21 Nov

Protection des affleurements rocheux : environnement et agriculture ont trouvé un accord

Affleurements rocheux à Laviron. photo DDT.

C’est assez rare pour être souligné. Dans le Doubs, défenseurs de l’environnement et agriculteurs, sous la houlette des services de l’Etat, sont parvenus à un accord pour préserver une des spécificités du massif jurassien, les affleurements rocheux. Deux ans et demi après la polémique autour de l’usage du casse-cailloux l’heure est au dialogue et au pragmatisme. Désormais, il faut faire une demande préalable à la Direction des Territoires, DDT, avant toute « destruction d’éléments rocheux ». Un premier pas avant la prochaine mise en place  d’arrêtés préfectoraux de protection de ces habitats naturels.

Conférence de presse en préfecture du Doubs .

L’image peut paraître anodine mais, en réalité, elle est forte et symbolise tout le chemin parcouru. Ce jeudi 21 novembre 2019, les représentants des agriculteurs du Doubs, les porte-parole du Collectif pour les paysages du massif jurassien,* le Conservatoire botanique national de Franche-Comté étaient assis autour d’une même table pour « communiquer » ensemble sur cet « outil de paix social », selon l’expression de Gilles Benest de France Nature Environnement 25-90. A leur côté, Joël Mathurin, le préfet du Doubs, Christian Schwartz et Ludovic Paul, les responsables de la DDT qui ont oeuvré à l’émergence de cette « intelligence collective » et Béatrix Loizon, conseillère départementale du Conseil départemental du Doubs.

Pourquoi et comment sont-ils parvenus à s’entendre ? En protégeant les affleurements rocheux, c’est un type d’agriculture qui est mise en avant : une agriculture extensive, favorisant la biodiversité et visant l’excellence environnementale. Une vraie pub pour le comté ! L’usage du casse-cailloux permet d’agrandir sa surface d’exploitation, de mécaniser certaines interventions dans les prairies et de favoriser ainsi l’autonomie fourragère, gage de qualité du travail dans la filière. Mais, pour certains exploitants agricoles, utiliser le casse-cailloux peut aussi faciliter l’intensification de leurs pratiques. Un usage qui, ces dernières années, s’était multiplié sur fond de pression foncière.« On est à la croisée des enjeux » rappelle Ludovic Paul, de la DDT. Cette pression foncière, c’est la rançon de la gloire ».

Les paysages du Haut-Doubs touchent au coeur de ses habitants et ils sont la vitrine de l’un de ses poumons économiques : la filière comté.  Une évidence qui n’était pas acquise il y a encore quelques années en arrière. Aujourd’hui,Philippe Monnet, le président du syndicat agricole, la FDSEA 25 est claire :

« Il faut tenir compte de l’environnement car c’est notre territoire mais c’est aussi l’économie. Si les gens veulent nous acheter un produit et qu’ils veulent nous acheter de l’environnement avec; il faut que l’on fasse de l’environnement. (…) Dans notre métier, on est constamment sur cette ligne de crête: jusqu’où je peux aller pour gagner du temps, pour gagner de l’argent mais jusqu’où je ne dois pas aller pour ne pas scier la branche sur laquelle je suis assis ».

Les représentants des agriculteurs ont donc fait un pas en acceptant une réglementation supplémentaire. Cette demande d’autorisation préalable, qui s’applique à tous y compris les aménageurs de pistes de ski, les collectivités.. n’a pas force de loi. Si celui qui veut détruire des affleurements rocheux ne remplit pas le formulaire de la DDT, il ne sera pas poursuivi devant la justice. Mais il s’expose à des poursuites en cas de destruction d’espèces protégées. « On est très observé  » souligne Philippe Monnet en montrant l’appareil photo de son portable. Procéder à cette déclaration est une forme d' »assurance ». Respecter cette procédure, permet également aux services de l’Etat de compléter leur cartographie des affleurements rocheux. Une carte indispensable avant la rédaction d’arrêtés de protection. Il faut savoir où se situe ce que l’on veut protéger !

