31 Oct

Eddy L. Harris : « Le Mississippi, c’est mon fleuve, celui avec lequel j’ai grandi à Saint-Louis »

Le romancier américain Eddy L. Harris publie cet automne « Mississippi Solo » (Liana Levi), le récit épique de sa descente du fleuve en canoë, du Minnesota à La Nouvelle Orléans. Depuis la Charente où il réside désormais, il se souvient de ce périple à l’origine de son premier livre publié il y a plus de 30 ans aux Etats-Unis et tout juste traduit en France.

L’auteur américain Eddy L. Harris, le 25 septembre 2020, lors de notre entretien à Angoulême pour la parution de « Mississippi Solo » (Liana Levy).

Il voulait vivre une aventure qui changerait sa vie pour toujours. Au mi-temps des années 80, alors que sa carrière de romancier aux Etats-Unis ne décolle pas, Eddy L. Harris s’imagine en canoë, descendant le fleuve Mississippi. Il n’a pour ainsi dire pas un sou en poche, encore moins de canoë. A que cela ne tienne, il s’en fait prêter un et s’engage dans une descente de plusieurs semaines, des sources du fleuve dans le Minnesota jusqu’à La Nouvelle Orléans où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique.

Dès les premiers kilomètres, l’aventure se révèle éminemment personnelle. Face à la nature et aux éléments, au fleuve imprévisible et d’une puissance inouïe, il se bat pour maintenir son embarcation à flot, hors des bancs de sable, loin des immenses barges qui transportent céréales et charbon. Mais ce qui frappe le plus le lecteur, c’est la découverte par le futur auteur qu’il semble juste en quête de lui-même, de l’écrivain qui pourrait naître de ce périple au cœur du plus grand des mythes américains, le fleuve Mississippi.

Car lorsque le lecteur pense au Mississippi, en littérature, il se remémore immanquablement les écrits de Mark Twain, ces récits de navigation sur le fleuve et les Aventures d’Huckleberry Finn. L’auteur, qui n’en est alors pas encore un, connait ces textes qu’il a lus dans sa jeunesse comme un grand nombre d’Américains, mais ce dont il rêve, c’est d’autre chose, loin d’une forme de folklore littéraire qui lui déplaît, c’est d’une aventure qui lui soit propre. Hors de question de revivre ce que d’autres ont vu ou décrit avant lui. Eddy Harris part à la conquête de lui-même.

C’est quelque chose de très fragile, la démocratie. Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis… (Eddy L. Harris)  

Plus de 30 ans plus tard, son livre est devenu un classique du récit de voyage aux Etats-Unis. L’écrivain s’est depuis établi en France, en Charente, près d’Angoulême. Il a passé le premier confinement, en mars dernier, aux Etats-Unis, où il a été marqué par l’état de son pays après près de 4 années de présidence Trump. Et il s’inquiète désormais : « Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis. C’est quelque chose de très fragile, la démocratie et avec ce président, avec cette manière qu’ont les Républicains de se comporter, je pense qu’on est en danger. Il faut faire quelque chose pour soutenir la démocratie dans le monde occidental. Peut-être est-ce au tour de la France de faire un pas pour défendre la démocratie. »

Sur l’état de son pays et son épopée le long du fleuve Mississippi, l’intégralité de l’entretien que nous a accordé Eddy L. Harris est à retrouver ci-dessous.

Entretien : Clément Massé, Stéphane Bourin avec Alexandre Keirle et Anastasia Nicolas France 3 Poitou-Charentes.

« Mississippi Solo » (Liana Levi), de Eddy L. Harris. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps – 20 euros.

02 Juin

Poitiers : un jeune cinéaste du Burkina Faso lauréat d’une résidence d’écriture à la Villa Bloch

Depuis son inauguration en février dernier, la villa Bloch à Poitiers accueille des artistes en résidence. Début mai, le cinéaste burkinabé Jean-Baptiste Ouedraogo y a séjourné deux semaines où il a travaillé au scénario de son premier long métrage, intitulé « Wakat ». Il a été retenu après ses sélections au Poitiers Film Festival en 2013 et 2018.

Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.

A Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo a trouvé un espace de travail au calme, un peu à l’écart de la ville. A la villa Bloch, il compte parmi les premiers artistes en résidence. Son domaine, c’est le cinéma. Dans l’ancienne demeure de l’écrivain et journaliste Jean-Richard Bloch, il vient de bénéficier d’une résidence de deux semaines pour travailler le scénario de son premier long métrage, l’histoire d’une vieille femme chargée de transmettre les codes d’un rituel ancestral, pour appeler la pluie.

Si les températures très fraîches de ce début mai l’ont un peu surpris à son arrivée du Burkina-Faso, Jean-Baptiste Ouedraogo, 33 ans, a trouvé ici, « un site idéal pour la création artistique ».

« Le cadre est enchanteur », lâche-t-il dans un sourire.

La villa, située dans le quartier de la Mérigotte, offre un écrin de verdure, loin du brouhaha citadin. Du salon, on aperçoit la vallée verdoyante.

Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? (J.-B. Ouedraogo)

Scénario de long-métrage

Le scénario sur lequel il travaille, intitulé « Wakat » (« Le Temps ») sera celui de son premier long-métrage. Il y est question d’une vieille dame et de récits qu’elle veut transmettre à sa petite fille. Victime d’un trou de mémoire, elle ne parvient plus à structurer sa pensée. Récits d’hier, d’aujourd’hui et de demain se confondent.

« C’est la particularité du scénario. On a des histoires qui s’enchevêtrent. Le scénario est assez complexe; ils se déroulent sur trois époques. »

Si le premier jet est terminé, Jean-Baptiste travaille désormais avec deux coaches, proposés par le Poitiers Film Festival.

« J’ai besoin de retours, c’est essentiel pour moi’, raconte-t-il. « C’est la première fois que j’écris un long métrage. Ça me permet de mieux voir les faiblesses du scénario. »

Ce projet est aussi inspiré de ma propre histoire. Ma grand-mère m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. (J.-B. Ouedraogo)

Dans sa fiction, la vieille femme doit donc transmettre tout un pan de la mémoire orale et les codes d’un rituel. Tout se déroule « sur fond de conception africaine du temps ».

« Dans la religion de cette femme, des maîtres du fer, du feu et de la terre, il faut passer par des rituels pour chaque saison », raconte Jean-Baptiste Ouedraogo. « Et pour la saison des pluies, il faut un rituel pour appeler la pluie. Et là, dans l’histoire, le temps passait, le rituel n’était pas fait, les gens commençaient à angoisser et à craindre que la pluie ne vienne pas. La vieille venait de se rendre compte qu’elle perdait la mémoire et qu’elle ne pourrait pas réaliser le rituel… Elle entreprend alors de transmettre à sa petite-fille. »

Des courts-métrages primés

Jusque-là, Jean-Baptiste Ouedraogo s’était fait connaître pour ses courts-métrages, dont certains ont été sélectionnés dans des festivals internationaux.

« Une partie de nous », son film présenté au Poitiers Film Festival en 2013, a aussi été primé au Fespacole grand festival de cinéma du continent africain (prix du meilleur film de fiction des écoles). Le passage au long métrage revêt un enjeu tout particulier, lié à la singularité de son scénario et des récits qui s’enchevêtrent : il lui faut donner vie à ses personnages dans une structure narrative complexe.

Jean-Baptiste Ouedraogo a décroché cette résidence à Poitiers, grâce au Poitiers Film Festival et au Ouaga Film Lab à Ouagadougou (Burkina Faso) où il a été lauréat du Prix Sud Ecriture, soit une bourse d’écriture qui le mènera à Tunis en Tunisie à l’automne prochain.

« L’idée est d’aider Jean-Baptiste à avoir un parcours qui mène son projet de film dans plusieurs laboratoires d’écriture », raconte Elodie Ferrer, déléguée aux programmes professionnels du Poitiers Film Festival et qui avait retenu le projet du cinéaste dans la sélection Jump-In de la dernière édition du festival. Mais, faute de visa, l’artiste avait alors été contraint de rester chez lui.

« On a fait le pari de le faire venir ici pour qu’il travaille et pour que son potentiel soit remarqué. »

Jean-Baptiste est suivi par une tutrice. Et pas n’importe laquelle : Dora Bouchoucha, la grande productrice de cinéma tunisienne (« La Saison des hommes ») qu’il devrait retrouver à Tunis.

Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.

Un prince à Poitiers

De ses deux semaines de travail à Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo ressort avec « le sentiment d’avoir bien avancé ».

« Vous savez, ce projet, je le porte depuis deux ans », confie-t-il assis dans le canapé du salon de la villa Bloch. « Il est aussi inspiré de ma propre histoire. » Cette grand-mère qui perd la mémoire dans le film est un peu la sienne. « Elle m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. Et un jour, elle a fait un AVC et a perdu la mémoire. »

Cette histoire liée aux traditions des peuples du continent noir, il aimerait en voir plus au cinéma.

Lui-même issu d’une société royale du nord de son pays (chez lui on le nomme Pazouknam – prince -) estime qu’ « il nous faut retourner à nos grandes valeurs. (…) On ne peut pas avoir de films que sur des histoires de fric ou de tromperies », lâche-t-il en riant.

« Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? », s’interroge-t-il avec une certaine gravité dans la voix.

Il le constate volontiers, peu de films du continent africain émerge sur la scène internationale.

« Au Sénégal, par exemple, il existe en ce moment une politique pour contribuer au cinéma du pays », explique-t-il. Chez lui, au Burkina Faso, « on a un petit fond qui permet aux cinéastes de faire des films ».

En parallèle à son travail de cinéaste, son cheval de bataille est de contribuer au développement du cinéma dans son pays. Il a, d’ailleurs, tout récemment, été élu à la tête de la Fédération nationale de cinéma et de l’audiovisuel du Burkina Faso.