Des scientifiques du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et l’agronome de la chambre d’agriculture 25-90 font des études pendant trois ans pour préciser l’impact des activités humaines sur les cours d’eau en milieu karstique, c’est-à-dire calcaire.
Rien ne semble plus compliqué que de suivre le cours de l’eau dans un sous-sol karstique, c’est à dire composé essentiellement de roche calcaire et de cavités. L’eau prend des chemins qui sont encore mystérieux.
Depuis les mortalités piscicoles de 2009, on sait désormais que les cours d’eau et leurs habitants sont malades d’un excès de nutriments. L’étude sur l’état de santé des rivières karstiques du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté a établi que les pratiques agricoles, sont majoritairement à l’origine des pollutions des rivières tout en soulignant que d’autres activités humaines sont aussi responsables.
L’impact des nitrates sur toutes les rivières du Massif jurassien
Le programme Nutri-Karst confirme que « l’ensemble des rivières du Massif jurassien est impacté durablement par les nitrates » et veut encore aller plus loin en comparant l’impact de plusieurs pratiques agricoles sur un petit bassin versant typique de l’écosystème karstique. Il s’agit de mieux comprendre le parcours des nutriments que l’on retrouve dans les rivières. D’où viennent-ils ? Quel parcours ont-ils effectué ? Sont-ils modifiés au cours de leurs transferts ?
Ces résultats pourront être ainsi modélisés et appliqués à l’ensemble du massif jurassien. Ce projet s’étale de 2019 à 2023. Le coût de ce programme est de 1,2 millions d’euros (600 000 euros par l’Agence de l’eau, 500 000 euros par le BRGM et 100 000 par la chambre d’agriculture 25-90).
C’est aussi le prolongement de la précédente étude menée entre 2015 et 2018(Réseau Quarstic), cette fois-ci avec l’ancien syndicat mixte de la Loue (devenu EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue), le département du Doubs et l’Agence de l’eau.
Le réseau Quarstic avait pour objectif « de suivre en continu la qualité des eaux souterraines et de surface sur le Doubs, la Loue, et le Lison, en se focalisant sur les paramètres physico-chimiques et les nutriments ». Des données journalières de concentration de nutriments et de débit des cours d’eau permettent de calculer des flux à la source de la Loue, la source du Lison, à Vuillafans, à Chenecey et à Arçon.
Le Verneau, cette rivière que l’on ne voit presque pas
En novembre 2020, nous avons rencontré les chercheurs du BRGM qui venaient recueillir toute une série de données dans la vallée de la Loue dans le cadre de ce projet Nutri-Karst. L’équipe est basée à Montpellier et Dijon. Le rendez-vous était pris en plein coeur d’un tout petit versant : celui du Verneau. C’est le nom d’une rivière souterraine particulièrement connue des spéléologues.
« Le réseau du Verneau se situe parmi les vingt plus grands complexes souterrains de France, avec 35 km de développement topographié et une dénivellation de 387 m. Ses différentes entrées sont toutes des cavités très fréquentées, mais ce qui attire nombre de spéléologues français et étrangers est la possibilité de réaliser une traversée entre le gouffre des Biefs Boussets et la grotte Baudin, soit 8 km de périple souterrain au cours duquel le spéléologue découvrira de somptueux paysages, mais sera confronté à de multiples obstacles : méandres parfois étroits, bassins profonds, puits remontants, vires, etc.» peut on lire dans le dossier réalisé par des spéléologues expérimentés du Doubs.
Pour comprendre la démarche du BRGM, nous avons commencé notre tournage sur les hauteurs de Montmahoux. C’est là que Météo France a installé une de ses stations qu’elle partage avec le BRGM et c’est l’un des quatre collecteurs d’eau de pluie du programme Nutri-Karst, tous installés dans la vallée de la Loue.
« Ce que l’on veut savoir, explique Jean-Baptiste Charlier du BRGM, c’est si cette origine de l’eau, et notamment des nutriments comme les nitrates, est d’une origine liée aux pratiques agricoles ou bien aux rejets d’eaux usées domestiques. »
Le niveau des eaux est relevé tous les mois pendant deux ans. Cela permet de calculer les quantités d’eau qui vont pénétrer dans le sous-sol de ce bassin versant. Mais quels chemins vont emprunter ces gouttes d’eau ? Et c’est ce jour-là que j’ai appris que l’eau avait une signature !
La signature de l’eau
Pour suivre à la trace l’eau tombée sur les hauteurs du bassin versant, les scientifiques traquent les cartes d’identité des molécules d’eau qui traversent le karst depuis les hauteurs de Montmahoux pour ressortir à la source du Verneau à Nans-sous-Saint-Anne. Ce petit bassin versant est intéressant car deux systèmes d’écoulement des eaux cohabitent sur ce secteur : c’est un réseau binaire avec, au sud, des marnes peu perméables et, au nord, du calcaire perméable. Cette différence est intéressante pour les scientifiques.
«Sur ce bassin qui fait à peu près 11 à 13 km2, on va en déduire des lois physiques et on va pouvoir l’extrapoler à d’autres sites plus gros, plus importants comme la source du Lison ou la source de la Loue » explique Jean-Baptiste Charlier.
Depuis les recherches d’une thèse de l’université de Besançon dans les années 70, on sait qu’une goutte d’eau met en moyenne douze heures pour circuler de Déservillers à Montmahoux.
A Nans-sous-Sainte-Anne, la source du Verneau est, on l’a vu, la résurgence du plus long réseau souterrain actuellement exploré en Franche-Comté. Un cheminement souterrain au-dessous des communes de Déservillers, Montmahoux, et Nans-sous-Saint-Anne,
Le BRGM a signé une convention avec les spéléologues du GIPEK, Groupement pour L’Inventaire, la Protection et l’Etude du Karst du massif jurassien. Cette association réalise l’inventaire spéléologique du secteur.
L’objectif du BRGM est d’étudier les vitesses de transferts dans le sous-sol du bassin versant du Verneau. Les scientifiques bénéficient du travail des spéléologues qui ont installé des sondes à huit endroits différents dans le réseau du Verneau. Deux de ces stations sont celles du BRGM. Toutes permettent de mesurer les températures, les hauteurs d’eau, sa minéralisation…et doivent permettre une meilleure compréhension du système karstique.
Multiplier les approches
Plusieurs approches pluridisciplinaires sont utilisées pour ce programme. En novembre 2020, les chercheurs sont aussi venus prélever des échantillons d’eau sur une quarantaine points de prélèvements du bassin versant du Verneau et au delà. Ils ont également mis en place des systèmes automatisés pour récupérer de l’eau toutes les six heures. Les flacons sont récupérés tous les 24 jours.
Autre étude, celle effectuée avec un liquide vert fluorescent pour être sur de bien le voir. L’équipe du BRGM a versé ce liquide à certains endroits, comme aux pertes de la Vielle Folle, pour savoir en combien de temps l’eau traverse le karst pour arriver à la source de Nans-sous-Anne. Ce parcours-là est bien connu des spéléologues et c’est très pratique pour le calcul des vitesses de transfert !
Lisier ou fumier ?
En surface, le BRGM s’est associé à la chambre d’agriculture 25-90. La suite du reportage a lieu sur les terres exploitées par Patrick Tournier sur les hauteurs de Montmahoux. Un agriculteur qui produit du lait à comté. Il a mis à disposition une partie d’une de ses prairies permanentes pour cette étude.
Il y a quatre parcelles sur lesquelles l’agriculteur épand différents types d’affluents. Toutes les semaines, il y a une mesure de la pousse de l’herbe et tous les mois, c’est l’azote qui passe dans le sol qui est quantifié. Là aussi, les quantités transférées seront analysées.
« En faisant le lien avec les pratiques agricoles, on va pouvoir connaître celles qui impactent l’eau au moment où on fait les prélèvements » précise Jean-Baptiste Charlier
Parallèlement à cela, des enquêtes agricoles sont conduites pour mieux connaître les pratiques et identifier celles qui sont à risque.
« Ces connaissances scientifiques alimentent les réflexions des politiques et peuvent aboutir sur des modifications des règlementations comme cela a été déjà le cas dans le passé pour le cahier des charges du comté ou pour le règlement sanitaire départemental qui a eu des modifications récentes. Il n’est pas impossible qu’à l’avenir, de nouvelles règlementations puissent encadrer les épandages des agriculteurs » précise Didier Tourenne, chargé de mission agronomie et environnement à la chambre d’agriculture 25-90.
Les résultats de cette étude seront publiés en 2023. Déjà les auteurs soulignent la vulnérabilité du karst amplifiée par les évolutions climatiques et la « relation forte entre pratiques agricoles et les flux d’azote exportés ». Faut-il les attendre pour prendre de nouvelles mesures en faveur de la qualité de l’eau et de la faune des rivières karstiques ?
Même si les quantités d’azote vendus dans le Doubs ont été divisées par deux entre 1995 et aujourd’hui ( par 6 pour le phosphore entre 1990 et maintenant), ce n’est pas suffisant pour sauver les rivières. Pour les auteurs du projet Nutri-kart, il est possible de « limiter les risques de transferts dans le milieu en optimisant les pratiques agricoles ».
Plus ces nouvelles actions tardent à se mettre en place, plus elles risquent d’être inefficaces. C’est ce que les scientifiques du laboratoire chrono-environnement de l’université de Franche-Comté ont souligné lors d’une conférence organisée par le lycée agricole de Dannemarie sur Crête.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr