Le romancier américain Eddy L. Harris publie cet automne « Mississippi Solo » (Liana Levi), le récit épique de sa descente du fleuve en canoë, du Minnesota à La Nouvelle Orléans. Depuis la Charente où il réside désormais, il se souvient de ce périple à l’origine de son premier livre publié il y a plus de 30 ans aux Etats-Unis et tout juste traduit en France.
L’auteur américain Eddy L. Harris, le 25 septembre 2020, lors de notre entretien à Angoulême pour la parution de « Mississippi Solo » (Liana Levy).
Il voulait vivre une aventure qui changerait sa vie pour toujours. Au mi-temps des années 80, alors que sa carrière de romancier aux Etats-Unis ne décolle pas, Eddy L. Harris s’imagine en canoë, descendant le fleuve Mississippi. Il n’a pour ainsi dire pas un sou en poche, encore moins de canoë. A que cela ne tienne, il s’en fait prêter un et s’engage dans une descente de plusieurs semaines, des sources du fleuve dans le Minnesota jusqu’à La Nouvelle Orléans où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique.
Dès les premiers kilomètres, l’aventure se révèle éminemment personnelle. Face à la nature et aux éléments, au fleuve imprévisible et d’une puissance inouïe, il se bat pour maintenir son embarcation à flot, hors des bancs de sable, loin des immenses barges qui transportent céréales et charbon. Mais ce qui frappe le plus le lecteur, c’est la découverte par le futur auteur qu’il semble juste en quête de lui-même, de l’écrivain qui pourrait naître de ce périple au cœur du plus grand des mythes américains, le fleuve Mississippi.
Car lorsque le lecteur pense au Mississippi, en littérature, il se remémore immanquablement les écrits de Mark Twain, ces récits de navigation sur le fleuve et les Aventures d’Huckleberry Finn. L’auteur, qui n’en est alors pas encore un, connait ces textes qu’il a lus dans sa jeunesse comme un grand nombre d’Américains, mais ce dont il rêve, c’est d’autre chose, loin d’une forme de folklore littéraire qui lui déplaît, c’est d’une aventure qui lui soit propre. Hors de question de revivre ce que d’autres ont vu ou décrit avant lui. Eddy Harris part à la conquête de lui-même.
C’est quelque chose de très fragile, la démocratie. Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis… (Eddy L. Harris)
Plus de 30 ans plus tard, son livre est devenu un classique du récit de voyage aux Etats-Unis. L’écrivain s’est depuis établi en France, en Charente, près d’Angoulême. Il a passé le premier confinement, en mars dernier, aux Etats-Unis, où il a été marqué par l’état de son pays après près de 4 années de présidence Trump. Et il s’inquiète désormais : « Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis. C’est quelque chose de très fragile, la démocratie et avec ce président, avec cette manière qu’ont les Républicains de se comporter, je pense qu’on est en danger. Il faut faire quelque chose pour soutenir la démocratie dans le monde occidental. Peut-être est-ce au tour de la France de faire un pas pour défendre la démocratie. »
Sur l’état de son pays et son épopée le long du fleuve Mississippi, l’intégralité de l’entretien que nous a accordé Eddy L. Harris est à retrouver ci-dessous.
Entretien : Clément Massé, Stéphane Bourin avec Alexandre Keirle et Anastasia Nicolas France 3 Poitou-Charentes.
« Mississippi Solo » (Liana Levi), de Eddy L. Harris. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps – 20 euros.
Le Rochelais Julien Dufresne-Lamy livre dans son nouveau roman, « Mon père, ma mère, mes tremblements de terre » (Belfond), le récit d’une métamorphose intime et familiale. Il est l’invité du journal de France 3 Poitou-Charentes, samedi 12 septembre à 19h.
Le nouveau roman de Julien Dufresne-Lamy, en librairie le 20 août 2020.
Julien Dufresne-Lamy aime les références aux œuvres de la culture populaire. Dans son précédent roman, l’auteur originaire de La Rochelle, s’appropriait la culture drag new-yorkaise, le voguing, et ses personnages iconiques tels que Ru Paul et son show télévisé. Son nouveau livre, « Mon père, ma mère, mes tremblements de terre » (Belfond), à paraître le 20 août, se nourrit toujours autant de références à la culture pop. « Zombies », la chanson des Cranberries, se fait l’écho de personnages vivant à l’ombre d’eux-mêmes, dans la peur d’une guerre intérieure, tel le père du narrateur, et l’allusion à la formidable série télévisée américaine « Transparent » qui ouvre le roman l’inscrit dans un récit contemporain. Dans la série, un père de famille, universitaire sur le point de prendre sa retraite, annonce à ses enfants sa transsexualité : « Je veux être heureuse. Être heureuse encore deux petites heures » annonce l’épigraphe… « deux petites heures », avant les premières secousses sismiques prêtes à frapper la cellule familiale.
Dans cette nouvelle fiction, le Rochelais s’intéresse lui aussi à la transition d’un père de famille. Comme dans la série, il choisit un procédé où chaque personnage est amené à révéler ses séismes intimes. Si la cellule familiale est tout aussi dysfonctionnelle (et néanmoins aimante) que dans la série, l’auteur retient un autre point de vue, celui du fils, Charlie. Le jour de la vaginoplastie de son père, l’adolescent attend dans la salle d’attente avec sa mère et voit défiler ses souvenirs des deux années passées. Le lecteur se retrouve plonger avec lui dans son journal de bord tenu de l’annonce du père qu’il est en réalité femme – la déflagration, le premier tremblement de terre -, au jour de son opération de réassignation sexuelle, – sa naissance, en tant qu’Alice -.
La vaginoplastie n’est ni une mutilation ni un accident. C’est un voyage dans l’espace – Charlie, le narrateur du roman
Une métamorphose
Le roman adopte le ton oral et vif de l’adolescent et dit en toute simplicité ses bouleversements. D’une parole nombriliste, elle se mue progressivement en une parole plus mature. L’expérience de l’altérité bouleverse alors l’ordre de ce roman bouillonnant et donne toute sa force au récit de Charlie. « Ma mère était aussi secrète, aussi dissimulatrice que mon père », lance-t-il en guise de sentence à mi-chemin du roman. « Elle et lui, finalement, c’était un même combat. Un même magma. » L’adolescent prenant conscience du cheminement de chacun de ses parents, de leur individualité, de leur indéfectible amour et de leur place respective dans sa vie, rallie le camp de son père et se retrouve à veiller sur sa mère, soudainement secouée par ses propres séismes.
Comme le lecteur, le jeune narrateur commence à entrevoir ce qui se joue réellement sous ses yeux : « la vaginoplastie n’est ni une mutilation ni un accident. C’est un voyage dans l’espace », lance le jeune Charlie avec toute la candeur de son adolescence.
Si le sujet de la réassignation sexuelle a fait l’objet de nombreux articles de presse ou de témoignages dans des émissions de télévision, le récit romanesque de Julien Dufresne-Lamy lève un voile sur une métamorphose qui se révèle un pan souvent invisible de l’expérience humaine contemporaine, intime et audacieuse.
L’auteur est l’invité du journal régional Poitou-Charentes de France 3, samedi 12 septembre à 19h.
Rencontres en 2019 avec l’auteur (Blog) et dans le journal régional de France 3 Poitou-Charentes, à l’occasion de la parution de son précédents romans « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Grand Prix des blogueurs 2019:
Présenté en sélection officielle du Poitiers Film Festival, « To Each Your Sarah » (« A chacun sa Sarah ») du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim raconte l’histoire d’une femme en plein échec personnel et professionnel, contrainte de retourner dans son village natal où vit toujours sa soeur. Ce drame est l’une des révélations de l’édition 2019.
L’actrice Mi-ne Oh, dans la rôle de Sarah. (« To Each Your Sarah » réalisé par Deokgeun Kim)
C’est l’une des joies de suivre le Poitiers Film Festival chaque année : découvrir des pépites cinématographiques du monde entier par des réalisateurs encore ou sur le point de terminer leurs études en école de cinéma. « To Each Your Sarah » du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim entre dans cette catégorie. En apparence, un film sur le déclassement social, il se révèle un drame personnel puissant sur les cruels tournants de la vie.
La bande-annonce, à découvrir, ci-dessous :
Jeong-Ja, interprétée par l’actrice Mi-ne Ho – prodigieuse dans ce rôle -, est de retour dans son village natal où réside toujours sa soeur. Par son intermédiaire, elle trouve un travail dans une triperie industrielle, un travail à la chaîne réservé aux femmes chargées de nettoyer des intestins d’animaux. Mais Jeong-Ja a un secret : avant son retour précipité de Séoul, elle se faisait appeler Sarah. Sarah, un prénom plus sophistiqué que le sien, associé à la vie campagnarde sud-coréenne.
Si le film semble tout d’abord se situer sur le terrain social (une femme quitte Séoul où elle vient de faire faillite et où son mari la trompe pour retourner sans le sou dans sa campagne natale), il se révèle avant tout l’histoire d’une femme confrontée à ses rêves contrariés par les années. Dans cette triperie où l’odeur des intestins la révulse, Jeong-Ja devient la risée des autres femmes, loin d’être dupes et, prend sur elle.
L’histoire d’une génération
Deokgeun Kim livre ainsi un très réussi portrait de femme, entre colère et trahison, cruauté et espoir. Le jeune réalisateur issu de la KNUA (Korean National University of Arts) dresse le portrait d’une génération.
« C’est la génération de mes parents », explique Deokgeun Kim, à quelques heures de la remise des prix. « Ils ont couru après le succès : une bonne situation, la réussite économique. Et puis, 30 ans plus tard, un certain nombre d’entre eux ont en fait échoué, lâchés par le capitalisme. »
Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain (Deokgeun Kim)
Assis sur un canapé de l’espace professionnel du Poitiers Film festival, le jeune réalisateur aux larges lunettes cerclées d’un fin rebord doré a l’apparence d’un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence, la carrure large mais la voix encore douce et posée.
« Ma propre mère a vécu cet échec, personnel et professionnel. Mon père aussi. Tous les deux ont tout perdu. »
« Je n’ai pas voulu faire un film social mais me confronter à une histoire personnelle, celle d’une femme qui perd tout. Je voulais m’attacher aux espoirs et aux rêves de cette femme, la cinquantaine. Comme d’autres de sa génération, elle a échoué mais elle refuse de regarder les choses en face. Elle se trouve trop d’excuses et préfère accuser le monde entier plutôt que de voir sa part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. »
« Comprendre l’être humain »
Jeong-Jo se projettait en Sarah et se retrouve une femme qu’elle pensait avoir laisser derrière elle.
« Sarah sonne comme un prénom sophistiqué. Il révèle les émotions et la personnalité du personnage principal. Elle voulait cette vie sophistiquée, de réussite, mais elle est aussi cette fille de la campagne. »
Deokgeun Kim le reconnaît volontiers : ce qui l’a mené au cinéma, c’est un besoin de « comprendre l’être humain ». Pour lui, la révélation s’est produite à la cinémathèque de Séoul, où il traînait souvent, devant « Les Biens-Aimés » de Christophe Honoré. « Le personnage principal voulait comprendre ses parents, leur vie amoureuse », explique-t-il. « Elle finit par les voir comme simplement humains. Ce film de Christophe Honoré est arrivé au bon moment pour moi. »
Deokgeun Kim conclut notre rencontre par ces mots : « Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain », ce qu’il est parvenu à mettre en images dans ce court métrage très prégnant.
Le jeune réalisateur, remarqué déjà dans plusieurs festivals, termine ses études à la KNUA le trimestre prochain. Il s’imaginerait volontiers poursuivre un Master dans une école en Europe. Depuis les déboires financiers de ses parents, il finance ses propres études en travaillant sur des plateaux de cinéma comme assistant tout en travaillant à son premier long métrage, une histoire de Nord Coréens fuyant le pays et qui franchissent la ligne de démarcation pour le sud. Le projet est pour l’instant « accueilli timidement » par les financiers mais le jeune réalisateur ne perd pas espoir d’imposer un sujet qui lui tient à coeur.
Deokgeun Kim, vendredi 6 décembre, au TAP théâtre de Poitiers, lors du 42ème Poitiers Film Festival
Le 42ème Poitiers Film Festival a sacré vendredi soir le jeune réalisateur roumain Loránd Gábor en lui attribuant le Grand Prix du jury, pour son film « How to Fly a Kite? ». Le jury récompense très justement un film sur le passage à l’âge adulte.
De tous les films en compétition répartis en dix sélections de courts métrages, les spectateurs ayant vu la sélection numéro 7 apparaissent aujourd’hui comme les plus avertis ou juste les plus chanceux. Sur les cinq films présentés, quatre ont été récompensés vendredi soir par le jury du Poitiers Film Festival 2019.
« How to Fly a Kite ? » (« Cum înalți un zmeu?« ) de Loránd Gábor reçoit le Grand Prix du jury (UNATC I.L. Caragiale Bucharest, Roumanie), « Le Cerf-volant » de Martin Smatana (FAMU, République tchèque), le Prix du public, « City of Children » de Arantxa Hernandez Barthe (NFTS, Grande-Bretagne) et « Hide N Seek » de Barbora Halirova (FAMU, République tchèque), le Prix L’Extra Court.
Loránd Gábor, l’une des révélations du Poitiers Film 2019
« How to Fly a Kite » est un film d’apprentissage, sur le passage inopiné à l’âge adulte d’un jeune garçon, Aurel. Alors qu’il ramasse du bois en forêt avec son père, ils sont interpellés par un policier qui les soupçonne de coupe illégale. L’intervention tourne au drame. Aurel, que l’on découvre au début du film à la recherche du regard et de la reconnaissance paternels se retrouve seul, face à lui-même, devenu un adulte désormais sans père. La force du film réside dans sa capacité à capter le moment où tout bascule, du regard de cet enfant dans sa quête de reconnaissance, au long moment de réflection où, face à lui-même, il prend conscience qu’il n’est plus tout à fait le même. Il saisit un mégot au sol, l’allume, une page est définitivement tournée. Ce court métrage venu de Roumanie emporte l’adhésion en 27 minutes, courtes, mais formidablement intenses. On sort de la projection avec l’envie de retenir le nom de ce réalisateur venu de Bucarest, Loránd Gábor, l’une des révélations de l’édition 2019 du Poitiers Film Festival, dont le film a également été remarqué et primé dans d’autres festivals.
Sur le tournage du film « How to Fly a Kite » (« Cum înalți un zmeu? ») (Via la page Facebook consacrée au film)
Loránd Gábor, sur le tournage de son court métrage « Cum înalți un zmeu? »
Avec « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Julien Dufresne-Lamy plonge au cœur de la culture underground new-yorkaise des drag-queens. Sous sa plume, les reines des bals emmènent le lecteur à la découverte des cabarets et d’une culture oubliée, à l’orée des années 80. Un récit fascinant et enlevé qu’il évoquera samedi 23 novembre sur France 3, dans l’édition Poitou-Charentes à 19h, et dans une rencontre au cinéma Le Dietrich de Poitiers à 21h.
Julien Dufresne-Lamy, photographié par Melania Avanzato.
A Los Angeles, un jeune père de famille, ancien gangster, quitte femme et enfant pour vivre sa fascination pour les drag-queens. Direction New York, où il rencontre James Gilmore, un vieil Afro-Américain, icône oubliée de la scène drag du début des années sida. Le second va prendre le premier sous son aile et l’initier aux codes d’un monde de transgression.
Dans une narration foisonnante, alternent le récit introspectif des deux personnages principaux et, en toile de fond, les voix de celles qui ont écrit la légende des reines de la nuit underground new-yorkaise. Sous la plume de l’auteur, le lecteur assiste à la naissance de la mode du voguing et plonge au cœur de la scène ballroom.
Dans la foule des fêtards, se côtoient anonymes et célébrités : Keith Haring, David Bowie ou Madonna qui, avant de placer un coup de projecteur sur le voguing avec son hit « Vogue », fut, elle aussi, témoin de l’effervescence de cette scène.
« Jolis, jolis monstres », le quatrième roman de Julien Dufresne-Lamy, séduit par sa capacité à faire revivre une époque révolue et une scène artiste aussi bouillonnante qu’à la marge.
De quelle manière avez-vous découvert l’univers drag et du voguing à New York ? Comment est-ce entré dans votre vie ?
Comme beaucoup de gens, je crois que c’est en regardant l’émission de DruPaul, Drag Race. Je la regarde depuis plusieurs années, sur Internet et sur Netflix. J’ai toujours bien aimé aller voir les drag-queens à Londres ou New York. En allant voir ces spectacles underground, j’avais l’impression de côtoyer enfin une culture qui n’était pas la mienne, d’être vraiment dans l’idée d’un voyage. J’aimais vraiment ça, voir l’alternatif, le clandestin, la marge… Et puis, le livre, je l’ai finalement laissé dormir pendant plusieurs années et ce n’est qu’il y a deux ans que je me suis dit que cette histoire regroupait toutes mes obsessions d’écriture, et je me suis dit : il faut que je le fasse et c’est comme ça que je me suis lancé.
Vous parliez de l’idée de voyage. Racontez-nous en un peu plus…
J’ai l’impression que quand on voit un homme devenir femme ou autre chose sur scène, j’ai l’impression que c’est un voyage, oui. C’est une autre forme de beauté, c’est une autre forme de l’autre, de l’altérité, de curiosité, d’exotisme, donc oui, ça représente un voyage.
Est-ce juste votre expérience personnelle qui nourrit le roman ou bien avez-vous accumulé une certaine dose de documentation pour faire revivre cette époque ?
C’est une fiction pure dans le sens où les deux narrateurs sont complètement invités, ceux qui prennent la parole. En revanche, toutes les galeries secondaires ont réellement existé. Toutes les histoires secondaires dont je parle dans le livre, sont vraies. Ce n’était pas un parti pris de départ. C’est vraiment lorsque je me suis plongé dans la culture drag et la culture voguing, et au fil des recherches, je rencontrais des histoires tellement rocambolesques et je me disais qu’il serait dommage de ne pas les retranscrire fidèlement. Au fur et à mesure des pages et des mois d’écriture, le livre devenait un peu politique et devenait un vrai hommage à la pré-histoire des drag-queens. Et quel plus bel hommage que de retranscrire fidèlement leurs histoires ? Finalement, c’est ainsi que toutes les galeries secondaires se sont imposées ainsi que le livret de photos à la fin du livre.
Ce livret, effectivement, assoie une histoire qui s’est déroulée…
C’est la première fois en littérature française qu’un livre se consacre à la culture drag. C’est étonnant. Il y a ce phénomène en ce moment qui est là, qui permet de déplacer les lignes. Mais les hommes déguisés en femmes, ça existe depuis toujours en fait. On refuse toujours de leur donner cette tribune et cette parole; c’est un peu triste. On vit dans une société très masculiniste et un homme déguisé en femme, ça ne plait pas beaucoup.
Dans votre roman, le personnage qui sort de prison et des gangs à Los Angeles, se cherche une mère pour l’initier à la culture drag. Est-ce que vous aussi vous avez eu une telle rencontre à un moment donné de votre parcours, pour ce roman, de quelqu’un qui vous a initié ?
C’est la première fois que l’on me pose cette question ! Non. Je n’ai pas eu de mère mentor ou symbolique. Pour ce livre, ça a été un sujet pas comme les autres et c’est un livre que je continuerai à défendre plus que les autres car j’ai l’impression qu’il me dépasse, moi, qu’il dépasse le cadre de l’écriture, le cadre de l’écrivain. Comme ce sont aussi de vraies histoires, des personnages qui ont tellement vécu l’oppression, le rejet, c’est important de le défendre, presque politiquement. J’ai fait ça seul, le travail de l’écrivain est quand même très ancré dans la solitude. J’ai rencontré évidemment à Paris quelques drag-queens et que la plupart de mes recherches se sont faites sur Internet. Il y a très peu voire aucune source littéraire, universitaire ou académique sur la culture drag, donc j’ai tissé une toile de façon très débrouille… D’un monde de clubs, de drag-queens, d’années 80, de noms d’artistes, j’ai réussi à créer une ambiance, un décor. Mais ça s’est fait très seul!
Cette part documentaire du livre donne une force colossale au récit, au-delà du parcours humain…
Ca fait un peu autorité, oui, un peu comme lorsque dans un générique de film, il est écrit que c’est inspiré d’une histoire vraie. J’avais envie avec cette large documentation de montrer un New York hyper tourbillonnant, j’avais envie qu’on s’imagine dans ces soirées-là, côtoyer les artistes de l’époque, les Keith Haring, David Bowie, mais aussi des gens que l’on ne connait pas forcément. C’était un New York où tout le monde se cotoyait et qui n’avait pas d’égard pour le statut social. Il y avait l’envie très libertaire, insouciante, de se réunir et de former une communauté. Ca s’est depuis gentrifié, embourgeoisé.
Propos recueillis par Clément Massé.
La couverture de « Jolis, jolis monstres » de Julien Dufresne-Lamy (Belfond)
Retrouvez Julien Dufresne-Lamy dans le journal de France 3, édition Poitou-Charentes, à 19h, samedi 23 novembre, puis à 21h au cinéma Le Dietrich à Poitiers à la séance du film « Port Authority » de Danielle Lessovitz.
Mise à jour, 27 novembre 2019
Retrouvez l’entretien de Julien Dufresne-Lamy, samedi 23 novembre, sur France 3, dans l’édition de 19h du journal régional Poitou-Charentes
Pour son premier livre, « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto), la Poitevine Charlotte Lemaire raconte l’histoire d’un jeune garçon qui, à l’aide de sa longue vue, part à la découverte de la jungle. Face à un tigre qui veut le manger, il lui propose un pacte.
Charlotte Lemaire signe l’histoire et les dessins de son premier livre « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto).
Sur les traces des grands explorateurs! Le jeune William règle sa longue-vue et part à la découverte de la jungle toute proche. Très vite, son regard est captivé par une chose lointaine qui, en se rapprochant de plus en plus dangereusement, se révèle être… un tigre.
« Pardon de troubler vos activités, mais je vais devoir vous manger », s’exclame l’animal.
A partir de ce moment-là, le jeune William n’a plus qu’une solution : trouver un moyen d’avoir la vie sauve. Pour y parvenir, il va proposer un pacte au tigre.
L’histoire palpitante de ce court livre jeunesse bascule alors dans un récit aux accents parfois angoissants.
Sans rien révéler de l’issue de ce livre au graphisme riche et aux couleurs chatoyantes, William va révéler toute son empathie, réalisant que pour sauver sa vie, il lui faudra d’abord sauver celle du tigre.
A l’heure d’une prise de conscience environnementale mondiale, Charlotte Lemaire livre une fable écologique humaniste qui devrait toucher au plus près le cœur des jeunes lecteurs.
La couverture du livre de la Poitevine Charlotte Lemaire.
Invitée du journal régional, samedi 28 octobre à 19h
L’auteure de ce livre jeunesse vit à Poitiers et est publiée par les éditions Biscoto, basée à Angoulême.
A noter que Charlotte Lemaire a animé un atelier avec de jeunes lecteurs à la librairie La belle Aventure à Poitiers, samedi 28 octobre et était l’invitée du journal de France 3 Poitou-Charentes, ce même samedi 28 octobre à 19h.
La romancière rochelaise Jeanne Benameur publie « Ceux qui partent », son nouveau roman, aux éditions Actes Sud. C’est l’un des livres de la rentrée littéraire 2019, déjà très plébiscité par les lecteurs et les libraires.
Jeanne Benameur, à la librairie Les Rebelles ordinaires, à La Rochelle, où se tient la fête de lancement du roman « Ceux qui partent » (Actes Sud), l’un des événements de la rentrée littéraire 2019. (Photo : Clément Massé)
A la librairie « Les Rebelles ordinaires » à La Rochelle, « Ceux qui partent » (Actes Sud) de Jeanne Benameur, est l’ « ultra chouchou de la rentrée ». Sorti dès le 21 août, la fête de lancement du roman se tient vendredi 6 septembre entre les murs de cette librairie, tenue… par le fils de la romancière, Guillaume Bourain.
L’enthousiasme des libraires pour le roman pourrait donc apparaître un peu biaisé. L’épopée de la jeune Emilia, une Italienne tout juste débarquée à Ellis Island avec son père un jour de 1910, emporte pourtant bel et bien le lecteur dans le tourbillon de l’histoire.
« Ceux qui partent » de Jeanne Benameur, dans la vitrine de la librairie Les Rebelles ordinaires à La Rochelle. (Photo : Clément Massé)
Une épopée de l’émigration européenne
« Ceux qui partent » raconte les 48 heures entre l’arrivée d’un bateau de migrants européens aux Etats-Unis et leur entrée à New York. Les visages tirés disent autant la fatigue du voyage que l’abandon prochain de leur vie, de leur langue et de leur culture d’avant pour devenir Américain. Dans la foule, émerge le visage de cette jeune Italienne, Emilia. Elle cristallise tous les regards autour d’elle. Sa beauté, son port altier, sa manière simple mais si forte de juste défaire ses cheveux font d’elle le centre des attentions. Au point de bouleverser des vies.
Gabor, par exemple, est un jeune tsigane. Il est l’un de ceux à remarquer Emilia. A sa vue, l’attachement à sa communauté commence à se fissurer. Tout près, la jeune femme qui jusque là se glissait à ses côtés la nuit perçoit déjà les sentiments de son amoureux pour cette Italienne et avec eux, les premiers tourments de son cœur brisé.
Il y a aussi le regard d’Andrew Jónsson, un jeune new-yorkais. A l’arrivée des bateaux à Ellis Island, il est présent avec son appareil photo. Il photographie les visages des nouveaux arrivants. Sa quête : saisir ce pan de l’histoire familiale jamais nommé qui le relie à celle des émigrants.
L’Italienne remarque à peine ces regards posés sur elle. Elle est accaparée par sa propre histoire et par la jeune Esther, épuisée par le voyage, qu’elle recueille dans ses bras. Esther porte de beaux vêtements sobrement coupés. Elle est couturière et rêve d’habiller les Américaines, ces femmes qu’elle imagine libres. Elle arrive d’Arménie, sans sa famille, disséminée par le génocide.
L’Enéide de Virgile
Aux côtés d’Emilia, son père, Donato, ne se tient jamais bien loin. En Italie, il était comédien de théâtre. A Ellis Island, il n’est plus qu’un émigrant parmi d’autres. Contre lui, il tient un livre à la couverture rouge : « L’Enéide » de Virgile.
La force du roman de Jeanne Benameur tient peut-être dans cette allusion au poème mythologique. L’Enéide conte l’histoire d’Enée, de la chute de Troie à son arrivée sur les rivages où seront construites les fondations de la future Rome. Mais comme le héro qui a perdu sa femme Créuse avant le départ, Donato arrive lui aussi sans sa femme. Ira-t-il au-delà des rives de la nouvelle York ? Dans la solitude de l’attente, il revit l’amour qu’il a vécu avec la mère d’Emilia et semble pour la première envisager une autre vie.
La capacité de Jeanne Benameur à dire ce moment où la vie de ces migrants est sur le point de basculer alimente le souffle de la fiction et tient le lecteur en haleine tout au long du roman. Du basculement physique de la vieille Europe vers New York et l’Amérique, se joue un autre basculement, profondément intime, celui des vies individuelles. Le roman acquiert la force des grandes épopées humaines. Le lecteur se met à rêver d’une suite, d’une grande saga de l’émigration. Pourtant, l’auteure semble vouloir y couper court dans le dernier chapitre où apparaissent des pistes sur le devenir de chacun de ses personnages, comme une manière de refermer une boîte de pandor à peine ouverte. A moins que…
Rencontre avec la romancière
A la veille de la sortie de son roman, Jeanne Benameur nous a reçus chez elle, près de La Rochelle. Notre reportage est visible, ci-dessous (Clément Massé, Louis Claveau et Caroline Lecocq).
Depuis son inauguration en février dernier, la villa Bloch à Poitiers accueille des artistes en résidence. Début mai, le cinéaste burkinabé Jean-Baptiste Ouedraogo y a séjourné deux semaines où il a travaillé au scénario de son premier long métrage, intitulé « Wakat ». Il a été retenu après ses sélections au Poitiers Film Festival en 2013 et 2018.
Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.
A Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo a trouvé un espace de travail au calme, un peu à l’écart de la ville. A la villa Bloch, il compte parmi les premiers artistes en résidence. Son domaine, c’est le cinéma. Dans l’ancienne demeure de l’écrivain et journaliste Jean-Richard Bloch, il vient de bénéficier d’une résidence de deux semaines pour travailler le scénario de son premier long métrage, l’histoire d’une vieille femme chargée de transmettre les codes d’un rituel ancestral, pour appeler la pluie.
Si les températures très fraîches de ce début mai l’ont un peu surpris à son arrivée du Burkina-Faso, Jean-Baptiste Ouedraogo, 33 ans, a trouvé ici, « un site idéal pour la création artistique ».
« Le cadre est enchanteur », lâche-t-il dans un sourire.
La villa, située dans le quartier de la Mérigotte, offre un écrin de verdure, loin du brouhaha citadin. Du salon, on aperçoit la vallée verdoyante.
Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? (J.-B. Ouedraogo)
Scénario de long-métrage
Le scénario sur lequel il travaille, intitulé « Wakat » (« Le Temps ») sera celui de son premier long-métrage. Il y est question d’une vieille dame et de récits qu’elle veut transmettre à sa petite fille. Victime d’un trou de mémoire, elle ne parvient plus à structurer sa pensée. Récits d’hier, d’aujourd’hui et de demain se confondent.
« C’est la particularité du scénario. On a des histoires qui s’enchevêtrent. Le scénario est assez complexe; ils se déroulent sur trois époques. »
Si le premier jet est terminé, Jean-Baptiste travaille désormais avec deux coaches, proposés par le Poitiers Film Festival.
« J’ai besoin de retours, c’est essentiel pour moi’, raconte-t-il. « C’est la première fois que j’écris un long métrage. Ça me permet de mieux voir les faiblesses du scénario. »
Ce projet est aussi inspiré de ma propre histoire. Ma grand-mère m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. (J.-B. Ouedraogo)
Dans sa fiction, la vieille femme doit donc transmettre tout un pan de la mémoire orale et les codes d’un rituel. Tout se déroule « sur fond de conception africaine du temps ».
« Dans la religion de cette femme, des maîtres du fer, du feu et de la terre, il faut passer par des rituels pour chaque saison », raconte Jean-Baptiste Ouedraogo. « Et pour la saison des pluies, il faut un rituel pour appeler la pluie. Et là, dans l’histoire, le temps passait, le rituel n’était pas fait, les gens commençaient à angoisser et à craindre que la pluie ne vienne pas. La vieille venait de se rendre compte qu’elle perdait la mémoire et qu’elle ne pourrait pas réaliser le rituel… Elle entreprend alors de transmettre à sa petite-fille. »
Des courts-métrages primés
Jusque-là, Jean-Baptiste Ouedraogo s’était fait connaître pour ses courts-métrages, dont certains ont été sélectionnés dans des festivals internationaux.
« Une partie de nous », son film présenté au Poitiers Film Festival en 2013, a aussi été primé au Fespaco, le grand festival de cinéma du continent africain (prix du meilleur film de fiction des écoles). Le passage au long métrage revêt un enjeu tout particulier, lié à la singularité de son scénario et des récits qui s’enchevêtrent : il lui faut donner vie à ses personnages dans une structure narrative complexe.
« L’idée est d’aider Jean-Baptiste à avoir un parcours qui mène son projet de film dans plusieurs laboratoires d’écriture », raconte Elodie Ferrer, déléguée aux programmes professionnels du Poitiers Film Festival et qui avait retenu le projet du cinéaste dans la sélection Jump-In de la dernière édition du festival. Mais, faute de visa, l’artiste avait alors été contraint de rester chez lui.
« On a fait le pari de le faire venir ici pour qu’il travaille et pour que son potentiel soit remarqué. »
Jean-Baptiste est suivi par une tutrice. Et pas n’importe laquelle : Dora Bouchoucha, la grande productrice de cinéma tunisienne (« La Saison des hommes ») qu’il devrait retrouver à Tunis.
Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.
Un prince à Poitiers
De ses deux semaines de travail à Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo ressort avec « le sentiment d’avoir bien avancé ».
« Vous savez, ce projet, je le porte depuis deux ans », confie-t-il assis dans le canapé du salon de la villa Bloch. « Il est aussi inspiré de ma propre histoire. » Cette grand-mère qui perd la mémoire dans le film est un peu la sienne. « Elle m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. Et un jour, elle a fait un AVC et a perdu la mémoire. »
Cette histoire liée aux traditions des peuples du continent noir, il aimerait en voir plus au cinéma.
Lui-même issu d’une société royale du nord de son pays (chez lui on le nomme Pazouknam – prince -) estime qu’ « il nous faut retourner à nos grandes valeurs. (…) On ne peut pas avoir de films que sur des histoires de fric ou de tromperies », lâche-t-il en riant.
« Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? », s’interroge-t-il avec une certaine gravité dans la voix.
Il le constate volontiers, peu de films du continent africain émerge sur la scène internationale.
« Au Sénégal, par exemple, il existe en ce moment une politique pour contribuer au cinéma du pays », explique-t-il. Chez lui, au Burkina Faso, « on a un petit fond qui permet aux cinéastes de faire des films ».
Luc Giros aime se lancer des défis. Après la mini-transat en 2017, il s’apprête à parcourir 17.000 km à vélo le long des côtes méditerranéennes européennes pour un périple de 4 mois sans impact carbone, destiné à faire parler d’une maladie orpheline, l’exstrophie vésicale, dont il est lui-même atteint.
Luc Giros présente son vélo solaire à Poitiers, mardi 2 avril.
Depuis quelques semaines, Luc Giros n’a plus qu’une obsession : optimiser son vélo « pour qu’il soit le plus léger possible ». Dans un mois, il longera les côtes de la Méditerranée pour un voyage de 17.000 km. A bord d’un vélo équipé de panneaux solaires alimentant un petit moteur d’appoint, Luc veut faire parler de la maladie orpheline dont il est atteint depuis la naissance, l’exstrophie vésicale, et s’est donné pour objectif d’utiliser un transport non polluant.
« J’ai prévu de faire 140 km par jour, soit environ 6h de vélo. Je pars de La Rochelle, pour longer les côtes : l’Espagne, le Portugal, à nouveau la France, l’Italie, la Slovénie, la Croatie, le Monténégro, l’Albanie, la Grèce et la Turquie. Je rentre ensuite par les terres en faisant des haltes le long des grands lacs d’Europe, comme le lac de Balatonvilágos en Hongrie ou celui de Podersdorf am See en Autriche. »
En position allongée pour plus de confort, Luc emmène avec lui une tente, un duvet, un réchaud, un peu d’outillage, quelques affaires personnelles et, son kite surf, sa nouvelle passion. L’ensemble pèse autour des 25 kg. Déjà un peu trop lourd… Il faut réduire au maximum le poids de son « trois-roues » racheté à Michaël Joguet, l’un des concurrents de The Sun Trip, qui, l’an dernier a relié Lyon à Canton (Chine) avec ce même engin.
« C’est une expérience qui a transformé ma vie« , raconte Luc Giros. « Je me suis découvert dans ce projet. En tant qu’amateur, la préparation a été dure. J’ai dû aller au delà de ce que je pensais faire de ma vie. »
S’il concède être déçu de son classement, sa traversée de l’Atlantique en solitaire demeure un « aboutissement ».
3️⃣4️⃣ème Série : @lucgiros
Arrivé dimanche 19 novembre à 11heures, 18minutes, 55secondes.
L’expérience, un « challenge », lui a appris à « aller au-delà de ses limites » et lui a permis « d’apprendre à (se) connaître ».
« Tout seul sur l’eau, vous avez le temps de penser », confie-t-il dans un sourire.
Mais, « après la mini-transat, ça a été difficile pour moi de revenir au travail. Je me suis mis au Kite Surf. J’ai tout de suite accroché à ce sport et j’ai imaginé voyager, pour faire du kite. J’imaginais un long voyage mais comment ? Je suis arrivé à la solution du vélo. »
Exstrophie vésicale
L’idée lui tenait aussi à cœur de parler de l’exstrophie vésicale dont il est atteint depuis la naissance. Cette maladie orpheline est « une malformation génito-urinaire congénitale« , selon le site médical orpha.net.
Luc raconte avoir subi plusieurs interventions chirurgicales pendant son enfance et son adolescence pour reconstruire sa vessie et son système urinaire.
« Il y a eu des moments compliqués. J’ai eu des opérations de la naissance jusqu’à l’âge de 16 ans où j’ai été continent », confie-t-il. « Il faut apprendre à vivre avec. »
Son prochain périple doit lui permettre d’aller à la rencontre d’autres personnes en Europe touchées par l’exstrophie vésicale.
« J’ai contacté des associations dans d’autres pays. Des gens se sont déjà proposés de me rencontrer, de m’accueillir chez eux lors de mon passage. »
Luc est en train de boucler son budget.
Il prévoit de partir le 5 mai prochain de La Rochelle pour un périple prévu pour durer quatre mois.
Ours d’Or à Berlin pour son nouveau film « Synonymes », en salles le 27 mars, l’Israélien Nadav Lapid répondra aux questions du public poitevin du TAP Castille, le 1er avril, à l’issue de la projection de 20h30. Le cinéaste a gardé des liens forts avec le Poitiers Film Festival où il a été découvert en France, avec deux courts-métrages d´école. « Synonymes » a été tourné à Paris, ville où il a vécu. Comme son personnage principal, lui aussi a voulu rompre avec son pays en le fuyant.
Nadav Lapid reçoit l’Ours d’Or à la Berlinale le 17 février 2019 pour son film « Synonymes ». (Photo : Xinhua News Agency/Newscom/MaxPPP)
J’ai découvert le cinéma de Nadav Lapid en 2005, à Poitiers, à l’occasion des Rencontres internationales Henri Langlois, depuis devenues le Poitiers Film Festival. Le cinéaste israélien présentait alors un court-métrage intitulé « Road » (lien youtube VO), film d’étudiant réalisé à la Sam Spiegel and Television Film School à Jérusalem.
Choc visuel et émotionnel
Ce jour-là, le choc visuel et émotionnel me fit immédiatement retenir le nom de ce jeune homme de 28 ans, alors inconnu.
Je me souviens surtout d’un garçon très curieux d’esprit, intéressé par tout ce que proposait le festival (…), quelqu’un qui savait très clairement ce qu’il voulait et qui savait l’imposer (C. Massé-Jamain, Poitiers Film Festival)
Qu´il prenne le temps d´échanger lundi 1er avril avec le public qui l´a découvert il y a presque 15 ans témoigne de son attachement avec Poitiers et des liens noués au fil des années avec le festival du film.
Bande annonce :
Premième sélection à Poitiers
Son premier court-métrage sélectionné à Poitiers, « Road », racontait l’histoire d’ouvriers palestiniens excédés par l’attitude de leur patron israélien. Ils le kidnappaient, faisaient son procès et, à travers lui, celui du sionisme. Le film donnait à voir le conflit israélo-palestinien sous un angle particulièrement transgressif. La toute fin, saisissante et apocalyptique, a laissé une profonde impression en moi.
Poitiers découvre alors un jeune cinéaste audacieux. Dans les couloirs du festival, quand on le croise, on tente quelques mots en anglais mais lui s’exprime déjà dans un français courant.
Nadav Lapid se souvient surtout de « la qualité des films sélectionnés ». « J’étais très étonné », m’a-t-il confié par téléphone depuis Israël à la mi-mars.
« C’était l’une des premières fois que son film était présenté en festival à l’étranger », se souvient Christine Massé-Jamain, chargée d’accueil des professionnels et de programmation au Poitiers Film Festival.
« De cette époque, je me souviens surtout d’un garçon très curieux d’esprit, intéressé par tout ce que proposait le festival », poursuit-elle. « J’ai rencontré à l’époque un jeune cinéaste très libre d’esprit, quelqu’un aussi qui savait très clairement ce qu’il voulait et qui savait l’imposer ».
Comme beaucoup d’étudiants cinéastes en compétiton à Poitiers, il garde de cette époque des liens d’amitié très forts.
« J’ai rencontré un étudiant allemand en cinéma qui est resté un très bon ami, quelqu’un avec qui je suis toujours en contact régulier. C’est un lien important pour moi qui a été créé à Poitiers. »
Le court-métrage « Road », via YouTube:
Deuxième sélection
Deux années plus tard, Nadav Lapid était à nouveau en sélection à Poitiers avec un second court-métrage d’école : « La petite amie d’Emile » (lien VOD). Le jeune cinéaste n’avait alors pas pu faire le déplacement.
« Dans ce film, on découvrait une jeune femme en quête d’elle-même, amoureuse d’un garçon qui brillait par son absence », se souvient Christine Massé-Jamain. « Et, à nouveau, dans ce court-métrage, le spectateur était confronté à un contexte politique, de manière très marquée, à travers l’émergence d’un dispositif policier massif anti-attentat lorsque la jeune femme oublie son sac par inadvertance. »
Nadav Lapid, sur le tournage de son troisième long métrage, « Synonymes » (SBS Distribution)
Premier long métrage primé
La sortie de son premier long métrage, « Le Policier », en 2012, confirme le talent du cinéaste. Il reçoit le Prix Spécial du Jury du festival du film de Locarno, le Prix du Public du festival des 3 Continents et, chez lui, en Israël, le prix du Meilleur Premier Film, Meilleur Scénario, Meilleure photographie au festival du film de Jérusalem
Son film se focalise sur la vie d’un jeune policier, symbole israélien ultra viril. L’homme, dont la femme s’apprête à accoucher, va être confronté à une attaque terroriste menée par un groupe de jeunes juifs israéliens. Une attaque de l’intérieur : le scénario, inimaginable, tend à mettre en lumière l’iniquité de la société israélienne.
Bande annonce du « Policier »:
Sensation à Cannes
En 2013, Nadav Lapid est de retour à Poitiers avec sa productrice, Anne-Dominique Toussaint (Les Films des Tourelles). Il est alors parrain du festival et participe au focus sur les pays méditerranéens.
Son second long métrage, « L’Institutrice », est en préparation. Avec Anne-Dominique Toussaint, il participe à la leçon de cinéma consacrée à la production cinématographique et évoque le travail en cours devant le public poitevin.
Alors, quand on apprend que la Berlinale 2019 lui remet son Ours d’Or pour son nouveau film, forcément, on est heureux pour lui, mais surtout, on a hâte de découvrir ce « Synonymes » qui, chose faite quelques jours plus tard, se révèle tout aussi saisissant que ses deux précédents longs métrages et fait tout autant l´effet d’une déflagration.
— PoitiersFilmFestival (@poitiersfilm) 6 mars 2019
Dans sa dernière oeuvre, Nadav Lapid interroge les questions d’identité de manière très frontale. Déjà encensé par la critique, « Synonymes » fait, ce mois-ci, la Une des Cahiers du Cinéma (Edito) (voir aussi entretien sur France Inter).
Au début du film, le personnage principal, Yoav, la vingtaine (interprété par Tom Mercier), fait la connaissance d’une jeune couple de Français (Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte). Il vient d’arriver en France et a débarqué de nuit dans un appartement inconnu dont on lui a mis une clef de côté pour sa première nuit parisienne. Très vite, ses vêtements lui sont tous dérobés; il se retrouve nu, totalement mis à nu, tel un nouveau-né. Il court, nu, à la recherche du voleur, en vain, et se réfugie dans la baignoire où il se réchauffe sous un jet d’eau chaude. Insuffisant.
« Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Tom Mercier et Louise Chevillotte dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Quentin Dolmaire et Tom Mercier dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Quentin Dolmaire et Tom Mercier dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Nadav Lapid, sur le tournage de « Synonymes » (SBS Distribution)
Tom Mercier (Yoav) dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Nadav Lapid raconte que son personnage « est prêt à ça », à se retrouver à nu. « Il veut mourrir en tant qu’Israélien et renaître en tant que Français », explique-t-il.
Yoav rejette son identité israélienne et va jusqu’à refuser de prononcer le moindre mot d’hébreu.
C’est comme ça que ça s’est passé pour moi. D’une certaine manière, le film est la réécriture cinématographique des évènements que j’ai vécus (Nadav Lapid)
Une oeuvre très autobiographique
Cette position radicale a aussi, dans la vie, été celle du cinéaste. Nadav Lapid a lui-même, à un moment donné, rejeté son pays qu’il a fui pour vivre à Paris au début des années 2000.
La position du personnage « est radicale, oui, mais d’une manière aussi, c’est très simple: c’est juste comme ça que ça s’est passé pour moi, dans ma vie. D’une certaine manière, le film est la réécriture cinématographique des évènements que j’ai vécus. »
Recueilli par un jeune couple de Français qui l’enveloppe d’une couverture sur leur lit, Yoav va ainsi « renaître, comme un bébé dans ce lit » et se retrouver vêtu d’un magnifique manteau orange qui lui est offert par le couple et le démarque de tout et tout le monde. Pour le réalisateur, son personnage est « quelqu’un qui se détache et s’arrache de tout ». Et, en premier lieu, donc, de son identité.
Pour Nadav Lapid, Yoav se « rend compte qu’il y a des liens forts qui l’enchaînent et lorsqu’il veut les rompre, bien sûr, ce n’est pas évident, il ne suffit pas de prendre un avion pour Charles-de-Gaulle; il prend conscience par exemple que chaque mot d’hébreu contient un bout de cette identité dont il ne veut plus. Il va donc rejeter ça entièrement. »
Le film décrit aussi un personnage qui déambule à vive allure dans les rues de Paris.
Il regarde ses pieds, puis le ciel, embrasse la ville de sa singulière présence physique, massive et sensible. Il capte les sons, les odeurs et semble refuser de regarder droit devant lui. Yoav a le nez rivé sur le dictionnaire qu’il a acheté à son arrivée. Il apprend le Français en mémorisant à voix haute, les mots et leurs synonymes qui, dans Paris, résonnent comme une litanie à la fois tonitruante et poétique, évoquant autant la rafale de mitraillette que la rime. Rarement au cinéma la beauté d’une langue aura été ainsi révélée, éclatante, aux oreilles du spectateur, et de manière aussi troublante. La liste de synonymes fait l’effet d’un tourbillon de mots desquels émerge une profusion inattendue de sens, comme si le cinéaste donnait ainsi à entendre sa propre quête (de sens) et révélait cette plaie ouverte dans laquelle il trempe sa plume.
Ce n’est pas un film de gauche, ce n’est pas un film qui prône telle ou telle position ou politique. Mais Israël rend le personnage fou, oui. (…) Pour lui, être Israélien, c’est être soldat. (Nadav Lapid)
Alors que Yoav s’immerge dans la langue et la culture françaises, à l’écran, le spectateur suit un personnage en plein combat avec lui-même. S’agit-il pour le personnage de rompre avec son pays et sa politique ?
Pour Nadav Lapid, « ce n’est pas une question politique dans le sens étroit du terme, il n’est pas par exemple question d’une critique d’une politique israélienne, aux check-points ou dans les Territoires, ce n’est pas dans ce sens-là, ce n’est pas un film de gauche, ce n’est pas un film qui prône telle ou telle position ou politique. Mais Israël le rend fou, oui. Dans le film, on le voit. L’existence israélienne est représentée par des hommes musclés virils prêts à lutter pour leur pays et qui ne se posent pas trop de questions, qui sont toujours enthousiastes et prêts à l’action. On peut dire que c’est ce qui le rend fou, ce côté qui est lié à l’armée, cette chose agressive et violente. Pour lui, être Israélien, c’est être soldat. »
Tom Mercier, dans le rôle de Yoav, dans « Synonymes » réalisé par Nadav Lapid (SBS Distribution)
Yoav apparait tel ce combattant dont parle le réalisateur. Lorsqu’il s’engage, c’est à bras le corps. Rien n’est jamais fait dans la demi-mesure.
Il est confronté à une « déchirure entre être Israélien et être Français », raconte Nadav Lapid. « Il y a, à la base, cette dichotonomie israélien/français, violent et calme, radical et cultivé, militaire et bohémien. Cette déchirure existe à l’intérieur du corps de ce jeune homme. Il essaie de se débarasser de cette dichotomie, il essaie de faire triompher l’autre, le Français. Ses mots deviennent français mais son corps reste israélien, la trace du passé ineffacable est israélienne. »
Yoav mène un combat imminemment personnel, contre sa propre nature. Mais au moment où la France semble l’avoir intégré, son corps fait à nouveau l’expérience du rejet.
« Ce qu’il découvre, c’est qu’aucun pays n’est à la hauteur », poursuit Nadav Lapid, « à la hauteur de ce qu’on aurait aimé et peut-être découvre-t-il qu’il sera toujours une sorte de SDF du monde, que jamais il ne trouvera une identité qui lui conviendra entièrement et que, toujours, il se heurtera à des portes fermées. Son combat est de parvenir à changer son identité pour ne plus être prisonnier de lui-même. »
Dans son manteau orange, Yoav apparaît telle une figure héroïque, à part, capable de tout, mais qui a aussi ce pouvoir sur les autres, notamment ses amis français : celui de se raconter par le biais des histoires qu’il partage avec eux.
Encore une fois, ce troisième film de Nadav Lapid ne laisse pas indifférent. Sa force réside dans son inventivité narrative et dans une constante recherche formelle qui colle à l’évolution du personnage. « Synonymes » détonne par son propos et envoûte par sa capacité à réinventer ce qui fait cinéma aujourd’hui. Si son réalisateur est Israélien, le film lui est à 100% de production française. On se souviendra ainsi qu’en 2019, un réalisateur israélien a chamboulé le cinéma français.