Et jusqu’à présent, il y avait un « trou dans la raquette » législative. Hors zones Natura 2000, aucune législation n’existe encore pour contrôler les interventions sur le paysages. Si au départ, le Collectif pour les paysages du massif jurassien* hésitait à s’engager dans cette voie du compromis, c’était pas par crainte d’inefficacité. Encore une charte ! Encore des bonnes paroles et rien au bout alors qu’il y avait « urgence à agir » rappelle Guy Pourchet, le porte-parole de ce Collectif :

« Entre aujourd’hui où tout est permis et puis le moment où il y aura l’arrêté, c’est une phase intermédiaire qui nous semble acceptable. On verra dans six mois si c’est efficace. Au moins, il y a une procédure qui oblige les gens à réfléchir à ce qu’ils font ».

En juin 2017, vingt-et-un universitaires du laboratoire de Chrono-environnement avaient tiré la sonnette d’alarme en demandant dans une lettre ouverte au préfet de région de mettre un terme à cet usage du casse-cailloux. Une soirée d’information à Orchamps-Vennes avait rassemblé, en novembre 2017, plus de 250 personnes. Des autocollants, des cartes-postales ont été édités par le collectif. En février 2018, une première concertation entre les associations environnementales et les agriculteurs est organisée en préfecture du Doubs. Etape ultime, la présentation de cet encadrement de l’usage du casse-cailloux à la ministre de la Transition Ecologique et Solidaire en juin dernier à Laviron. Une ministre qui avait souligné la capacité de dialogue dans le Doubs. Un plaidoyer pour la politique du consensus.

Guy Pourchet et les représentants du collectif ont fait le choix du dialogue plutôt que celui de l’affrontement pour qu’un premier pas soit rapidement franchi. « Au départ, rappelle le préfet du Doubs, on ne savait pas si on aboutirait ». Etat et département du Doubs ont choisi de s’appuyer sur le groupe « agricole » issue de la Conférence Loue et rivières comtoises pour construire le dialogue. Une sortie sur le terrain est même organisée pour mieux s’entendre sur ce qui doit être conservé et ce qui peut être détruit. 

Voici trois exemples. Le gros plan de pierre : à cet endroit le casse-cailloux peut intervenir, les agriculteurs appellent cela une « tête de chat » qui endommage leurs engins agricoles. Le pré avec des vaches : la cellule départementale d’expertise réfléchit. Elle se donne deux mois maximum pour rendre son avis. La photo prise de haut : l’affleurement est conservé, pas d’autorisation délivré.


Affleurements rocheux à Loray et Laviron.Photos DDT

« Nous faisons le pari que cela limitera très fortement les destructions d’affleurements. On fera le bilan d’ici quelques mois » affirme Guy Pourchet. L’objectif final du collectif demeure l’application de la directive européenne de 1992 sur la protection des habitats. Elle a été transcrite dans le droit français par un décret de 2018. Les affleurements rocheux font partie de ces habitats. Il ne reste plus qu’à les recenser ! Et, c’est un travail de longue haleine qui commence. En déposant une demande préalable, les agriculteurs et autres utilisateurs occasionnels du casse-cailloux, participent également à ce recensement. Entre cartes satellites, sorties sur le terrain et déclarations préalables, collaboration avec le conservatoire botanique et le laboratoire Thema de l’université de Franche-Comté, les services de l’Etat comptent ainsi avoir tous les outils pour réaliser cette cartographie nécessaire à la rédaction des arrêtés préfectoraux et de la charte « de bonne gestion des éléments topographiques ». Une démarche suivie de près par les services départementaux du Jura car les affleurements rocheux ne s’arrêtent pas aux frontières administratives !

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr

*Collectif pour les paysages du massif jurassien : FNE 25-90, Murs et Murgers, les Gazouillis du plateau, association de Protection du Val du Drugeon, Terrasses Bisontines, Fleurs de Terre, Nature Odyssée