Peindre est définitivement un acte mystérieux.. Comment faire surgir une émotion, une évocation juste avec de la matière ? Cette question me taraude depuis ma découverte de l’oeuvre de Gustave Courbet et elle m’obsède encore plus en regardant celle de Yan Pei-Ming. Les deux grands artistes suggèrent une réalité. Regarder un tableau de Ming, c’est comme observer une toile de Courbet. Le détail vibre à lui tout seul et dès que vous prenez du recul, une réalité surgit.
Le face à face Ming-Courbet a tout son sens. Frédérique Thomas-Maurin, la directrice et conservateur du musée Courbet d’Ornans, en avait eu l’intuition; pour elle, c’était comme une évidence. Pour l’exposition estivale de l’année du bicentenaire, Frédérique Thomas-Maurin voulait démontrer que Courbet était un artiste bel et bien vivant. Deux cents ans après sa naissance, son oeuvre nous parle encore. Pour Yan Pei-Ming, Courbet est « le peintre des peintres, il sait tout faire ».
Courbet a peint un renard pris au piège dans la neige, Ming nous montre des tigres qui rodent dans la forêt. Paysages, animaux, portraits et autoportraits, les deux peintres s’attaquent aux mêmes défis.
Dans plusieurs salles, le jeu des correspondances s’est construit après-coup mais fonctionne à merveille. Deux femmes se sont aimées : c’est le Sommeil de Courbet. La réponse de Ming à l’un des plus célèbres et sulfureux tableaux de Gustave Courbet est aussi graphique que sarcastique : deux crocodiles se provoquent. Un tableau que Ming n’a pas peint spécialement pour cette exposition d’Ornans. Si il n’y avait eu que des toiles réalisées pour Ornans, il lui aura fallu des années pour présenter son travail !
Seules quelques toiles ont été réalisées spécifiquement pour l’exposition. Le dialogue atteint la perfection. Dans une des plus petites salles de l’exposition, les peintres nous livrent leur intimité :
Voici le reportage réalisé avec Laurent Brocard, Rémy Bolard et Stéphanie Chevallier. Avec les interviews de Frédérique Thomas-Maurin et Yan Pei-Ming.
Ming a choisi deux portraits peints par Courbet et conservés au Petit Palais de Paris : sa petite soeur Juliette et son père Régis. L’artiste contemporain lève le voile sur sa vie et ses souvenirs. La mère de Ming et Juliette sont presque côte à côte. En face des deux jeunes filles, le grand-père de Ming et le père de Courbet. En lisant la correspondance de Courbet, on comprend comment le peintre a toujours été proche de sa petite soeur. En écoutant Ming parler de sa mère, récemment disparue, je saisie l’impérieuse nécessité de l’expression artistique. Ming a choisi de représenter sa mère lorsqu’elle était adolescente. Et comme pour enfouir les souvenirs dans sa toile, il m’explique que la tenue de son grand-père a été cousue par sa mère.
Avec Ming, l’intime peut aussi se révéler dans la démesure. Lorsque Frédérique Thomas-Maurin lui a proposé ce face à face, l’artiste a accepté ce projet à une condition : peindre et résider dans l’atelier de Gustave Courbet à Ornans ! Depuis son enfance en Chine, Ming connaît la peinture du maître d’Ornans. Le Communard a toujours eu la côte dans les régimes socialistes, en URSS ou en République Populaire de Chine. Une fois arrivé en France, dans les années 80, il découvre les grands formats-manifestes de Courbet au Louvre. Ming s’installe à Dijon, il devient un portraitiste hors pair, expose ses immenses portraits de Mao et de tant d’autres personnalités ou inconnus dans le monde entier.
Le musée et le département du Doubs ne pouvait qu’accéder à sa demande. Une requête qui tombait à pic, le conseil départemental venait justement d’acquérir la maison attenante à l’atelier de Courbet à Ornans. Les visiteurs de l’exposition au musée pourront aussi pénétrer dans ce vaste espace resté fermé de longues années. Une fois la porte franchie, il seront accueillis par Ming et Courbet : l’artiste contemporain a peint deux immenses toiles. L’une et l’autre montrent deux visages d’artistes, âgés de 58 ans. Côte à côte et vivants.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr
Exposition du 11 juin au 30 septembre 2019 au musée Courbet d’Ornans.
A l’automne, Yan Pei-Ming poursuivra son face à face avec Courbet au Petit Palais et au musée d’Orsay à Paris.
France 3 Bourgogne Franche-Comté célèbre aussi le bicentenaire de la naissance de Courbet : voir les détails des émissions.