25 Mai

Le colloque de la Loue et des rivières comtoises (2) : penser le changement

Reprenons notre interrogation ébauchée lors de la rédaction de l’article précédentCes deux journées du colloque scientifique consacrées à l’état et à l’avenir des rivières comtoises les 23 et 24 avril dernier à Besançon poussent à la réflexion : pourquoi « penser le changement » plutôt que de « changer le pansement » ? Raisonner dans le temps et l’espace peuvent nous aider à avancer.

LE TEMPS DES CHOIX

Dans la vallée de la Loue comme ailleurs dans le monde, les hommes sont confrontés à des choix en ce début du XXIe siècle. Des choix imposés par le changement climatique. Plus que jamais, les questions environnementales sont à l’ordre du jour. Des courants de pensées écologistes mettent en avant la « croissance sélective ». C’est un changement de culture. Il s’agit de revoir les modes de production et de consommation pour favoriser une croissance compatible avec la préservation de l’environnement. Ce débat n’a pas été abordé lors du colloque scientifique mais les résultats présentés peuvent inciter à cette réflexion.

UN ESPACE SI PARTICULIER

La Loue prend naissance dans les profondeurs du sous-sol franc-comtois. 80% des ressources en eau franc-comtoises sont d’origine karstique précise l’hydrogéologue -spéléologue Pascal Reilé lors de son intervention. Les spéléologues de la région ont repéré 6000 cavités dans le Doubs et 11 000 en Franche-Comté. Un gruyère calcaire … Les falaises, les rivières et les grottes signent l’appartenance de notre territoire à un système karstique. Actuellement, des démarches sont entreprises pour que cette spécificité soit reconnue pour que des mesures de préservation de ce milieu fragile soient prises. Le 18 décembre dernier, le sénateur-maire d’Audincourt Martial Bourquin a posé une question écrite au ministre de l’environnement Ségolène Royal demandant l’interdiction du glyphosate dans les milieux karstiques à la suite d’une pétition lancée par SOS Loue et rivières comtoises.

systeme karstique

Toutes les décisions doivent prendre en compte cette spécificité sous peine d’être inefficaces.  Au cours de sa présentation sur « les transferts sol karst-milieux aquatiques », Eric Lucot ( Laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté) a précisé la

« Nécessité d’une approche transdisciplinaire et adaptée aux spécificités du bassin versant pour étudier les facteurs potentiellement à l’origine de ces problèmes »

D’où l’intérêt de regrouper toutes les études disponibles et les bases de données existantes. Les spéléologues ont ainsi identifié 259 points noirs portant atteinte au sous-sol karstique. Des informations à croiser avec celles recueillies par les universitaires et utiles pour hiérarchiser les actions.

Toujours lors de son intervention, Eric Lucot a précisé, au sujet de l’impact des activités humaines sur la qualité de l’eau des rivières, que « les transferts dépendent des exportations et des sols. Les capacités de stockage et de transfert des nutriments sont très différentes selon le type de sols. C’est une des particularités de notre région.

typedesol

En clair, pour la gestion des épandages,  rien ne sert d’établir des règles valables pour l’ensemble du bassin versant car tout dépend du sol. Cela implique donc un énorme travail de connaissance du terrain où chaque parcelle de terre agricole est étudiée et repertoriée. Du sur-mesure ! Un travail qui commence à se mettre en place dans des zones d’expérimentations comme à Plaisirfontaine ou Lods.

IDENTIFIER LES CAUSES

« Nous sommes des créatures qui nous affligeons des conséquences  dont nous continuons à adorer les causes »

 

écrivait Bossuet au XVII e siècle. Une citation reprise régulièrement par Nicolas Hulot pour son bon sens.

Depuis les premières conférences départementales de la Loue et des rivières comtoises, Département du Doubs et Etat ont voulu se baser sur les connaissances scientifiques pour cibler leurs actions. Une démarche qui s’inscrit  dans le long terme. Assez rapidement, il a été établi que les causes de détériorations de l’état des rivières étaient multiples : les cours d’eaux et leurs petits habitants sont victimes d’excédents de nitrates, de phosphates, de la présence de micropolluants, de l’élévation de leur température, de l’absence de continuité écologique …

Maintenant, il s’agit d’établir la part de responsabilité de chacun pour établir une liste prioritaire d’actions.

C’est l’un des objectifs d’une des études du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté. Un réseau de mesures en continu à six endroits du bassin versant de la Loue doit permettre de mesurer précisément des paramètres physico chimiques de la Loue et le Lison.
Mais avant même de connaître les résultats de cette étude, les chercheurs ont précisé, grâce aux données déjà disponibles, que

3 à 11% de l’azote mesurée à Chenecey Buillon viennent des rejets domestiques des stations d’épuration

Ce qui sous-entend que le reste de l’azote mesuré peut provenir des activités agricoles.

 

demarche univ bv plaisirfontaine lods

Source : Laboratoire Chrono Environnement

 

 

Toute la complexité de l’étude en cours va être d’identifier clairement les origines des rejets d’azote et de phosphores, une prouesse en milieu karstique tellement l’eau prend des chemins détournés dans le sous-sol.

Autre ambition : mettre en évidence le rôle des micropolluants. Pierre-Marie Badot et ses confères sont déjà certains que

« Les sédiments et les matières en suspension sont contaminés par des pesticides et des HAP. Ces concentrations de pesticides mesurées sont de l’ordre de la toxicité pour les communautés de macroinvertébrés. Les interactions entre pesticides et HAP peuvent exister et augmenter ainsi l’impact sur les invertébrés»

Reste la grande inconnue : les chercheurs ne connaissent pas actuellement l’interaction des micropolluants entre eux…

Curieusement, lors de ces deux jours de colloque, les problèmes liés à l’absence de continuité écologique n’ont fait l’objet d’aucune présentation spécifique. Les barrages et les seuils sont nombreux sur la Loue et les objectifs fixés par le syndicat mixte de la Loue lors de son contrat de rivière sont loin d’être atteints. Lors des Assises de la Loue, ces problèmes avaient été pointés du doigt. Sur le site de la DDT, le groupe d’experts avait précisé :
«Un Plan National de restauration de la continuité écologique a été mis en place dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Ce plan identifie les ouvrages prioritaires à traiter pour améliorer les conditions de migration des poissons, de l’écoulement des eaux ou des sédiments de la rivière. 12 ouvrages répondant à cette identification se trouvent sur la Loue : ils devraient faire prochainement l’objet de travaux et dans 2 cas, être arasés.» Des actions d’autant plus intéressantes qu’elles ne sont pas contradictoires avec les objectifs de la transition énergétique.

LA LOUE, UN LABORATOIRE À L’ECHELLE DE L’EUROPE ?

Toutes ces études, tant attendues par les élus et les défenseurs des rivières vont s’échelonner encore pendant plusieurs années mais fin juin, un premier diagnostic devrait être établi par Eric Vindimian, l’expert du ministère de l’environnement. Les priorités d’actions devront être établies.

Mais, déjà, les pratiques agricoles sont entrain d’évoluer. Un retour vers l’agronomie, une meilleure connaissance des sols est en marche. Cette prise de conscience semble  portée par les responsables syndicaux agricoles de la vallée de la Loue. A eux de convaincre leur base.

Le Conseil économique, social et environnemental vient justement de voter un avis à propos. Le CESE recommande l’intensification de la recherche en agroécologie plutôt que d’avoir un recours massif aux intrants comme les pesticides ou les engrais qui  comme l’explique mon confrère du Monde, Stéphane Foucart, en altèrent le capital et les fonctions biologiques. « L’agroécologie, poursuit-il,  sont les pratiques visant à tirer parti du capital naturel des écosystèmes (gestion de l’eau, reboisement, lutte contre l’érosion ou utilisation de la biodiversité) « . « Le CESE, relate Stéphane Foucart, met l’accent sur la capacité des sols à stocker de la matière organique (donc du carbone) et d’atténuer ainsi le changement climatique en cours ». Le ministère de l’Agriculture vient d’annoncer un programme international de recherche visant à accroître la quantité de carbone stockés dans les sols. « L’idée est de peser sur les négociations climatiques en cours pour permettre la prise en compte de l’agriculture et la gestion des sols dans l’effort de lutte contre le réchauffement » précise Stéphane Foucart. Les sols viendraient ainsi au secours du réchauffement climatique, un des facteurs aggravant de la santé des rivières. Une double raison d’agir en faveur de l’agroécologie.

Les enjeux dépassent la simple préservation du bassin versant de la Loue. Tout ce qui est entrepris, étudié ici peut être utile ailleurs. La spécificité  karstique de la Loue la rend à la fois vulnérable et précieuse. Les résultats des recherches scientifiques pourront servir à d’autres bassins versants européens. Une forme de « consolation » pour tout ceux qui aimeraient que des actions soient entreprises plus rapidement.

D’ici là, les Francs-comtois pourraient s’inspirer d’actions entreprises auprès d’autres rivières. Lors de ce colloque, l’exemple du basin versant de la Dordogne a été présentée. Entre 2008 et 2012, un « programme effluents fromagers » a été mis en place pour « reconquérir la qualité de l’eau d’une des retenues de ce bassin versant. Aujourd’hui, ce secteur est classé « réserve mondiale de biosphère » . Un label UNESCO  où « la prise en compte de l’environnement est perçue comme un atout et une chance ».

Isabelle brunnarius

isabelle.brunnarius@francetv.fr