30 Oct

Le Veau blanc de Gustave Courbet : une donation importante pour le musée Courbet d’Ornans

Le Veau blanc de Gustave Courbet 1873 au musée Courbet d’Ornans.

La collection permanente du musée Courbet d’Ornans s’enrichit d’un nouveau tableau grâce à la donation du Franc-comtois Jean Bettoule . L’histoire de cette toile, Le veau blanc, peinte en 1873, est à l’image de la vie de Gustave Courbet.

Une anecdote cocasse, des trajectoires opposées, l’impressionnante générosité d’un donateur et la force des symboles : tout est réuni pour que  Le veau blanc  soit un tableau remarquable.

Une fois de plus, Gustave Courbet m’a déroutée. Ce Veau blanc, prêté depuis novembre 2012 au musée Courbet m’a longtemps laissée indifférente. Mais son histoire m’a ouvert les yeux. Avec Courbet, il faut aller au delà des apparences.

Le Veau blanc. 1873. Gustave Courbet. Musée Courbet d’Ornans.

Jean Bettoule, lui, n’a pas connu ce flottement. Le veau blanc l’a tout de suite scotché. C’était en 2011. A cette époque-là, l’amateur d’art franc-comtois avait « son rond de serviette » chez Bernard Gantner. Le peintre le recevait souvent dans son atelier et sa demeure de la Chapelle-sous-Chaux au pied du Ballon d’Alsace. Les deux hommes devisaient sur l’art tout en admirant les oeuvres de la collection personnelle de Bernard Gantner. Un jour, raconte Jean Bettoule, encore tout émerveillé par ce moment, il tombe sur un Courbet. Sans cadre. Bernard Gantner a même un ouvrage d’art qui en parle avec talent.

La vache et la Franche-comté

L’académicien René Huygue décrit dans « La relève de l’imaginaire » ce tableau comme étant « un des derniers grands «morceaux» de Courbet sera le Veau au museau frais et au regard borné mais attentif». L’écrivain rappelle que Courbet n’a pas peint que des cerfs aux abois, en rut ou au combat. «Il célèbre la vache dont il aime la lenteur somnolente» écrit-il en mentionnant sa présence dans plusieurs toiles de Courbet : Les Demoiselles de village, Les paysans de Flagey…  On dirait aujourd’hui que la vache fait partie de l’ADN de la Franche-Comté et qu’à ce titre, elle intègre l’iconographie de Courbet. 

Les demoiselles de village 1852. Gustave Courbet. The MET.

En fin d’après-midi, tout rassasié de cette conversation enrichissante, Jean Bettoule s’apprête à partir et découvre dans sa voiture la toile de Courbet et le livre de René Huygue. « Vous la voulez ? Je vous la vends ! » lance Bernard Gantner.

Le poids de Courbet

Affaire conclue. Jean Bettoule vivra pendant environ un an avec Le veau blanc chez lui. Une joie ? Oui, mais rétorque-t-il un « poids » ! La toile, à l’aise sur les cimaises d’un musée est à l’étroit sur la commode de l’admirateur de Courbet. Sage et éclairé, Jean Bettoule prend alors contact avec Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef du musée Courbet d’Ornans. Le veau blanc est ainsi prêté au musée depuis novembre 2012. Une première étape qui en appelle une seconde. Après avoir convaincu ses héritiers du bien-fondé de sa démarche, c’est Jean Bettoule et sa famille qui donneront finalement ce tableau au musée d’Ornans.

« Donner, partager, ce ne sont pas des gros mots. Je fais mienne la formule d’un grand donateur : l’art ne nous appartient pas, l’art se partage .Je n’ai été qu’un passeur rien de plus et je n’ai pas envie d’être plus que cela ».

Une aubaine pour le musée départemental.

« Courbet donne une dimension humaine à ses représentations d’animaux. Même si il est chasseur, il se met du côté de l’animal. Avec ce portrait, on sent une empathie pour l’animal »

explique Frédérique Thomas-Maurin.

Un animal que Courbet aurait repérer près de Chassagne, quelques temps avant son départ en exil. L’anecdote se transmet de génération en génération. Le premier a en parler est Eugène Reverdy, le neveu de Courbet.

Courbet et le veau. Illustration du livre de Gros-Kost.

Elle aura même été relatée par l’un des biographes du peintre. Gros-Kost l’écrit dès 1880 :

« Dans tout le troupeau, un animal fixa son attention. C’était un jeune veau, crotté jusqu’à l’échine, à l’oeil rêveur, au mufle sale. Cette bête plut à Courbet qui voulut la peindre.

-Je viendrai demain chez vous, dit-il à M.X… J’apporterai une toile et mes couleurs. Nous ferons poser le petit de la vache. Il me va cet enfant… »

Mais Courbet en revenant le lendemain fût extrêmement déçu et même en colère. Croyant bien faire, les propriétaires du veau l’avait complètement nettoyé ! 

C’est aussi ce que raconte un habitant d’Ornans lors de l’émission « Terre des arts » de 1961.

Emission Terre des arts à Ornans de 1961.

Une histoire franc-comtoise

L’histoire ne fait que commencer. J’ai eu la chance de rencontrer au printemps 2019 Fernand Maire, le fils de Marcel Maire, l’un des piliers de l’association pionnière « Les amis de Gustave Courbet ». A 97ans, il est la mémoire du pays de Courbet. C’est lui qui m’a raconté comment le tableau avait fait partie de son quotidien. Sa mère le voyait déjà au dessus de son petit bureau quand elle rentrait de l’école. L’histoire n’est pas unique. Courbet revenait souvent peindre au pays. Ils avaient de nombreux amis et pouvait se montrer généreux. C’est comme cela que les greniers d’Ornans renferment parfois des trésors oubliés !

Ce Veau blanc n’aura ainsi connu que des propriétaires franc-comtois : la famille de Fernand Maire, Bernard Gantner et Jean Bettoule.

Une seconde version vendu à Jeff Koons

L’autre intérêt est de cette toile est qu’il en existe une seconde version. Les deux tableaux sont de dimensions sensiblement identiques, ils ont été peints en 1873, quelques temps avant le départ en exil de Courbet vers la Suisse.

Le Veau Blanc. 1873. Gustave Courbet. Mentionné dans le catalogue raisonné de Robert Fernier.

Le parcours de la seconde version est aussi bien connu. Tout est consigné dans le catalogue raisonné de Robert Fernier. Le tableau y est représenté en grand, bien à l’honneur comparativement à la kyrielle de petits paysages des pages précédentes. La première trace officielle de cette seconde version est la vente de l’atelier Courbet en juin 1882 adjugé 2520 francs de l’époque. Il passera ensuite de collections privées en collections privées tout en étant exposé régulièrement pour finalement traverser l’Atlantique puis se retrouver aux enchères chez Sotheby’s à New-York le 23 octobre 2007. Estimé entre 224 448 € et 266 532 €, il a été adjugé 1 543 080 € ! C’est Jeff Koons en personne qui craque pour ce Veau Blanc. Le célèbre artiste contemporain est aussi collectionneur d’oeuvre d’art. Il possède quatre oeuvres de Gustave Courbet et il est le président d’honneur de l’Institut Courbet.

Dans un article du New-York Times de février 2010, Jeff Koons confiait au journaliste Randy Kennedy :

« On dirait qu’il est prêt à être massacré »

Puis à propos de Gustave Courbet, il précisait qu’il«aime ce type de travail», dit-il simplement à propos du Courbet. Il expliqua même à mon confrère à propos d’une des tâches du pelage du veau qu’elle avait une forme qui « ressemblait vaguement à celle du New Jersey. » Souvent, poursuivait-il ,  « il fixait souvent cette marque et se demandait si cela pouvait représenter, l’âme ou vraiment une partie personnelle »de l’être de Courbet ».

Le biographe Charles Leger mentionne ce tableau à deux reprises. « Le veau, écrit-il, à une solide tournure. Il est blanc marqué de roux. Son poil épais, luisant est rendu dans une pâte onctueuse. Et cet air stupide, entêté, au regard plein de feu ! »Lecture instructive car Charles Leger précise que le peintre bisontin Louis Baille possède une étude de la tête du veau.

Dans un courrier, la famille Maire raconte qu’en 1929, Charles Leger est venu à Ornans. « Après examen, il déclarait, que ce « veau » était bien de la race « Montbéliarde » (blanc taché de brun rouge) que cela confirmait bien son opinion, à savoir que Courbet en avait fait l’étude sur le terrain et que le Veau blanc qu’il connaissait bien et appartenant à l’époque à la collection Bunau-Varilla en était bien la réplique ».

C’est aussi ce qu’explique Frédérique Thomas-Maurin. Ce deuxième tableau, plus abouti avec en fond un paysage franc-comtois et un filet d’eau au pied du veau, est une version« plus commerciale ». Pour la conservateur du musée Courbet, « c’est le premier jet qui compte. L’intention. La première version est plus intime et exprime le lien que Courbet avait avec les habitants» de la vallée de la Loue. 

Fernand Maire, le Comtois, Jean Bettoule, le généreux et Jeff Koons, le fier. Trois propriétaires, trois parcours qui illustrent à merveille les deux vies de Gustave Courbet.

Courbet n’a jamais oublié ses origines et revenir à Ornans était pour lui une nécessité. Peindre son pays a fait de Courbet un ambassadeur de la petite vallée de la Loue dans le monde entier.

« Avant Courbet, Ornans n’existait pas, rappelle Fernand Maire. J’ai hérité des bienfaits apportés par Courbet à mon pays. Je suis un Ornanais, je suis un Franc-comtois et j’aime bien mon patelin ».

En plus de cette vie faite de cascades, de truites et bringues, Courbet a aussi couru la gloire parisienne. Célèbre de son vivant, Courbet est exposé dans les plus grands musées du monde.Aujourd’hui, c’est aux Etats-Unis que les enchères des tableaux du maître d’Ornans sont les plus nombreuses. Jeff Koons, comme Picasso en son temps, collectionne des oeuvres de Courbet parce qu’elles l’ interpellent.

En effectuant cette donation au musée d’Ornans, Jean Bettoule boucle la trajectoire comtoise de la première version du Veau Blanc. La seconde version rappelle la place primordiale de Courbet dans l’histoire de l’art.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr