29 Août

Réhabilitation du Drugeon : effacer les erreurs du passé

Le drugeon, rivière labellisée par l’Agence de l’eau sur moins de 4 km

La sécheresse de cet été 2018 n’a pas que des inconvénients : voir une partie du Doubs complétement à sec incite à prendre conscience de l’importance de l’eau dans le Haut-Doubs. La récente labellisation d’une petite partie du Drugeon, affluent du Doubs, comme « Rivière en bon état » par l’Agence de l’eau conforte l’action en faveur des rivières et des zones humides.

Le rendez-vous était fixé sur le pont du lieu-dit les Jointes-noires, près de Bonnevaux. Tout un symbole. Laurent Roy, le grand patron de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse avait fait le déplacement pour cette inauguration. Dans l’assistance, des élus, des techniciens des milieux humides, des représentants des services de l’Etat et des pêcheurs. En amont, ils pouvaient observer une rivière « en bon état écologique » et à l’aval, la même rivière, le Drugeon mais qui ne bénéficie pas du label décerné par l’Agence de l’eau.

La réhabilitation du Drugeon n’a pas été à l’image d’« un long fleuve tranquille ». Si aujourd’hui, comme le dit Philippe Alpy, président du SMMAH, Syndicat Mixte des Milieux Aquatiques du Haut-Doubs, «on a jamais eu autant de planètes alignées» pour gérer l’eau, cela n’a pas toujours été le cas. Redonner tout son rôle à une rivière, c’est remettre en cause une logique, c’est changer de paradigme.

Ce chantier est l’un des plus importants de France : plus de 30 kilomètres du Drugeon ont été restaurés. Une vingtaine de kilomètres ont été reméandrés : la rivière retrouve sa liberté, elle n’est plus canalisée par la main de l’homme. En 1996, Christian Bouday, à l’époque maire de la Rivière-Drugeon l’avait affirmé à mes confrères : «C’est un dossier qui fera date».

Petit retour en arrière. Comme l’explique sur son site, l’Agence de l’Eau RMC :

Entre la fin des années 50 et le début des années 70, la vallée du Drugeon connaît de lourds travaux d’aménagement hydraulique. Les marais et les tourbières sont asséchés par la rectification et le curage du Drugeon et de ses affluents et les parcelles riveraines sont drainées. Ces modifications du milieu ont conduit à une érosion forte de la qualité biologique du cours d’eau et une baisse notable du niveau de la nappe phréatique.

Des travaux réalisés sous le contrôle de l’Etat. A l’époque, les directives étaient de nourrir la France, il fallait que les agriculteurs puissent augmenter la surface et la productivité de leurs terres.

Le Drugeon avant sa canalisation avec le projet de rectification

Au XXIe siècle, c’est une autre affaire ! Il s’agit toujours de nourrir le monde mais en préservant les ressources de notre planète. L’Etat français se doit de faire appliquer la directive européenne qui exige 100% des cours d’eau en bon état. Un objectif encore loin d’être atteint mais qui conditionne toutes les actions en faveur des rivières. L’Europe finance largement tous ces chantiers qui améliorent la qualité des eaux. L’Agence de l’eau, l’Etat et les collectivités complètent les budgets.

La restauration du Drugeon dans le cadre du programme européen Life 1993-1997 de restauration du bassin du Drugeon, est particulièrement mise en avant par les acteurs de l’eau car elle est emblématique. Tout d’abord, cette rivière évolue dans un secteur qui a grand intérêt écologique : en secteur Natura 2000, elle fait partie de tout un réseau de milieux aquatiques qui évoluent en surface et sous terre : « une rivière originale dans un contexte karstique » précise l’Agence de l’eau. Le Drugeon est relié aux « éponges » que sont les tourbières du secteur et il se jette dans le Doubs.

Le bassin du Drugeon est l’une des plus grandes zones humides d’altitude française avec plus de 2000 hectares de tourbières, lac, marais, ruisseaux, forêts marécageuses de qualité écologique exceptionnelle

Peut-on lire sur le site de la communauté de communes Frasne-Drugeon. Cette zone humide a été reconnue d’importance internationale.

Ces travaux sur le Drugeon sont complémentaires à un autre vaste chantier : celui de la restauration des tourbières de ce bassin versant réalisée dans le cadre du programme européen Life « Réhabilitation fonctionnelle des tourbières du massif jurassien franc-comtois ». De juin 2014 à novembre 2020, 60 tourbières doivent être elles aussi réhabilitées. L’opération est coordonnée par le Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté.

Le bassin versant du Drugeon

Et comme tout est lié, le petit groupe invité sur le pont des Jointes-noires, a également été informé de l’état d’avancement de la restauration de l’une de ces tourbières : celle du bief Belin entre Malpas et La Planée. La tourbière alimente en eau le bief Belin qui prend sa source dans les marais de Malpas puis rejoint le Drugeon qui se jette lui-même dans le Doubs.

Présentation de la restauration de la tourbière du bief Belin

Restaurer une tourbière, c’est la remettre en eau. Un travail délicat confié à des entreprises spécialisées. Le chantier est terminé depuis juillet, maintenant il suffit qu’il pleuve. La nature pourra reprendre rapidement ses droits avec le retour d’espèces animales et végétales. Il faudra attendre une dizaine d’années pour que la tourbière joue de nouveau son rôle de piège à carbone, très utile pour lutter contre le réchauffement climatique.

Bref, restaurer rivières et milieux aquatiques n’est pas une lubie d’écologistes. Aujourd’hui, une partie des élus l’ont compris, reste à convaincre les sceptiques. Béatrix Loizon, vice-présidente du département l’a rappelé : « ce label va aider à convaincre de l’intérêt de la reconquête de la biodiversité ».

Convaincre, c’est bien ce qu’il reste encore à faire. Sur les 72% du linéaire restauré du Drugeon moins de 4 km du cours d’eau bénéficie du label « Rivière en bon état » entre sa source et en amont du pont. Sur ce secteur, la rivière a son lit naturel, les poissons, les insectes sont plus nombreux qu’avant, la qualité physico-chimique de l’eau est bonne depuis au moins trois ans et le syndicat mixte SMMAHD continue de veiller sur le Drugeon.

Changement de décor, juste en aval du pont du lieu-dit des Jointes noires et jusqu’à Bonnevaux, le Drugeon est encore droit comme un I ! A l’époque de la restauration, dans les années 90, des agriculteurs de ce secteur n’ont pas voulu céder de leurs terres pour une opération dont ils ne voyaient que les inconvénients : moins de terres et plus d’humidités dans leurs prés. Et, plus à l’aval, le Drugeon a  été touché deux fois en 2017 par des pollutions.

Le Drugeon non réhabilté en amont de Bonnevaux.

Cette labellisation  est tout de même « porteuse d’espoir » selon Christian Schwartz, directeur de la Direction des Territoires du Doubs ; « Ce n’est qu’à partir du moment où il y a une conscience collective que les dossiers avancent et pas seulement avec le bâton de l’Etat et les finances de l’Agence de l’Eau ».

En canalisant le Drugeon, en asséchant les tourbières au fil des siècles, les hommes ont supprimé 5 millions de m3 de tourbes soit 4 millions de m3 d’eau stockée. De l’eau qui manque cruellement aujourd’hui.

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr