03 Mai

Droit de vote des étrangers : la France à la traine ?

Et comme souvent, il suffit de changer de perspective. De se placer par exemple du point de vue d’un expatrié français. Contrairement aux apparences, la question du droit de vote des étrangers n’est pas une polémique universelle. Au contraire, selon l’étude d’un chercheur du CNRS, 64 états (sur 192 membres de l’ONU), un pays sur trois dans le monde « offre une pratique du vote des étrangers ». Les modalités sont diverses. Mais si l’on s’en tient aux termes du débat français (droit de vote local sans éligibilité), ce sont 36 pays qui proposent cette accès à la citoyenneté aux Français de l’étranger. Sans réciprocité. Entretien avec Hervé Andres, ingénieur d’étude au CNRS.


« Inclus dans le traité de Maastricht, le droit de vote des ressortissants européens des pays membres de l’UE aurait pu être une occasion d’étendre ce droit aux étrangers extra communautaires. Le débat a existé, les politiques ne l’ont pas voulu ».

Hervé Andrès parle en connaisseur. Aujourd’hui chercheur au CNRS, il est l’auteur d’une thèse qui fait toujours référence 5 ans après. C’est en effet l’étude comparée sans doute la plus complète sur les législations en vigueur sur tous les continents. Les passionnés de la chose publique pourront se lancer dans la lecture de cette somme qui ne se contente pas d’un simple état des lieux mais qui envisage les fondements théoriques et les évolutions historiques des rapports entre nationalité et citoyenneté. Au passage, on remarquera le chapitre consacré à « la citoyenneté sociale ». On a tendance à l’oublier mais  les étrangers sont déjà électeurs voire éligibles dans de nombreux domaines dès lors que l’exercice de l’autorité publique ou de fonctions de souveraineté n’est pas en jeu. C’est le cas des instances représentatives du personnel (depuis 1946), des caisses de sécurité sociales, des offices HLM, des instances scolaires et même des prud’hommes (pas d’éligibilité dans ce cas).

Entretien avec Hervé Andrès

« La citoyenneté doit être liée à la nationalité. » C’est un des arguments que l’on entend dans le débat actuel.  Comment s’articule ces deux notions dans l’histoire du droit de vote des étrangers ?

« Dans le cadre de la démocratie moderne, le point de départ, c’est la révolution américaine. Quand les colons décident de créer un nouveau pays, la définition de la citoyenneté est posée. Leur slogan est simple : « No taxation without representation ». C’est la contribution à la société qui fonde le droit à la participation politique. Ce n’est donc pas la qualité de sujet du roi d’Angleterre. Et durant 150 ans, le droit de vote est reconnu aux taxpayers même s’ils ne sont pas encore naturalisés. Il s’agit d’une voie vers la citoyenneté (Path to Citizenship).

C’était également la conception prévalant en Argentine dès 1854. Ainsi les deux notions, droit de vote des étrangers et accès à la nationalité, ne s’opposent pas forcément. Dans certains pays, c’est au contraire parce que la naturalisation était difficile que le droit de vote a été accordé aux étrangers, comme une compensation. C’est la tradition nordique, par exemple.

« La France a trainé des pieds« 

Sur le fond, tout dépend où l’on place la notion de souveraineté. Refuser le droit de vote des étrangers, c’est accorder la primauté à la souveraineté de l’État, puisque c’est l’État qui définit qui a la nationalité et qui ne l’a pas.

Mais si la souveraineté est celle du peuple, pourquoi ne pas reconnaître que dans une certaine mesure, ceux que l’État appelle les étrangers sont des membres du peuple.

En France, selon l’article 3 de la Constitution, la souveraineté nationale appartient au peuple. Il n’était pas évident que cela empêchait le droit de vote des étrangers, pour les élections municipales au moins. En 1992, lors de l’adoption du traité de Maastricht (créant l’Union européenne et une citoyenneté européenne), la question a été tranchée par l’interprétation rendue par le Conseil Constitutionnel et la révision constitutionnelle telle qu’elle a été rédigée.

Que s’est -il passé  ?

Pour arriver à faire adopter le traité par la France, François Mitterrand s’est sans doute entendu avec une partie de la droite pour limiter strictement le droit de vote et l’éligibilité des citoyens européens, compliquant à dessein une éventuelle extension aux extra-communautaires. L’article 88-3 , tel qu’il a été rédigé, exprime de nombreuses réticences : explicitation de la réserve de réciprocité, lien avec le traité, utilisation du verbe « pouvoir » (« peut être accordé »), mention de l’adjectif « seuls » (« seuls citoyens de l’Union »), interdiction des fonctions de maires et d’adjoint (alors qu’il n’était pas évident que les adjoints étaient forcément titulaires de prérogatives de souveraineté). Et la France a « traîné des pieds » pour mettre le droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens en application. Le principe a été adopté en 1992, mais la loi organique n’a été adoptée qu’en 1998, et il a donc fallu attendre 2001 (9 ans !) pour que les citoyens européens puissent voter aux élections municipales générales.

D’autres pays ont-ils saisi l’occasion pour accorder le droit de vote aux étrangers ?

La plupart des pays européens ont appliqué cette disposition plus rapidement, et certains ont, depuis, accordé le droit de vote à tous les résidents étrangers, sans distinction de nationalité. C’est le cas notamment de la Belgique et du Luxembourg.

Le Luxembourg et la Belgique ont attendu 2003 et 2004. Il faut dire que dans ces 2 pays, c’était déjà difficile « d’avaler » le droit de vote des Européens qui sont très nombreux. Par contre, certains pays de l’Est l’ont adopté par anticipation, avant de rejoindre l’UE, avant d’intégrer « l’acquis communautaire » (Estonie 1993, Hongrie 1994, Lituanie 2002, République tchèque (réciprocité) 2001, Slovaquie 2001, Slovénie 2002 ).

Les autres pays l’avaient fait AVANT (Irlande 1963, Suède 1975, Danemark 1981, Pays-Bas 1985, Finlande 1991) + Royaume Uni 1948 (Commonwealth) , Espagne 1978 (réciprocité), Portugal réciprocité / lusophonie, par étapes, depuis 1971).

Les citoyens européens se servent-ils de ce droit ?

Le corps électoral européen en France représente 1.1 millions d’électeurs potentiels. (Comme les Français de l’étranger, soit dit en passant).  Ils sont 200 000 inscrits…Si le droit était accordé aux extra communautaires, cela pourrait représenter 1.9 millions de personnes au plus. Mais ce chiffre devrait être révisé à la baisse en fonction des conditions restrictives liées à la durée de résidence retenue.

Selon vos observations, dans combien de pays les Français expatriés ont cette possibilité de participer à des scrutins locaux ?

A ma connaissance, en PLUS des pays de l’Union Européenne, au moins 20 pays accordent d’ores et déjà le droit de vote aux Français présents sur leur territoire (sous réserve de durées de résidence variables) : l’Islande, la Norvège, la Bolivie, le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Paraguay, le Pérou, l’Uruguay, le Venezuela, Trinidad et Tobago, le Burkina Faso, l’Ouganda, le Rwanda, la Zambie, la Corée du sud (aux élections locales). Quatre pays accordent ce droit aux élections nationales : le Chili, l’Uruguay, le Malawi et la Nouvelle-Zélande. De plus, au Maroc, l’article 30 de la nouvelle constitution adoptée par referendum en juin 2011 dispose que « (…) les étrangers (…) qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application de conventions internationales ou de pratiques de réciprocité ». Rajoutons également le Cap Vert et la Guinée, qui accordent le droit de vote aux étrangers sur la base de la réciprocité, et seraient donc susceptibles d’accorder le droit de vote aux Français.

A noter enfin, les cas où ce sont des collectivités territoriales qui peuvent accorder ce droit. 22 des 24 états argentins, 3 des 8 états Australiens, plusieurs cantons et communes suisses, quelques (rares) communes américaines, Jérusalem Est et Hong Kong pour les élections territoriales.

Tous les témoignages sont les bienvenus. Vous avez déjà exercé un droit de vote dans un pays de résidence, vous avez constaté au contraire qu’il était difficile à exercer malgré la législation ? La législation a évolué dans le pays où vous vivez actuellement ? N’hésitez pas à poster un commentaire ou une contribution.

Liens complémentaires :

  1. La présentation synthétique de son travail par Hervé Andres lui même dans une contribution publiée par le site la lettre de la citoyenneté
  2. Citoyenneté et droit de vote des étrangers une note de synthèse rédigée par la Direction de l’Information Légale et Administrative (DILA) (services du Premier Ministre). Intéressante pour la mise en perspective des citoyennetés sociales et européennes.
  3. L’étude de législation comparée en Europe réalisée dans le cadre du débat sénatorial sur le projet de loi constitutionnelle sur le droit de vote ses étrangers  du mois d’octobre dernier.
  4. le compte rendu des débats au Sénat sur la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers, non-ressortissants de l’Union européenne résidant en France. 8 novembre 2011. Édifiant
  5. Sur le droit vote des expatriés en Corée et en Nouvelle Zélande, cette adresse polémique de Janick Magne, candidate dans la #11è des Français de l’étranger à l’attention de Thierry Mariani, le ministre des Transports qui brigue le même mandat