Ils auront été la révélation politique de la semaine, comme de jeunes joueurs prometteurs peuvent l’être à leurs débuts. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, un Français de l’étranger ne pouvait guère être, aux yeux du grand public, qu’un footballeur expatrié..
On les avait bien vu apparaître dans le match des législatives, mais c’est peu dire qu’ils n’avaient guère réussi leur première sortie sur le terrain médiatique. Malgré l’exploit de la qualification surprise de 8 députés de gauche, contre tous les pronostics, leur mauvais score électoral semblait leur promettre un nouveau séjour en équipe réserve. Les promesses entrevues d’un nouveau style de jeu, plus ouvert, plus délié, semblaient vouées à s’effacer derrière la mauvaise réputation des plus connus d’entre-eux, les exilés fiscaux..
Et puis voilà que les Français de l’étranger s’invitent au cœur des deux débats les plus passionnés de ce début de saison. Et les marquent de leur empreinte. Spectaculairement, dans l’affaire des caricatures de Mahomet, plus discrètement en ce qui concerne la question du droit de vote des étrangers.
Français de l’étranger
La rédaction de Charlie Hebdo ne les avaient sans doute pas vu venir. Leur apparition en chair et en os a fini par troubler le débat quasi …théologique sur la liberté d’expression. 250 intégristes noyés dans 65 millions de nationaux, ça ne fait pas peur. Quelques milliers de compatriotes en première ligne dans des pays où les intégristes mobilisent, ça change un peu la donne.
Heureusement, les premières informations de ce vendredi sont plutôt rassurantes comme les témoignages des premiers concernés recueillis par le Monde : » les Français de l’étranger confiants et sereins ». Mais la visibilité nouvelle des Français de l’étranger a fait bouger les lignes.
Autre exemple, le clivage Gauche-Droite perd un peu de sa pertinence si on l’aborde d’un point de vue expatrié. Si l’on est pas vraiment surpris de l’unanimité des réactions des élus des Français de l’étranger face au danger, (ici et ici ) on se rappellera que pendant la campagne des législatives, il semblait parfois plus facile de mettre en contradiction les élus avec leur propre parti qu’avec leurs concurrents…Sur les questions de société notamment (binationalité, mariage gay…).
Étrangers de France
Influents, les Français de l’étranger l’auront été aussi dans la relance du débat sur le droit de vote des étrangers. Tout le monde ne l’a peut-être pas remarqué, mais parmi les 77 députés PS signataires de l’appel, figuraient les 7 nouveaux élus des Français de l’étranger. Certains ont joué un rôle moteur dans la mobilisation. Notamment, les 2 secrétaires nationaux, Pouria Amirshahi et Axelle Lemaire. Et comment aurait-il pu en être autrement. Émigrés eux-mêmes, confrontés aux réalités du vivre ensemble, parfois binationaux, ils parlent d’expérience.
Corinne Narassiguin, députés d’Amérique du Nord :« étrangère dans un pays où pourtant je me sens chez moi, pour y avoir vécu et travaillé, pour avoir suivi avec passion les débats politiques qui l’animaient, et m’y être impliquée, comme il est pour moi naturel de s’impliquer dans la vie de son quartier, de son district ou de sa commune. (..) Beaucoup de Français établis hors de France (..) trouveraient peut-être plus censé de voter pour les autorités élues de la ville où ils résident réellement que pour ceux de leur commune d’origine.(..) certains peuvent le faire d’ailleurs » (cf. billet « la France à la traîne ? »)
L’expatriation nouvelle passion française ?
C’est un phénomène qui n’est pas encore apprécié à sa juste dimension. Près de 2.5 millions de nos compatriotes sont désormais établis hors de France. + 4% par an en moyenne, une croissance de près de 50% en dix ans. La population expatriée s’est profondément renouvelée ces dernières années. Loin des clichés « expats » des cadres internationaux, des coopérants et des exilés fiscaux, ce sont majoritairement les jeunes qui décident aujourd’hui de tenter leur chance à l’étranger. On peut y voir les signes d’un pays en crise, on peut y voit aussi un gage d’avenir.
Pas tant parce que les expatriés pourraient jouer un rôle d’ambassadeur de nos savoir-faire comme l’imaginent les politiques de tous bords (beaucoup de partants se considèrent comme des émigrés), mais plutôt parce qu’ils pourraient à l’inverse devenir à terme les ambassadeurs du monde dans nos débats hexagonaux. Comme l’imaginaient début septembre un chef d’entreprise, un rapeur et un journaliste auteur d’une adresse spectaculaire publiée dans Libération :
L’émergence des Français de l’étranger dans les champs médiatiques et politiques ressemble ainsi à une promesse. On peut d’ailleurs noter dans les deux débats de ces derniers jours que les Français de l’étranger nous auront au moins imposé de regarder la question musulmane sous des angles complémentaires..
« J’ai partagé cette vie d’expatrié, fière de son pays et agacée parfois d’une certaine étroitesse d’esprit, de nombrilisme. Les Français de l’étranger apportent souvent ce sens d’un monde un peu plus vaste, le vent du large » …Christine Lagarde. A l’époque, la patronne du FMI était pressentie dans la 1 ère circonscription des Français de l’étranger (États-Unis, Canada).
*P.S. une question subsidiaire qui rapproche les deux thèmes évoqués ci-dessus
Si le droit de vote des étrangers avait été accordé en 81, est-ce qu’on aurait pas changé un peu le casting des manifs islamistes d’aujourd’hui ? Avoir eu des parents un peu moins invisibles donc potentiellement plus respectables, avoir eu des rapports de force un petit peu plus solides dans la politique de la ville, avoir eu le temps de décrisper une partie au moins des questions identitaires, voilà autant de racines qui n’auraient peut-être pas prospéré. Avec le temps oui, avec le temps oui tout s’en va…surtout les fantasmes. Il suffit de regarder les exemples étrangers où les crispations se sont diluées au fil de l’eau. (Évaluation du droit de vote des étrangers en Belgique, droit accordé depuis 2006, ici et ici )