exploitation qui travaille pour la filière Comté. « La croissance de chaque exploitation ne devra jamais excéder 10 % par rapport à une année de référence (entre 2008 et 2012). Pour augmenter sa production, la filière devra recruter de nouveaux producteurs dans la zone AOP (à vol. de lait constant). » Une décision qui a fait débat au sein de la profession… C’est une façon habile de limiter l’impact sur l’environnement tout en ne se mettant à dos Bruxelles qui veille à ce qu’il n’y ait pas de limitation de la production dans un contexte de fin des quotas laitiers en 2015. Là aussi, cette mesure, tout comme celle des plans d’épandages, est centrée sur l’exploitation et non sur un territoire.

Autre nouveauté attendue en 2015, une nouvelle réglementation mise en place par les services de l’Etat pour limiter les rejets de toutes les stations d’épurations, petites et grandes, en zone karstique.

L’assainissement est l’autre grand chantier de cette conférence départementale. De nombreuses communes connaissent mal le fonctionnement de leur station d’épuration et pourtant l’impact sur l’environnement des rejets non maîtrisés est indéniable. D’où le plan de soutien mis en place par le conseil général du Doubs. Déjà onze opérations sont programmées dans le Doubs. Un volet particulièrement intéressant car il montre que la préservation de l’environnement peut être également une source d’activité économique. L’Agence de l’eau et le conseil régional de Franche-Comté (via des fonds européens Feader) participent financièrement ses opérations qui font travailler les entreprises du BTP.

Voilà pour l’essentiel des actions. Grand absent du débat, le volet industriel et l’activité des scieries. Philippe Koeberlé, un des représentants de SOS Loue et rivières comtoises présents dans la salle, pointe ce qu’il reste à faire. « Il est encore fréquent de traiter le bois en pleine nature… » rappelle-t-il. État et département reconnaissent que ce dossier devrait être lui aussi pris en compte plus rapidement.

Autre lacune, l’action auprès du grand public. Le cercle des défenseurs des rivières ne cesse de s’élargir : La pétition des deux collectifs SOS Loue et rivières comtoises et SOS Doubs Dessoubre a recueilli 72 256 signatures. Elle demande l’adaptation des normes à la fragilité des rivières karstiques de Franche-Comté » Cette pétition sera remise au sénateur Martial Bourquin samedi 13 décembre à Audincourt puis transmise à Ségolène Royal. Mais cette mobilisation devrait aussi s’accompagner d’actions pédagogiques beaucoup plus nombreuses et fréquentes pour que, nous tous, puissions changer nos comportements et agir au même titre que les agriculteurs et les communautés de communes chargées de l’assainissement.

L’émergence d’un « pôle karst » pourrait, peut-être, servir à cette pédagogie de terrain. Le conseiller régional Éric Durand a précisé que l’EPTB (Etablissement Public et Territorial du Bassin Saône et Doubs) était chargé de présenter un projet de « pôle karst ». Cette structure devrait servir de centre de ressources, elle pourrait coordonner les actions en faveur de la préservation des sous-sols karstiques et accompagner le débat. Pourquoi pas à condition de ne pas tomber dans le travers français du multicouches institutionnelles…

La lutte d’influence entre collectivités n’a plus l’air d’être de mise. L’expert envoyé en terre comtoise par Ségolène Royal, Eric Vindimian a justement été « impressionné par l’implication des acteurs et par la bonne volonté des agriculteurs, c’est un point notoire et positif. Je sens un attachement de tous à ce milieu naturel qui les fait vivre, confie-t-il. La méthode retenue est la meilleure manière pour résoudre ce problème si complexe ». Il ne reste plus qu’à maintenir le cap.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr

Voici le reportage de mes confrères Reportage de Laurent Ducrozet et de Jean-Stéphane Maurice. Intervenants: Stéphane Fratacci, Préfet du Doubs et de Franche-Comté; Claude Jeannerot, Président du Conseil Général du Doubs; Claude Vermot-Desroches, Président du comité interprofesionnel du gruyère de Comté