« Les Choses du dimanche » de Thomas Petit (Fémis)
Classiques, mais très prometteurs : Louise Groult et Thomas Petit, deux jeunes réalisateurs issus de la Fémis, présentent leurs courts-métrages de fin d’études au Poitiers Film Festival. Leur travail s’inscrit dans une tradition française du cinéma d’auteur.
D’un côté, Louise Groult, 28 ans, de l’autre, Thomas Petit, 24 ans, accompagnés de leurs producteurs respectifs, Anne-Laure Berteau, 26 ans et Lucas Le Postec, 28 ans, tous les quatre fraîchement diplômés (en juin dernier) de la Fémis, la prestigieuse école de cinéma parisienne. L’une est issue de la filière scénario, l’autre de la réalisation. Ils sont venus à Poitiers cette semaine présenter leurs courts-métrages d’école, « Les petites vacances » et « Les choses du dimanche« , sélectionnés à la 41ème édition du Poitiers Film Festival, le festival des écoles de cinéma.
Le premier s’inscrit dans une tradition rohmérienne du film « de plage ». A 16 ans, Charlotte est en vacances à la mer avec sa cousine. Elle rencontre un garçon plus âgé qu’elle et pas vraiment disponible. Mais c’est l’été et elle aimerait vivre une histoire, comme sa cousine. Le second film se présente comme une balade dans Paris sur fond d’histoire d’amitié et d’amour. Trois copains se retrouvent chez l’un d’eux pour le week-end. Les deux films partagent cette même thématique de la chronique sentimentale, héritée de la Nouvelle vague.
Si leurs deux films adoptent une forme assez classique, ils touchent par leur capacité à se maintenir au plus près des personnages et de leurs sentiments à fleur de peau. La révélation finale d’un désir ou d’une blessure intime, immanquablement, marquera le spectateur.
« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)
Rencontre
Est-ce une demande de l’école d’aborder une thématique autour de la chronique amoureuse et de l’adolescence, ou un choix personnel ?
Louise Groult : Ce n’est pas du tout imposé par l’école. En filière scénario, je n’avais pas à réaliser de film, a priori. Pour le diplôme, on a juste à écrire un long métrage, ce que j’ai fait. Mais les producteurs, en l’occurrence Anne-Laure, pour passer le diplôme devait produire un film de son choix. Comme on s’entendait bien et qu’on avait déjà commencé à travailler ensemble, elle m’a proposé de réaliser un film. A partir de là, c’était plus ou moins carte blanche, on a réfléchi à ce qu’on pouvait raconter et à ce qui pouvait lui parler à elle aussi. Ça s’est fait naturellement comme ça, raconter des vacances d’été un peu foireuses, qui se déroulent pas comme on pourrait rêver que ça se passe. De filmer en Normandie aussi, là d’où je viens.
Thomas Petit : La seule chose qu’on nous impose à la Fémis, c’est le moment de l’année où on les tourne. Louise savait qu’elle devait tourner son film en été et moi, j’étais obligé de le tourner au mois de janvier et c’est vrai que nos deux films se ressemblent un peu parce qu’on a des goûts communs, des intérêts communs. Ils ont cette différence là que j’étais obligé de tourner en hiver et je trouvais ça un peu déprimant parce que souvent les films tournés en hiver ont tendance à se faire en intérieur en majorité et je voulais quand même sortir dehors. Assez vite s’est imposée la thématique d’une balade adolescente dans Paris. Je voulais que ça ressemble à des vacances un peu comme le film de Louise.
Vous avez écrit votre scénario ou est-ce celui d’un autre étudiant ?
Thomas Petit : Je l’ai écrit avec quelqu’un d’autre. On a été deux à travailler dessus. L’idée de départ est la mienne et tout le scénario a été écrit avec Hania Ourabah.
Louise Groult, au Poitiers Film Festival, réalisatrice du film « Les petites Vacances » (Crédit : Poitiers Film Festival)
Qu’est-ce qui a primé dans votre démarche d’écriture ?
Louise Groult : Au début, j’avais envie de cette situation où une jeune femme se retrouve avec un type qui se masturbe à côté d’elle et rien d’autre. C’était ce que je visualisais et le film s’est construit autour de ça. Comment on en est arrivé là, qu’est-ce qui peut se passer après et comment une situation pareille peut trouver un dénouement. Il y avait ce personnage de femme qui traverse le film un peu renfrognée, toujours un peu en retrait, en posture d’observatrice. Il y avait l’envie d’écrire un personnage comme ça et ensuite de diriger les comédiens dans ce sens-là.
Thomas Petit : Une des idées de départ était que ça devait être une histoire d’amitié et d’amour entre des jeunes de cet âge-là. Mais, ce qui est arrivé très vite dans l’écriture, ce sont les acteurs. J’ai tendance à vouloir chercher très vite des acteurs avant de savoir ce que sera le rôle, imaginer quels acteurs pourraient incarner les personnages. Pour ce film-là, j’ai commencé à chercher en même temps que j’écrivais. Tout devient un peu flou à ce moment-là parce qu’on ne sait plus si telle idée est arrivée avant ou après la rencontre avec tel acteur, que le personnage est devenu ce qu’il est devenu.
Thomas Petit, au Poitiers Film Festival, réalisateur du film « Les Choses du dimanche » (Crédit : Poitiers Film Festival)
Dans « Les choses du dimanche », il y a ce moment de basculement, où l’un des personnages n’en peut plus et met un autre face à ses contradictions, et tout bascule. Est-ce vers ce genre de moment que l’on cherche à tendre dans l’écriture ?
Thomas Petit : Très vite, c’était d’avoir un personnage, qui, parce qu’il est travaillé par des sentiments qu’il a du mal à cacher et n’est pas très agréable avec les autres. Je voulais que ce soit un personnage qui se prenne des leçons par les gens autour de lui dans la deuxième moitié du film. Donc, ce moment, c’est là où tout va basculer car les choses ne se passent pas comme il voudrait qu’elle se passe et, cet ami, toujours en retrait, le seul moment où il va oser s’affirmer, ce sera pour l’engueuler et lui dire ce qu’il a besoin d’entendre. C’est une bascule qui, oui, était très importante. On savait que le personnage devait se prendre une leçon. C’est comme dans les films de Rohmer où pendant toute une moitié, les personnages ont leur avis sur le monde et la deuxième moitié, ils se le font déconstruire.
Vous citez Rohmer, Thomas, mais j’imagine que vous aussi, Louise, vous pourriez le citer, à travers cette tradition que semble incarner votre film, celle du film de plage, de conte moral aussi.
Louise Groult : Pas du tout au départ. En écrivant, ça n’était pas conscient du tout. Mais comme ça revient tout le temps, je pense que oui et, il y a ce truc bien français de film de bord de plage, de bord de mer, d’intrigue amoureuse, qui est vraiment un truc extrêmement français, sans réel équivalent ailleurs.
Thomas Petit : C’est un héritage de film, j’ai l’impression que tout le monde a envie de faire son film de bord de mer, de petit conte moral en vacances. C’est un peu un passage obligé. Ça donne envie, même une fois qu’on en a fait un, d’en refaire un. C’est inépuisable! Je crois que l’on a tous inconsciemment Rohmer dans un coin de la tête.
« Les Choses du dimanche » réalisé par Thomas Petit (Fémis)
Est-ce que ces situations-là permettent de révéler quelque chose de vos personnages, de la nature humaine ?
Thomas Petit : En fait, ils se retrouvent nus, dans tous les sens du terme presque. C’est très minimaliste, les personnages ne sont pas noyés dans les différents aspects de leur vie que pourraient être le travail, l’école. Ils sont juste quasiment à poil sur une plage et, il n’y a qu’à travers les dialogues et les échanges entre eux, qu’ils peuvent se révéler en tant que personnage. C’est ce côté dénudé, dans tous les sens du terme, qui est très excitant. Et pour nous qui sommes en école, ce n’est pas très cher à faire, on a un budget limité et émotionnellement, on peut quand même aller quelque part.
Quelles sont vos envies aujourd’hui, maintenant que vous êtes diplômés ? Un premier film ou travailler sur les tournages de réalisateurs déjà confirmés ?
Louise Groult : Thomas comme moi, on a quand même à cœur de poursuivre nos collaborations avec les producteurs de nos films. Avec Anne-Laure, on a un autre projet de court-métrage que l’on aimerait réussir à monter l’année prochaine. J’ai aussi un projet de long métrage écrit à l’école que j’aimerais bien réaliser dans les années qui viennent.
« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)
Le binôme formé à l’école est destiné à se développer ?
Louise Groult : L’idéal serait de grandir ensemble et de garder cette même énergie. (…) A la Fémis, en filière scénario, on écrivait un long métrage par an. Il y en a deux au moins que j’aimerais vraiment développer. En tout cas, j’y pense et je me dis que ce serait bête de ne pas mieux les travailler, de les pousser jusqu’au bout.
Thomas Petit : On va essayer de continuer à faire des films ensemble, avec Lucas, qui, lui, monte sa société de production. Je n’ai pas tant de films que ça en tête, pour l’instant un seul. Ce qui est sûr, c’est qu’après ce court métrage là, j’avais envie de passer au long, d’autant qu’à la Fémis, en réalisation, on n’est pas tant que ça confronté au long-métrage, en tout cas moins que les élèves en filière scénario qui eux écrivent des longs tous les ans, qui restent au stade de scénario. Mais ça leur permet de se former à ça. Ce que je suis en train de faire en ce moment, c’est écrire mon premier long métrage. C’est assez clair que mes journées ne sont consacrées qu’à ça. (…) En sortant de cette école, on sait à peu près quel genre de films on a envie d’écrire. Tout le monde lorgne vers le long métrage, même quand on projette de faire un ou deux courts pour continuer à se former, pas seulement pour faire un film, les 4 ans de Fémis m’ont vraiment donné l’appétit du long.
« Les Choses du dimanche » de Thomas Petit (Fémis)
LES PRODUCTEURS
Thomas et Louise vous ont trouvés pour faire leur film, et pour vous, comment ça se passe, vous avez d’autres projets avec d’autres réalisateurs déjà ?
Lucas Le Postec : Oui, avec d’autres. Il vaut mieux. Il y a quelque chose dans le cinéma qui est lié au risque. Les projets de films sont des projets hautement risqués. Comme tout bon financier, on diversifie notre portefeuille de risque (rires). Plus sincèrement, c’est aussi une question de cinéphilie. Quand on aime le cinéma et qu’on a envie de faire des projets de film, on aime voir plein de cinémas différents et chaque réalisateur a son univers. Il y a ce plaisir-là d’alterner différents plaisirs de cinéphilie.
Vous sortez de l’école, vous allez créer votre propre société de production, n’est-ce pas un peu fou ?
Lucas Le Postec : On verra dans un an où on en sera. Mais quand vous sortez de la Fémis en production avec un réalisateur avec vous, qui plus est un réalisateur qui a un peu de succès en festival, vous diminuez considérablement les risques. Tout ça est un peu calculé, les risques sont pesés.
En tant que producteur, est-ce que vous avez envie de passer commande de films à des réalisateurs ?
Lucas Le Postec : En France, sauf preuve du contraire, c’est un peu impossible pour le cinéma d’auteur. Chez Pathé, chez Gaumont, ils peuvent produire des films comme ça. En France, il y a cette culture enracinée du cinéma d’auteur qui fait que c’est impossible d’imposer un scénario à un réalisateur. Beaucoup se disent ouverts à l’idée de faire un film qu’ils n’ont pas écrit, mais dans les faits, ils ont parfois du mal à s’approprier l’idée. (…) Il ne faut pas forcément aller à l’encontre de sa culture qui a permis de développer une telle cinéphilie, qui fait aussi la différence de la France sur le plan international. Si on voulait imiter d’autres, on serait sûrement moins bons qu’eux.
Anne-Laure Berteau : Je vais aussi créer ma structure à la sortie de l’école. Je développe deux projets avec Louise et je travaille aussi avec cinq autres auteurs, réalisateurs. La démarche, c’est de diversifier les personnes avec lesquelles on travaille. En tant que producteur, si on travaillait avec un seul réalisateur, aussi brillant soit-il, on aurait du mal à s’en sortir. (…) Pour moi, la démarche du producteur français est un peu celle d’un éditeur. S’il veut écrire, et bien, il devient auteur. (…) On collecte des artistes et des œuvres qui nous semblent correspondre à une vision que nous avons mais qui n’est pas traduite pas nous. Au sein de la Fémis, j’ai travaillé avec un réalisateur qui fait des films de genre, ce n’était pas mon truc et pourtant on avait plein de choses en commun. Louise, son travail aussi est différent, et je produis également du documentaire et peut-être que pour des gens de l’extérieur il n’y a pas de cohérence, mais pour moi oui, et elle vient de la vision que j’ai de mon travail. Cette richesse et cette exception française permet ça aussi. C’est moins de la maîtrise sur une oeuvre qu’essayer de proposer un paysage qui soit notre paysage à nous, en tant que producteur.
« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)