15 Déc

Musique : « J’ai participé au financement en ligne du disque de Barbara Carlotti »

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

La tournée de la chanteuse Barbara Carlotti passe par La Sirène à La Rochelle, samedi 15 décembre. En amont de ce concert très attendu, nous avons échangé avec celle, dont le dernier album, « Magnétique », salué par la critique, a été financé grâce au crowdfunding.

 

C’était le 6 mai 2017, en participant à hauteur de 35 euros au financement en ligne du disque « Magnétique » de Barbara Carlotti, je devenais officiellement Kissbanker du projet. En gros, j’achetais, en avance, l’album (en format vinyle et numérique) d’une chanteuse dont j’écoutais la musique depuis pas mal d’années maintenant. Avec quelques bonus en prime. L’album s’inspire des rêves mais sa conception, elle, s’est confrontée à la réalité des mutations de l’industrie du disque. Rencontre.

Qu’est ce qui vous a conduit à avoir recourt au financement participatif ?

Barbara Carlotti : J’étais publiée dans une maison de disques qui s’appelait Atmosphérique à l’époque. Cette maison de disques a fermé. Elle a fait un dépôt de bilan. Je me suis retrouvé en carafe parce que mon disque précédent « L’Amour, l’Argent », s’était plutôt bien vendu. On en avait vendu 20.000 exemplaires. Ils étaient en difficulté. J’avais des signes de ça, mais je pensais faire mon album. Et j’avais fait l’émission de radio Cosmic Fantasie sur France Inter pendant un an à la fin de ma précédente tournée qui avait un peu retardé le maquetage des nouvelles chansons. Ma maison de disques, au terme de cette année, n’avait plus les fonds pour produire des disques et ils ont arrêté. Je me suis donc retrouvée sans maison de disques. Parallèlement à ça, ma manageuse est partie travailler dans une autre maison de disques qui s’appelle Tôt ou Tard et elle ne pouvait plus s’occuper de moi à ce moment là. Je me suis retrouvée un peu toute seule; j’ai mis un peu de temps à réaliser, parce que ça faisait quand même 15 ans que je faisais des disques. J’étais très entourée, j’avais des équipes autour de moi pour s’occuper des choses. Quand je me retrouvée seule, ça m’a un peu terrorisé, je ne savais pas comment m’y prendre. Je n’avais pas eu l’habitude de m’occuper directement des choses.

Est-ce que ça veut dire qu’il vous a fallu prendre les choses en main ?

Je me suis retrouvée sans aucun partenaire, j’ai mis un peu de temps à me demander ce que je pouvais faire. Ma priorité était de faire ce disque que j’avais commencé à maquetter. J’avais écrit toutes les chansons. Elles n’étaient pas complètement terminées, elles étaient à l’état de maquette. Je continuais à travailler dessus avec Benoit de Villeneuve qui a co-réalisé le disque avec moi, mais je n’avais personne pour me dire quelle serait la stratégie. A un moment donné, je me suis dit il y a cette chose du financement participatif. Comme j’avais plutôt bien vendu mon disque précédent, je me suis dit que ça pouvait être la solution, en tout cas pour lancer les choses. J’étais allée voir des maisons de disques pendant dix mois mais je n’avais pas trouvé de partenaire. On se rend compte quand on démarche que les maisons de disques ont des logiques assez particulières. Elles ont un certain nombre d’artistes et les maisons de disques auxquelles je m’adressais avaient déjà des artistes un peu similaires à moi, comme par exemple Bertrand Belin ou des gens comme lui qui sont des amis. Ils n’avaient pas spécialement de places pour des artistes similaires. Il fallait trouver une maison de disques qui ait besoin d’un artiste comme moi, au stade où j’en étais, avec une notoriété suffisante mais qui en même temps ne faisait pas d’énormes ventes. Et là, je suis rentrée dans le détail de la production, de ce que ça veut dire. Pour moi, ça s’est révélé très intéressant parce que, jusqu’à présent, je ne m’étais jamais posée ce genre de questions assez concrètes. La façon dont la musique est gérée depuis quelques années, les artistes sont de plus en plus indépendants. Avec les moyens de production dont on dispose, on peut faire des disques tout seul et les maisons de disques signent de plus en plus d’artistes extrêmement indépendants. Moi, j’avais toujours été dans une logique où j’avais un éditeur, que j’ai perdu entre temps! Donc, ma seule solution a été de me dire qu’il fallait faire confiance à mon public, et me faire confiance aussi, ce qui n’est pas une évidence quand on a été très entourée. Alors, je suis retournée voir Benoit de Villeneuve et on a terminé mes maquettes. Le 1er janvier 2016, je me suis réveillée et je me suis dit : tu as explorée tous les contacts de maisons de disques possibles, ça ne fonctionne pas, là, ce disque, j’avais une grande nécessité de le faire, il fallait que j’avance sinon j’allais me sentir mal avec ça. Il me fallait un objectif de sortie.

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

Qu’avez-vous fait alors ? Vous avez créé votre propre structure ?

Alors, j’ai un peu fait les choses dans le désordre, mais c’était pas mal. J’ai lancé le financement participatif sans savoir exactement où j’allais et j’ai rappelé mon ancienne éditrice qui, elle, avait été virée de mon ancienne maison de disques. On en rigole maintenant! On se rend compte que nous artistes, les gens avec qui on travaille dans cette industrie sont tout aussi précaires que nous. Je pouvais trouver des partenaires de travail qui sont dans le même cas que moi. Je savais que je pouvais l’appeler. Je lui ai dit : j’ai finalement décidé de faire le financement participatif. Il faut que j’enregistre dans les mois qui arrivent sinon je crois que je vais mourrir à petit feu avec ce projet et elle m’a dit ok, on y va. J’ai fait le financement participatif avec elle, parce qu’elle pouvait m’épauler et je n’étais pas toute seule. C’est un énorme boulot ! (…) Et je me suis dit, mes maquettes sont prêtes, je peux passer en studio. J’ai rappelé Bertrand Burgalat qui est un ami de longue date et un partenaire de longue date. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas me produire sur Tricatel parce que ce n’était pas sa ligne éditoriale. Il fait plutôt des projets comme Catastrophe ou Chassol. Il m’a dit « un disque de pop chez moi, ça n’a pas de sens aujourd’hui », mais je veux bien t’aider. Je lui ai fait écouter mes maquettes, il a été très enthousiaste et il m’a dit tu devrais travailler avec l’As Dragon, ça pourrait être génial pour toi. Fort de tous ses conseils, j’ai lancé le financement avec le projet tel que je voulais le faire. Maintenant que j’étais totalement indépendante, je pouvais travailler avec les musiciens que je voulais, sans restriction. Je voulais travailler avec la section rythmique de l’As Dragon, avec Benoit de Villeneuve à la production, Olivier Marguerit sur telle chanson, avec Thomas de Pourquery sur telle autre. J’ai rêvé un album idéal. Et là, je suis allée voir KissKissBankBank. Ils m’ont dit qu’il fallait nourrir le projet de vidéos, de choses autour. Je ne voulais pas proposer uniquement l’album mais je voulais qu’il soit au centre d’une sorte de constellation de choses que je propose. Comme l’album était autour des rêves, j’ai proposé des « goodies » autour de ça. Une affiche avec Christophe Blain qui reprend des images à la Klimt qui peut aussi raconter ce qu’est le rêve. Les longs cheveux ondulants autour de moi, c’est un peu ça.

La pochette de l’album « Magnétique » de Barbara Charlotte

Et y’avait des coussins aussi, car l’idée était de rêver et de dormir, c’était assez drôle. Avec Gaëlle Donelian, qui est devenue ma manageuse, on a imaginé des auto-collants, plein de choses pour offrir plus que l’album, des dreams machines, pour montrer aux gens comment je crée un disque.

En vous écoutant, j’ai le sentiment que ça vous a finalement donné beaucoup plus de liberté dans le processus créatif.

Absolument. Le fait de prendre tout en charge, on se demande avec qui et comment on va le faire, ça nous aide à préciser, mais aussi à prendre des libertés sur la façon dont on veut faire les choses. Parce que, si on travaille avec une maison de disques qui est dans un cadre de production, et c’est bien normal, plus traditionnel, eux, nous arrête sur le budget que ça va coûter. Là, je me suis dit, je me lance et je trouverai les solutions financières pour le faire. C’est plus simple de trouver des solutions peu chères quand on est seuls, que quand on est dans un cadre de maison de disques.

Vous vous donniez pour objectif de récolter 19.000 euros et vous en avez récolté 26.000. C’est ça le budget final du disque ?

Le disque a coûté beaucoup plus cher mais je savais qu’à partir de 20.000 euros, je pouvais m’en sortir avec d’autres aides. J’ai monté une structure pour pouvoir payer les musiciens avec (La Maison des rêves) et gérer l’argent du crowdfunding. On a trouvé une co-production avec une structure qui m’a aidé à trouver des subventions pour compléter le budget du crowdfunding. Ils s’appellent Alice au pays des Merveilles, ce qui est just génial (rires). Tout était autour du rêve, c’était un signe! On a trouvé des subventions avec l’Adami par exemple… Le disque a vraiment coûté 50.000 euros. On a eu des vidéos pour nourrir les visuels autour du crowdfunding, des belles vidéos qui représentent l’univers de l’album. Je ne me voyais pas me mettre derrière la caméra de mon ordinateur et parler aux gens. Je voulais que tout le projet soit inspiré de l’univers onirique que j’essaie de développer sur l’album.

Elektra/Warner arrive quand dans cette histoire ?

Lorsque je faisais le tour des maisons de disques, j’avais rencontré Anne Cordier. Elle avait bien aimé les maquettes mais n’avait pas la latitude de sortir l’album et on devait se tenir au courant. Quand j’ai fini complètement l’album, je l’ai revue. Les titres n’étaient pas encore mixés et elle m’a dit « c’est super, j’adore, vous avez fait un super boulot ». Elle a proposé le disque au nouveau patron d’Elektra. Deux mois plus tard, elle me rappelle, il a trouvé ça super, on peut travailler ensemble. Je terminais les mix, ça tombait bien. On est parti sur une licence. C’était mon intérêt comme j’avais tout fait toute seule. (…) Je n’avais pas les reins de tout faire et eux, font la promotion du disque. Je ne pouvais pas partir en indépendance totale, je suis profondément artiste, pas du tout administrative ni gestionnaire, je n’ai pas l’âme d’une productrice. Je sais que des artistes arrivent à faire ça, et je suis très admirative, Keren Ann, par exemple.

Au final, votre disque existe tel que vous le souhaitiez ?

Oui, ça m’a appris à être plus sûre de mes choix. Tout ce que j’ai fait comme choix artistiques, je les ai travaillés de manière très précise en me demandant combien ça coûte, comment je peux faire pour trouver des solutions, ça m’a obligé à les assumer plus. Ca a donc été un très bon enseignant. Mais, c’est une charge de travail monumentale pour laquelle on n’est pas payés. Je suis très heureuse que le disque existe mais c’est compliqué de faire ça pendant un an sans être rémunérée. J’ai fait d’autres choses avec d’autres gens, mais on vit assez chichement!

Est-ce que ce sont les tournées qui font vivre les artistes aujourd’hui ou encore les ventes de disque ?

Quand on a produit son disque, on touche un peu plus d’argent sur les ventes d’album. En tant que producteur, on doit aussi investir. Donc, ce ne sont pas forcément les ventes de disques, en tout cas pour moi ce n’est pas encore le cas. Ce sont surtout les concerts et les droits d’auteur. Quand le disque sort, le fait qu’il passe à la radio, et nous, on a été très soutenus par France Inter, il est passé sur leur antenne, ça, ça génère des droits d’auteur. Et les concerts, à la suite de ça. (…) La tournée se poursuit l’année prochaine. Une vingtaine de dates à partir de janvier, et des dates vont être calées jusqu’à l’été. j’adore les concerts. L’intérêt est de défendre le disque sur scène. C’est comme ça que l’on vend des disques aussi aujourd’hui. Quand un concert est réussi, on en vend un petit paquet à la fin du concert. « Ca continue encore et encore, ce ne que le début… » (rires) Pour l’instant, on est à 6.000 exemplaires vendus de « Magnétique », ce qui est pas mal pour un disque de pop française aujourd’hui. Avant, il y a encore cinq ou six ans, les albums, quand on les sortait, on attendait six mois et on voyait ce qui se passait et maintenant, ça s’est renversé, plus le disque dure sur scène, plus on sait que l’on va en vendre. (…) Maintenant, il faut arriver à trouver des idées en terme de promotion. Par exemple, j’ai fait une reprise avec Juliette Armanet. Mon idée était de faire des reprises de chansons qui parlent de rêve, et avec elle, on a repris « J’ai encore rêvé d’elle » d’Il était une fois. Le duo avec Juliette est génial. Je vais faire une autre reprise avec Philippe Katerine, une autre avec Clara Luciani et continuer avec des artistes que j’aime. Et j’espère qu’au printemps ou l’été, si le disque est re-pressé, on ressortira une édition avec les bonus reprises. Ce sont les idées pour faire vivre l’album.

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin