31 Mai

législatives de l’étranger : le miroir sans tain de TV5

« miroir, ô, mon miroir… »

Des députés probablement mal élus avec des taux de participation autour de 30%, des circonscriptions hétérogènes ressemblant à un inventaire géographique à la Prévert prêtant plus à sourire qu’à s’émerveiller d’une carte électorale à la dimension planétaire, des débats de fond(s) oscillant entre comptes d’apothicaires  et calculs d’épiciers…Pas sûr que la soirée spéciale de TV5 Monde hier soir ait contribué à revaloriser les enjeux de cette innovation démocratique que constitue ces premières législatives de l’étranger.

Il faut dire que nos confrères n’ont pas été aidé  par l’impression de dilettantisme laissée par Yamina Benguigui, bien incapable de donner le moindre souffle à sa nouvelle responsabilité. Visiblement pas encore entrée dans les habits de sa fonction, la toute nouvelle ministre déléguée n’aura guère réussi qu’à bafouiller l’argumentaire en faveur du vote par internet préparé par son administration. Sans visiblement être au courant du débat d’ampleur qui se déroule sur le sujet. Autant dire que l’émission n’était pas placée sur bonne orbite.

Mais entendons nous bien. Il ne s’agit pas ici de « dénoncer » le travail de nos confrères. D’abord parce qu’une émission ne dit pas tout de la couverture de la campagne dans la durée. Et personne mieux que les journalistes de TV5 Monde et du petitjournal.com chacun de son côté ou en association, n’a consacré autant de compétence éditoriale, d’espace et de temps d’antenne à cette élection largement ignorée par ailleurs. Ensuite, parce que l’exercice n’est pas si aisé. Difficile pour un miroir de réfléchir, nettement, une image floue dès l’origine.

Histoires de flou

Comme l’a montré le chercheur Cédric Pellen, en matière de droit  de vote des expatriés, le calcul a toujours précédé la réflexion. En permettant pour la première fois aux expatriés de participer à la présidentielle de 1981, Valéry Giscard d’Estaing avait moins en tête la valeur ajoutée des Français établis hors de France que son propre intérêt électoral. Et si c’est Nicolas Sarkozy plutôt que François Mitterrand qui a concrétisé le projet ancien de création de députés de l’étranger, c’est bien parce que le premier avait un intérêt supplémentaire à le faire. A l’époque du découpage, chacun s’accordait pour prévoir un rapport de force de 9 sièges pour la droite contre 2 pour la gauche… Quand à savoir s’il y avait une nécessité impérieuse à ajouter de nouveaux représentants aux 155 conseillers élus à l’Assemblée des Français de l’Étranger et aux 6 sénateurs dédiés..

Aujourd’hui cette question est dépassée. Mais à deux jours du scrutin, la réflexion est toujours en cours sur le rôle que vont bien pouvoir jouer ces nouveaux élus ? De la simple défense d’intérêts particuliers, genre « super syndicaliste »,  à l’idée, extrême, de la défense des intérêts de sa deuxième nationalité (dans la 8è, certains candidats ont annoncé leur volonté de porter les intérêts d’Israël au cœur de l’Assemblée Nationale), la palette des réponses est très variée. Il y a les partisans de l’idée de passerelle avec les autres peuples et les défenseurs d’une non ingérence absolue dans les affaires des pays de résidence. Du côté moins disant, on retrouve le plus souvent les candidats officiels qui connaissent le poids de la discipline de vote. De l’autre, beaucoup d’indépendants (mais pas seulement) qui appellent de leur vœux la constitution d’un « groupe » parlementaire indépendants des partis.

Miroir sans tain

Hier soir, comme ces miroirs dont la particularité est de ne réfléchir qu’une partie de la lumière qu’il reçoivent, et de laisser passer l’autre partie, TV5 Monde et le petitjournal.com n’ont pas vraiment réussi à rendre compte de ce foisonnement et de ses potentialités. Les contraintes légales et techniques notamment ont poussé la rédaction à privilégier la parole des grands partis dans les reportages sur les circonscriptions. Mais en centrant le débat sur les seuls intérêts particuliers des expatriés, en n’évoquant qu’à la marge la valeur ajoutée qu’ils pouvaient représenter, l’émission a clairement privilégié une lecture minimaliste voire « institutionnelle » du rôle des futurs députés. Comme si la messe était dite et que, mal élus, forcément mal élus, les nouveaux députés devraient se contenter de la place qu’on leur laisserait d’un côté ou de l’autre de l’échiquier.

Et pourtant quelle que soit la probabilité réelle d’une faible participation, ce scrutin inédit proposera forcément des surprises. Sans doute dès ce dimanche. Et peut-être qui sait, le décalage de point de vue propre aux expatriés (cette qualité tellement vantée par les candidats en campagne) survivra-t-il au scepticisme ambiant.

Citations et liens complémentaires :

Sur le rôle dans les relations extérieures d’un élu des Français de l’étranger :

  • débat intéressant sur la possibilité ou non d’un député d’intervenir dans son pays de résidence. « L’ingérence et la non-ingérence. Voilà une question à laquelle les Français du Canada sont peut-être plus sensibles. Le « Vive le Québec Libre » de 1967 a dressé la table. Et les récentes discussions sur le vote des Français du Canada sur le territoire canadien pour les législatives ont réchauffé une relation complexe, un triangle diplomatique amoureux souvent compliqué ».  http://qc2012.wordpress.com/2012/05/28/ingerence-ou-pas-quelle-action-politique-pour-les-deputes-francais-de-letranger/
  • « Pour ce couple de Français domicilié en Jordanie, « le concept de « député des Français de l’étranger » est un non-sens. Nous n’attendons pas de cet élu qu’il défende nos intérêts particuliers mais qu’il porte un projet pour la société française et sa collaboration avec les autres peuples » /// « Autre inconnue de ce scrutin, la place qu’auront les 11 députés – qui représenteront le million de Français inscrits sur les listes consulaires (2,5% des électeurs) – au sein de l’Assemblée nationale. Certains entendent faire bloc, pour défendre les expatriés, autour d’un « discours commun », transcendant les frontières politiques, selon les mots d’Alain Marsaud. Même si d’autres n’envisagent pas les choses ainsi. « Voter UMP ou PS, ce n’est pas la même chose. On est à l’Assemblée pour faire la loi de tous les Français. Et ceux de l’étranger vont enfin trouver leur place dans le projet commun », tranche Pouria Amirshahi. »  Législatives françaises : pour qui vont voter les Français d’Afrique ? | Jeuneafrique.com – le premier site d’information et d’actualité sur l’Afriqu

Sur l’éventualité d’un groupe parlementaire indépendant : le point de vue d’un blogueur et de deux candidats indépendants, parmi d’autres.

  • « On ne cesse pas d’être français dès que l’on passe une frontière. Et pour ces français au moins l’étranger a cessé d’être étrange; pour certains il est même devenu familier. Alors s’il faut absolument les qualifier, qu’il leur soit au moins donné de rejoindre leurs compatriotes de Bora-Bora et de Kourou pour devenir tout simplement des français d’outremer.  La future Assemblée nationale comptera donc 38 députés d’outremer. » http://blogs.mediapart.fr/blog/highercta/240512/pour-un-groupe-des-francais-d-outremer-l-assemblee
  • je suis résolument pour un rapprochement de ces députés d’outremer et de ceux qui représenteront les 11 circonscriptions des Français de l’étranger. L’antillais Édouard Glissant qui n’aimait pas non plus ce terme d’outremer mais était conscient des questions identitaires posées par les appartenances multiples (ce qu’il appelait l’”identité-rhizome”) parlait de “Tout-Monde”. Je pense qu’il faut donc refondre ce groupe parlementaire français d’outremer en “groupe parlementaire Français du Tout-Monde”. La lecture en sera facilitée et la dialectique territoire / diaspora gagnera en clarté. http://www.alexandrefoulon.com/