Cette année 2019 a été marquée en Franche-Comté par de nombreux événements organisés pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet. Si Gustave Courbet a la cote auprès des amoureux d’Ornans et de la vallée de la Loue, l’a-t-il également auprès des investisseurs ?
Un artiste projeté à la une de l’actualité voit-il sa côte sur le marché des ventes aux enchères grimper ? Le bicentenaire de la naissance de Courbet n’a pas été un événement planétaire mais difficile de l’ignorer si on se limite au territoire du Doubs. Tout au long de cette année 2019, plus d’une centaine d’événements de toute sorte ont rappelé aux Franc-comtois l’importance de ce peintre. « Peintre des peintres » pour le célèbre artiste Yan Pei-Ming, les oeuvres du maître d’Ornans restent cependant relativement accessibles aux amateurs d’art qui fréquentent les salles des ventes.
En juin dernier, Thierry Ehrmann, fondateur et PDG d’Artprice, la première banque de données sur le marché international de l’art, s’était posé la même question.
« Ses treize plus belles adjudications ont même toutes été frappées en Angleterre et aux Etats-Unis. Son record personnel en salle de ventes a été enregistré en 2015 pour Femme nue couchée (1862), adjugée 15,3 m$ par Christie’s à New York. Un montant exceptionnel pour une toile exceptionnelle. Confisquée en 1943 par le régime nazi, elle est restituée 62 ans plus tard aux héritiers du Baron Ferenc Hatvany. Elle est alors intégrée à la grande rétrospective Gustave Courbet, présentée au Grand Palais de Paris, puis au MET de New York, en 2007 et 2008. »
Une histoire que nous avions racontée avec mes confrères dans le magazine Les héritiers de Gustave Courbet. L’analyse de Thierry Ehrmann est particulièrement passionnante. Vous pouvez la lire en intégralité sur le site de Artprice.Thierry Ehrmann compare l’évolution de la cote de deux tableaux de Courbet : Lisière de forêt, 1865 et le Chêne de Flagey, 1864.
La démonstration est limpide. Si en raison de la bulle spéculative sur les impressionnistes sur le marché japonais dans les années 80, ces deux tableaux avaient atteint des prix de vente sensiblement proches à cette époque, l’écart aujourd’hui est devenu considérable. Cela s’explique par l’importance artistique du Chêne de Flagey. Un cadrage serré qui exprime la modernité de Courbet, une réalisation technique exceptionnelle et une émotion née de l’évocation du pays natal. On peut dire que son dernier propriétaire privé a eu du flair !
Le Chêne de Flagey, peint par Gustave Courbet en 1864.
Les enchères ont fait le reste : le collectionneur japonais Michimasa Murauchi l’a acheté, en 1987, 462 000 $ et il a été vendu aux enchères en 2013 dix fois plus cher. Le tableau est aujourd’hui le joyau du musée Courbet d’Ornans. Le tableau Lisière de forêt n’a pas retrouvé sa côte des années 80.
Le collectionneur fortuné gagne-t-il à tous les coups si il achète un Courbet ? L’exemple de Lisière de forêt est là, pour rappeler que le marché de l’art n’est pas dupe de la qualité des oeuvres.
Et en cette année 2019, comment ont réagi les collectionneurs ? D’après les spécialistes d’Artprice, « Il faut admettre que l’anniversaire de Courbet n’a pas véritablement réveillé son marché ».
Depuis janvier 2019, neuf peintures de Courbet ont été adjugées aux enchères en France, en Allemagne, en Grande Bretagne et surtout aux Etats-Unis. Actuellement, Arprice précise que cinq oeuvres de Courbet ou qui lui sont attribuées devraient être proposées aux enchères d’ici la fin de l’année.
Près de 70% des ventes aux enchères des oeuvres du maître d’Ornans ont lieu outre-atlantique. Les prix varient entre 21 513 euros pour « Cerf à la mare » et 533 636 euros pour Paysage de neige avec arbres et rochers. Cela confirme l’analyse d’Artprice qui précise que « les adjudications entre 10 000 $ et 200 000 $ constituent le coeur du marché de Courbet ». Essentiellement des paysages.
L’estimation de Paysage de neige avec arbres et rochers était de 222 348 € – 333 522 €. Le tableau a été adjugé 736 450 euros le 9 juillet dernier chez Sotheby’s à Londres. Il n’est pas encore dans le catalogue raisonnée de Courbet.
Le peintre a réalisé une autre toile représentant ces arbres se rejoignant élégamment vers les cimes. Ce tableau appartenait à la même famille depuis 1900. Elle était transmise de génération en génération. Dans sa dernière lettre, Artprice explique que « les résultats de maisons de vente sont aujourd’hui entièrement corrélés à la qualité des oeuvres que ces sociétés parviennent à offrir aux enchérisseurs. Les acheteurs sont toujours disposés à payer le prix fort pour les meilleures pièces ». Une analyse formulée pour l’art contemporain mais qui peut s’appliquer à Courbet.
L’autre belle vente a eu lieu le 30 avril chez Christie’s à New York. Le chasseur d’eau,(1873) a été vendu 448 475 € au marteau. Une oeuvre au « pedigree » irréprochable. Ce tableau a appartenu aux Havemeyer, la célèbre famille de collectionneurs américains, il a été légué au Brooklyn Museum puis il est parti au Japon.
Ce tableau, « un des derniers parmi ses beaux tableaux de chasse » a été peint quatre ans avant la mort de Courbet. Là aussi, le catalogue Fernier précise qu’il existe une autre version. En regardant les trois dernières ventes aux Etats-Unis de ce paysage de neige, on voit l’évolution des prix :
-Mai 1989 chez Sotheby’s : 228 292 euros
-Nov 1998 chez Christie’s : 196 323 euros
-Avril 2019 chez Christie’s : 448 475 euros.
Une baisse, une hausse … Rien n’est rectiligne avec Courbet ! En octobre dernier, trois tableaux mis en vente par Christie’s le 28 octobre n’ont pas trouvé acquéreur. Un paysage de neige, une vue de la Manche et un paysage de Franche-Comté. Pas d’ « effet bicentenaire » Outre-Atlantique !
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr