31 Oct

Eddy L. Harris : « Le Mississippi, c’est mon fleuve, celui avec lequel j’ai grandi à Saint-Louis »

Le romancier américain Eddy L. Harris publie cet automne « Mississippi Solo » (Liana Levi), le récit épique de sa descente du fleuve en canoë, du Minnesota à La Nouvelle Orléans. Depuis la Charente où il réside désormais, il se souvient de ce périple à l’origine de son premier livre publié il y a plus de 30 ans aux Etats-Unis et tout juste traduit en France.

L’auteur américain Eddy L. Harris, le 25 septembre 2020, lors de notre entretien à Angoulême pour la parution de « Mississippi Solo » (Liana Levy).

Il voulait vivre une aventure qui changerait sa vie pour toujours. Au mi-temps des années 80, alors que sa carrière de romancier aux Etats-Unis ne décolle pas, Eddy L. Harris s’imagine en canoë, descendant le fleuve Mississippi. Il n’a pour ainsi dire pas un sou en poche, encore moins de canoë. A que cela ne tienne, il s’en fait prêter un et s’engage dans une descente de plusieurs semaines, des sources du fleuve dans le Minnesota jusqu’à La Nouvelle Orléans où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique.

Dès les premiers kilomètres, l’aventure se révèle éminemment personnelle. Face à la nature et aux éléments, au fleuve imprévisible et d’une puissance inouïe, il se bat pour maintenir son embarcation à flot, hors des bancs de sable, loin des immenses barges qui transportent céréales et charbon. Mais ce qui frappe le plus le lecteur, c’est la découverte par le futur auteur qu’il semble juste en quête de lui-même, de l’écrivain qui pourrait naître de ce périple au cœur du plus grand des mythes américains, le fleuve Mississippi.

Car lorsque le lecteur pense au Mississippi, en littérature, il se remémore immanquablement les écrits de Mark Twain, ces récits de navigation sur le fleuve et les Aventures d’Huckleberry Finn. L’auteur, qui n’en est alors pas encore un, connait ces textes qu’il a lus dans sa jeunesse comme un grand nombre d’Américains, mais ce dont il rêve, c’est d’autre chose, loin d’une forme de folklore littéraire qui lui déplaît, c’est d’une aventure qui lui soit propre. Hors de question de revivre ce que d’autres ont vu ou décrit avant lui. Eddy Harris part à la conquête de lui-même.

C’est quelque chose de très fragile, la démocratie. Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis… (Eddy L. Harris)  

Plus de 30 ans plus tard, son livre est devenu un classique du récit de voyage aux Etats-Unis. L’écrivain s’est depuis établi en France, en Charente, près d’Angoulême. Il a passé le premier confinement, en mars dernier, aux Etats-Unis, où il a été marqué par l’état de son pays après près de 4 années de présidence Trump. Et il s’inquiète désormais : « Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis. C’est quelque chose de très fragile, la démocratie et avec ce président, avec cette manière qu’ont les Républicains de se comporter, je pense qu’on est en danger. Il faut faire quelque chose pour soutenir la démocratie dans le monde occidental. Peut-être est-ce au tour de la France de faire un pas pour défendre la démocratie. »

Sur l’état de son pays et son épopée le long du fleuve Mississippi, l’intégralité de l’entretien que nous a accordé Eddy L. Harris est à retrouver ci-dessous.

Entretien : Clément Massé, Stéphane Bourin avec Alexandre Keirle et Anastasia Nicolas France 3 Poitou-Charentes.

« Mississippi Solo » (Liana Levi), de Eddy L. Harris. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps – 20 euros.

18 Août

Rentrée littéraire 2020 : les tremblements de terre intimes du jeune Charlie

Le Rochelais Julien Dufresne-Lamy livre dans son nouveau roman, « Mon père, ma mère, mes tremblements de terre » (Belfond), le récit d’une métamorphose intime et familiale. Il est l’invité du journal de France 3 Poitou-Charentes, samedi 12 septembre à 19h.

Le nouveau roman de Julien Dufresne-Lamy, en librairie le 20 août 2020.

Julien Dufresne-Lamy aime les références aux œuvres de la culture populaire. Dans son précédent roman, l’auteur originaire de La Rochelle, s’appropriait la culture drag new-yorkaise, le voguing, et ses personnages iconiques tels que Ru Paul et son show télévisé. Son nouveau livre, « Mon père, ma mère, mes tremblements de terre » (Belfond), à paraître le 20 août, se nourrit toujours autant de références à la culture pop. « Zombies », la chanson des Cranberries, se fait l’écho de personnages vivant à l’ombre d’eux-mêmes, dans la peur d’une guerre intérieure, tel le père du narrateur, et l’allusion à la formidable série télévisée américaine « Transparent » qui ouvre le roman l’inscrit dans un récit contemporain. Dans la série, un père de famille, universitaire sur le point de prendre sa retraite, annonce à ses enfants sa transsexualité : « Je veux être heureuse. Être heureuse encore deux petites heures » annonce l’épigraphe… « deux petites heures », avant les premières secousses sismiques prêtes à frapper la cellule familiale.

Dans cette nouvelle fiction, le Rochelais s’intéresse lui aussi à la transition d’un père de famille. Comme dans la série, il choisit un procédé où chaque personnage est amené à révéler ses séismes intimes. Si la cellule familiale est tout aussi dysfonctionnelle (et néanmoins aimante) que dans la série, l’auteur retient un autre point de vue, celui du fils, Charlie. Le jour de la vaginoplastie de son père, l’adolescent attend dans la salle d’attente avec sa mère et voit défiler ses souvenirs des deux années passées. Le lecteur se retrouve plonger avec lui dans son journal de bord tenu de l’annonce du père qu’il est en réalité femme – la déflagration, le premier tremblement de terre -, au jour de son opération de réassignation sexuelle, – sa naissance, en tant qu’Alice -.

La vaginoplastie n’est ni une mutilation ni un accident. C’est un voyage dans l’espace – Charlie, le narrateur du roman

Une métamorphose

Le roman adopte le ton oral et vif de l’adolescent et dit en toute simplicité ses bouleversements. D’une parole nombriliste, elle se mue progressivement en une parole plus mature. L’expérience de l’altérité bouleverse alors l’ordre de ce roman bouillonnant et donne toute sa force au récit de Charlie. « Ma mère était aussi secrète, aussi dissimulatrice que mon père », lance-t-il en guise de sentence à mi-chemin du roman. « Elle et lui, finalement, c’était un même combat. Un même magma. » L’adolescent prenant conscience du cheminement de chacun de ses parents, de leur individualité, de leur indéfectible amour et de leur place respective dans sa vie, rallie le camp de son père et se retrouve à veiller sur sa mère, soudainement secouée par ses propres séismes.

Comme le lecteur, le jeune narrateur commence à entrevoir ce qui se joue réellement sous ses yeux : « la vaginoplastie n’est ni une mutilation ni un accident. C’est un voyage dans l’espace », lance le jeune Charlie avec toute la candeur de son adolescence.

Si le sujet de la réassignation sexuelle a fait l’objet de nombreux articles de presse ou de témoignages dans des émissions de télévision, le récit romanesque de Julien Dufresne-Lamy lève un voile sur une métamorphose qui se révèle un pan souvent invisible de l’expérience humaine contemporaine, intime et audacieuse.

L’auteur est l’invité du journal régional Poitou-Charentes de France 3, samedi 12 septembre à 19h.

Rencontres en 2019 avec l’auteur (Blog) et dans le journal régional de France 3 Poitou-Charentes, à l’occasion de la parution de son précédents romans « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Grand Prix des blogueurs 2019:

08 Déc

Poitiers Film Festival : la bouleversante Sarah du jeune cinéaste sud-coréen Deokgeun Kim

Présenté en sélection officielle du Poitiers Film Festival, « To Each Your Sarah » (« A chacun sa Sarah ») du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim raconte l’histoire d’une femme en plein échec personnel et professionnel, contrainte de retourner dans son village natal où vit toujours sa soeur. Ce drame est l’une des révélations de l’édition 2019.

L’actrice Mi-ne Oh, dans la rôle de Sarah. (« To Each Your Sarah » réalisé par Deokgeun Kim)

C’est l’une des joies de suivre le Poitiers Film Festival chaque année : découvrir des pépites cinématographiques du monde entier par des réalisateurs encore ou sur le point de terminer leurs études en école de cinéma. « To Each Your Sarah » du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim entre dans cette catégorie. En apparence, un film sur le déclassement social, il se révèle un drame personnel puissant sur les cruels tournants de la vie.

La bande-annonce, à découvrir, ci-dessous :

Jeong-Ja, interprétée par l’actrice Mi-ne Ho – prodigieuse dans ce rôle -, est de retour dans son village natal où réside toujours sa soeur. Par son intermédiaire, elle trouve un travail dans une triperie industrielle, un travail à la chaîne réservé aux femmes chargées de nettoyer des intestins d’animaux. Mais Jeong-Ja a un secret : avant son retour précipité de Séoul, elle se faisait appeler Sarah. Sarah, un prénom plus sophistiqué que le sien, associé à la vie campagnarde sud-coréenne.

Si le film semble tout d’abord se situer sur le terrain social (une femme quitte Séoul où elle vient de faire faillite et où son mari la trompe pour retourner sans le sou dans sa campagne natale), il se révèle avant tout l’histoire d’une femme confrontée à ses rêves contrariés par les années. Dans cette triperie où l’odeur des intestins la révulse, Jeong-Ja devient la risée des autres femmes, loin d’être dupes et, prend sur elle.

L’histoire d’une génération

Deokgeun Kim livre ainsi un très réussi portrait de femme, entre colère et trahison, cruauté et espoir. Le jeune réalisateur issu de la KNUA (Korean National University of Arts) dresse le portrait d’une génération.

« C’est la génération de mes parents », explique Deokgeun Kim, à quelques heures de la remise des prix. « Ils ont couru après le succès : une bonne situation, la réussite économique. Et puis, 30 ans plus tard, un certain nombre d’entre eux ont en fait échoué, lâchés par le capitalisme. »

Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain (Deokgeun Kim)

Assis sur un canapé de l’espace professionnel du Poitiers Film festival, le jeune réalisateur aux larges lunettes cerclées d’un fin rebord doré a l’apparence d’un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence, la carrure large mais la voix encore douce et posée.

« Ma propre mère a vécu cet échec, personnel et professionnel. Mon père aussi. Tous les deux ont tout perdu. »

« Je n’ai pas voulu faire un film social mais me confronter à une histoire personnelle, celle d’une femme qui perd tout. Je voulais m’attacher aux espoirs et aux rêves de cette femme, la cinquantaine. Comme d’autres de sa génération, elle a échoué mais elle refuse de regarder les choses en face. Elle se trouve trop d’excuses et préfère accuser le monde entier plutôt que de voir sa part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. »

« Comprendre l’être humain »

Jeong-Jo se projettait en Sarah et se retrouve une femme qu’elle pensait avoir laisser derrière elle.

« Sarah sonne comme un prénom sophistiqué. Il révèle les émotions et la personnalité du personnage principal. Elle voulait cette vie sophistiquée, de réussite, mais elle est aussi cette fille de la campagne. »

Deokgeun Kim le reconnaît volontiers : ce qui l’a mené au cinéma, c’est un besoin de « comprendre l’être humain ». Pour lui, la révélation s’est produite à la cinémathèque de Séoul, où il traînait souvent, devant « Les Biens-Aimés » de Christophe Honoré. « Le personnage principal voulait comprendre ses parents, leur vie amoureuse », explique-t-il. « Elle finit par les voir comme simplement humains. Ce film de Christophe Honoré est arrivé au bon moment pour moi. »

Deokgeun Kim conclut notre rencontre par ces mots : « Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain », ce qu’il est parvenu à mettre en images dans ce court métrage très prégnant.

Le jeune réalisateur, remarqué déjà dans plusieurs festivals, termine ses études à la KNUA le trimestre prochain. Il s’imaginerait volontiers poursuivre un Master dans une école en Europe. Depuis les déboires financiers de ses parents, il finance ses propres études en travaillant sur des plateaux de cinéma comme assistant tout en travaillant à son premier long métrage, une histoire de Nord Coréens fuyant le pays et qui franchissent la ligne de démarcation pour le sud. Le projet est pour l’instant « accueilli timidement » par les financiers mais le jeune réalisateur ne perd pas espoir d’imposer un sujet qui lui tient à coeur.

Deokgeun Kim, vendredi 6 décembre, au TAP théâtre de Poitiers, lors du 42ème Poitiers Film Festival

07 Déc

Poitiers Film Festival : le jury sacre le jeune réalisateur roumain Loránd Gábor

Le 42ème Poitiers Film Festival a sacré vendredi soir le jeune réalisateur roumain Loránd Gábor en lui attribuant le Grand Prix du jury, pour son film « How to Fly a Kite? ». Le jury récompense très justement un film sur le passage à l’âge adulte.

De tous les films en compétition répartis en dix sélections de courts métrages, les spectateurs ayant vu la sélection numéro 7 apparaissent aujourd’hui comme les plus avertis ou juste les plus chanceux. Sur les cinq films présentés, quatre ont été récompensés vendredi soir par le jury du Poitiers Film Festival 2019.

« How to Fly a Kite ? » (« Cum înalți un zmeu?« ) de Loránd Gábor reçoit le Grand Prix du jury (UNATC I.L. Caragiale Bucharest, Roumanie), « Le Cerf-volant » de Martin Smatana (FAMU, République tchèque), le Prix du public, « City of Children » de Arantxa Hernandez Barthe (NFTS, Grande-Bretagne) et « Hide N Seek » de Barbora Halirova (FAMU, République tchèque), le Prix L’Extra Court.

Loránd Gábor, l’une des révélations du Poitiers Film 2019

« How to Fly a Kite » est un film d’apprentissage, sur le passage inopiné à l’âge adulte d’un jeune garçon, Aurel. Alors qu’il ramasse du bois en forêt avec son père, ils sont interpellés par un policier qui les soupçonne de coupe illégale. L’intervention tourne au drame. Aurel, que l’on découvre au début du film à la recherche du regard et de la reconnaissance paternels se retrouve seul, face à lui-même, devenu un adulte désormais sans père. La force du film réside dans sa capacité à capter le moment où tout bascule, du regard de cet enfant dans sa quête de reconnaissance, au long moment de réflection où, face à lui-même, il prend conscience qu’il n’est plus tout à fait le même. Il saisit un mégot au sol, l’allume, une page est définitivement tournée. Ce court métrage venu de Roumanie emporte l’adhésion en 27 minutes, courtes, mais formidablement intenses. On sort de la projection avec l’envie de retenir le nom de ce réalisateur venu de Bucarest, Loránd Gábor, l’une des révélations de l’édition 2019 du Poitiers Film Festival, dont le film a également été remarqué et primé dans d’autres festivals.

Sur le tournage du film « How to Fly a Kite » (« Cum înalți un zmeu? ») (Via la page Facebook consacrée au film)

Loránd Gábor, sur le tournage de son court métrage « Cum înalți un zmeu? »

26 Sep

La Poitevine Charlotte Lemaire publie une palpitante fable écologique pour la jeunesse

Pour son premier livre, « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto), la Poitevine Charlotte Lemaire raconte l’histoire d’un jeune garçon qui, à l’aide de sa longue vue, part à la découverte de la jungle. Face à un tigre qui veut le manger, il lui propose un pacte.

Charlotte Lemaire signe l’histoire et les dessins de son premier livre « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto).

Sur les traces des grands explorateurs! Le jeune William règle sa longue-vue et part à la découverte de la jungle toute proche. Très vite, son regard est captivé par une chose lointaine qui, en se rapprochant de plus en plus dangereusement, se révèle être… un tigre.

« Pardon de troubler vos activités, mais je vais devoir vous manger », s’exclame l’animal.

A partir de ce moment-là, le jeune William n’a plus qu’une solution : trouver un moyen d’avoir la vie sauve. Pour y parvenir, il va proposer un pacte au tigre.

L’histoire palpitante de ce court livre jeunesse bascule alors dans un récit aux accents parfois angoissants.

Sans rien révéler de l’issue de ce livre au graphisme riche et aux couleurs chatoyantes, William va révéler toute son empathie, réalisant que pour sauver sa vie, il lui faudra d’abord sauver celle du tigre.

A l’heure d’une prise de conscience environnementale mondiale, Charlotte Lemaire livre une fable écologique humaniste qui devrait toucher au plus près le cœur des jeunes lecteurs.

La couverture du livre de la Poitevine Charlotte Lemaire.

Invitée du journal régional, samedi 28 octobre à 19h

L’auteure de ce livre jeunesse vit à Poitiers et est publiée par les éditions Biscoto, basée à Angoulême.

A noter que Charlotte Lemaire a animé un atelier avec de jeunes lecteurs à la librairie La belle Aventure à Poitiers, samedi 28 octobre et était l’invitée du journal de France 3 Poitou-Charentes, ce même samedi 28 octobre à 19h.

Entretien à revoir, ci-dessous.

« William, la longue-vue et le tigre » de Charlotte Lemaire (Biscoto), 14 euros. A partir de 4 ans.

06 Sep

Rentrée littéraire. A La Rochelle, la romancière Jeanne Benameur nous ouvre ses portes à l’occasion de la sortie de « Ceux qui partent »

La romancière rochelaise Jeanne Benameur publie « Ceux qui partent », son nouveau roman, aux éditions Actes Sud. C’est l’un des livres de la rentrée littéraire 2019, déjà très plébiscité par les lecteurs et les libraires.

Jeanne Benameur, à la librairie Les Rebelles ordinaires, à La Rochelle, où se tient la fête de lancement du roman « Ceux qui partent » (Actes Sud), l’un des événements de la rentrée littéraire 2019. (Photo : Clément Massé)

A la librairie « Les Rebelles ordinaires » à La Rochelle, « Ceux qui partent » (Actes Sud) de Jeanne Benameur, est l’ « ultra chouchou de la rentrée ». Sorti dès le 21 août, la fête de lancement du roman se tient vendredi 6 septembre entre les murs de cette librairie, tenue… par le fils de la romancière, Guillaume Bourain.

L’enthousiasme des libraires pour le roman pourrait donc apparaître un peu biaisé. L’épopée de la jeune Emilia, une Italienne tout juste débarquée à Ellis Island avec son père un jour de 1910, emporte pourtant bel et bien le lecteur dans le tourbillon de l’histoire.

« Ceux qui partent » de Jeanne Benameur, dans la vitrine de la librairie Les Rebelles ordinaires à La Rochelle. (Photo : Clément Massé)

Une épopée de l’émigration européenne

« Ceux qui partent » raconte les 48 heures entre l’arrivée d’un bateau de migrants européens aux Etats-Unis et leur entrée à New York. Les visages tirés disent autant la fatigue du voyage que l’abandon prochain de leur vie, de leur langue et de leur culture d’avant pour devenir Américain. Dans la foule, émerge le visage de cette jeune Italienne, Emilia. Elle cristallise tous les regards autour d’elle. Sa beauté, son port altier, sa manière simple mais si forte de juste défaire ses cheveux font d’elle le centre des attentions. Au point de bouleverser des vies.

Gabor, par exemple, est un jeune tsigane. Il est l’un de ceux à remarquer Emilia. A sa vue, l’attachement à sa communauté commence à se fissurer. Tout près, la jeune femme qui jusque là se glissait à ses côtés la nuit perçoit déjà les sentiments de son amoureux pour cette Italienne et avec eux, les premiers tourments de son cœur brisé.

Il y a aussi le regard d’Andrew Jónsson, un jeune new-yorkais. A l’arrivée des bateaux à Ellis Island, il est présent avec son appareil photo. Il photographie les visages des nouveaux arrivants. Sa quête : saisir ce pan de l’histoire familiale jamais nommé qui le relie à celle des émigrants.  

L’Italienne remarque à peine ces regards posés sur elle. Elle est accaparée par sa propre histoire et par la jeune Esther, épuisée par le voyage, qu’elle recueille dans ses bras. Esther porte de beaux vêtements sobrement coupés. Elle est couturière et rêve d’habiller les Américaines, ces femmes qu’elle imagine libres. Elle arrive d’Arménie, sans sa famille, disséminée par le génocide.

L’Enéide de Virgile

Aux côtés d’Emilia, son père, Donato, ne se tient jamais bien loin. En Italie, il était comédien de théâtre. A Ellis Island, il n’est plus qu’un émigrant parmi d’autres. Contre lui, il tient un livre à la couverture rouge : « L’Enéide » de Virgile.

La force du roman de Jeanne Benameur tient peut-être dans cette allusion au poème mythologique. L’Enéide conte l’histoire d’Enée, de la chute de Troie à son arrivée sur les rivages où seront construites les fondations de la future Rome. Mais comme le héro qui a perdu sa femme Créuse avant le départ, Donato arrive lui aussi sans sa femme. Ira-t-il au-delà des rives de la nouvelle York ? Dans la solitude de l’attente, il revit l’amour qu’il a vécu avec la mère d’Emilia et semble pour la première envisager une autre vie.

La capacité de Jeanne Benameur à dire ce moment où la vie de ces migrants est sur le point de basculer alimente le souffle de la fiction et tient le lecteur en haleine tout au long du roman. Du basculement physique de la vieille Europe vers New York et l’Amérique, se joue un autre basculement, profondément intime, celui des vies individuelles. Le roman acquiert la force des grandes épopées humaines. Le lecteur se met à rêver d’une suite, d’une grande saga de l’émigration. Pourtant, l’auteure semble vouloir y couper court dans le dernier chapitre où apparaissent des pistes sur le devenir de chacun de ses personnages, comme une manière de refermer une boîte de pandor à peine ouverte. A moins que…

Rencontre avec la romancière

A la veille de la sortie de son roman, Jeanne Benameur nous a reçus chez elle, près de La Rochelle. Notre reportage est visible, ci-dessous (Clément Massé, Louis Claveau et Caroline Lecocq).

02 Juin

Poitiers : un jeune cinéaste du Burkina Faso lauréat d’une résidence d’écriture à la Villa Bloch

Depuis son inauguration en février dernier, la villa Bloch à Poitiers accueille des artistes en résidence. Début mai, le cinéaste burkinabé Jean-Baptiste Ouedraogo y a séjourné deux semaines où il a travaillé au scénario de son premier long métrage, intitulé « Wakat ». Il a été retenu après ses sélections au Poitiers Film Festival en 2013 et 2018.

Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.

A Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo a trouvé un espace de travail au calme, un peu à l’écart de la ville. A la villa Bloch, il compte parmi les premiers artistes en résidence. Son domaine, c’est le cinéma. Dans l’ancienne demeure de l’écrivain et journaliste Jean-Richard Bloch, il vient de bénéficier d’une résidence de deux semaines pour travailler le scénario de son premier long métrage, l’histoire d’une vieille femme chargée de transmettre les codes d’un rituel ancestral, pour appeler la pluie.

Si les températures très fraîches de ce début mai l’ont un peu surpris à son arrivée du Burkina-Faso, Jean-Baptiste Ouedraogo, 33 ans, a trouvé ici, « un site idéal pour la création artistique ».

« Le cadre est enchanteur », lâche-t-il dans un sourire.

La villa, située dans le quartier de la Mérigotte, offre un écrin de verdure, loin du brouhaha citadin. Du salon, on aperçoit la vallée verdoyante.

Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? (J.-B. Ouedraogo)

Scénario de long-métrage

Le scénario sur lequel il travaille, intitulé « Wakat » (« Le Temps ») sera celui de son premier long-métrage. Il y est question d’une vieille dame et de récits qu’elle veut transmettre à sa petite fille. Victime d’un trou de mémoire, elle ne parvient plus à structurer sa pensée. Récits d’hier, d’aujourd’hui et de demain se confondent.

« C’est la particularité du scénario. On a des histoires qui s’enchevêtrent. Le scénario est assez complexe; ils se déroulent sur trois époques. »

Si le premier jet est terminé, Jean-Baptiste travaille désormais avec deux coaches, proposés par le Poitiers Film Festival.

« J’ai besoin de retours, c’est essentiel pour moi’, raconte-t-il. « C’est la première fois que j’écris un long métrage. Ça me permet de mieux voir les faiblesses du scénario. »

Ce projet est aussi inspiré de ma propre histoire. Ma grand-mère m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. (J.-B. Ouedraogo)

Dans sa fiction, la vieille femme doit donc transmettre tout un pan de la mémoire orale et les codes d’un rituel. Tout se déroule « sur fond de conception africaine du temps ».

« Dans la religion de cette femme, des maîtres du fer, du feu et de la terre, il faut passer par des rituels pour chaque saison », raconte Jean-Baptiste Ouedraogo. « Et pour la saison des pluies, il faut un rituel pour appeler la pluie. Et là, dans l’histoire, le temps passait, le rituel n’était pas fait, les gens commençaient à angoisser et à craindre que la pluie ne vienne pas. La vieille venait de se rendre compte qu’elle perdait la mémoire et qu’elle ne pourrait pas réaliser le rituel… Elle entreprend alors de transmettre à sa petite-fille. »

Des courts-métrages primés

Jusque-là, Jean-Baptiste Ouedraogo s’était fait connaître pour ses courts-métrages, dont certains ont été sélectionnés dans des festivals internationaux.

« Une partie de nous », son film présenté au Poitiers Film Festival en 2013, a aussi été primé au Fespacole grand festival de cinéma du continent africain (prix du meilleur film de fiction des écoles). Le passage au long métrage revêt un enjeu tout particulier, lié à la singularité de son scénario et des récits qui s’enchevêtrent : il lui faut donner vie à ses personnages dans une structure narrative complexe.

Jean-Baptiste Ouedraogo a décroché cette résidence à Poitiers, grâce au Poitiers Film Festival et au Ouaga Film Lab à Ouagadougou (Burkina Faso) où il a été lauréat du Prix Sud Ecriture, soit une bourse d’écriture qui le mènera à Tunis en Tunisie à l’automne prochain.

« L’idée est d’aider Jean-Baptiste à avoir un parcours qui mène son projet de film dans plusieurs laboratoires d’écriture », raconte Elodie Ferrer, déléguée aux programmes professionnels du Poitiers Film Festival et qui avait retenu le projet du cinéaste dans la sélection Jump-In de la dernière édition du festival. Mais, faute de visa, l’artiste avait alors été contraint de rester chez lui.

« On a fait le pari de le faire venir ici pour qu’il travaille et pour que son potentiel soit remarqué. »

Jean-Baptiste est suivi par une tutrice. Et pas n’importe laquelle : Dora Bouchoucha, la grande productrice de cinéma tunisienne (« La Saison des hommes ») qu’il devrait retrouver à Tunis.

Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.

Un prince à Poitiers

De ses deux semaines de travail à Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo ressort avec « le sentiment d’avoir bien avancé ».

« Vous savez, ce projet, je le porte depuis deux ans », confie-t-il assis dans le canapé du salon de la villa Bloch. « Il est aussi inspiré de ma propre histoire. » Cette grand-mère qui perd la mémoire dans le film est un peu la sienne. « Elle m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. Et un jour, elle a fait un AVC et a perdu la mémoire. »

Cette histoire liée aux traditions des peuples du continent noir, il aimerait en voir plus au cinéma.

Lui-même issu d’une société royale du nord de son pays (chez lui on le nomme Pazouknam – prince -) estime qu’ « il nous faut retourner à nos grandes valeurs. (…) On ne peut pas avoir de films que sur des histoires de fric ou de tromperies », lâche-t-il en riant.

« Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? », s’interroge-t-il avec une certaine gravité dans la voix.

Il le constate volontiers, peu de films du continent africain émerge sur la scène internationale.

« Au Sénégal, par exemple, il existe en ce moment une politique pour contribuer au cinéma du pays », explique-t-il. Chez lui, au Burkina Faso, « on a un petit fond qui permet aux cinéastes de faire des films ».

En parallèle à son travail de cinéaste, son cheval de bataille est de contribuer au développement du cinéma dans son pays. Il a, d’ailleurs, tout récemment, été élu à la tête de la Fédération nationale de cinéma et de l’audiovisuel du Burkina Faso.

08 Mar

Poitiers : Vincent Dedienne, dans un « Jeu de l’amour et du hasard » enlevé

Le Théâtre Auditorium de Poitiers présente jusqu’à samedi « Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, dans une mise en scène de Catherine Hiegel, avec dans les rôles titres : Clotilde Hesme (Silvia), Laure Calamy (Lisette), Vincent Dedienne (Arlequin) et, Emmanuel Noblet (Dorante). La première représentation, jeudi soir, a été très longuement et chaleureusement applaudie. 

Vincent Dedienne et Laure Calamy dans « Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, mis en scène par Catherine Hiegel (Photo Pascal Victor).

C’est un classique, souvent vu et revu. Mais quelle joie de redécouvrir « Le Jeu de l’amour et du hasard » (1730) de Marivaux, dans cette mise en scène de Catherine Hiegel, sociétaire honoraire de la Comédie française, portée par l’énergie d’une troupe de comédiens formidables. Jeudi soir, le public pictave n’a pas caché son plaisir et a longuement applaudi, debout, les comédiens.

Dans le rôle de Lisette, Laure Calamy (vue récemment dans la série « 10 pour cent »), dans celui d’Arlequin, Vincent Dedienne (connu pour son seul en scène « S’il se passe quelque chose » ou ses chroniques sur Quotidien et France Inter), dans celui de Silvia, Clotilde Hesme (« Diane a les Épaules », « Les Chansons d’amour », « Les Amants passagers ») et, dans celui de Dorante, Emmanuel Noblet (vu également cette saison dans « Réparer les Vivants »).

Le Jeu de l’amour et du hasard | Catherine Hiegel from Théâtre Auditorium Poitiers on Vimeo.

Silvia doit donc épouser Dorante qu’elle ne connait pas. Pour la visite de son futur mari, elle obtient de son père de se faire passer pour sa servante, Lisette, pour mieux l’observer. Seulement, ce qu’elle ignore, c’est que Dorante a eu la même idée…

Les maîtres revêtissent donc les habits de leurs valets qui, à leur tour, se glissent dans ceux de leurs maîtres. Les premiers pour mieux éprouvés les sentiments et le cœur de leur promis. Les seconds pour jouer le rôle attendu d’eux, tout en rêvant accéder à meilleur statut social. Mais les rapports qu’entretiennent valets et maîtres se retrouvent confrontés aux désirs individuels, aux sentiments amoureux naissants et aux conventions de l’époque. Si la pièce est tour à tour légère et enlevée, elle se révèle surtout cruelle et féroce, les uns et les autres longtemps incapables de s’affranchir de leurs préjugés et, de leur caste.

Rencontre avec Vincent Dedienne

Si la distribution aligne les noms de comédiennes et de comédiens connus, elle dévoile des choix judicieux. Sur scène, l’alchimie entre les comédiens fonctionnent. La plupart s’est déjà produit sur la scène pictave. C’est le cas de Vincent Dedienne, venu présenter son seul en scène pour quatre représentations à guichet fermé l’an dernier et qui, cette année, parraine l’édition des 10 ans du TAP et est présent dans deux productions (« Le Jeu de l’amour et du hasard » et une lecture de « Fou de Vincent » d’Hervé Guibert, en juin). Nous l’avons rencontré, ce matin, au TAP. Entretien filmé contre un poster de David Bowie.

« Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiegel, au TAP Poitiers – prochaines représentations : vendredi 8 mars à 19h30 et samedi 9 mars à 15h et 18h30. Avec Vincent Dedienne, Laure Calamy, Clotilde Hesme, Emmanuel Noblet, Alain Pralon, Cyrille Thouvenin.

« Fou de Vincent » de Hervé Guibert. Une lecture de Vincent Dedienne conçue avec le romancier Arnaud Cathrine. Représentation le mercredi 5 juin à 20h30.

 

 

15 Déc

Musique : « J’ai participé au financement en ligne du disque de Barbara Carlotti »

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

La tournée de la chanteuse Barbara Carlotti passe par La Sirène à La Rochelle, samedi 15 décembre. En amont de ce concert très attendu, nous avons échangé avec celle, dont le dernier album, « Magnétique », salué par la critique, a été financé grâce au crowdfunding.

 

C’était le 6 mai 2017, en participant à hauteur de 35 euros au financement en ligne du disque « Magnétique » de Barbara Carlotti, je devenais officiellement Kissbanker du projet. En gros, j’achetais, en avance, l’album (en format vinyle et numérique) d’une chanteuse dont j’écoutais la musique depuis pas mal d’années maintenant. Avec quelques bonus en prime. L’album s’inspire des rêves mais sa conception, elle, s’est confrontée à la réalité des mutations de l’industrie du disque. Rencontre.

Qu’est ce qui vous a conduit à avoir recourt au financement participatif ?

Barbara Carlotti : J’étais publiée dans une maison de disques qui s’appelait Atmosphérique à l’époque. Cette maison de disques a fermé. Elle a fait un dépôt de bilan. Je me suis retrouvé en carafe parce que mon disque précédent « L’Amour, l’Argent », s’était plutôt bien vendu. On en avait vendu 20.000 exemplaires. Ils étaient en difficulté. J’avais des signes de ça, mais je pensais faire mon album. Et j’avais fait l’émission de radio Cosmic Fantasie sur France Inter pendant un an à la fin de ma précédente tournée qui avait un peu retardé le maquetage des nouvelles chansons. Ma maison de disques, au terme de cette année, n’avait plus les fonds pour produire des disques et ils ont arrêté. Je me suis donc retrouvée sans maison de disques. Parallèlement à ça, ma manageuse est partie travailler dans une autre maison de disques qui s’appelle Tôt ou Tard et elle ne pouvait plus s’occuper de moi à ce moment là. Je me suis retrouvée un peu toute seule; j’ai mis un peu de temps à réaliser, parce que ça faisait quand même 15 ans que je faisais des disques. J’étais très entourée, j’avais des équipes autour de moi pour s’occuper des choses. Quand je me retrouvée seule, ça m’a un peu terrorisé, je ne savais pas comment m’y prendre. Je n’avais pas eu l’habitude de m’occuper directement des choses.

Est-ce que ça veut dire qu’il vous a fallu prendre les choses en main ?

Je me suis retrouvée sans aucun partenaire, j’ai mis un peu de temps à me demander ce que je pouvais faire. Ma priorité était de faire ce disque que j’avais commencé à maquetter. J’avais écrit toutes les chansons. Elles n’étaient pas complètement terminées, elles étaient à l’état de maquette. Je continuais à travailler dessus avec Benoit de Villeneuve qui a co-réalisé le disque avec moi, mais je n’avais personne pour me dire quelle serait la stratégie. A un moment donné, je me suis dit il y a cette chose du financement participatif. Comme j’avais plutôt bien vendu mon disque précédent, je me suis dit que ça pouvait être la solution, en tout cas pour lancer les choses. J’étais allée voir des maisons de disques pendant dix mois mais je n’avais pas trouvé de partenaire. On se rend compte quand on démarche que les maisons de disques ont des logiques assez particulières. Elles ont un certain nombre d’artistes et les maisons de disques auxquelles je m’adressais avaient déjà des artistes un peu similaires à moi, comme par exemple Bertrand Belin ou des gens comme lui qui sont des amis. Ils n’avaient pas spécialement de places pour des artistes similaires. Il fallait trouver une maison de disques qui ait besoin d’un artiste comme moi, au stade où j’en étais, avec une notoriété suffisante mais qui en même temps ne faisait pas d’énormes ventes. Et là, je suis rentrée dans le détail de la production, de ce que ça veut dire. Pour moi, ça s’est révélé très intéressant parce que, jusqu’à présent, je ne m’étais jamais posée ce genre de questions assez concrètes. La façon dont la musique est gérée depuis quelques années, les artistes sont de plus en plus indépendants. Avec les moyens de production dont on dispose, on peut faire des disques tout seul et les maisons de disques signent de plus en plus d’artistes extrêmement indépendants. Moi, j’avais toujours été dans une logique où j’avais un éditeur, que j’ai perdu entre temps! Donc, ma seule solution a été de me dire qu’il fallait faire confiance à mon public, et me faire confiance aussi, ce qui n’est pas une évidence quand on a été très entourée. Alors, je suis retournée voir Benoit de Villeneuve et on a terminé mes maquettes. Le 1er janvier 2016, je me suis réveillée et je me suis dit : tu as explorée tous les contacts de maisons de disques possibles, ça ne fonctionne pas, là, ce disque, j’avais une grande nécessité de le faire, il fallait que j’avance sinon j’allais me sentir mal avec ça. Il me fallait un objectif de sortie.

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

Qu’avez-vous fait alors ? Vous avez créé votre propre structure ?

Alors, j’ai un peu fait les choses dans le désordre, mais c’était pas mal. J’ai lancé le financement participatif sans savoir exactement où j’allais et j’ai rappelé mon ancienne éditrice qui, elle, avait été virée de mon ancienne maison de disques. On en rigole maintenant! On se rend compte que nous artistes, les gens avec qui on travaille dans cette industrie sont tout aussi précaires que nous. Je pouvais trouver des partenaires de travail qui sont dans le même cas que moi. Je savais que je pouvais l’appeler. Je lui ai dit : j’ai finalement décidé de faire le financement participatif. Il faut que j’enregistre dans les mois qui arrivent sinon je crois que je vais mourrir à petit feu avec ce projet et elle m’a dit ok, on y va. J’ai fait le financement participatif avec elle, parce qu’elle pouvait m’épauler et je n’étais pas toute seule. C’est un énorme boulot ! (…) Et je me suis dit, mes maquettes sont prêtes, je peux passer en studio. J’ai rappelé Bertrand Burgalat qui est un ami de longue date et un partenaire de longue date. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas me produire sur Tricatel parce que ce n’était pas sa ligne éditoriale. Il fait plutôt des projets comme Catastrophe ou Chassol. Il m’a dit « un disque de pop chez moi, ça n’a pas de sens aujourd’hui », mais je veux bien t’aider. Je lui ai fait écouter mes maquettes, il a été très enthousiaste et il m’a dit tu devrais travailler avec l’As Dragon, ça pourrait être génial pour toi. Fort de tous ses conseils, j’ai lancé le financement avec le projet tel que je voulais le faire. Maintenant que j’étais totalement indépendante, je pouvais travailler avec les musiciens que je voulais, sans restriction. Je voulais travailler avec la section rythmique de l’As Dragon, avec Benoit de Villeneuve à la production, Olivier Marguerit sur telle chanson, avec Thomas de Pourquery sur telle autre. J’ai rêvé un album idéal. Et là, je suis allée voir KissKissBankBank. Ils m’ont dit qu’il fallait nourrir le projet de vidéos, de choses autour. Je ne voulais pas proposer uniquement l’album mais je voulais qu’il soit au centre d’une sorte de constellation de choses que je propose. Comme l’album était autour des rêves, j’ai proposé des « goodies » autour de ça. Une affiche avec Christophe Blain qui reprend des images à la Klimt qui peut aussi raconter ce qu’est le rêve. Les longs cheveux ondulants autour de moi, c’est un peu ça.

La pochette de l’album « Magnétique » de Barbara Charlotte

Et y’avait des coussins aussi, car l’idée était de rêver et de dormir, c’était assez drôle. Avec Gaëlle Donelian, qui est devenue ma manageuse, on a imaginé des auto-collants, plein de choses pour offrir plus que l’album, des dreams machines, pour montrer aux gens comment je crée un disque.

En vous écoutant, j’ai le sentiment que ça vous a finalement donné beaucoup plus de liberté dans le processus créatif.

Absolument. Le fait de prendre tout en charge, on se demande avec qui et comment on va le faire, ça nous aide à préciser, mais aussi à prendre des libertés sur la façon dont on veut faire les choses. Parce que, si on travaille avec une maison de disques qui est dans un cadre de production, et c’est bien normal, plus traditionnel, eux, nous arrête sur le budget que ça va coûter. Là, je me suis dit, je me lance et je trouverai les solutions financières pour le faire. C’est plus simple de trouver des solutions peu chères quand on est seuls, que quand on est dans un cadre de maison de disques.

Vous vous donniez pour objectif de récolter 19.000 euros et vous en avez récolté 26.000. C’est ça le budget final du disque ?

Le disque a coûté beaucoup plus cher mais je savais qu’à partir de 20.000 euros, je pouvais m’en sortir avec d’autres aides. J’ai monté une structure pour pouvoir payer les musiciens avec (La Maison des rêves) et gérer l’argent du crowdfunding. On a trouvé une co-production avec une structure qui m’a aidé à trouver des subventions pour compléter le budget du crowdfunding. Ils s’appellent Alice au pays des Merveilles, ce qui est just génial (rires). Tout était autour du rêve, c’était un signe! On a trouvé des subventions avec l’Adami par exemple… Le disque a vraiment coûté 50.000 euros. On a eu des vidéos pour nourrir les visuels autour du crowdfunding, des belles vidéos qui représentent l’univers de l’album. Je ne me voyais pas me mettre derrière la caméra de mon ordinateur et parler aux gens. Je voulais que tout le projet soit inspiré de l’univers onirique que j’essaie de développer sur l’album.

Elektra/Warner arrive quand dans cette histoire ?

Lorsque je faisais le tour des maisons de disques, j’avais rencontré Anne Cordier. Elle avait bien aimé les maquettes mais n’avait pas la latitude de sortir l’album et on devait se tenir au courant. Quand j’ai fini complètement l’album, je l’ai revue. Les titres n’étaient pas encore mixés et elle m’a dit « c’est super, j’adore, vous avez fait un super boulot ». Elle a proposé le disque au nouveau patron d’Elektra. Deux mois plus tard, elle me rappelle, il a trouvé ça super, on peut travailler ensemble. Je terminais les mix, ça tombait bien. On est parti sur une licence. C’était mon intérêt comme j’avais tout fait toute seule. (…) Je n’avais pas les reins de tout faire et eux, font la promotion du disque. Je ne pouvais pas partir en indépendance totale, je suis profondément artiste, pas du tout administrative ni gestionnaire, je n’ai pas l’âme d’une productrice. Je sais que des artistes arrivent à faire ça, et je suis très admirative, Keren Ann, par exemple.

Au final, votre disque existe tel que vous le souhaitiez ?

Oui, ça m’a appris à être plus sûre de mes choix. Tout ce que j’ai fait comme choix artistiques, je les ai travaillés de manière très précise en me demandant combien ça coûte, comment je peux faire pour trouver des solutions, ça m’a obligé à les assumer plus. Ca a donc été un très bon enseignant. Mais, c’est une charge de travail monumentale pour laquelle on n’est pas payés. Je suis très heureuse que le disque existe mais c’est compliqué de faire ça pendant un an sans être rémunérée. J’ai fait d’autres choses avec d’autres gens, mais on vit assez chichement!

Est-ce que ce sont les tournées qui font vivre les artistes aujourd’hui ou encore les ventes de disque ?

Quand on a produit son disque, on touche un peu plus d’argent sur les ventes d’album. En tant que producteur, on doit aussi investir. Donc, ce ne sont pas forcément les ventes de disques, en tout cas pour moi ce n’est pas encore le cas. Ce sont surtout les concerts et les droits d’auteur. Quand le disque sort, le fait qu’il passe à la radio, et nous, on a été très soutenus par France Inter, il est passé sur leur antenne, ça, ça génère des droits d’auteur. Et les concerts, à la suite de ça. (…) La tournée se poursuit l’année prochaine. Une vingtaine de dates à partir de janvier, et des dates vont être calées jusqu’à l’été. j’adore les concerts. L’intérêt est de défendre le disque sur scène. C’est comme ça que l’on vend des disques aussi aujourd’hui. Quand un concert est réussi, on en vend un petit paquet à la fin du concert. « Ca continue encore et encore, ce ne que le début… » (rires) Pour l’instant, on est à 6.000 exemplaires vendus de « Magnétique », ce qui est pas mal pour un disque de pop française aujourd’hui. Avant, il y a encore cinq ou six ans, les albums, quand on les sortait, on attendait six mois et on voyait ce qui se passait et maintenant, ça s’est renversé, plus le disque dure sur scène, plus on sait que l’on va en vendre. (…) Maintenant, il faut arriver à trouver des idées en terme de promotion. Par exemple, j’ai fait une reprise avec Juliette Armanet. Mon idée était de faire des reprises de chansons qui parlent de rêve, et avec elle, on a repris « J’ai encore rêvé d’elle » d’Il était une fois. Le duo avec Juliette est génial. Je vais faire une autre reprise avec Philippe Katerine, une autre avec Clara Luciani et continuer avec des artistes que j’aime. Et j’espère qu’au printemps ou l’été, si le disque est re-pressé, on ressortira une édition avec les bonus reprises. Ce sont les idées pour faire vivre l’album.

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

07 Déc

Poitiers Film Festival : à la rencontre de deux jeunes cinéastes prometteurs

« Les Choses du dimanche » de Thomas Petit (Fémis)

Classiques, mais très prometteurs : Louise Groult et Thomas Petit, deux jeunes réalisateurs issus de la Fémis, présentent leurs courts-métrages de fin d’études au Poitiers Film Festival. Leur travail s’inscrit dans une tradition française du cinéma d’auteur.

D’un côté, Louise Groult, 28 ans, de l’autre, Thomas Petit, 24 ans, accompagnés de leurs producteurs respectifs, Anne-Laure Berteau, 26 ans et Lucas Le Postec, 28 ans, tous les quatre fraîchement diplômés (en juin dernier) de la Fémis, la prestigieuse école de cinéma parisienne. L’une est issue de la filière scénario, l’autre de la réalisation. Ils sont venus à Poitiers cette semaine présenter leurs courts-métrages d’école, « Les petites vacances » et « Les choses du dimanche« , sélectionnés à la 41ème édition du Poitiers Film Festival, le festival des écoles de cinéma.

Le premier s’inscrit dans une tradition rohmérienne du film « de plage ». A 16 ans, Charlotte est en vacances à la mer avec sa cousine. Elle rencontre un garçon plus âgé qu’elle et pas vraiment disponible. Mais c’est l’été et elle aimerait vivre une histoire, comme sa cousine. Le second film se présente comme une balade dans Paris sur fond d’histoire d’amitié et d’amour. Trois copains se retrouvent chez l’un d’eux pour le week-end. Les deux films partagent cette même thématique de la chronique sentimentale, héritée de la Nouvelle vague.

Si leurs deux films adoptent une forme assez classique, ils touchent par leur capacité à se maintenir au plus près des personnages et de leurs sentiments à fleur de peau. La révélation finale d’un désir ou d’une blessure intime, immanquablement, marquera le spectateur.

« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)

Rencontre

Est-ce une demande de l’école d’aborder une thématique autour de la chronique amoureuse et de l’adolescence, ou un choix personnel ?

Louise Groult : Ce n’est pas du tout imposé par l’école. En filière scénario, je n’avais pas à réaliser de film, a priori. Pour le diplôme, on a juste à écrire un long métrage, ce que j’ai fait. Mais les producteurs, en l’occurrence Anne-Laure, pour passer le diplôme devait produire un film de son choix. Comme on s’entendait bien et qu’on avait déjà commencé à travailler ensemble, elle m’a proposé de réaliser un film. A partir de là, c’était plus ou moins carte blanche, on a réfléchi à ce qu’on pouvait raconter et à ce qui pouvait lui parler à elle aussi. Ça s’est fait naturellement comme ça, raconter des vacances d’été un peu foireuses, qui se déroulent pas comme on pourrait rêver que ça se passe. De filmer en Normandie aussi, là d’où je viens.

Thomas Petit : La seule chose qu’on nous impose à la Fémis, c’est le moment de l’année où on les tourne. Louise savait qu’elle devait tourner son film en été et moi, j’étais obligé de le tourner au mois de janvier et c’est vrai que nos deux films se ressemblent un peu parce qu’on a des goûts communs, des intérêts communs. Ils ont cette différence là que j’étais obligé de tourner en hiver et je trouvais ça un peu déprimant parce que souvent les films tournés en hiver ont tendance à se faire en intérieur en majorité et je voulais quand même sortir dehors. Assez vite s’est imposée la thématique d’une balade adolescente dans Paris. Je voulais que ça ressemble à des vacances un peu comme le film de Louise.

Vous avez écrit votre scénario ou est-ce celui d’un autre étudiant ?

Thomas Petit : Je l’ai écrit avec quelqu’un d’autre. On a été deux à travailler dessus. L’idée de départ est la mienne et tout le scénario a été écrit avec Hania Ourabah.

Louise Groult, au Poitiers Film Festival, réalisatrice du film « Les petites Vacances » (Crédit : Poitiers Film Festival)

Qu’est-ce qui a primé dans votre démarche d’écriture ?

Louise Groult : Au début, j’avais envie de cette situation où une jeune femme se retrouve avec un type qui se masturbe à côté d’elle et rien d’autre. C’était ce que je visualisais et le film s’est construit autour de ça. Comment on en est arrivé là, qu’est-ce qui peut se passer après et comment une situation pareille peut trouver un dénouement. Il y avait ce personnage de femme qui traverse le film un peu renfrognée, toujours un peu en retrait, en posture d’observatrice. Il y avait l’envie d’écrire un personnage comme ça et ensuite de diriger les comédiens dans ce sens-là.

Thomas Petit : Une des idées de départ était que ça devait être une histoire d’amitié et d’amour entre des jeunes de cet âge-là. Mais, ce qui est arrivé très vite dans l’écriture, ce sont les acteurs. J’ai tendance à vouloir chercher très vite des acteurs avant de savoir ce que sera le rôle, imaginer quels acteurs pourraient incarner les personnages. Pour ce film-là, j’ai commencé à chercher en même temps que j’écrivais. Tout devient un peu flou à ce moment-là parce qu’on ne sait plus si telle idée est arrivée avant ou après la rencontre avec tel acteur, que le personnage est devenu ce qu’il est devenu.

Thomas Petit, au Poitiers Film Festival, réalisateur du film « Les Choses du dimanche » (Crédit : Poitiers Film Festival)

Dans « Les choses du dimanche », il y a ce moment de basculement, où l’un des personnages n’en peut plus et met un autre face à ses contradictions, et tout bascule. Est-ce vers ce genre de moment que l’on cherche à tendre dans l’écriture ?

Thomas Petit : Très vite, c’était d’avoir un personnage, qui, parce qu’il est travaillé par des sentiments qu’il a du mal à cacher et n’est pas très agréable avec les autres. Je voulais que ce soit un personnage qui se prenne des leçons par les gens autour de lui dans la deuxième moitié du film. Donc, ce moment, c’est là où tout va basculer car les choses ne se passent pas comme il voudrait qu’elle se passe et, cet ami, toujours en retrait, le seul moment où il va oser s’affirmer, ce sera pour l’engueuler et lui dire ce qu’il a besoin d’entendre. C’est une bascule qui, oui, était très importante. On savait que le personnage devait se prendre une leçon. C’est comme dans les films de Rohmer où pendant toute une moitié, les personnages ont leur avis sur le monde et la deuxième moitié, ils se le font déconstruire.

Vous citez Rohmer, Thomas, mais j’imagine que vous aussi, Louise, vous pourriez le citer, à travers cette tradition que semble incarner votre film, celle du film de plage, de conte moral aussi.

Louise Groult : Pas du tout au départ. En écrivant, ça n’était pas conscient du tout. Mais comme ça revient tout le temps, je pense que oui et, il y a ce truc bien français de film de bord de plage, de bord de mer, d’intrigue amoureuse, qui est vraiment un truc extrêmement français, sans réel équivalent ailleurs.

Thomas Petit : C’est un héritage de film, j’ai l’impression que tout le monde a envie de faire son film de bord de mer, de petit conte moral en vacances. C’est un peu un passage obligé. Ça donne envie, même une fois qu’on en a fait un, d’en refaire un. C’est inépuisable! Je crois que l’on a tous inconsciemment Rohmer dans un coin de la tête.

« Les Choses du dimanche » réalisé par Thomas Petit (Fémis)

Est-ce que ces situations-là permettent de révéler quelque chose de vos personnages, de la nature humaine ?

Thomas Petit : En fait, ils se retrouvent nus, dans tous les sens du terme presque. C’est très minimaliste, les personnages ne sont pas noyés dans les différents aspects de leur vie que pourraient être le travail, l’école. Ils sont juste quasiment à poil sur une plage et, il n’y a qu’à travers les dialogues et les échanges entre eux, qu’ils peuvent se révéler en tant que personnage. C’est ce côté dénudé, dans tous les sens du terme, qui est très excitant. Et pour nous qui sommes en école, ce n’est pas très cher à faire, on a un budget limité et émotionnellement, on peut quand même aller quelque part.

Quelles sont vos envies aujourd’hui, maintenant que vous êtes diplômés ? Un premier film ou travailler sur les tournages de réalisateurs déjà confirmés ?

Louise Groult : Thomas comme moi, on a quand même à cœur de poursuivre nos collaborations avec les producteurs de nos films. Avec Anne-Laure, on a un autre projet de court-métrage que l’on aimerait réussir à monter l’année prochaine. J’ai aussi un projet de long métrage écrit à l’école que j’aimerais bien réaliser dans les années qui viennent.

« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)

Le binôme formé à l’école est destiné à se développer ?

Louise Groult : L’idéal serait de grandir ensemble et de garder cette même énergie. (…) A la Fémis, en filière scénario, on écrivait un long métrage par an. Il y en a deux au moins que j’aimerais vraiment développer. En tout cas, j’y pense et je me dis que ce serait bête de ne pas mieux les travailler, de les pousser jusqu’au bout.

Thomas Petit : On va essayer de continuer à faire des films ensemble, avec Lucas, qui, lui, monte sa société de production. Je n’ai pas tant de films que ça en tête, pour l’instant un seul. Ce qui est sûr, c’est qu’après ce court métrage là, j’avais envie de passer au long, d’autant qu’à la Fémis, en réalisation, on n’est pas tant que ça confronté au long-métrage, en tout cas moins que les élèves en filière scénario qui eux écrivent des longs tous les ans, qui restent au stade de scénario. Mais ça leur permet de se former à ça. Ce que je suis en train de faire en ce moment, c’est écrire mon premier long métrage. C’est assez clair que mes journées ne sont consacrées qu’à ça. (…) En sortant de cette école, on sait à peu près quel genre de films on a envie d’écrire. Tout le monde lorgne vers le long métrage, même quand on projette de faire un ou deux courts pour continuer à se former, pas seulement pour faire un film, les 4 ans de Fémis m’ont vraiment donné l’appétit du long.

« Les Choses du dimanche » de Thomas Petit (Fémis)

LES PRODUCTEURS

Thomas et Louise vous ont trouvés pour faire leur film, et pour vous, comment ça se passe, vous avez d’autres projets avec d’autres réalisateurs déjà ?

Lucas Le Postec : Oui, avec d’autres. Il vaut mieux. Il y a quelque chose dans le cinéma qui est lié au risque. Les projets de films sont des projets hautement risqués. Comme tout bon financier, on diversifie notre portefeuille de risque (rires). Plus sincèrement, c’est aussi une question de cinéphilie. Quand on aime le cinéma et qu’on a envie de faire des projets de film, on aime voir plein de cinémas différents et chaque réalisateur a son univers. Il y a ce plaisir-là d’alterner différents plaisirs de cinéphilie.

Vous sortez de l’école, vous allez créer votre propre société de production, n’est-ce pas un peu fou ?

Lucas Le Postec : On verra dans un an où on en sera. Mais quand vous sortez de la Fémis en production avec un réalisateur avec vous, qui plus est un réalisateur qui a un peu de succès en festival, vous diminuez considérablement les risques. Tout ça est un peu calculé, les risques sont pesés.

En tant que producteur, est-ce que vous avez envie de passer commande de films à des réalisateurs ?

Lucas Le Postec : En France, sauf preuve du contraire, c’est un peu impossible pour le cinéma d’auteur. Chez Pathé, chez Gaumont, ils peuvent produire des films comme ça. En France, il y a cette culture enracinée du cinéma d’auteur qui fait que c’est impossible d’imposer un scénario à un réalisateur. Beaucoup se disent ouverts à l’idée de faire un film qu’ils n’ont pas écrit, mais dans les faits, ils ont parfois du mal à s’approprier l’idée. (…) Il ne faut pas forcément aller à l’encontre de sa culture qui a permis de développer une telle cinéphilie, qui fait aussi la différence de la France sur le plan international. Si on voulait imiter d’autres, on serait sûrement moins bons qu’eux.

Anne-Laure Berteau : Je vais aussi créer ma structure à la sortie de l’école. Je développe deux projets avec Louise et je travaille aussi avec cinq autres auteurs, réalisateurs. La démarche, c’est de diversifier les personnes avec lesquelles on travaille. En tant que producteur, si on travaillait avec un seul réalisateur, aussi brillant soit-il, on aurait du mal à s’en sortir. (…) Pour moi, la démarche du producteur français est un peu celle d’un éditeur. S’il veut écrire, et bien, il devient auteur. (…) On collecte des artistes et des œuvres qui nous semblent correspondre à une vision que nous avons mais qui n’est pas traduite pas nous. Au sein de la Fémis, j’ai travaillé avec un réalisateur qui fait des films de genre, ce n’était pas mon truc et pourtant on avait plein de choses en commun. Louise, son travail aussi est différent, et je produis également du documentaire et peut-être que pour des gens de l’extérieur il n’y a pas de cohérence, mais pour moi oui, et elle vient de la vision que j’ai de mon travail. Cette richesse et cette exception française permet ça aussi. C’est moins de la maîtrise sur une oeuvre qu’essayer de proposer un paysage qui soit notre paysage à nous, en tant que producteur.

« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)