Dans dix ans, le climat de la Franche-Comté correspondra à celui de Lyon actuellement. Une mauvaise nouvelle pour les truites des rivières comtoises qui ne supportent pas d’évoluer dans des eaux de plus en plus chaudes. Mais, ce réchauffement climatique pourrait avoir une conséquence inattendue pour la santé des rivières comtoises. Pour faire face à l’intensification des épisodes de sécheresse, les agriculteurs de la filière AOP comté pourraient être amenés à faire évoluer leurs pratiques. Autre évolution possible, la restauration des cours d’eau afin de mieux préserver les ressources en eau.
La Confédération Paysanne de Bourgogne Franche-Comté met les pieds dans le plat en organisant une conférence le 13 mars prochain à Pontarlier. Les syndicalistes agricoles ont invité l’ingénieur agronome Mathieu Cassez pour débattre des moyens d’adaptation de la filière AOP comté au réchauffement climatique. Conséquence de ces périodes de sécheresse comme celle de l’été dernier, les agriculteurs ont moins de fourrage et d’herbes. Comment réagir ? L’ancien ingénieur agronome de la chambre d’agriculture du Doubs prône la décroissance. C’est ce qu’il a expliqué à mes confrères Lucie Thiery, Jean-Louis Saintain et Sébastien Dufour. Pour mieux comprendre comment les agriculteurs peuvent réagir à cette évolution, l’équipe de France 3 est allée dans le Haut-Doubs, à Remoray-Boujeons au GAEC de la Vuillaumière. David Vuillaume, Mélody et Xavier Thabard ont fait le choix d’arrêter les engrais sur leurs parcelles pour améliorer la résilience de leurs prairies.
La recherche d’autonomie fourragère quitte à diminuer son cheptel est l’option choisie par le Gaec de la Vuillaumière. Un choix qui n’est pas celui de la majorité des élevages du Haut-Doubs. Les éleveurs soulignent que l’histoire de la ferme leur a permis de faire le choix d’une pratique extensive ce qui n’est pas forcement évident pour d’autres exploitations surtout dans un contexte de pression foncière.
Mathieu Cassez a étudié l’évolution des exploitations entre 2010 et 2015.Il constate une augmentation de la production de litre de lait à l’hectare et aussi par producteur. A partir des statistiques du ministère de l’Agriculture, l’ingénieur agronome note que
La tendance est à l’augmentation de la densité laitière et donc de la pression de production de lait. Globalement les populations les plus extensives diminuent en nombre et les plus intensives augmentent. C’est la conséquence d’une augmentation du volume de production globale de comté tirée par les marchés porteurs (+56% de fromage produits en 20 ans).
Matthieu Cassez souligne que :
Cette croissance s’est faite à évolution nulle voire négative du revenu des producteurs. L’intégralité de la croissance a été captée par la consommation d’intrants et surtout les moyens de productions (bâtiments, matériel). C’est à mon avis un avant goût du contexte de pénurie énergétique et des ressources naturelles qui s’annonce et qui commence à se traduire dans le modèle économique. Autrement dit, la croissance coûte trop cher aujourd’hui et annule le taux de profit des fermes. Les producteurs n’ont pas rien eu en échange, ils ont pu construire des bâtiments qui les ont fait sortir de situation de pénibilité du travail pour la plupart, mais c’est la première fois en 17 ans de travail que je vois que les fruits de cette croissance donnent zéro pour le revenu !
Pour sortir de cette spirale infernale, la diminution des charges est une solution. En s’orientant vers des choix plus agroécologiques, la filière comté pourrait avoir un impact direct sur la qualité des rivières comtoises, la qualité floristique et la conservation des paysages. On a vu que l’une des raisons du mauvais état des cours d’eau en milieu karstique était justement le trop plein de nutriments comme les engrais qu’ils soient artificiels ou naturels comme les effluents d’élevage.
A chaque fois qu’on intensifie, on est moins efficace économiquement.
remarque Mathieu Cassez.
En novembre 2017 lors de la conférence d’Orchamps-Vennes, Mathieu Cassez avait déjà souligné la fragilité du modèle économique dominant dans la filière comté :
Depuis les années 2000, la productivité de ce secteur a progressé mais pas forcement les revenus. Pourquoi la profession s’est-elle engagée dans une course à l’hectare ? En 2000, un bâtiment agricole coûtait 3000 euros par vache, aujourd’hui son coût a plus que triplé en raison de l’augmentation du prix des matériaux. Matthieu Cassez interroge la salle : Peut-on encore supporter ce modèle de croissance alors que le milieu naturel ne peut plus supporter cela ?
Conscient des enjeux, le CIGC s’est déjà interrogé en commandant une étude sur les scénarios d’avenir de la filière. Parmi les 5 pistes explorées, le scénario vert (excellence environnementale d’un grand fromage) est celle qui se rapproche des préconisations de Mathieu Cassez. « Avec une production moindre » précise-t-il. Et à une condition : faire reconnaître ce comportement vertueux . Le consommateur sera-t-il prêt à payer plus cher son comté pour participer lui aussi à la préservation de l’environnement ?
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr