15 Déc

Musique : « J’ai participé au financement en ligne du disque de Barbara Carlotti »

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

La tournée de la chanteuse Barbara Carlotti passe par La Sirène à La Rochelle, samedi 15 décembre. En amont de ce concert très attendu, nous avons échangé avec celle, dont le dernier album, « Magnétique », salué par la critique, a été financé grâce au crowdfunding.

 

C’était le 6 mai 2017, en participant à hauteur de 35 euros au financement en ligne du disque « Magnétique » de Barbara Carlotti, je devenais officiellement Kissbanker du projet. En gros, j’achetais, en avance, l’album (en format vinyle et numérique) d’une chanteuse dont j’écoutais la musique depuis pas mal d’années maintenant. Avec quelques bonus en prime. L’album s’inspire des rêves mais sa conception, elle, s’est confrontée à la réalité des mutations de l’industrie du disque. Rencontre.

Qu’est ce qui vous a conduit à avoir recourt au financement participatif ?

Barbara Carlotti : J’étais publiée dans une maison de disques qui s’appelait Atmosphérique à l’époque. Cette maison de disques a fermé. Elle a fait un dépôt de bilan. Je me suis retrouvé en carafe parce que mon disque précédent « L’Amour, l’Argent », s’était plutôt bien vendu. On en avait vendu 20.000 exemplaires. Ils étaient en difficulté. J’avais des signes de ça, mais je pensais faire mon album. Et j’avais fait l’émission de radio Cosmic Fantasie sur France Inter pendant un an à la fin de ma précédente tournée qui avait un peu retardé le maquetage des nouvelles chansons. Ma maison de disques, au terme de cette année, n’avait plus les fonds pour produire des disques et ils ont arrêté. Je me suis donc retrouvée sans maison de disques. Parallèlement à ça, ma manageuse est partie travailler dans une autre maison de disques qui s’appelle Tôt ou Tard et elle ne pouvait plus s’occuper de moi à ce moment là. Je me suis retrouvée un peu toute seule; j’ai mis un peu de temps à réaliser, parce que ça faisait quand même 15 ans que je faisais des disques. J’étais très entourée, j’avais des équipes autour de moi pour s’occuper des choses. Quand je me retrouvée seule, ça m’a un peu terrorisé, je ne savais pas comment m’y prendre. Je n’avais pas eu l’habitude de m’occuper directement des choses.

Est-ce que ça veut dire qu’il vous a fallu prendre les choses en main ?

Je me suis retrouvée sans aucun partenaire, j’ai mis un peu de temps à me demander ce que je pouvais faire. Ma priorité était de faire ce disque que j’avais commencé à maquetter. J’avais écrit toutes les chansons. Elles n’étaient pas complètement terminées, elles étaient à l’état de maquette. Je continuais à travailler dessus avec Benoit de Villeneuve qui a co-réalisé le disque avec moi, mais je n’avais personne pour me dire quelle serait la stratégie. A un moment donné, je me suis dit il y a cette chose du financement participatif. Comme j’avais plutôt bien vendu mon disque précédent, je me suis dit que ça pouvait être la solution, en tout cas pour lancer les choses. J’étais allée voir des maisons de disques pendant dix mois mais je n’avais pas trouvé de partenaire. On se rend compte quand on démarche que les maisons de disques ont des logiques assez particulières. Elles ont un certain nombre d’artistes et les maisons de disques auxquelles je m’adressais avaient déjà des artistes un peu similaires à moi, comme par exemple Bertrand Belin ou des gens comme lui qui sont des amis. Ils n’avaient pas spécialement de places pour des artistes similaires. Il fallait trouver une maison de disques qui ait besoin d’un artiste comme moi, au stade où j’en étais, avec une notoriété suffisante mais qui en même temps ne faisait pas d’énormes ventes. Et là, je suis rentrée dans le détail de la production, de ce que ça veut dire. Pour moi, ça s’est révélé très intéressant parce que, jusqu’à présent, je ne m’étais jamais posée ce genre de questions assez concrètes. La façon dont la musique est gérée depuis quelques années, les artistes sont de plus en plus indépendants. Avec les moyens de production dont on dispose, on peut faire des disques tout seul et les maisons de disques signent de plus en plus d’artistes extrêmement indépendants. Moi, j’avais toujours été dans une logique où j’avais un éditeur, que j’ai perdu entre temps! Donc, ma seule solution a été de me dire qu’il fallait faire confiance à mon public, et me faire confiance aussi, ce qui n’est pas une évidence quand on a été très entourée. Alors, je suis retournée voir Benoit de Villeneuve et on a terminé mes maquettes. Le 1er janvier 2016, je me suis réveillée et je me suis dit : tu as explorée tous les contacts de maisons de disques possibles, ça ne fonctionne pas, là, ce disque, j’avais une grande nécessité de le faire, il fallait que j’avance sinon j’allais me sentir mal avec ça. Il me fallait un objectif de sortie.

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

Qu’avez-vous fait alors ? Vous avez créé votre propre structure ?

Alors, j’ai un peu fait les choses dans le désordre, mais c’était pas mal. J’ai lancé le financement participatif sans savoir exactement où j’allais et j’ai rappelé mon ancienne éditrice qui, elle, avait été virée de mon ancienne maison de disques. On en rigole maintenant! On se rend compte que nous artistes, les gens avec qui on travaille dans cette industrie sont tout aussi précaires que nous. Je pouvais trouver des partenaires de travail qui sont dans le même cas que moi. Je savais que je pouvais l’appeler. Je lui ai dit : j’ai finalement décidé de faire le financement participatif. Il faut que j’enregistre dans les mois qui arrivent sinon je crois que je vais mourrir à petit feu avec ce projet et elle m’a dit ok, on y va. J’ai fait le financement participatif avec elle, parce qu’elle pouvait m’épauler et je n’étais pas toute seule. C’est un énorme boulot ! (…) Et je me suis dit, mes maquettes sont prêtes, je peux passer en studio. J’ai rappelé Bertrand Burgalat qui est un ami de longue date et un partenaire de longue date. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas me produire sur Tricatel parce que ce n’était pas sa ligne éditoriale. Il fait plutôt des projets comme Catastrophe ou Chassol. Il m’a dit « un disque de pop chez moi, ça n’a pas de sens aujourd’hui », mais je veux bien t’aider. Je lui ai fait écouter mes maquettes, il a été très enthousiaste et il m’a dit tu devrais travailler avec l’As Dragon, ça pourrait être génial pour toi. Fort de tous ses conseils, j’ai lancé le financement avec le projet tel que je voulais le faire. Maintenant que j’étais totalement indépendante, je pouvais travailler avec les musiciens que je voulais, sans restriction. Je voulais travailler avec la section rythmique de l’As Dragon, avec Benoit de Villeneuve à la production, Olivier Marguerit sur telle chanson, avec Thomas de Pourquery sur telle autre. J’ai rêvé un album idéal. Et là, je suis allée voir KissKissBankBank. Ils m’ont dit qu’il fallait nourrir le projet de vidéos, de choses autour. Je ne voulais pas proposer uniquement l’album mais je voulais qu’il soit au centre d’une sorte de constellation de choses que je propose. Comme l’album était autour des rêves, j’ai proposé des « goodies » autour de ça. Une affiche avec Christophe Blain qui reprend des images à la Klimt qui peut aussi raconter ce qu’est le rêve. Les longs cheveux ondulants autour de moi, c’est un peu ça.

La pochette de l’album « Magnétique » de Barbara Charlotte

Et y’avait des coussins aussi, car l’idée était de rêver et de dormir, c’était assez drôle. Avec Gaëlle Donelian, qui est devenue ma manageuse, on a imaginé des auto-collants, plein de choses pour offrir plus que l’album, des dreams machines, pour montrer aux gens comment je crée un disque.

En vous écoutant, j’ai le sentiment que ça vous a finalement donné beaucoup plus de liberté dans le processus créatif.

Absolument. Le fait de prendre tout en charge, on se demande avec qui et comment on va le faire, ça nous aide à préciser, mais aussi à prendre des libertés sur la façon dont on veut faire les choses. Parce que, si on travaille avec une maison de disques qui est dans un cadre de production, et c’est bien normal, plus traditionnel, eux, nous arrête sur le budget que ça va coûter. Là, je me suis dit, je me lance et je trouverai les solutions financières pour le faire. C’est plus simple de trouver des solutions peu chères quand on est seuls, que quand on est dans un cadre de maison de disques.

Vous vous donniez pour objectif de récolter 19.000 euros et vous en avez récolté 26.000. C’est ça le budget final du disque ?

Le disque a coûté beaucoup plus cher mais je savais qu’à partir de 20.000 euros, je pouvais m’en sortir avec d’autres aides. J’ai monté une structure pour pouvoir payer les musiciens avec (La Maison des rêves) et gérer l’argent du crowdfunding. On a trouvé une co-production avec une structure qui m’a aidé à trouver des subventions pour compléter le budget du crowdfunding. Ils s’appellent Alice au pays des Merveilles, ce qui est just génial (rires). Tout était autour du rêve, c’était un signe! On a trouvé des subventions avec l’Adami par exemple… Le disque a vraiment coûté 50.000 euros. On a eu des vidéos pour nourrir les visuels autour du crowdfunding, des belles vidéos qui représentent l’univers de l’album. Je ne me voyais pas me mettre derrière la caméra de mon ordinateur et parler aux gens. Je voulais que tout le projet soit inspiré de l’univers onirique que j’essaie de développer sur l’album.

Elektra/Warner arrive quand dans cette histoire ?

Lorsque je faisais le tour des maisons de disques, j’avais rencontré Anne Cordier. Elle avait bien aimé les maquettes mais n’avait pas la latitude de sortir l’album et on devait se tenir au courant. Quand j’ai fini complètement l’album, je l’ai revue. Les titres n’étaient pas encore mixés et elle m’a dit « c’est super, j’adore, vous avez fait un super boulot ». Elle a proposé le disque au nouveau patron d’Elektra. Deux mois plus tard, elle me rappelle, il a trouvé ça super, on peut travailler ensemble. Je terminais les mix, ça tombait bien. On est parti sur une licence. C’était mon intérêt comme j’avais tout fait toute seule. (…) Je n’avais pas les reins de tout faire et eux, font la promotion du disque. Je ne pouvais pas partir en indépendance totale, je suis profondément artiste, pas du tout administrative ni gestionnaire, je n’ai pas l’âme d’une productrice. Je sais que des artistes arrivent à faire ça, et je suis très admirative, Keren Ann, par exemple.

Au final, votre disque existe tel que vous le souhaitiez ?

Oui, ça m’a appris à être plus sûre de mes choix. Tout ce que j’ai fait comme choix artistiques, je les ai travaillés de manière très précise en me demandant combien ça coûte, comment je peux faire pour trouver des solutions, ça m’a obligé à les assumer plus. Ca a donc été un très bon enseignant. Mais, c’est une charge de travail monumentale pour laquelle on n’est pas payés. Je suis très heureuse que le disque existe mais c’est compliqué de faire ça pendant un an sans être rémunérée. J’ai fait d’autres choses avec d’autres gens, mais on vit assez chichement!

Est-ce que ce sont les tournées qui font vivre les artistes aujourd’hui ou encore les ventes de disque ?

Quand on a produit son disque, on touche un peu plus d’argent sur les ventes d’album. En tant que producteur, on doit aussi investir. Donc, ce ne sont pas forcément les ventes de disques, en tout cas pour moi ce n’est pas encore le cas. Ce sont surtout les concerts et les droits d’auteur. Quand le disque sort, le fait qu’il passe à la radio, et nous, on a été très soutenus par France Inter, il est passé sur leur antenne, ça, ça génère des droits d’auteur. Et les concerts, à la suite de ça. (…) La tournée se poursuit l’année prochaine. Une vingtaine de dates à partir de janvier, et des dates vont être calées jusqu’à l’été. j’adore les concerts. L’intérêt est de défendre le disque sur scène. C’est comme ça que l’on vend des disques aussi aujourd’hui. Quand un concert est réussi, on en vend un petit paquet à la fin du concert. « Ca continue encore et encore, ce ne que le début… » (rires) Pour l’instant, on est à 6.000 exemplaires vendus de « Magnétique », ce qui est pas mal pour un disque de pop française aujourd’hui. Avant, il y a encore cinq ou six ans, les albums, quand on les sortait, on attendait six mois et on voyait ce qui se passait et maintenant, ça s’est renversé, plus le disque dure sur scène, plus on sait que l’on va en vendre. (…) Maintenant, il faut arriver à trouver des idées en terme de promotion. Par exemple, j’ai fait une reprise avec Juliette Armanet. Mon idée était de faire des reprises de chansons qui parlent de rêve, et avec elle, on a repris « J’ai encore rêvé d’elle » d’Il était une fois. Le duo avec Juliette est génial. Je vais faire une autre reprise avec Philippe Katerine, une autre avec Clara Luciani et continuer avec des artistes que j’aime. Et j’espère qu’au printemps ou l’été, si le disque est re-pressé, on ressortira une édition avec les bonus reprises. Ce sont les idées pour faire vivre l’album.

Barbara Carlotti photographiée par Elodie Daguin

07 Déc

Poitiers Film Festival : à la rencontre de deux jeunes cinéastes prometteurs

« Les Choses du dimanche » de Thomas Petit (Fémis)

Classiques, mais très prometteurs : Louise Groult et Thomas Petit, deux jeunes réalisateurs issus de la Fémis, présentent leurs courts-métrages de fin d’études au Poitiers Film Festival. Leur travail s’inscrit dans une tradition française du cinéma d’auteur.

D’un côté, Louise Groult, 28 ans, de l’autre, Thomas Petit, 24 ans, accompagnés de leurs producteurs respectifs, Anne-Laure Berteau, 26 ans et Lucas Le Postec, 28 ans, tous les quatre fraîchement diplômés (en juin dernier) de la Fémis, la prestigieuse école de cinéma parisienne. L’une est issue de la filière scénario, l’autre de la réalisation. Ils sont venus à Poitiers cette semaine présenter leurs courts-métrages d’école, « Les petites vacances » et « Les choses du dimanche« , sélectionnés à la 41ème édition du Poitiers Film Festival, le festival des écoles de cinéma.

Le premier s’inscrit dans une tradition rohmérienne du film « de plage ». A 16 ans, Charlotte est en vacances à la mer avec sa cousine. Elle rencontre un garçon plus âgé qu’elle et pas vraiment disponible. Mais c’est l’été et elle aimerait vivre une histoire, comme sa cousine. Le second film se présente comme une balade dans Paris sur fond d’histoire d’amitié et d’amour. Trois copains se retrouvent chez l’un d’eux pour le week-end. Les deux films partagent cette même thématique de la chronique sentimentale, héritée de la Nouvelle vague.

Si leurs deux films adoptent une forme assez classique, ils touchent par leur capacité à se maintenir au plus près des personnages et de leurs sentiments à fleur de peau. La révélation finale d’un désir ou d’une blessure intime, immanquablement, marquera le spectateur.

« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)

Rencontre

Est-ce une demande de l’école d’aborder une thématique autour de la chronique amoureuse et de l’adolescence, ou un choix personnel ?

Louise Groult : Ce n’est pas du tout imposé par l’école. En filière scénario, je n’avais pas à réaliser de film, a priori. Pour le diplôme, on a juste à écrire un long métrage, ce que j’ai fait. Mais les producteurs, en l’occurrence Anne-Laure, pour passer le diplôme devait produire un film de son choix. Comme on s’entendait bien et qu’on avait déjà commencé à travailler ensemble, elle m’a proposé de réaliser un film. A partir de là, c’était plus ou moins carte blanche, on a réfléchi à ce qu’on pouvait raconter et à ce qui pouvait lui parler à elle aussi. Ça s’est fait naturellement comme ça, raconter des vacances d’été un peu foireuses, qui se déroulent pas comme on pourrait rêver que ça se passe. De filmer en Normandie aussi, là d’où je viens.

Thomas Petit : La seule chose qu’on nous impose à la Fémis, c’est le moment de l’année où on les tourne. Louise savait qu’elle devait tourner son film en été et moi, j’étais obligé de le tourner au mois de janvier et c’est vrai que nos deux films se ressemblent un peu parce qu’on a des goûts communs, des intérêts communs. Ils ont cette différence là que j’étais obligé de tourner en hiver et je trouvais ça un peu déprimant parce que souvent les films tournés en hiver ont tendance à se faire en intérieur en majorité et je voulais quand même sortir dehors. Assez vite s’est imposée la thématique d’une balade adolescente dans Paris. Je voulais que ça ressemble à des vacances un peu comme le film de Louise.

Vous avez écrit votre scénario ou est-ce celui d’un autre étudiant ?

Thomas Petit : Je l’ai écrit avec quelqu’un d’autre. On a été deux à travailler dessus. L’idée de départ est la mienne et tout le scénario a été écrit avec Hania Ourabah.

Louise Groult, au Poitiers Film Festival, réalisatrice du film « Les petites Vacances » (Crédit : Poitiers Film Festival)

Qu’est-ce qui a primé dans votre démarche d’écriture ?

Louise Groult : Au début, j’avais envie de cette situation où une jeune femme se retrouve avec un type qui se masturbe à côté d’elle et rien d’autre. C’était ce que je visualisais et le film s’est construit autour de ça. Comment on en est arrivé là, qu’est-ce qui peut se passer après et comment une situation pareille peut trouver un dénouement. Il y avait ce personnage de femme qui traverse le film un peu renfrognée, toujours un peu en retrait, en posture d’observatrice. Il y avait l’envie d’écrire un personnage comme ça et ensuite de diriger les comédiens dans ce sens-là.

Thomas Petit : Une des idées de départ était que ça devait être une histoire d’amitié et d’amour entre des jeunes de cet âge-là. Mais, ce qui est arrivé très vite dans l’écriture, ce sont les acteurs. J’ai tendance à vouloir chercher très vite des acteurs avant de savoir ce que sera le rôle, imaginer quels acteurs pourraient incarner les personnages. Pour ce film-là, j’ai commencé à chercher en même temps que j’écrivais. Tout devient un peu flou à ce moment-là parce qu’on ne sait plus si telle idée est arrivée avant ou après la rencontre avec tel acteur, que le personnage est devenu ce qu’il est devenu.

Thomas Petit, au Poitiers Film Festival, réalisateur du film « Les Choses du dimanche » (Crédit : Poitiers Film Festival)

Dans « Les choses du dimanche », il y a ce moment de basculement, où l’un des personnages n’en peut plus et met un autre face à ses contradictions, et tout bascule. Est-ce vers ce genre de moment que l’on cherche à tendre dans l’écriture ?

Thomas Petit : Très vite, c’était d’avoir un personnage, qui, parce qu’il est travaillé par des sentiments qu’il a du mal à cacher et n’est pas très agréable avec les autres. Je voulais que ce soit un personnage qui se prenne des leçons par les gens autour de lui dans la deuxième moitié du film. Donc, ce moment, c’est là où tout va basculer car les choses ne se passent pas comme il voudrait qu’elle se passe et, cet ami, toujours en retrait, le seul moment où il va oser s’affirmer, ce sera pour l’engueuler et lui dire ce qu’il a besoin d’entendre. C’est une bascule qui, oui, était très importante. On savait que le personnage devait se prendre une leçon. C’est comme dans les films de Rohmer où pendant toute une moitié, les personnages ont leur avis sur le monde et la deuxième moitié, ils se le font déconstruire.

Vous citez Rohmer, Thomas, mais j’imagine que vous aussi, Louise, vous pourriez le citer, à travers cette tradition que semble incarner votre film, celle du film de plage, de conte moral aussi.

Louise Groult : Pas du tout au départ. En écrivant, ça n’était pas conscient du tout. Mais comme ça revient tout le temps, je pense que oui et, il y a ce truc bien français de film de bord de plage, de bord de mer, d’intrigue amoureuse, qui est vraiment un truc extrêmement français, sans réel équivalent ailleurs.

Thomas Petit : C’est un héritage de film, j’ai l’impression que tout le monde a envie de faire son film de bord de mer, de petit conte moral en vacances. C’est un peu un passage obligé. Ça donne envie, même une fois qu’on en a fait un, d’en refaire un. C’est inépuisable! Je crois que l’on a tous inconsciemment Rohmer dans un coin de la tête.

« Les Choses du dimanche » réalisé par Thomas Petit (Fémis)

Est-ce que ces situations-là permettent de révéler quelque chose de vos personnages, de la nature humaine ?

Thomas Petit : En fait, ils se retrouvent nus, dans tous les sens du terme presque. C’est très minimaliste, les personnages ne sont pas noyés dans les différents aspects de leur vie que pourraient être le travail, l’école. Ils sont juste quasiment à poil sur une plage et, il n’y a qu’à travers les dialogues et les échanges entre eux, qu’ils peuvent se révéler en tant que personnage. C’est ce côté dénudé, dans tous les sens du terme, qui est très excitant. Et pour nous qui sommes en école, ce n’est pas très cher à faire, on a un budget limité et émotionnellement, on peut quand même aller quelque part.

Quelles sont vos envies aujourd’hui, maintenant que vous êtes diplômés ? Un premier film ou travailler sur les tournages de réalisateurs déjà confirmés ?

Louise Groult : Thomas comme moi, on a quand même à cœur de poursuivre nos collaborations avec les producteurs de nos films. Avec Anne-Laure, on a un autre projet de court-métrage que l’on aimerait réussir à monter l’année prochaine. J’ai aussi un projet de long métrage écrit à l’école que j’aimerais bien réaliser dans les années qui viennent.

« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)

Le binôme formé à l’école est destiné à se développer ?

Louise Groult : L’idéal serait de grandir ensemble et de garder cette même énergie. (…) A la Fémis, en filière scénario, on écrivait un long métrage par an. Il y en a deux au moins que j’aimerais vraiment développer. En tout cas, j’y pense et je me dis que ce serait bête de ne pas mieux les travailler, de les pousser jusqu’au bout.

Thomas Petit : On va essayer de continuer à faire des films ensemble, avec Lucas, qui, lui, monte sa société de production. Je n’ai pas tant de films que ça en tête, pour l’instant un seul. Ce qui est sûr, c’est qu’après ce court métrage là, j’avais envie de passer au long, d’autant qu’à la Fémis, en réalisation, on n’est pas tant que ça confronté au long-métrage, en tout cas moins que les élèves en filière scénario qui eux écrivent des longs tous les ans, qui restent au stade de scénario. Mais ça leur permet de se former à ça. Ce que je suis en train de faire en ce moment, c’est écrire mon premier long métrage. C’est assez clair que mes journées ne sont consacrées qu’à ça. (…) En sortant de cette école, on sait à peu près quel genre de films on a envie d’écrire. Tout le monde lorgne vers le long métrage, même quand on projette de faire un ou deux courts pour continuer à se former, pas seulement pour faire un film, les 4 ans de Fémis m’ont vraiment donné l’appétit du long.

« Les Choses du dimanche » de Thomas Petit (Fémis)

LES PRODUCTEURS

Thomas et Louise vous ont trouvés pour faire leur film, et pour vous, comment ça se passe, vous avez d’autres projets avec d’autres réalisateurs déjà ?

Lucas Le Postec : Oui, avec d’autres. Il vaut mieux. Il y a quelque chose dans le cinéma qui est lié au risque. Les projets de films sont des projets hautement risqués. Comme tout bon financier, on diversifie notre portefeuille de risque (rires). Plus sincèrement, c’est aussi une question de cinéphilie. Quand on aime le cinéma et qu’on a envie de faire des projets de film, on aime voir plein de cinémas différents et chaque réalisateur a son univers. Il y a ce plaisir-là d’alterner différents plaisirs de cinéphilie.

Vous sortez de l’école, vous allez créer votre propre société de production, n’est-ce pas un peu fou ?

Lucas Le Postec : On verra dans un an où on en sera. Mais quand vous sortez de la Fémis en production avec un réalisateur avec vous, qui plus est un réalisateur qui a un peu de succès en festival, vous diminuez considérablement les risques. Tout ça est un peu calculé, les risques sont pesés.

En tant que producteur, est-ce que vous avez envie de passer commande de films à des réalisateurs ?

Lucas Le Postec : En France, sauf preuve du contraire, c’est un peu impossible pour le cinéma d’auteur. Chez Pathé, chez Gaumont, ils peuvent produire des films comme ça. En France, il y a cette culture enracinée du cinéma d’auteur qui fait que c’est impossible d’imposer un scénario à un réalisateur. Beaucoup se disent ouverts à l’idée de faire un film qu’ils n’ont pas écrit, mais dans les faits, ils ont parfois du mal à s’approprier l’idée. (…) Il ne faut pas forcément aller à l’encontre de sa culture qui a permis de développer une telle cinéphilie, qui fait aussi la différence de la France sur le plan international. Si on voulait imiter d’autres, on serait sûrement moins bons qu’eux.

Anne-Laure Berteau : Je vais aussi créer ma structure à la sortie de l’école. Je développe deux projets avec Louise et je travaille aussi avec cinq autres auteurs, réalisateurs. La démarche, c’est de diversifier les personnes avec lesquelles on travaille. En tant que producteur, si on travaillait avec un seul réalisateur, aussi brillant soit-il, on aurait du mal à s’en sortir. (…) Pour moi, la démarche du producteur français est un peu celle d’un éditeur. S’il veut écrire, et bien, il devient auteur. (…) On collecte des artistes et des œuvres qui nous semblent correspondre à une vision que nous avons mais qui n’est pas traduite pas nous. Au sein de la Fémis, j’ai travaillé avec un réalisateur qui fait des films de genre, ce n’était pas mon truc et pourtant on avait plein de choses en commun. Louise, son travail aussi est différent, et je produis également du documentaire et peut-être que pour des gens de l’extérieur il n’y a pas de cohérence, mais pour moi oui, et elle vient de la vision que j’ai de mon travail. Cette richesse et cette exception française permet ça aussi. C’est moins de la maîtrise sur une oeuvre qu’essayer de proposer un paysage qui soit notre paysage à nous, en tant que producteur.

« Les petites Vacances » de Louise Groult (Fémis)