Les Editeuriales se sont ouvertes mardi soir par une rencontre avec le romancier Tanguy Viel, prix RTL Lire 2017 pour son dernier roman « Article 353 du code pénal » (Minuit). Consacrée cette année aux Editions de Minuit, la manifestation littéraire de la médiathèque de Poitiers recevait également, pour sa soirée inaugurale, l’éditrice Irène Lindon. L’occasion d’échanges sur le travail de l’auteur avec son éditrice.
Très discrète, Irène Lindon. Comme gênée parfois ou intimidée. On sent que l’exercice de la prise de parole en public n’est pas ce qu’elle préfère. Pourtant, lorsqu’elle s’exprime, sa parole résonne, forte et assurée et dévoile même une impression qui se vérifie au fur et à mesure des discussions : l’éditrice des Editions de Minuit n’est pas du genre à garder longtemps sa langue dans la poche. Hier soir, à la soirée d’ouverture des Editeuriales, la manifestation littéraire de la médiathèque de Poitiers, elle a dérogé – un peu – à la règle qu’elle s’impose habituellement, celle de rester en retrait.
« Je trouve qu’un éditeur publie des livres, mais se tait », m’expliquait-elle dernièrement au téléphone pour décliner une demande d’interview. « Il n’y a rien d’intéressant à dire », trouvait-elle, avant d’ajouter qu’un « éditeur est content d’avoir des auteurs, mais c’est à eux de parler. »
Un livre, ça réconforte et ça déconcerte (I. Lindon)
La relation éditeur auteur
La présence de l’éditrice aux côtés de l’un des écrivains qu’elle publie depuis vingt ans, « presque jour pour jour, à une semaine près », rappelait hier soir Tanguy Viel, donne pourtant envie de l’entendre parler de son travail et d’en savoir un peu plus sur sa relation avec ses auteurs. Interrogée par mon confrère Baptiste Liger (Lire, L’Express, Technikart et Têtu) sur ce qu’elle recherche dans un manuscrit – une modernité littéraire? -, Irène Lindon balaie la question qu’elle « ne (se) pose pas » en ces termes et précise : « Je recherche quelque chose qui me réconforte et me déconcerte, c’est ce que j’appellerai la qualité d’écriture. »
La marque d’un écrivain est que son travail est parfait. Au-delà de trois virgules et de deux coquilles, je travaille peu avec l’auteur (I. Lindon)
Elle l’assure, elle « ne travaille pas vraiment avec les auteurs ». Pour une raison toute simple et évidente à ses yeux : « la marque d’un écrivain est que son travail est parfait. Au-delà de trois virgules et de deux coquilles, je travaille peu avec l’auteur. »
Tanguy Viel conforte les paroles de son éditrice d’un tout simple : « Irène a raison. » Irène Lindon intervient peu. Elle n’incarne donc pas cette image (fausse?) d’une éditrice qui aiderait l’écrivain à accoucher d’un roman. Comme pour expliquer le peu de changements apportés à un manuscrit, Tanguy Viel précise qu’ l’ « on écrit toujours un peu pour son éditeur », mais concède: « Elle exagère un peu, il peut y avoir quelques retouches. Mais parfois aussi, on se trompe. S’il y a un problème de dramaturgie, ce n’est pas l’éditeur qui va y changer quelque chose. »
Irène Lindon qui l’écoute attentivement, complète, comme une évidence, de sa voix rocailleuse : « Oui, l’éditeur n’intervient que pour des broutilles. »
Démystifier la place de l’éditeur
La rencontre de mardi soir a pris un tour passionnant dans ces brefs échanges où Irène Lindon a donné l’impression de vouloir minimiser l’importance de son travail. Ou de démystifier la place de l’éditeur. Sur son quotidien aux Editions de Minuit, elle confie le plus simplement du monde qu’ « elle ouvre le courrier, lit les manuscrits, gère le courrier administratif, s’occupe de la cession des droits à l’étranger… Nous sommes huit. Chacun est polyvalent. »
Ou encore, sur le choix du titre d’un roman : « ‘Article 353 du code pénal’, lorsque je l’ai déposé sur le bureau d’Irène, j’étais persuadé que ça ne passerait pas », se souvient Tanguy Viel, avec malice. « Allez, on a travaillé, une minute, une minute trente sur le titre! », concède l’auteur. Irène Lindon rebondit : « Oh oui, parce que ‘article 353 du code de procédure pénale’, c’était bien trop laid! »
Tanguy Viel poursuit : « La deuxième chose sur laquelle nous travaillons avec notre éditrice, c’est la quatrième de couverture ». Regardant son livre, il lit cette fameuse quatrième de couverture : « Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l’ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d’investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu’il soit construit. » Puis, il s’exclame dans un sourire : « Voilà, ça c’est de l’argument! C’est un petit travail… Quand même, il y a des choses que l’on fait avec un éditeur. »
Le travail de composition de Tanguy Viel
« Article 353 du code pénal » est le dernier roman paru de Tanguy Viel. Sorti l’an dernier, il a depuis reçu le prix RTL Lire 2017 qui lui a valu un succès public. De ce roman, la critique a aimé souligner une certaine proximité avec le « polar ». Mais l’auteur joue surtout sur les codes.
A VOIR >> Reportage chez l’auteur, lors de la sortie d’ « Article 353 du code pénal »
Très vite, les échanges se concentrent sur l’écriture de l’auteur. Baptiste Liger l’interroge sur la singularité de son style, le rythme de ses phrases. Tanguy Viel confie que finalement, la phrase, « c’est ce qui se travaille le moins ». Il complète : « Ça fonctionne par blocs. La phrase a à voir avec un souffle, une image intérieure. Je ne dis pas qu’elle va être parfaite, il y aura peut-être des modifications, mais moi, j’ai plus l’impression de travailler sur la composition. Le phrasé, c’est presque une unité primaire qui n’est pas là tous les jours. Il arrive d’ailleurs que l’on doive jeter des blocs entiers, car ce sont de fausses notes…! »
Tanguy Viel a publié ses sept romans aux Editions de Minuit. Le premier de ses manuscrits n’a pourtant pas été retenu pour publication.
« Un jour, j’ai fait lire un manuscrit à François Bon qui l’a discrètement posé sur le bureau d’Irène, se souvient Tanguy Viel. J’ai eu un rendez-vous. C’était un rendez-vous d’encouragements. Le texte était fragile dans sa forme, difficile d’accès. Le conseil qui m’a été donné était le suivant : ‘essayez de faire un roman’. Avec un début, un milieu et une fin. J’avais 22 ans. Je suis sorti de ce rendez-vous, ça aurait pu me bloquer, mais ça m’a donné l’envie d’essayer d’écrire ce roman. Et ça a été ‘Le Black Note’. »
Pour lui, les Editions de Minuit, c’était les romans d’Eugène Savitzkaya ou les textes de Bernard-Marie Koltès. « J’ai découvert les Editions de Minuit vers 18 ans, assez tard finalement. Il s’est passé quelque chose qui ne s’était pas passé avant dans mon expérience de lecteur, quelque chose dans la densité de langage que je n’avais pas trouvé avant. » Et dont il est aujourd’hui l’un des héritiers.
Au bout d’une heure et demi d’échanges, dont certains avec le public, l’auteur s’est livré à une séance de dédicaces.
La manifestation se poursuit jusqu’au 15 mars avec des rencontres avec Yves Ravey, Julia Deck, Anne Godard, Eric Laurrent, Vincent Almendros ou encore un hommage à Christian Gailly.