11 Juil

députés de l’étranger : écouter « l’indifférence »

Bientôt un mois. Un mois après le fiasco de ces premières législatives des Français de l’étranger. Car comment qualifier autrement un scrutin déserté par près de 80% de ses électeurs potentiels. Sur le coup, la réponse m’était apparue évidente. A une offre mal calibrée, les expatriés avaient massivement répondu : non merci ! Des députés pour quoi faire ? « Tous perdants ? », c’était mon sentiment et ma conviction dès le soir du premier tour… au point de n’avoir rien trouvé à ajouter au soir du second, malgré le renversement complet du rapport de force politique.

Des empêchés…

Depuis, la plupart des commentateurs, ont fait la part belle aux difficultés objectives de ce scrutin inédit. Difficultés d’information, difficultés d’organisation, difficultés de compréhension, les témoignages des expatriés sont en effet assez explicites en la matière. Sollicités par lepetitjournal.com, nombreux sont les électeurs à raconter comment ils se sont retrouvés dans l’impossibilité de voter.

Aux problèmes d’acheminement des codes d’accès internet et du matériel de vote par correspondance déjà connus, aux problèmes techniques des procédures de vote électronique largement pointés du doigt, s’ajoute une petite musique peu entendue jusque là  à savoir une apparente mauvaise volonté (indifférence ?) de certains corps consulaires. « Je me suis abstenu de voter car le consulat de France à Tel Aviv a tout fait pour m’empêcher ainsi que ma famille et mes amis de voter par internet ! », « je n’ai pu me connecter au site, mon mail de demande d’aide est resté sans réponse », « j’ai essayé en vain de changer mon vote par procuration contre un vote direct (à Perugia) mais avec une seule réponse, incompréhensible, du consulat de Rome », « malgré mes relances par mail (..) dialogue de sourds! ». On a beau savoir que l’administration centrale s’est, et a, beaucoup dépensé(e), on peut se demander si certains conseillers ne partageaient pas les critiques de fond des abstentionnistes volontaires, probablement les plus nombreux.

…mais surtout des abstinents

« J’ai décidé de ne pas voter, car je trouve étrange de participer à une élection pour un pays où je ne vis pas. Il me semble beaucoup plus normal qu’un étranger puisse voter pour des élections locales le concernant », « j’ai toujours été dérangé à l’idée d’influer sur des décisions qui ne me toucheront pas », « On se demande bien quelle sera l’utilité des députés » sous entendu, nous avons déjà des Sénateurs et des conseillers élus à l’AFE (Assemblée des Français de l’Etranger…Dès l’entre deux tours, le Monde avait  recueilli le témoignage de ceux qui assumaient leur « non vote ». Pour beaucoup, il s’agissait juste d’un souci de cohérence voire simplement de bon sens.

« Que l’on parte avec des valises chargées (temporairement) ou que l’on parte pour creuser son trou ailleurs (sans retour) » (..) « ON N’HABITE PAS EN FRANCE », moque le blogueur Geikokujin « Ici, je suis soumis à la loi japonaise. Même en y mettant beaucoup de bonne volonté, je ne vois pas ce qu’un politique français pourrait faire pour moi en matière législative ». Dans ce billet finement intitulé « le père Noël, mon super héros ! » (référence au traineau magique que devrait posséder « son » député  pour visiter les 49 pays  de la 11è circonscription !), ce prof de français, autoproclamé apolitique de droite, prend le temps d’expliquer longuement sa vision de l’expatriation « je trouverais justifié d’être déchu de ma nationalité » et pourquoi, selon lui, « le noyau dur électoral (les inscrits) s’est finalement montré aussi mou qu’une montre de Dali. » « on s’est barré parce que tout n’était pas parfait à la maison », alors …

Une offre, pas de demande

A l’évidence, le logiciel politique qui a prévalu à l’organisation de cette « innovation démocratique », n’était pas à jour. La classe politique dans son ensemble (si la Droite l’a fait, la Gauche y avait pensé) a fait de mauvais (et petits) calculs. Ni les données sociologiques (la population expatriée s’est profondément renouvelée et rajeunie ), ni les données psychologiques (un « expat » n’est pas forcément un « éxilé », victime du mal du pays !), n’avaient été rafraichies depuis longtemps.

Plus ouverts, plus curieux, plus diplômés et souvent binationaux (45% !), les Français à l’étranger ont découvert de nouveaux horizons et ce ne sont plus ceux de la politique intérieure. Mis à part les plus politisés (militants ou sympathisants) ou les plus liés sentimentalement, les Français à l’étranger sont surtout des Français de l’étranger.

« Le départ à l’étranger est un acte volontaire » confirme Philippe Marlière, professeur de science politique et expatrié lui même (cf. liens complémentaires). « Dans nombre des cas, l’intégration dans le pays d’accueil crée une distance avec le pays d’origine qui n’est pas simplement d’ordre géographique. Les expatriés au long cours suivent de loin les péripéties politiques en France. Ils se syndiquent sur leur lieu de travail et lorsqu’ils militent dans un parti français, c’est surtout la politique du pays d’accueil qui retient leur attention. La connaissance du jeu et des enjeux politiques français est formelle et distanciée. »

Les onze nouveaux députés le savent certainement. Mais, bien « promus » (700.000 euros par député selon le quai d’Orsay) et mal élus, ils auront bien du mal à justifier leur existence.

P.S.(si j’ose dire) écouter « l’indifférence » peut aussi se lire dans le sens descendant. Après l’épisode de la Prise En Charge des frais scolaires (effective dès cette rentrée alors qu’elle était annoncée pour 2013, la mesure place en porte à faux les nouveaux élus de Gauche), « l’affaire » des bureaux sans douche ! démontre les difficultés qui attendent les députés de l’étranger.  Entre des électeurs indifférents, un gouvernement et un groupe pas à l’écoute,  les « petites voix  » de l’étranger auront vraiment du mal à se faire entendre..

Texte et dessin sous licence creative commons.

Liens complémentaires :

« la France on l’aime ou on la quitte ». En sous titrant ainsi « Le débat de midi » du 6 juillet sur France Inter, les producteurs de l’émission avouaient qu’ils n’avaient pas d’angles bien définis pour aborder la question de l’expatriation. Résultat, une émission décousue malgré la présence de Gaspard Koening, candidat malheureux, Christian Roudaut, journaliste  « rapatrié », et d’Hélène Conway, la toute nouvelle ministre déléguée aux Français de l’étranger. A noter la centaine de commentaires qui témoignent majoritairement du « plaisir » de l’expatriation qui n’incline pas à regarder dans le rétroviseur.

A quoi vont servir les députés des Français de l’étranger ? Bonne question à laquelle Philippe Marlière, professeur de science politique à University College London déjà cité, ne répond pas tout à fait sur le site du Monde idées. Après avoir refait l’histoire de cette élection et analysé « l’indifférence » propre à l’expatriation, Philippe Marlière conclut par une interrogation très pragmatique : « Plutôt que d’établir ces postes de députés à l’étranger, n’aurait-il pas été plus judicieux de moderniser des services consulaires souvent engorgés et vétustes ? »

Députés représentant les Français de l’étranger : le triple échec . Blogueur de droite revendiqué, Le taulier explique ce rendez-vous manqué essentiellement par les problèmes du vote électronique et l’aveuglement de la Droite qui n’a pas su adapter son offre politique à la spécificité de l’élection.  Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu, explique le blogueur qui rappelle qu’il y a tout juste un an, dans un premier billet, « victoire acquise de l’UMP ?, il avait averti sur les défauts du scrutin et envisagé une inversion du rapport de force  en faveur du PS…. jusqu’à l’éventualité de la victoire de la Gauche dans 8 circonscriptions sur 11! Pas mal vu ! ;^)