09 Avr

Le glyphosate sera-t-il un jour banni de nos prairies et de nos jardins ?

Vallée de la Loue, printemps 2014 (M.Prochazka)

Vallée de la Loue, printemps 2014 (M.Prochazka)

Vu de loin, c’est un grand ruban jaune et sinueux. Vu de très près, la poésie s’estompe et les inquiétudes surgissent. Cette photo a été prise dans un coin de la vallée de la Loue. L’agriculteur qui désherbe ses champs en utilisant un herbicide respecte (ou presque)  la distance obligatoire de la rivière pour traiter mais en milieu karstique, personne ne se fait d’illusion… Les micropolluants, insecticides, herbicides, fongicides… se retrouveront dans le cours d’eau. Utilisés par les particuliers, les industriels, les collectivités, les agriculteurs, ils sont partout, dans nos assiettes et dans les rivières. Petit à petit, des actions se mettent en place pour limiter leur impact sur l’environnement. Le glyphosate, l’herbicide utilisé dans le Round up, vient d’être déclaré cancérogène par l’OMS, est dans la ligne de mire de certains élus et des associations de défense de l’environnement.

Gilles Sené a été marqué par cette photo. Le professeur de sciences naturelles de Besançon avait en tête les mortalités de poissons dans les rivières de notre région. Il a voulu « comprendre les perturbations écologiques que pouvaient subir ces cours d’eau , au moins partiellement du fait de l’aspect multifactoriel de la problématique ». Pour cette étude publiée en octobre dernier par la société d’histoire naturelle du Doubs, Gilles Sené a travaillé à partir des analyses publiées par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse entre 2010 et 2012. Il a centré ses recherches d’une part sur le Drugeon dans le Haut-Doubs et d’autre part sur le fameux herbicide, le glyphosate et son « dérivé» l’AMPA. Des heures de travail pour parvenir à une conclusion qui lui a fait froid dans le dos.  

Les analyses de l’Agence de l’eau révèlent que 539 molécules dont 340 pesticides sont détectables dans le Drugeon. « La grande majorité sont certes détectées, mais en quantités non mesurables » remarque Gilles Sené. « Sur les trois années étudiées, seul l’herbicide et son produit de dégradation AMPA ont été mesurés au dessus de leur seuil de quantification (> 0,05 microgramme/litre) » précise l’enseignant. 

Mais l’inquiétude de Gilles Sené provient d’un autre résultat. Il a voulu prendre en compte les molécules dont la présence était seulement détectable et non mesurable (en deçà d’une certaine concentration, il n’existe pas d’appareil capable de mesurer la quantité de ces molécules dans l’eau). A partir d’autres recherches scientifiques sur cette question, il a repris une méthode de calcul qui peut donner une idée approximative de la présence de ces micropolluants dans l’eau. D’habitude, ces molécules seulement détectables ne sont pas prises en compte. Cette fois-ci, Gilles Sené a calculé la somme des concentrations détectables puis l’a divisée par deux. Une méthode utilisée par certains scientifiques et contestée par d’autres.

 « On a pas le droit de rayer d’un trait de plume des centaines de molécules sous prétexte qu’elles ne sont pas mesurées mais seulement détectées. Les effets cocktails, imprévisibles, surtout aux faibles concentrations de ces biocides sont inquiétants. »

Résultat de cette démarche : « pour le Drugeon, le total des pesticides peut être estimé à 6,36 microgrammes/litre dont 2,45 microgrammes/litre pour les seuls herbicides » a calculé Gilles Sené.

 « Devant ce constat, nous devons considérer que les micropolluants retrouvés à la valeur seuil doivent être compris comme une pollution des écosystèmes aquatiques généralisée, chronique, extrêmement variée et massive. Certaines molécules sont interdites depuis des années, des décennies : leur présence confirme leur très faible biodégradation ainsi que leur bioaccumulation. Ces micropolluants reflètent parfaitement le mode de vie de notre XXIe siècle, imprégné à l’échelle planétaire de molécules industrielles. Pour en comprendre la gravité, ces valeurs sont à comparer au seuil de potabilité humaine de 0,5 microgramme/l en concentrations cumulées de pesticides . Et,  aux 5 microgrammes/litre pour le total des substances aux delà desquels une eau brute ( c’est à dire directement prélevée dans le cours d’eau) ne devrait pas être exploitée pour la production d’eau potable… »

Ces résultats sont-ils alarmants ?

L’Agence régionale de Santé a publié un rapport sur la qualité de l’eau potable distribuée en Franche-Comté entre 2009 et 2011. Selon cette étude,

« 93,5 % de la population franc-comtoise a été alimentée sur la période 2009-2011 par une eau conforme pour le paramètre pesticides même si des détections inférieures à la limite de qualité ont été identifiées régulièrement (64,2% de la population alimentée). Des dépassements ponctuels ou récurrents de pesticides sont encore constatés sur 5% des Unités de distribution (57 372 habitants). Le Jura et la Haute Saône sont les 2 départements de la région les plus concernés. »

Je me suis aussi intéressée à l’eau du robinet que je bois tous les jours. Bien sûr, elle n’est pas prélevée dans le Drugeon, là où Gilles Sené a étudié la présence de micropolluants : la moitié de l’eau potable de la ville est fournie par la source d’Arcier. Sur le site de la ville de Besançon, vous pouvez consulter les analyses basiques de l’eau du robinet de la ville et pour ce qui concerne les analyses plus spécifiques sur les recherches de micropolluants, les résultats sont consultables au service eau de la municipalité. En 2013, il y a eu un suivi particulier sur les pesticides : 7 analyses ont été réalisées à Chenecey et  8 à Arcier, les deux principales sources d’approvisionnement de la ville. Dans le document établi conjointement par l’Agence régionale de la Santé et la ville de Besançon, les chiffres suivants sont publiés :

En 2013 à Chenecey-Buillon, sur les 7 analyses réalisées sur l’eau distribuée, 0.004 microgrammes/litre de pesticides ont été quantifiés ( avec un maxi de 0.02) alors que la limite/référence de qualité est de 0.5  microgrammes/litre. « Un suivi particulier des pesticides a été réalisé en 2013. Les pesticides présents à l’état de traces sur une analyse dans l’eau brute n’ont pas été détectés dans les analyses d’eau traitée » précise le rapport.

En 2013 à Arcier, sur les 8 analyses réalisées sur l’eau distribuée, 0.002 microgrammes/litre ont été quantifiés (avec un maxi de 0.02) alors que la limite/référence de qualité est de 0.5  microgrammes/litre. « Un suivi particulier des pesticides a été réalisé en 2013. Les pesticides présents à l’état de traces dans l’eau brute sont en partie éliminés dans l’eau distribuée et sont très en deçà des valeurs limites de qualité et des valeurs sanitaires de référence ».

Il y a donc une très très faible présence de pesticides dans l’eau distribuée par la ville de Besançon. Une quantité à relativiser par rapport à celle que nous pouvons ingurgiter lorsque nous mangeons des fruits et légumes traités… me font remarquer avec pertinence les responsables du service de l’eau à la ville de Besançon.

La nouvelle station de prélèvement et de traitement des eaux de la Loue de Chenecey bénéficie d’un système au charbon actif qui élimine mieux les micropolluants et la source d’Arcier fait l’objet d’un suivi particulièrement vigilant depuis une dizaine d’années. Le 9 avril, la ville fera justement le point sur ses pratiques pour protéger cette source lors d’une réunion débat à Saône. 

Et pour la faune de nos rivières comtoises, les résultats de l’étude de Gilles Sené sont-ils inquiétants ? La méthode utilisée par Gilles Sené pour quantifier la présence de micropolluants dans l’eau de nos rivières n’est pas partagée par les membres du comité scientifique de la Conférence départementale de la Loue.  Pour son responsable Jean-François Humbert,

« l’interprétation des données me pose problème mais je ne néglige pas la question des micropolluants. La vraie question qui se pose est celle des effets cocktails. Actuellement, on ne sait pas les évaluer. Il y a des effets négatifs mais certaines études montrent que des effets peuvent aussi s’annuler. C’est une question compliquée. On ne progresse pas beaucoup car c’est très complexe. »

Les effets cocktails sont les réactions chimiques possibles quand, par exemple,  des molécules d’insecticides, pesticides, fongicides entrent en contact dans l’eau.

Lors du prochain colloque scientifique des 23 et 24 avril à Besançon, l’universitaire Pierre-Marie Badot et ses confrères doivent justement présenter une étude sur l’état chimique et biologique des rivières. Pierre-Marie Badot estime qu’en matière de micropolluants « nous sommes encore dans une zone d’incertitude ». Le scientifique ne partage pas les conclusions de Gilles Sené. « C’est possible mais ce n’est pas démontré » sans toutefois nier l’impact réel des micropolluants sur l’état de santé des rivières.

L’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse « n’a pas besoin d’une vision exhaustive pour commencer à agir » précise Laurent Teissier son directeur. Et de rappeler les études en cours avec la Chambre de Commerce et d’Industrie du Doubs pour recenser sur les bassins versants Haut Doubs-Haute Loue les problèmes liés aux micropolluants provenant de l’activité industrielle.

Les pesticides sont la première cause de dégradation de l’eau. Un constat clairement affiché par l’Agence de l’eau. L’Agence  rappelle régulièrement que seulement une rivière sur deux du bassin Rhône Méditerranée Corse est en bon état écologique. D’où la surveillance par les universitaires de la présence, entre autres, de glyphosate et de son dérivé l’AMPA dans nos rivières comtoises.

Le glyphosate… A lui tout seul, il concentre toutes les critiques et les appréhensions à propos des micropolluants. Cet herbicide, commercialisé sous le nom Roundup, est le plus utilisé dans le monde. C’est donc celui que l’on retrouve le plus dans l’environnement en particulier son dérivé l’AMPA, moins dégradable.

Les chambres d’agriculture du Doubs et de Franche-Comté sont bien conscientes des problèmes soulevés par l’usage des herbicides. Un travail est entrepris depuis plusieurs années pour diminuer leur utilisation en prévision des interdictions à venir. D’années en années, des produits phytosanitaires sont retirés de la vente. En janvier dernier, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a présenté les orientations du prochain plan éco-phyto. Il s’agit de réduire et d’améliorer l’utilisation des produits phyto-sanitaires. Des formations sont données aux agriculteurs pour qu’ils utilisent au mieux le glyphosate et aussi comment ils peuvent s’en passer. Depuis plusieurs années dans le Doubs et depuis l’année dernière dans le Jura, des agriculteurs testent sur certaines de leurs parcelles différents dosages de glyphosate pour déterminer le minimum utilisable. Les agriculteurs répandent du glyphosate pour se débarrasser de l’herbe de leur prairies quand ils veulent utiliser cet espace pour passer en culture. Des alternatives existent comme le retournement de la terre avec des outils mais cela prend plus de temps.

Cet herbicide vient d’être classé par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « cancérigène probable pour l’Homme ». D’où l’initiative de l’association Agir pour l’Environnement. Elle vient de lancer une pétition en ligne pour demander aux ministres de la Santé, de l’Agriculture et de l’Ecologie, une interdiction rapide de la commercialisation de ce pesticide.  Une préoccupation partagée par Ségolène Royal. La ministre de l’Ecologie, vient de déclarer vendredi 3 avril, lors d’une conférence de presse, qu’il faut « agir très vite » pour « retirer de la vente libre aux particuliers les pesticides classés le 20 mars dernier dans la catégorie des cancérogènes « probables » ou « possibles » par l’OMS ».

Une initiative qui devrait également intéresser le sénateur-maire Martial Bourquin. A Audincourt (Doubs), le glyphosate est banni depuis deux ans. Son sénateur-maire Martial Bourquin doit lancer prochainement une action auprès des villes et villages pour les convaincre de ne plus utiliser les produits qui contiennent ce désherbant.

Le 18 décembre dernier, le sénateur-maire d’Audincourt Martial Bourquin a posé une question écrite au ministre de l’environnement Ségolène Royal demandant l’interdiction du glyphosate dans les milieux karstiques. A cette même époque, Martial Bourquin avait également remis à Ségolène Royal une pétition signée par plus de 70 000 personnes demandant une réglementation particulière pour les sols karstiques afin de préserver les rivières de la région. Une action de SOS Loue et rivières comtoises qui dénonce les dangers du glyphosate.  Le ministère de l’Environnement n’a pas encore donné suite à cette question écrite mais le sénateur du Doubs entend faire de la défense des milieux karstiques un des « grands combats de son mandat ».

Cet engagement pour sauver les rivières comtoises est approuvé par le collectif SOS Doubs Dessoubre. Les membres du collectif espèrent seulement que ce combat sera bel et bien effectif.

En février dernier, ils n’ont pas compris le vote du sénateur socialiste Bourquin. Lui qui met en avant son combat contre la pollution des rivières, a voté contre une proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs. Cette proposition du sénateur écologiste Joël Labbé, qui n’a pas été adoptée par le Sénat, demandait au Gouvernement français d’agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de l’utilisation de toutes ces substances néonicotinoïdes, une forme de micropolluants. Martial Bourquin a suivi la ligne défendue par le ministre de l’Agriculture estimant que « la loi agricole parviendrait au même résultat mais de façon différente ». Le sénateur assure qu’il « aura sa liberté totale » pour obtenir le classement des espaces karstiques de notre région en zone naturelle sensible.

 

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr

 VOS COMMENTAIRES : 

Voici la réaction de l’Agence de l’eau RMC :

« Bien que l’article de Gilles Sené repose sur l’exploitation des données brutes du système d’information de l’eau, nous ne sommes pas en mesure de valider ses conclusions dans la mesure où l’exploitation des données comporte des erreurs d’interprétation. Il est en effet considéré à tort, que toutes les molécules qui sont recherchées sont présentes dans le milieu, en interprétant de façon erronée les valeurs inférieures au seuil de quantification. Ces réserves émises sur l’étude ne remettent pas en cause l’intérêt de travailler sur les micro-polluants et de mener des actions de réduction des pollutions à la source, telles que nous les promouvons aujourd’hui sur ce bassin. »