07 Jan

Bicentenaire de la naissance de Courbet : une année de découvertes et de fêtes

Buste de Gustave Courbet. Musée des Beaux-Arts de Besançon.

Près de 200 événements sportifs ou culturels, un colloque international, une visite présidentielle à Ornans… Les hommages ont parfois du bon, ils nous forcent la main pour prendre le temps de réfléchir à la place de Gustave Courbet dans l’univers de l’art mais aussi dans le monde de la vallée de la Loue. Si ces commémorations du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet ont été une réussite, c’est parce que la personnalité et l’oeuvre du maître d’Ornans nous parlent encore aujourd’hui.

Hommage à Gustave Courbet le jour anniversaire de sa mort au cimetière d’Ornans.

Le frimas de ce dernier jour de l’année 2019 n’a pas découragé les plus fidèles au rendez-vous annuel. Nul besoin de l’écrire dans son agenda. Le rituel est ancré depuis des années. A 11 heures chaque 31 décembre, une vingtaine de passionnés se retrouvent au cimetière d’Ornans devant la tombe de Gustave Courbet. Le peintre est mort quelques heures avant la nouvel année 1878 dans sa maison au bord du lac Leman à la Tour-de-Peilz en Suisse. Une gerbe est déposée par l’Institut Courbet et la municipalité d’Ornans, une minute de silence est respectée après quelques courtes interventions dont celle de l’érudit Gaston Bordet. Comme si ces participants avaient bien connu celui à qui ils rendent hommage.

LE TEMPS DE LA RECONNAISSANCE

Un signe de respect assez récent. Le cercueil de Courbet n’est revenu au pays natal du peintre qu’en 1919. Un retour sans les honneurs, ni le curé, ni le maire n’avait voulu venir rendre hommage à un anti-clérical aux idées progressistes.

En 2019, les anniversaires de la naissance et de la mort du peintre sont autant d’occasion pour marquer son attachement à Courbet. Ce 31 décembre au cimetière d’Ornans, Patrick Lehmann, maire-adjoint chargé de la culture à la ville d’Ornans, l’a redit sans ambages, « Courbet nous aide à rendre célèbre la ville d’Ornans. C’est à célébrer, c’est à cultiver ». En cette année de bicentenaire, une plaque a été posée au cimetière pour « les touristes » qui auraient emprunté le nouveau cheminement qui mène du musée Courbet au cimetière. Bien qu’un peu trop près du rocher faisant office de pierre tombale, ce panneau a lui tout seul exprime cette reconnaissance. . Après avoir visité le musée, c’est à l’homme que l’on vient rendre hommage. Une oeuvre incarnée. Courbet est bel et bien devenu une « locomotive », un « phare », un « ambassadeur » de la cité de la vallée de la Loue.

Et c’est toujours devant la tombe de Courbet que Patrick Lehmann avait tenu à emmener les intervenants du colloque international organisé fin juin à Besançon. C’était le 29 juin, cent ans jour pour jour après l’arrivée du cercueil de Courbet au cimetière d’Ornans.

Des hommages pétris de la profonde humanité du peintre, tout aussi fragile que fanfaron. Même si de l’aveu même de Patrick Lehmann, certains ont exprimé un certain « ras le bol » face à la pléthore de manifestations courbetophiles, c’est bien la personnalité du peintre qui a fait de ce bicentenaire un événement populaire. Certes, l’obtention du label départemental permettait d’avoir des subsides supplémentaires mais cela n’a pas été qu’une affaire de budget. On l’a vu avec les créations théâtrales qui ont fait salles combles, avec les travaux prolifiques et originaux des établissements scolaires, la publication du livre « Courbet, Non au conformisme » chez Actes Sud Junior…

TORDRE LE COU AUX IDEES REÇUES

Aujourd’hui, Courbet fédère plus qu’il ne divise. Le 10 juin, date de l’anniversaire de la naissance de Courbet, l’association du Banquet du Bicentenaire a organisé une journée d’agapes et de conférences. C’était au bistrot de Paris, tout près du musée d’Orsay. L’historien d’art Thomas Schlesser préside cette association. Organisée avec le psychanalyste Yves Sarfati, cette journée a remporté un « succès inattendu ». Environ deux cents personnes ont participé à cet événement et il n’y avait pas que des historiens d’art. Pour Thomas Schlesser, Courbet est

une figure historique de la réconciliation entre la nature et l’être humain, entre l’homme et la femme, entre la marge et le centre, entre les jeunes et les vieux.

Les engagements sociaux de Courbet pendant la Commune, cette façon bien à lui d’être autant parisien que provincial, sa volonté de casser les codes hiérarchiques de son époque, « toute cette réflexion nous parle aujourd’hui » précise Thomas Schlesser.

Une modernité souligné par l’historien d’art Thierry Savatier. Ce spécialiste de L’Origine du monde, l’a rappelé lors d’une conférence à Saintes, une des patries de coeur de Courbet.

Le scandale de ses grands formats, ses représentations de la femme et du saphisme, son anticléricalisme clairement affiché, ses cadrages serrés choisis pour la représentation de paysage.

tout cela contribue à faire de Gustave Courbet un précurseur.

Ce bicentenaire a été aussi l’occasion de tordre le cou à des idées reçues sur Courbet. C’est ce qu’on fait pendant trois jours les vint-cinq intervenants du colloque international « Courbet autrement » . Les actes devraient être publiés fin 2020. Pour Frédérique Thomas-Maurin, conservateur du musée Courbet, ce colloque a permis « d’ouvrir beaucoup de portes » et le musée  » a obtenu une reconnaissance internationale ». 

Yan Pei-Ming en résidence dans l’atelier de Gustave Courbet à Ornans

Une peinture qui interpelle des artistes contemporains. Le célèbre peintre dijonnais Yan Pei-Ming. Tout au long de cette année 2019, l’artiste a dialogué avec Gustave Courbet. Un peintre qu’il admirait depuis sa jeunesse en Chine et qu’il découvre réellement au Louvre lorsqu’il arrive en France au début des années 80.  Quarante ans plus tard, à 58 ans, l’âge de la mort de Courbet, Yan Pei-Ming s’engage dans une longue conversation avec Courbet et livre ainsi trois expositions magistrales au musée d’Ornans à Orsay et au Petit Palais à Paris. « Si l’oeuvre de Courbet n’était plus pertinente, cela n’aurait pas marché » confie l’un de ses proches. Pour Ming, Courbet est « le peintre des peintres« . Un jeu de regard qui a séduit un large public. Près de 41500 personnes sont venus à Ornans voir l’exposition Ming face à Courbet. 2019, restera une année record en termes de fréquentation du musée avec plus de 67000 visiteurs. Des résultats supérieurs à 2014, année exceptionnelle grâce à l’exposition présentant L’origine du Monde.

LE POINT DE VUE DE L’INTERIEUR

L’oeuvre de Courbet exerce une réelle fascination sur les spécialistes. Sa peinture détient encore bien des mystères. L’historienne de l’art, Valérie Bajou, conservateur au château de Versailles, poursuit ses recherches sur le peintre en publiant, à l’occasion du bicentenaire, « Courbet, la vie à tout prix » aux éditions Cohen&Cohen. Un impressionnant ouvrage de 639 pages. Sa dernière phrase révèle ce que tous les passionnés de Courbet m’ont dit. L’oeuvre de Courbet est complexe et ne se livre pas facilement. L’historienne de l’art conclut son ouvrage en toute humilité :

Après tout, je sais que je ne propose qu’une image de Courbet, incomplète et partiale. A suivre.

Et c’est l’humanité de Courbet qui, une fois de plus, resurgit telle une vague orageuse. Après avoir insisté sur la « matière picturale inédite de Courbet », Valérie Bajou s’interroge sur le sens à donner à ces tableaux.

La lutte des classes s’éprouve chez Courbet avec l’utopie d’un grand soir. Elle rayonne en dehors de l’histoire, des enjeux politiques et de la grandeur qui jusqu’à présent intéressaient les peintres du grand genre.
Rebelle ou exilé, il propose un autre point de vue, celui de l’intérieur. Entre Fabrice del Dongo au beau milieu de la bataille de Waterloo et David représentant Les Sabines, l’un est témoin, s’interrogeant sur ce qui vaut la peine d’être noté ou recréé, l’autre démiurge. Parce qu’il ne sut pas séparer l’art de sa personnalité, Courbet fut les deux, cachant ses souffrances par celles des autres et sa vulnérabilité par des provocations. L’extraordinaire ne vient pas du sujet exotique ou archéologique, il naît du frisson devant la réalité. C’est pourquoi la sensibilité est mesure de toute grandeur.

La grandeur de Courbet est de parvenir encore à nous surprendre deux cents ans après sa naissance. Ce « frisson devant la réalité » est une quête qui devrait se poursuivre bien au delà de 2019.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr