Le romancier américain Eddy L. Harris publie cet automne « Mississippi Solo » (Liana Levi), le récit épique de sa descente du fleuve en canoë, du Minnesota à La Nouvelle Orléans. Depuis la Charente où il réside désormais, il se souvient de ce périple à l’origine de son premier livre publié il y a plus de 30 ans aux Etats-Unis et tout juste traduit en France.
L’auteur américain Eddy L. Harris, le 25 septembre 2020, lors de notre entretien à Angoulême pour la parution de « Mississippi Solo » (Liana Levy).
Il voulait vivre une aventure qui changerait sa vie pour toujours. Au mi-temps des années 80, alors que sa carrière de romancier aux Etats-Unis ne décolle pas, Eddy L. Harris s’imagine en canoë, descendant le fleuve Mississippi. Il n’a pour ainsi dire pas un sou en poche, encore moins de canoë. A que cela ne tienne, il s’en fait prêter un et s’engage dans une descente de plusieurs semaines, des sources du fleuve dans le Minnesota jusqu’à La Nouvelle Orléans où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique.
Dès les premiers kilomètres, l’aventure se révèle éminemment personnelle. Face à la nature et aux éléments, au fleuve imprévisible et d’une puissance inouïe, il se bat pour maintenir son embarcation à flot, hors des bancs de sable, loin des immenses barges qui transportent céréales et charbon. Mais ce qui frappe le plus le lecteur, c’est la découverte par le futur auteur qu’il semble juste en quête de lui-même, de l’écrivain qui pourrait naître de ce périple au cœur du plus grand des mythes américains, le fleuve Mississippi.
Car lorsque le lecteur pense au Mississippi, en littérature, il se remémore immanquablement les écrits de Mark Twain, ces récits de navigation sur le fleuve et les Aventures d’Huckleberry Finn. L’auteur, qui n’en est alors pas encore un, connait ces textes qu’il a lus dans sa jeunesse comme un grand nombre d’Américains, mais ce dont il rêve, c’est d’autre chose, loin d’une forme de folklore littéraire qui lui déplaît, c’est d’une aventure qui lui soit propre. Hors de question de revivre ce que d’autres ont vu ou décrit avant lui. Eddy Harris part à la conquête de lui-même.
C’est quelque chose de très fragile, la démocratie. Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis… (Eddy L. Harris)
Plus de 30 ans plus tard, son livre est devenu un classique du récit de voyage aux Etats-Unis. L’écrivain s’est depuis établi en France, en Charente, près d’Angoulême. Il a passé le premier confinement, en mars dernier, aux Etats-Unis, où il a été marqué par l’état de son pays après près de 4 années de présidence Trump. Et il s’inquiète désormais : « Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis. C’est quelque chose de très fragile, la démocratie et avec ce président, avec cette manière qu’ont les Républicains de se comporter, je pense qu’on est en danger. Il faut faire quelque chose pour soutenir la démocratie dans le monde occidental. Peut-être est-ce au tour de la France de faire un pas pour défendre la démocratie. »
Sur l’état de son pays et son épopée le long du fleuve Mississippi, l’intégralité de l’entretien que nous a accordé Eddy L. Harris est à retrouver ci-dessous.
Entretien : Clément Massé, Stéphane Bourin avec Alexandre Keirle et Anastasia Nicolas France 3 Poitou-Charentes.
« Mississippi Solo » (Liana Levi), de Eddy L. Harris. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps – 20 euros.
Le Rochelais Julien Dufresne-Lamy livre dans son nouveau roman, « Mon père, ma mère, mes tremblements de terre » (Belfond), le récit d’une métamorphose intime et familiale. Il est l’invité du journal de France 3 Poitou-Charentes, samedi 12 septembre à 19h.
Le nouveau roman de Julien Dufresne-Lamy, en librairie le 20 août 2020.
Julien Dufresne-Lamy aime les références aux œuvres de la culture populaire. Dans son précédent roman, l’auteur originaire de La Rochelle, s’appropriait la culture drag new-yorkaise, le voguing, et ses personnages iconiques tels que Ru Paul et son show télévisé. Son nouveau livre, « Mon père, ma mère, mes tremblements de terre » (Belfond), à paraître le 20 août, se nourrit toujours autant de références à la culture pop. « Zombies », la chanson des Cranberries, se fait l’écho de personnages vivant à l’ombre d’eux-mêmes, dans la peur d’une guerre intérieure, tel le père du narrateur, et l’allusion à la formidable série télévisée américaine « Transparent » qui ouvre le roman l’inscrit dans un récit contemporain. Dans la série, un père de famille, universitaire sur le point de prendre sa retraite, annonce à ses enfants sa transsexualité : « Je veux être heureuse. Être heureuse encore deux petites heures » annonce l’épigraphe… « deux petites heures », avant les premières secousses sismiques prêtes à frapper la cellule familiale.
Dans cette nouvelle fiction, le Rochelais s’intéresse lui aussi à la transition d’un père de famille. Comme dans la série, il choisit un procédé où chaque personnage est amené à révéler ses séismes intimes. Si la cellule familiale est tout aussi dysfonctionnelle (et néanmoins aimante) que dans la série, l’auteur retient un autre point de vue, celui du fils, Charlie. Le jour de la vaginoplastie de son père, l’adolescent attend dans la salle d’attente avec sa mère et voit défiler ses souvenirs des deux années passées. Le lecteur se retrouve plonger avec lui dans son journal de bord tenu de l’annonce du père qu’il est en réalité femme – la déflagration, le premier tremblement de terre -, au jour de son opération de réassignation sexuelle, – sa naissance, en tant qu’Alice -.
La vaginoplastie n’est ni une mutilation ni un accident. C’est un voyage dans l’espace – Charlie, le narrateur du roman
Une métamorphose
Le roman adopte le ton oral et vif de l’adolescent et dit en toute simplicité ses bouleversements. D’une parole nombriliste, elle se mue progressivement en une parole plus mature. L’expérience de l’altérité bouleverse alors l’ordre de ce roman bouillonnant et donne toute sa force au récit de Charlie. « Ma mère était aussi secrète, aussi dissimulatrice que mon père », lance-t-il en guise de sentence à mi-chemin du roman. « Elle et lui, finalement, c’était un même combat. Un même magma. » L’adolescent prenant conscience du cheminement de chacun de ses parents, de leur individualité, de leur indéfectible amour et de leur place respective dans sa vie, rallie le camp de son père et se retrouve à veiller sur sa mère, soudainement secouée par ses propres séismes.
Comme le lecteur, le jeune narrateur commence à entrevoir ce qui se joue réellement sous ses yeux : « la vaginoplastie n’est ni une mutilation ni un accident. C’est un voyage dans l’espace », lance le jeune Charlie avec toute la candeur de son adolescence.
Si le sujet de la réassignation sexuelle a fait l’objet de nombreux articles de presse ou de témoignages dans des émissions de télévision, le récit romanesque de Julien Dufresne-Lamy lève un voile sur une métamorphose qui se révèle un pan souvent invisible de l’expérience humaine contemporaine, intime et audacieuse.
L’auteur est l’invité du journal régional Poitou-Charentes de France 3, samedi 12 septembre à 19h.
Rencontres en 2019 avec l’auteur (Blog) et dans le journal régional de France 3 Poitou-Charentes, à l’occasion de la parution de son précédents romans « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Grand Prix des blogueurs 2019:
Avec « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Julien Dufresne-Lamy plonge au cœur de la culture underground new-yorkaise des drag-queens. Sous sa plume, les reines des bals emmènent le lecteur à la découverte des cabarets et d’une culture oubliée, à l’orée des années 80. Un récit fascinant et enlevé qu’il évoquera samedi 23 novembre sur France 3, dans l’édition Poitou-Charentes à 19h, et dans une rencontre au cinéma Le Dietrich de Poitiers à 21h.
Julien Dufresne-Lamy, photographié par Melania Avanzato.
A Los Angeles, un jeune père de famille, ancien gangster, quitte femme et enfant pour vivre sa fascination pour les drag-queens. Direction New York, où il rencontre James Gilmore, un vieil Afro-Américain, icône oubliée de la scène drag du début des années sida. Le second va prendre le premier sous son aile et l’initier aux codes d’un monde de transgression.
Dans une narration foisonnante, alternent le récit introspectif des deux personnages principaux et, en toile de fond, les voix de celles qui ont écrit la légende des reines de la nuit underground new-yorkaise. Sous la plume de l’auteur, le lecteur assiste à la naissance de la mode du voguing et plonge au cœur de la scène ballroom.
Dans la foule des fêtards, se côtoient anonymes et célébrités : Keith Haring, David Bowie ou Madonna qui, avant de placer un coup de projecteur sur le voguing avec son hit « Vogue », fut, elle aussi, témoin de l’effervescence de cette scène.
« Jolis, jolis monstres », le quatrième roman de Julien Dufresne-Lamy, séduit par sa capacité à faire revivre une époque révolue et une scène artiste aussi bouillonnante qu’à la marge.
De quelle manière avez-vous découvert l’univers drag et du voguing à New York ? Comment est-ce entré dans votre vie ?
Comme beaucoup de gens, je crois que c’est en regardant l’émission de DruPaul, Drag Race. Je la regarde depuis plusieurs années, sur Internet et sur Netflix. J’ai toujours bien aimé aller voir les drag-queens à Londres ou New York. En allant voir ces spectacles underground, j’avais l’impression de côtoyer enfin une culture qui n’était pas la mienne, d’être vraiment dans l’idée d’un voyage. J’aimais vraiment ça, voir l’alternatif, le clandestin, la marge… Et puis, le livre, je l’ai finalement laissé dormir pendant plusieurs années et ce n’est qu’il y a deux ans que je me suis dit que cette histoire regroupait toutes mes obsessions d’écriture, et je me suis dit : il faut que je le fasse et c’est comme ça que je me suis lancé.
Vous parliez de l’idée de voyage. Racontez-nous en un peu plus…
J’ai l’impression que quand on voit un homme devenir femme ou autre chose sur scène, j’ai l’impression que c’est un voyage, oui. C’est une autre forme de beauté, c’est une autre forme de l’autre, de l’altérité, de curiosité, d’exotisme, donc oui, ça représente un voyage.
Est-ce juste votre expérience personnelle qui nourrit le roman ou bien avez-vous accumulé une certaine dose de documentation pour faire revivre cette époque ?
C’est une fiction pure dans le sens où les deux narrateurs sont complètement invités, ceux qui prennent la parole. En revanche, toutes les galeries secondaires ont réellement existé. Toutes les histoires secondaires dont je parle dans le livre, sont vraies. Ce n’était pas un parti pris de départ. C’est vraiment lorsque je me suis plongé dans la culture drag et la culture voguing, et au fil des recherches, je rencontrais des histoires tellement rocambolesques et je me disais qu’il serait dommage de ne pas les retranscrire fidèlement. Au fur et à mesure des pages et des mois d’écriture, le livre devenait un peu politique et devenait un vrai hommage à la pré-histoire des drag-queens. Et quel plus bel hommage que de retranscrire fidèlement leurs histoires ? Finalement, c’est ainsi que toutes les galeries secondaires se sont imposées ainsi que le livret de photos à la fin du livre.
Ce livret, effectivement, assoie une histoire qui s’est déroulée…
C’est la première fois en littérature française qu’un livre se consacre à la culture drag. C’est étonnant. Il y a ce phénomène en ce moment qui est là, qui permet de déplacer les lignes. Mais les hommes déguisés en femmes, ça existe depuis toujours en fait. On refuse toujours de leur donner cette tribune et cette parole; c’est un peu triste. On vit dans une société très masculiniste et un homme déguisé en femme, ça ne plait pas beaucoup.
Dans votre roman, le personnage qui sort de prison et des gangs à Los Angeles, se cherche une mère pour l’initier à la culture drag. Est-ce que vous aussi vous avez eu une telle rencontre à un moment donné de votre parcours, pour ce roman, de quelqu’un qui vous a initié ?
C’est la première fois que l’on me pose cette question ! Non. Je n’ai pas eu de mère mentor ou symbolique. Pour ce livre, ça a été un sujet pas comme les autres et c’est un livre que je continuerai à défendre plus que les autres car j’ai l’impression qu’il me dépasse, moi, qu’il dépasse le cadre de l’écriture, le cadre de l’écrivain. Comme ce sont aussi de vraies histoires, des personnages qui ont tellement vécu l’oppression, le rejet, c’est important de le défendre, presque politiquement. J’ai fait ça seul, le travail de l’écrivain est quand même très ancré dans la solitude. J’ai rencontré évidemment à Paris quelques drag-queens et que la plupart de mes recherches se sont faites sur Internet. Il y a très peu voire aucune source littéraire, universitaire ou académique sur la culture drag, donc j’ai tissé une toile de façon très débrouille… D’un monde de clubs, de drag-queens, d’années 80, de noms d’artistes, j’ai réussi à créer une ambiance, un décor. Mais ça s’est fait très seul!
Cette part documentaire du livre donne une force colossale au récit, au-delà du parcours humain…
Ca fait un peu autorité, oui, un peu comme lorsque dans un générique de film, il est écrit que c’est inspiré d’une histoire vraie. J’avais envie avec cette large documentation de montrer un New York hyper tourbillonnant, j’avais envie qu’on s’imagine dans ces soirées-là, côtoyer les artistes de l’époque, les Keith Haring, David Bowie, mais aussi des gens que l’on ne connait pas forcément. C’était un New York où tout le monde se cotoyait et qui n’avait pas d’égard pour le statut social. Il y avait l’envie très libertaire, insouciante, de se réunir et de former une communauté. Ca s’est depuis gentrifié, embourgeoisé.
Propos recueillis par Clément Massé.
La couverture de « Jolis, jolis monstres » de Julien Dufresne-Lamy (Belfond)
Retrouvez Julien Dufresne-Lamy dans le journal de France 3, édition Poitou-Charentes, à 19h, samedi 23 novembre, puis à 21h au cinéma Le Dietrich à Poitiers à la séance du film « Port Authority » de Danielle Lessovitz.
Mise à jour, 27 novembre 2019
Retrouvez l’entretien de Julien Dufresne-Lamy, samedi 23 novembre, sur France 3, dans l’édition de 19h du journal régional Poitou-Charentes
Pour son premier livre, « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto), la Poitevine Charlotte Lemaire raconte l’histoire d’un jeune garçon qui, à l’aide de sa longue vue, part à la découverte de la jungle. Face à un tigre qui veut le manger, il lui propose un pacte.
Charlotte Lemaire signe l’histoire et les dessins de son premier livre « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto).
Sur les traces des grands explorateurs! Le jeune William règle sa longue-vue et part à la découverte de la jungle toute proche. Très vite, son regard est captivé par une chose lointaine qui, en se rapprochant de plus en plus dangereusement, se révèle être… un tigre.
« Pardon de troubler vos activités, mais je vais devoir vous manger », s’exclame l’animal.
A partir de ce moment-là, le jeune William n’a plus qu’une solution : trouver un moyen d’avoir la vie sauve. Pour y parvenir, il va proposer un pacte au tigre.
L’histoire palpitante de ce court livre jeunesse bascule alors dans un récit aux accents parfois angoissants.
Sans rien révéler de l’issue de ce livre au graphisme riche et aux couleurs chatoyantes, William va révéler toute son empathie, réalisant que pour sauver sa vie, il lui faudra d’abord sauver celle du tigre.
A l’heure d’une prise de conscience environnementale mondiale, Charlotte Lemaire livre une fable écologique humaniste qui devrait toucher au plus près le cœur des jeunes lecteurs.
La couverture du livre de la Poitevine Charlotte Lemaire.
Invitée du journal régional, samedi 28 octobre à 19h
L’auteure de ce livre jeunesse vit à Poitiers et est publiée par les éditions Biscoto, basée à Angoulême.
A noter que Charlotte Lemaire a animé un atelier avec de jeunes lecteurs à la librairie La belle Aventure à Poitiers, samedi 28 octobre et était l’invitée du journal de France 3 Poitou-Charentes, ce même samedi 28 octobre à 19h.
La romancière rochelaise Jeanne Benameur publie « Ceux qui partent », son nouveau roman, aux éditions Actes Sud. C’est l’un des livres de la rentrée littéraire 2019, déjà très plébiscité par les lecteurs et les libraires.
Jeanne Benameur, à la librairie Les Rebelles ordinaires, à La Rochelle, où se tient la fête de lancement du roman « Ceux qui partent » (Actes Sud), l’un des événements de la rentrée littéraire 2019. (Photo : Clément Massé)
A la librairie « Les Rebelles ordinaires » à La Rochelle, « Ceux qui partent » (Actes Sud) de Jeanne Benameur, est l’ « ultra chouchou de la rentrée ». Sorti dès le 21 août, la fête de lancement du roman se tient vendredi 6 septembre entre les murs de cette librairie, tenue… par le fils de la romancière, Guillaume Bourain.
L’enthousiasme des libraires pour le roman pourrait donc apparaître un peu biaisé. L’épopée de la jeune Emilia, une Italienne tout juste débarquée à Ellis Island avec son père un jour de 1910, emporte pourtant bel et bien le lecteur dans le tourbillon de l’histoire.
« Ceux qui partent » de Jeanne Benameur, dans la vitrine de la librairie Les Rebelles ordinaires à La Rochelle. (Photo : Clément Massé)
Une épopée de l’émigration européenne
« Ceux qui partent » raconte les 48 heures entre l’arrivée d’un bateau de migrants européens aux Etats-Unis et leur entrée à New York. Les visages tirés disent autant la fatigue du voyage que l’abandon prochain de leur vie, de leur langue et de leur culture d’avant pour devenir Américain. Dans la foule, émerge le visage de cette jeune Italienne, Emilia. Elle cristallise tous les regards autour d’elle. Sa beauté, son port altier, sa manière simple mais si forte de juste défaire ses cheveux font d’elle le centre des attentions. Au point de bouleverser des vies.
Gabor, par exemple, est un jeune tsigane. Il est l’un de ceux à remarquer Emilia. A sa vue, l’attachement à sa communauté commence à se fissurer. Tout près, la jeune femme qui jusque là se glissait à ses côtés la nuit perçoit déjà les sentiments de son amoureux pour cette Italienne et avec eux, les premiers tourments de son cœur brisé.
Il y a aussi le regard d’Andrew Jónsson, un jeune new-yorkais. A l’arrivée des bateaux à Ellis Island, il est présent avec son appareil photo. Il photographie les visages des nouveaux arrivants. Sa quête : saisir ce pan de l’histoire familiale jamais nommé qui le relie à celle des émigrants.
L’Italienne remarque à peine ces regards posés sur elle. Elle est accaparée par sa propre histoire et par la jeune Esther, épuisée par le voyage, qu’elle recueille dans ses bras. Esther porte de beaux vêtements sobrement coupés. Elle est couturière et rêve d’habiller les Américaines, ces femmes qu’elle imagine libres. Elle arrive d’Arménie, sans sa famille, disséminée par le génocide.
L’Enéide de Virgile
Aux côtés d’Emilia, son père, Donato, ne se tient jamais bien loin. En Italie, il était comédien de théâtre. A Ellis Island, il n’est plus qu’un émigrant parmi d’autres. Contre lui, il tient un livre à la couverture rouge : « L’Enéide » de Virgile.
La force du roman de Jeanne Benameur tient peut-être dans cette allusion au poème mythologique. L’Enéide conte l’histoire d’Enée, de la chute de Troie à son arrivée sur les rivages où seront construites les fondations de la future Rome. Mais comme le héro qui a perdu sa femme Créuse avant le départ, Donato arrive lui aussi sans sa femme. Ira-t-il au-delà des rives de la nouvelle York ? Dans la solitude de l’attente, il revit l’amour qu’il a vécu avec la mère d’Emilia et semble pour la première envisager une autre vie.
La capacité de Jeanne Benameur à dire ce moment où la vie de ces migrants est sur le point de basculer alimente le souffle de la fiction et tient le lecteur en haleine tout au long du roman. Du basculement physique de la vieille Europe vers New York et l’Amérique, se joue un autre basculement, profondément intime, celui des vies individuelles. Le roman acquiert la force des grandes épopées humaines. Le lecteur se met à rêver d’une suite, d’une grande saga de l’émigration. Pourtant, l’auteure semble vouloir y couper court dans le dernier chapitre où apparaissent des pistes sur le devenir de chacun de ses personnages, comme une manière de refermer une boîte de pandor à peine ouverte. A moins que…
Rencontre avec la romancière
A la veille de la sortie de son roman, Jeanne Benameur nous a reçus chez elle, près de La Rochelle. Notre reportage est visible, ci-dessous (Clément Massé, Louis Claveau et Caroline Lecocq).
Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, « Ça raconte Sarah » parait à l’occasion de la rentrée littéraire de septembre 2018. Le récit se focalise sur les bouleversements du cœur provoqués par une rencontre amoureuse inattendue. « L’amour avec une femme : une tempête », lance, laconique, la narratrice de ce roman.
« Ça raconte Sarah » de Pauline Delabroy-Allard paraît à l’occasion de la rentrée littéraire de septembre 2018.
Née sous le signe du soufre. De l’embrasement. De la passion. Mais aussi sous le signe de la souf-france. Du replis sur soi. De la fuite. Telle une allumette que l’on craque, l’entrée de Sarah dans la vie de la narratrice se révèle immédiatement incandescente, bouleverse tout sur son passage, jusqu’à, quelques années plus tard, convaincre l’une d’avoir laissée l’autre pour morte dans la chambre où elle lutte contre la maladie et où elles viennent de faire l’amour.
« Ça raconte Sarah » se présente comme une série d’entrées plus ou moins courtes, tel un journal intime tenu par la narratrice, mais prend aussi le ton d’une voix off à la manière d’un film de la nouvelle vague et, de manière plus inquiétante, laisse également parfois l’impression d’une déposition de police.
Car si la narratrice se souvient tout le long du livre de sa vie avec Sarah, elle se focalise surtout sur cette nuit où, convaincue d’avoir tuée sa compagne, « enfin, je ne suis pas sûre », lâche-t-elle dans la seconde moitié du roman, elle tente de se remémorer les événements qui ont conduit à son départ précipité, cette nuit-là.
En équilibre sur un fil singulier
Dans cette histoire, la mort se révèle potentiellement tout aussi métaphorique que l’histoire vécue entre les deux femmes dont l’intensité et l’évolution est le plus souvent racontée par analogies, par le prisme de l’évocation d’un titre de film vu par les personnages, d’une chanson entendue, d’une ville visitée. Ainsi l’histoire progresse-t-elle de références musicales classiques, à une pièce de Shakespeare, « Songe d’une nuit d’été » par exemple – « une réflexion sur les pouvoirs de l’imagination face à l’arbitraire de la loi et notamment face aux rigueurs de la loi familiale » -, à une référence trufaldienne, après une dispute, – « Je hurle l’amour en fuite » – à Marguerite Duras – « l’amour est voué à l’échec » -, jusqu’à « La Jeune fille et la mort » de Schubert et à l’arrivée de la narratrice à Trieste, en Italie, ville présentée de manière impassible et froide, comme dans une fiche technique ou une définition de dictionnaire.
Le roman trouve son équilibre sur ce fil singulier où les souvenirs de la narratrice sont associés à des références ou des allusions à des œuvres connues de tous. Elles construisent un récit hors champ pour mieux suggérer et dire l’histoire vécue. « Ça raconte Sarah » séduit ainsi par sa forme. S’il y est question d’une histoire d’amour entre deux femmes, la thématique lesbienne n’épouse pas l’enjeu de société mais bien la cause de la littérature.
La librairie La belle Aventure participe au projet « Inside Out » du photographe JR. Elle invite les lecteurs à venir se faire photographier, dans la librairie, avec leur livre préféré. Les tirages photos seront ensuite affichés dans le centre-ville de Poitiers.
Faites-vous photographier, ici, du 6 au 21 avril 2018, pour le projet Inside Out de JR. (Photo: La belle Aventure)
« Faites-vous photographier avec votre livre ». L’invitation de la librairie La belle Aventure à Poitiers s’adresse à l’ensemble de ses lecteurs. Il s’agit de participer au projet photographique « Inside Out » de JR, césarisé avec Agnès Varda pour leur documentaire « Villages Visages » (2017).
Pour la librairie pictave, l’idée est de rappeler que les « livres sont essentiels à nos vies ».
« Lire nous relie, nous rend libres et ouverts au monde, indique la librairie dans un flyer. Nous pensons que les librairies indépendantes sont des lieux indispensables de rencontre, de création et de diversité. »
C’est ce message que les lecteurs sont invités à partager et à transmettre à travers leur portrait.
Le projet du photographe JR « permet à chacun (…) de transformer un message personnel en oeuvre d’art publique », en l’occurrence, ici , un message sur l’importance du livre dans nos vies et dans la vie de la cité.
Au lancement du projet lors de la conférence TED à Long Beach en Californie (Etats-Unis) en 2011, le photographe appelait à la création d’un projet d’art global, mondial.
« Je souhaite que vous vous leviez pour ce que vous aimez en participant à un projet d’art global, et ensemble, nous allons transformer le monde … INSIDE OUT. »
Par Inside out, entendez, mettre le monde sans dessus dessous, le changer pour le meilleur.
Le flyer de La belle Aventure, invitant les lecteurs à participer au projet Inside Out du photographe JR
Ailleurs dans le monde, d’autres projets ont déjà été réalisés. En Colombie par exemple, le projet « No Boundaries, Bigger Dreams » (Sans frontières, on rêve en grand) invite les enfants de Medellín à faire tomber les barrières imaginaires qui les empêchent de réaliser leurs rêves.
Tout est prêt!
A Poitiers, dans les locaux de la librairie, tout est déjà prêt. Un fond à pois noir et blanc, un tabouret, un éclairage de studio photo ont été installés dans l’espace dédié aux livres de photographies. Ne manquent plus que les lecteurs et leurs livres.
Dès vendredi 6 avril à 15h, et jusqu’au samedi 21 avril, les lecteurs pourront voir leur portrait réalisé avec le livre de leur choix.
Comme dans le documentaire d’Agnès Varda et JR, les portraits seront ensuite affichés en format géant, en centre-ville, début juin.
(Photographies réalisées par les libraires de La belle Aventure, du mardi au samedi, de 15h à 19h).
L’espace Studio photo pour participer au projet Inside Out à La belle Aventure à Poitiers.
Le photographe JR, lors de son allocution à la conférence TED en 2011:
Lors de l’ouverture des Editeuriales, mardi 27 février 2018, Tanguy Viel et Irène Lindon, son éditrice aux Editions de Minuit, répondent aux questions de Baptiste Liger.
Les Editeuriales se sont ouvertes mardi soir par une rencontre avec le romancier Tanguy Viel, prix RTL Lire 2017 pour son dernier roman « Article 353 du code pénal » (Minuit). Consacrée cette année aux Editions de Minuit, la manifestation littéraire de la médiathèque de Poitiers recevait également, pour sa soirée inaugurale, l’éditrice Irène Lindon. L’occasion d’échanges sur le travail de l’auteur avec son éditrice.
Très discrète, Irène Lindon. Comme gênée parfois ou intimidée. On sent que l’exercice de la prise de parole en public n’est pas ce qu’elle préfère. Pourtant, lorsqu’elle s’exprime, sa parole résonne, forte et assurée et dévoile même une impression qui se vérifie au fur et à mesure des discussions : l’éditrice des Editions de Minuit n’est pas du genre à garder longtemps sa langue dans la poche. Hier soir, à la soirée d’ouverture des Editeuriales, la manifestation littéraire de la médiathèque de Poitiers, elle a dérogé – un peu – à la règle qu’elle s’impose habituellement, celle de rester en retrait.
« Je trouve qu’un éditeur publie des livres, mais se tait », m’expliquait-elle dernièrement au téléphone pour décliner une demande d’interview. « Il n’y a rien d’intéressant à dire », trouvait-elle, avant d’ajouter qu’un « éditeur est content d’avoir des auteurs, mais c’est à eux de parler. »
Un livre, ça réconforte et ça déconcerte (I. Lindon)
La relation éditeur auteur
La présence de l’éditrice aux côtés de l’un des écrivains qu’elle publie depuis vingt ans, « presque jour pour jour, à une semaine près », rappelait hier soir Tanguy Viel, donne pourtant envie de l’entendre parler de son travail et d’en savoir un peu plus sur sa relation avec ses auteurs. Interrogée par mon confrère Baptiste Liger (Lire, L’Express, Technikart et Têtu) sur ce qu’elle recherche dans un manuscrit – une modernité littéraire? -, Irène Lindon balaie la question qu’elle « ne (se) pose pas » en ces termes et précise : « Je recherche quelque chose qui me réconforte et me déconcerte, c’est ce que j’appellerai la qualité d’écriture. »
La marque d’un écrivain est que son travail est parfait. Au-delà de trois virgules et de deux coquilles, je travaille peu avec l’auteur (I. Lindon)
Elle l’assure, elle « ne travaille pas vraiment avec les auteurs ». Pour une raison toute simple et évidente à ses yeux : « la marque d’un écrivain est que son travail est parfait. Au-delà de trois virgules et de deux coquilles, je travaille peu avec l’auteur. »
Tanguy Viel conforte les paroles de son éditrice d’un tout simple : « Irène a raison. » Irène Lindon intervient peu. Elle n’incarne donc pas cette image (fausse?) d’une éditrice qui aiderait l’écrivain à accoucher d’un roman. Comme pour expliquer le peu de changements apportés à un manuscrit, Tanguy Viel précise qu’ l’ « on écrit toujours un peu pour son éditeur », mais concède: « Elle exagère un peu, il peut y avoir quelques retouches. Mais parfois aussi, on se trompe. S’il y a un problème de dramaturgie, ce n’est pas l’éditeur qui va y changer quelque chose. »
Irène Lindon qui l’écoute attentivement, complète, comme une évidence, de sa voix rocailleuse : « Oui, l’éditeur n’intervient que pour des broutilles. »
Démystifier la place de l’éditeur
La rencontre de mardi soir a pris un tour passionnant dans ces brefs échanges où Irène Lindon a donné l’impression de vouloir minimiser l’importance de son travail. Ou de démystifier la place de l’éditeur. Sur son quotidien aux Editions de Minuit, elle confie le plus simplement du monde qu’ « elle ouvre le courrier, lit les manuscrits, gère le courrier administratif, s’occupe de la cession des droits à l’étranger… Nous sommes huit. Chacun est polyvalent. »
Ou encore, sur le choix du titre d’un roman : « ‘Article 353 du code pénal’, lorsque je l’ai déposé sur le bureau d’Irène, j’étais persuadé que ça ne passerait pas », se souvient Tanguy Viel, avec malice. « Allez, on a travaillé, une minute, une minute trente sur le titre! », concède l’auteur. Irène Lindon rebondit : « Oh oui, parce que ‘article 353 du code de procédure pénale’, c’était bien trop laid! »
Tanguy Viel poursuit : « La deuxième chose sur laquelle nous travaillons avec notre éditrice, c’est la quatrième de couverture ». Regardant son livre, il lit cette fameuse quatrième de couverture : « Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l’ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d’investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu’il soit construit. » Puis, il s’exclame dans un sourire : « Voilà, ça c’est de l’argument! C’est un petit travail… Quand même, il y a des choses que l’on fait avec un éditeur. »
Le travail de composition de Tanguy Viel
« Article 353 du code pénal » est le dernier roman paru de Tanguy Viel. Sorti l’an dernier, il a depuis reçu le prix RTL Lire 2017 qui lui a valu un succès public. De ce roman, la critique a aimé souligner une certaine proximité avec le « polar ». Mais l’auteur joue surtout sur les codes.
Très vite, les échanges se concentrent sur l’écriture de l’auteur. Baptiste Liger l’interroge sur la singularité de son style, le rythme de ses phrases. Tanguy Viel confie que finalement, la phrase, « c’est ce qui se travaille le moins ». Il complète : « Ça fonctionne par blocs. La phrase a à voir avec un souffle, une image intérieure. Je ne dis pas qu’elle va être parfaite, il y aura peut-être des modifications, mais moi, j’ai plus l’impression de travailler sur la composition. Le phrasé, c’est presque une unité primaire qui n’est pas là tous les jours. Il arrive d’ailleurs que l’on doive jeter des blocs entiers, car ce sont de fausses notes…! »
Tanguy Viel a publié ses sept romans aux Editions de Minuit. Le premier de ses manuscrits n’a pourtant pas été retenu pour publication.
« Un jour, j’ai fait lire un manuscrit à François Bon qui l’a discrètement posé sur le bureau d’Irène, se souvient Tanguy Viel. J’ai eu un rendez-vous. C’était un rendez-vous d’encouragements. Le texte était fragile dans sa forme, difficile d’accès. Le conseil qui m’a été donné était le suivant : ‘essayez de faire un roman’. Avec un début, un milieu et une fin. J’avais 22 ans. Je suis sorti de ce rendez-vous, ça aurait pu me bloquer, mais ça m’a donné l’envie d’essayer d’écrire ce roman. Et ça a été ‘Le Black Note’. »
Pour lui, les Editions de Minuit, c’était les romans d’Eugène Savitzkaya ou les textes de Bernard-Marie Koltès. « J’ai découvert les Editions de Minuit vers 18 ans, assez tard finalement. Il s’est passé quelque chose qui ne s’était pas passé avant dans mon expérience de lecteur, quelque chose dans la densité de langage que je n’avais pas trouvé avant. » Et dont il est aujourd’hui l’un des héritiers.
Au bout d’une heure et demi d’échanges, dont certains avec le public, l’auteur s’est livré à une séance de dédicaces.
La manifestation se poursuit jusqu’au 15 mars avec des rencontres avec Yves Ravey, Julia Deck, Anne Godard, Eric Laurrent, Vincent Almendros ou encore un hommage à Christian Gailly.