14 Mai

« La France leader mondial des terres rares : c’est possible en s’inspirant du Groenland ! »

Billet invité : Il a quitté la France, il y a quelques années déjà, mais il ne lui a pas tourné le dos. Passionné de politique et de partages d’expériences, co-fondateur, dans cet esprit, de Génération Expat, le premier think-tank indépendant des Français de l’étranger, Mikâ Mered est étudiant-chercheur en prospective politique à Columbia University et CEO d’un cabinet de conseil prospective et risques politiques spécialisé sur l’énergie et les affaires polaires.

Si j’ajoute qu’il a été un des premiers lecteurs de ce blog et de la page Facebook associée « Français à l’étranger » (voir ci contre), Mikâ Mered a toutes les « qualités » pour s’exprimer ici, comme tous ceux d’entre-vous qui, de là où vous êtes, entretenez le même rapport au débat public national. Du bout du monde au coin de la rue…


Dans ce billet publié parallèlement ce matin dans La Tribune des Expats , il décrit les enjeux des terres rares et des métaux précieux et donc les atouts de la présence française dans le Pacifique. Des atouts dont il pense que nous risquons de ne pas savoir les jouer..

La France leader mondial des terres rares : c’est possible …

Fibre optique, TV, smartphones, batteries, têtes de missiles, piles à combustible… les « terres rares » sont au cœur des NTIC et des cleantechs. Enjeu-source de la 4ème révolution industrielle, l’accès direct à ces 17 métaux rares sera d’une importance politique et géostratégique aussi considérable au 21ème siècle que l’accès aux hydrocarbures l’était au 20ème. Et pourtant, la France regarde les trains passer…

Groenland-Tahiti, les atouts-maîtres

Aujourd’hui, la Chine fournit environ 95% de la production de terres rares. Une arme politique cruciale pour Pékin: la pression par les quotas d’exportation envers ses concurrents coréens, japonais et américains est d’une efficacité redoutable. En revanche, face à ce géant, l’Europe possède deux atouts-maîtres pour mettre fin au monopole chinois : le Groenland et la Polynésie Française.

En effet, dès 2008, le Danemark découvre le dépôt on shore historique de Kvanefjeld (sud-Groenland), estimé à lui seul comme la deuxième réserve de terres rares au monde. En 2010, c’est une équipe de l’Université de Tokyo qui repère des dépôts offshores non moins historiques dans la Zone Economique Exclusive de la Polynésie Française. L’hexagone se trouve ainsi propulsé au rang de potentiel détenteur de 30% à 50% du marché mondial (en fonction de la politique de quotas qu’elle souhaiterait mener).

Alors, depuis 2010, le lobbying de Pékin pour emporter un maximum de licences minières au Groenland ne cesse de s’intensifier. Dans la même dynamique, l’Empire du Milieu a lancé en Avril 2012 la première association de producteurs de terres rares, avec pour ambition de jeter les bases d’un cartel international des producteurs de terres rares sur le modèle OPEC/GECF.

Cependant, si la stratégie chinoise laisse de bonnes contre-chances au Danemark, il n’en va pas de même pour Paris qui pâtit de son incapacité à gérer ses outremers. Désormais respectivement deuxièmes et troisièmes réserves mondiales de terres rares, faisons ici le parallèle Groenland-Polynésie.

Danemark-Groenland : la stratégie du grand frère

L’intérêt du Groenland ne date pas de la fonte de l’Arctique. Depuis 1950, les relations entre l’île et la métropole se voulaient inclusives, sur la base d’une départementalisation avec toutefois une autonomie renforcée. Or, dans les années 70, puis depuis le référendum de 2008 sur l’autogestion, le Groenland est résolument tourné vers l’indépendance, toutes tendances politiques confondues. Dans ce contexte, le Danemark se construit une image de suzerain bienveillant, garant expérimenté du développement.

En accompagnant le processus d’autonomie de l’île et en la mettant largement en valeur sur la scène internationale, Copenhague veut offrir une réponse évidente à la question que tous les leaders politiques groenlandais posaient lors de la campagne législative de Février-Mars dernier : pour financer l’indépendance, étant trop peu nombreux pour développer une industrie extractive, de qui le Groenland devra-t-il être le rentier ? Et comment développer un état fort pour éviter la corruption et le népotisme ?

C’est ainsi que, la nouvelle Première ministre Aleqa Hammond défendit durant la campagne l’idée d’une « préférence danoise si possible » quant aux activités minières. Mieux : les velléités d’indépendance ne font tellement plus aucun doute (à l’horizon 2021) que même la famille royale danoise a appelé publiquement au soutien de la démarche.

C’est ainsi que, en investissant politiquement pour éviter un bras de fer contreproductif, le Danemark peut s’attendre à retirer des bénéfices économiques et géostratégiques dès la fin de la décennie. Sécurité, stabilité, proximité : l’assurance d’un jackpot pour Copenhague… que la France, passive, ne semble pas même jalouser !

France-Polynésie: la stratégie du bras de fer ?

« Qui paie contrôle ! » disait le Michel Rocard de Matignon. Aujourd’hui ambassadeur pour les pôles, il peut observer à travers l’exemple groenlandais qu’à l’heure du constructivisme politique, le contrôle s’obtient davantage par un rapport de coopération diagonal que par un colbertisme vertical suranné.

En Polynésie, le contrôle métropolitain n’est qu’artificiel car la perfusion budgétaire entretient une corruption généralisée, elle-même génératrice d’instabilité économique, politique et sociale. Mais alors, comment assurer l’exploitation des terres rares polynésiennes sur le long terme dans un tel climat ? C’est bien la question à laquelle ne répond le Comité pour les métaux stratégiques (COMES).

Créé par le gouvernement Fillon en 2011, le COMES s’est orienté vers le recyclage et la prospection des terres rares en Guyane et Nouvelle-Calédonie.  Parti donc à l’opposé du développement des terres rares polynésiennes, le COMES ne cherche-t-il pas à éviter le durcissement du bras de fer entre Paris et Papeete né de la loi organique du 27 Février 2004 sur l’autonomie ?

Son article 14 stipule que les autorités de l’Etat « sont seules compétentes dans le champ des matières premières stratégiques ». A l’ancienne, Paris organise ici l’exploitation sans partage de sa colonie. La Polynésie n’y retirerait donc, contrairement au Groenland, aucun bénéfice direct ou capacité d’autogestion pour renouer localement avec la croissance.

En 2011, le jeune sénateur indépendantiste Richard Tuheiava et 29 représentants de l’Assemblée territoriale sont allés jusqu’à pétitionner pour la réinscription de la Polynésie Française sur la liste des territoires à décoloniser l’ONU afin de « repenser un modèle de développement en conformité avec l’article 73 de la Charte des Nations Unies ». Initiative soutenue par le voyage du Président Polynésien Oscar Temaru au siège de l’ONU, elle est symptomatique du fossé qui se creuse toujours davantage entre Paris et Papeete.

L’an dernier, dans la droite ligne de l’ouverture mitterrandienne de 1984, le candidat Hollande avait promis aux polynésiens une « reconnaissance des ressources naturelles, (…) de pouvoir assurer, dans l’autonomie, votre propre développement ». Lueur d’espoir dans l’interminable débat entre indépendance, autonomie et départementalisation ? Rien n’est moins sûr ! Avec la victoire toute prochaine de l’ex-RPR Gaston Flosse aux élections territoriales, la poussière sera plutôt mise sous le tapis en attendant une prochaine alternance à Paris ou Papeete…

Pendant ce temps-là, tenus à une relative distance au Groenland, les stratèges américains et chinois nous scrutent, prêts à investir massivement dans le Pacifique-sud pour gagner des parts de marché et bloquer des positions géostratégiques par la coopération économique.

En somme, sur les terres rares polynésiennes comme sur le pétrole guyanais, saint-pierrais, et les schistes, alors qu’elle pourrait devenir leader mondial et dire adieu à la crise, la France, à l’inverse du Danemark, semble incapable de développer ses atouts. Pis, cette attitude défensive —pour ne pas dire passive— sur les ressources est le pire signal que la France puisse donner : puissance moyenne, et fière de l’être…

Mikå Mered, PdG Polariis, Cercle Arctique, sur twitter @Mika_polariis

Lien complémentaire : le hasard (?) du calendrier fait qu’une autre tribune sur le même sujet a été publiée hier par Michel Cotten, ancien haut fonctionnaire, sur Slate.fr. La principale différence résidant dans le parallèle avec la situation du Groenland que l’un fait, l’autre pas.