C’était à la toute fin de ces deux journées intenses. La phrase a été glissée comme une boutade par le professeur Humbert, organisateur de ce colloque scientifique sur la Loue et les rivières comtoises.
« Face à un monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement »
disait l’humoriste Francis Blanche. Vouloir sauver les rivières, cela revient un peu à se retrouver face à ce dilemme. Une alternative évoquée par François Cena, conseiller à la Chambre d’agriculture de Rhône-Alpes. Soit on se contente d’optimiser des pratiques soit on change de système.Mais avant de choisir, mieux vaut comprendre ce qui est entrain de changer. Plusieurs intervenants de ce colloque ont livré leur éclairage sur cette évolution de notre monde. A ce titre, la vallée de la Loue est universelle.
UN CLIMAT QUI SE RECHAUFFE
Chaque journée qui passe, notre climat franc-comtois se rapproche de celui de Lyon.. de cinq mètres exactement. Bruno Vermot-Desroches de Météo France précise que ce réchauffement climatique se traduit, dans notre région, surtout par des nuits de plus en plus chaudes. Dans les 20 à 30 années à venir, nous ne sentirons pas vraiment les effets du réchauffement climatique mais en 2070, on peut s’attendre à ce qu’une année de canicule comme 2003 soit une année moyenne alors qu’elle a été, pour nous, exceptionnelle.
Quelles conséquences peut avoir ce réchauffement climatique sur la vie aquatique ? En été, les débits des rivières comtoises devraient diminuer. La fédération de pêche du Doubs a enregistré des pics de température de 22° dans la Loue à Chenecey lors de la période estivale. Alors qu’une truite Fario est à l’aise dans une eau fraîche de 10 à 12° mais les pêcheurs manquent de données sur le long terme pour quantifier ces anomalies. C’est seulement depuis deux ans qu’un suivi systématique des températures a été mis au point. L’ONEMA, l’office national de l’eau et des milieux aquatiques a constaté dans le cadre d’une étude nationale, une dégradation de l’habitat favorable pour les truites.
DES TRUITES DE MOINS EN MOINS NOMBREUSES
L’étude de l’ONEMA a été réalisée entre les années 90 et 2009 sur 590 stations mais la Franche-Comté est mal représentée dans cet échantillon car l’ONEMA a privilégié des stations ayant des données anciennes. Selon cette étude nationale, si l’on raisonne en densité, la truite est en déclin dans les stations retenues par l’office. « Alors qu’une majorité d’espèces de poissons progressent, les poissons tels que les brèmes, les tanches, les anguilles et les truites régressent » Le réchauffement climatique est avancé pour expliquer ce déclin mais d’autres raisons peuvent être invoquées.
Une autre étude, présentée par Guy Périat, directeur du bureau d’études suisse Teleos, fait le même constat. En 30 ans, le nombre des truites a chuté de moitié selon les statistiques établies à partir des déclarations des pêcheurs. Les conclusions de cette présentation sont exactement celle du documentaire de Jean-Philippe Macchioni. « Doubs Loue, histoires croisées » raconte comment le Doubs, une rivière qui à certains endroits pouvait être un « égout à ciel ouvert » dans les années 70 est devenu une rivière en meilleure santé alors que des joyaux halieutiques comme la Loue se sont dégradés.Les raisons de cette détérioration sont multiples ( polluants, pesticides, morphologies des cours d’eau, réchauffement).
UNE ATTEINTE A LA BIODIVERSITE
Les mortalités de poissons dans la Loue en 2010 ont amené le conseil général et la préfecture du Doubs à commander au laboratoire Chrono Environnement plusieurs études. Un travail au long cours qui commence tout juste à porter ses fruits. Parmi les premiers résultats publiés par les chercheurs francs-comtois, l’étude sur les invertébrés est éloquente : la biodiversité de ces petites bestioles très appréciées par les truites a chuté de 40% depuis les années 70. « De nombreux groupes régressent ou disparaissent et ils ne sont pas réputés comme sensibles ».
La flore est également concernée par ce déclin de la biodiversité. Un groupe de chercheurs du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté (F. Gillet, L. Mauchamp, A. Mouly et P.-M. Badot) s’est interrogé sur l’influence des pratiques agricoles sur la biodiversité végétale des prairies de la région.
En parallèle, une étude de cas réalisée sur les prairies de fauche de Bouverans est intéressante. Une dizaine d’agriculteurs ont participé à ce projet pilote. Bouverans se situe dans le site Natura 2000 de la vallée du Drugeon où 90 % des prairies de fauche de montagne (cartographiées par le Conservatoire Botanique National de Franche-Comté) sont en mauvais état de conservation. Voici les conclusions de cette première étude :
– La gestion extensive des prairies permet un meilleur fonctionnement de l’écosystème et un compromis est possible entre maintien d’une biodiversité des prairies et des revenus corrects pour les agriculteurs.
– En revanche, le choix d’une gestion intensive (apport de plus de 35 kg d’azote par hectare avant la première coupe) ne permet pas ce compromis, car il altère la biodiversité de la végétation et le fonctionnement du sol.
Les recherches de l’université sur un secteur plus vaste et une période plus longue ont complété ces résultats :
– Le pâturage extensif est le mode de gestion le plus favorable au maintien de la biodiversité végétale.
– La fertilisation excessive des prairies de fauche de montagne avec des engrais industriels pour compenser les perturbations provoquées ou subies est responsable de leur perte de typicité et de biodiversité.
– L’épandage mal maîtrisé de fertilisants minéraux ou liquides favorise le transfert de nutriments vers les rivières, l’émission de gaz à effet de serre et les pullulations de campagnols.
– Les conséquences des pratiques agricoles sur les communautés microbiennes, le fonctionnement de l’écosystème, la qualité du fromage et la pollution des rivières doivent encore faire l’objet de recherches intégrées en collaboration avec les acteurs des filières fromagères.
DES PAYSAGES, REVELATEURS ET MEDIATEURS
Cette biodiversité façonne notre campagne. L’observation des paysages est riche en enseignement. C’est le travail de Pascal Bérion du laboratoire Thema de l’université de Franche-Comté. Ce Franc-Comtois a l’avantage d’avoir un pied à la campagne (son frère est agriculteur) et un pied dans les bureaux de l’université. Il met en perspective le sens d’un paysage familier. Son étude porte sur le bassin versant Loue Lison. L’observation des paysages au loin tout comme la répartition des terres autour de la ferme nous éclairent sur les pratiques agricoles.
Entre 1970 et 2013, le nombre de vaches laitières dans le Doubs a baissé de 13% mais leur « productivité » a progressé de 4000 l/vache/an à 6000 l/vache/an. Il y a moitié moins de chefs d’exploitations agricoles et la taille des fermes a augmenté. C’est la production de comté AOC qui domine.
Au fil des années, le paysage évolue. Autrefois, les parcelles étaient comme des lanières maintenant cela ressemble à des mosaïques. Les parcelles étaient petites, étroites et dispersées. Elles sont devenues plus vastes et forment des espaces de plusieurs hectares. Les bâtiments agricoles ont quitté les villages pour s’installer au coeur des parcelles. Sur les plateaux, les haies ont disparu, le paysage s’est simplifié, les zones pavillonnaires se sont développées; une modification commencée il y a une trentaine d’années.
« Il y a un vrai changement. Il n’y a plus de va-et-vient de troupeaux au moment de la traite. Cela peut induire une rupture de lien entre l’agriculteur et son village avec des conflits d’usage possible. Les gens ne comprennent plus ce que font les éleveurs ».
Vernierfontaine demeure une exception ( voir la photo ci-dessus), les haies sont toujours là, elles sont imbriquées dans des tas de pierres. Le sol est tellement mince qu’il n’est pas possible de cultiver à la place des haies. «
Pascal Berion conclut que l’agriculture de la région est « efficace techniquement et économiquement ». Les » transformations paysagères sont bien identifiées ». Les filières AOP sont « ouvertes aux questions environnementales ». Reste des « sujets en tension » :
-« La gestion des effluents d’élevage
-Le choix de l’autonomie fourragère ou celui de l’intensification des pratiques
-La compatibilité des grands troupeaux ( plus de 100 vaches) et du pâturage. »
Comment va continuer d’évoluer la Franche-Comté ? Comment l’équilibre entre économie et environnement va se réaliser ? Faut-il juste changer le pansement ou penser le changement ? D’autres interventions lors de ces deux jours de colloque nous donnent des pistes … A lire bientôt sur le blog de la Loue et des rivières comtoises.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr
PROCHAINEMENT SUR LE SITE DU LABO CHRONO-ENVIRONNEMENT, LES VIDEOS DES CONFERENCES.
VOS COMMENTAIRES :
Daniel Gerdeaux, conseil scientifique du comité de bassin de l’Agence de l’eau RMC :
« Une synthèse claire et fidèle aux débats. Elle ne soulève pour moi qu’un commentaire sur le passage :
Entre 1970 et 2013, le nombre de vaches laitières dans le Doubs a baissé de 13% mais leur « productivité » a progressé de 4000 l/vache/an à 6000 l/vache/an. Il y a moitié moins de chefs d’exploitations agricoles et la taille des fermes a augmenté.
C’est ce qui a été dit, mais l’intervention de la confédération paysage a soulevé à juste titre l’ambiguité du chiffre :
attention aux échelles de temps et d’espace
la bonne échelle d’espace n’est pas celle du département mais plutôt du bassin versant ou de l’étage montagnard.
Il semble que si le nombre a baissé à l’échelle du département ii aurait augmenté à l’échelle des bassins versants
comme celui de la Loue. Il serait très intéressant de connaître ce chiffre. »
Frédéric Solmon :
-voilà un exemple flagrant du réchauffement des eaux , qui repousse les zones à truites vers les têtes de bassin : le parcours du DOUBS entre BREMONCOURT ET GLERE qui est encore abusivement classé en première catégorie ( salmonidés dominants, qui étaient abondants )et qui est devenu un parcours peuplé de barbeaux et chevesnes ( deuxième catégorie à cyprinidés dominants ) .
– au bord du DESSOUBRE , les anciens disaient que les périodes d’étiage et de réchauffement de l’eau, au printemps et en été, vidaient l’eau de la rivière … mais la remplissaient de poissons !!! Et c’est vrai que le développement des alevins de truites et ombres semble optimum dans ces conditions .Un mal pour un bien?