16 Août

Julian & Alberto

Capture d’écran 2016-08-16 à 20.50.24Quand on regarde Alberto, on entend Julian. C’est le duo à la mode cet été dans les arènes. Alberto López Simón, matador de toros, 26 ans, 178 cm , 68 kilos (à vue de nez), en tête de l’escalafón. Julian Guerra, matador de toros à la retraite, apoderado, 42 ans, 178 cm, 112 kilos (à vue de nez).

Ils sont inséparables et ils ne font rien pour cacher leur relation. Julian hurle ses encouragements et ses conseils d’un bout à l’autre de la faena et non seulement Alberto ne s’en offusque pas, mais il semble perdu quand l’autre fait silence. On le voit tourner son regard sombre vers la barrière comme s’il ne pouvait pas poursuivre la faena sans les consignes de ce gros bonhomme.

Depuis que je les vois et les entends fonctionner, je cherche à qui les comparer. J’ai d’abord tenté Laurel et Hardy. Laurel, le maigre naïf, ça peut coller avec Alberto. Et Hardy, le gros qui croit tout savoir, c’est peut être bien le péremptoire Julian. Mais non, Julian et Alberto ne font rire personne. Et surtout ils semblent n’être jamais en désaccord sur rien. J’ai essayé ensuite Don Quichotte et Sancho Pança. Le gros et le maigre, le terrien et l’idéaliste, ça marche, mais jusqu’à un certain point seulement.

Hier à Bayonne, je crois que j’ai trouvé.

J’étais dans le callejón avec ma minuscule caméra. Voilà dix ans que je la trimballe et je ne sais toujours pas m’en servir correctement. Ces histoires de diaph automatique ou manuel et de balance des blancs, je m’y perds. Je filmais Alberto dans une des meilleures faenas que je lui ai vues et avec Fregata, le plus complet des 17 toros de Garcigrande / Domingo Hernández  que j’ai vu lidier en deux jours (six le 14 au matin à Dax pour Juli, Roca Rey et López Simón + quatre et un sobrero le 14 après-midi à San Sebastián pour Juli et José Tomás + six à Bayonne : le compte est bon). Et pendant que je filmais Alberto, non seulement Julian saturait le micro avec sa grosse voix, mais sa chemise immaculé passait sans cesse devant l’objectif. Le blanc impeccable de la chemise et le teint gris du visage d’Alberto rendaient impossible tout réglage. Mais ils me firent brusquement penser au thème de La Grande traversée , l’émission que France Culture a diffusée par épisodes pendant ce long week-end et que j’ai écoutée en voiture dans mes pérégrination de Montpellier à San Sebastián, en passant par Toulouse, Dax et Bayonne.

Frankenstein et sa créature!!

Je nai jamais lu le livre de Mary Shelley et j’ai raté le dernier épisode du feuilleton radio. J’ignore comment finit l’histoire. La créature finit-elle par s’émanciper du Professeur Frankenstein?

 

Joël Jacobi

 

 

21 Juin

Ponce et les narquois

Ponce smocking Istres 2016Dès qu’il fut annoncé, le solo de Ponce à Istres a été critiqué. Plus la date approchait, plus les aficionados « sérieux » comme moi s’installaient confortablement dans leur  rejet. On n’allait tout de même pas traverser la Crau un dimanche de juin pour ce truc là. Ponce tout seul avec six toros probablement minuscules! Et le ténor (à moins que ce ne soit un baryton), et le répertoire néo-classique joué par l’orchestre, et les arènes décorées, et cette affiche kitchissime où l’on voit le torero en smoking! Et puis quoi encore!

La plupart de mes collègues d’arènes, comme moi, sont restés chez eux ou sont allés faire une pétanque. Certains des media taurins que je lis avec le plus d’intérêt ne faisaient que renforcer ce préjugé.

Dans Toros 2000, Patrick Beuglot, comme souvent, jouait les Cassandre:

Autant on pourra apprécier « une saeta » qui éclate, un jour de faenon, au Puerto Santa Maria, et encore à une condition: Que le tout ne soit pas prévu d’avance, comme on l’a vu, avec Padilla, l’an dernier… autant on refusera d’un bloc l’orchestre symphonique, les morceaux classiques si lointains du pasodoble torero, bref, le mélange des cultures et des genres… Au moment où tout le monde taurin proteste de la défense de « la Tradition taurine », il semble paradoxal de voir une affiche torera, avec un beau monsieur, vêtu de smoking, entouré de notes de musique et, presque « accessoirement » des têtes de six toros… Ponce est ici fort décevant et prête le flanc a ceux qui ont toujours voulu sa perte, ou nié en bloc ses mérites toreros. 

Dans Campos y Ruedos, Frédéric Bartholin, comme toujours, faisait son narquois:

« Symphonie de Ponce en 6 actes » (actes, sic !) et pour l’événement, la réalisation d’une affiche à faire blondir d’envie un Richard Clayderman qui en a vus d’autres : Henri de Valence, noeud pap’ et veste de smoking en véééélllouuuurs liserée de satin noir et pantalon noir pas tout à fait raccord mais assorti à l’implant brun-mat, la pochette bicolore et le sourcil droit légèrement arqué genre « ben quoi qu’est-ce qu’y a ?! » tel un subtil hommage à Elvis Golden Records volume 2 mais le rictus canaille en moins. Une merveille !

Non, définitivement non : pas question d’aller à Istres. D’ailleurs, mes collègues Michel et Zocato y seraient…

Après le cinquième toro, quand Zocato m’a téléphoné, j’ai d’abord cru qu’il ironisait encore. Mais au ton de sa voix, j’ai compris que j’avais raté un grand moment. Que j’avais rajouté nom à la liste de tous les imbéciles à qui on ne la fait pas. Je revois encore le type qui s’est levé après la corrida le vendredi de la feria de Pentecôte 83 à Nîmes avec ces mots : « eh ben moi, j’en ai marre, je m’en vais à Vic ». Le lendemain, nous découvrions Paco Ojeda… J’entends encore tous ceux qui, en mai 1989, ont préféré faire « n’importe quoi plutôt que se taper la mano à mano Mendes / Nimeño avec les Guardiola ».

Bon, j’en fait partie.

25 Avr

Macadam toro, avril. Chapitre 5

Dimanche 24 avril 2016. Hôtel AC, Alcala de Henares.

9h15. 11°5. Ciel de Provence.

Rendez-vous dans le hall, départ pour Burgos via la ganadería d’Antonio Bañuelos où rencart est soudé avec Thomas Dufau qui va les toréer le 28 Mai à Gamarde-les-Bains (40) et le 9 juillet à Eauze (32), en mano a mano avec Sébastien Castella.

Cela baigne trop, il fait très beau, tout est huilé, c’est pas normal.

conseils-sinistre-bris-de-glace« Tout juste Callaghan » : Michel revient de la bagnole de loc. Dans la nuit, en face du Macdo, des chenapans ont cassé le triangle de verre côté chauffeur. « Un bris de glace » disait l’ami Jeannot, trinquant avec ses copains. Bref, après une rustine de bande adhésive collée à merveille par Didier pour éviter la « ventole » sur la figure, nous repassons par l’aéroport de Madrid-Barajas. Le loueur constate, c’est fou le nombre de gens qui, dans la vie, constatent…

Il a vécu deux ans à Saint-Lary-Soulan, parle bien le Molière mais a fini par épouser une italienne.

11h01

Bref, suite au constat, il nous refile une autre voiture, la même en noir. Michel démarre, appuie sur l’embrayage pour passer en première. Badaboum !, c’est une boîte automatique, faut s’habituer. Ce genre de détail futile, dilaté dans la conversation te permet trois bons quart d’heure de route gagnée soit le passage du col de Somosierra. Extraits :

J’en ai eu une, une Simca, boîte-auto, elle consommait pas mal…

Moi, jamais je ne m’y suis fait…

Tu ne peux pas rétrograder. Dans les descentes, ça peut-être « craignos »…

« Tout juste Callaghan », on aborde la pente du col.

13h27. Pensons « gamelle »

Entre Burgos et l’élevage de Bañuelos, une quinzaine de cantines sur le bord de la route que l’on délaisse pour se rapprocher du but. S’achève la plaine et la civilisation, débutent des lacets du style Pancorbo et Despeñaperros où Joseph Bonaparte , surnommé « Pepe Botella », vu son évident penchant pour le pichet, prit une sacrée rouste par les troupes et mutins andalous. Pas d’auberge à l’horizon, des rafales, de la pluie. Au loin, comme un hurlement glacial de Lupus (latin), un cri inconnu des hommes, le son aussi affamé que carnivore d’une sorte de bête du Gévaudan qui n’attendrait qu’une panne pour te croquer cru. On plaisante, on dit qu’on barjotte, la fatigue, les kilomètres mais Michel et moi verrouillons nos portières.

Théorème de Macadam toro. Si on voit une bétaillère vide de cochons sur le parking du routier, on s'arrête et on déjeune.

Théorème de Macadam toro. Si on voit une bétaillère vide de cochons sur le parking du routier, on s’arrête et on déjeune.

 

13h48

Y’a un camion vide de transport de cochons qui fait le plein à la station-service-tabacs-journaux- mercerie-chasse-pèche-voyance-cabinet dentaire-poste- bar- cuirs et peaux sauf Vuitton -roues de secours pour charrettes et diligences. On est quatre, huit œufs, du boudin de Burgos, l’italien Rossi franchit en tête la ligne d’arrivée du Grand Prix Moto de Jerez, devant deux espagnols. Au comptoir, un rougeaud recommande un blanc.

19h45

Tournage fini avec Bañuelos et Dufau, nuit-étape à « La Varga », centre taurin du monde mondial. José Tomás s’y est habillé, Enrique Ponce s’y habille toujours, Paula, Curro Romero et un demi-siècle de toreo y font halte. Le temple n°1 de Macadam toro.

23h11

Philippe, notre preneur du son reçoit un SMS. Il est grand-père. On lève nos verres à la santé du nouveau-né, de la génétique, humaine où taurine. Trois heures auparavant, Antonio Bañuelos nous vantait les avantages de la « monte naturelle ».

 

Bienvenue!

Bienvenue!

24 Avr

Macadam Toro, avril. Chapitre 4.

Samedi 23 avril 2016. Alcalá de los Henares, province de Madrid, hôtel AC, 10h05, 9°9.

Il y 400 ans jour pour jour mourait Miguel de Cervantes y Saavedra, l’auteur du célèbre « Don Quichotte de la Mancha ». Il était né ici à Alcalá, le 29 septembre 1547. Je suis photographié avec un gars sympa qui me dit être de la famille de Don Quichotte. Il n’y a aucune raison que je ne le crois pas.

Selfie pour collectionneurs. Zocato avec un prétendu descendant de Cervantés. Ou de Don Quichotte lui-même. Après tout, pourquoi pas?

Selfie pour collectionneurs. Zocato avec un prétendu descendant de Cervantés. Ou de Don Quichotte lui-même. Après tout, pourquoi pas?

Le surréalisme de ce tournage qui s’achève demain à Burgos, a atteint aujourd’hui son zénith.

Il n’est plus question de caniche albinos et hurlant, de patou en laisse, de toros au campo ou de lapins qui filent fissa. Nous avons quitté la faune pour la race des hommes et tout cela n’est pas très joli-joli. Explications, montre en main :

10 h10

Devant l’hôtel, le fourgon d’El Cid. Tiens, tiens, que fait-il-là vu qu’il n’est pas au cartel ? On apprend qu’il remplace Rafaelillo.

11 h 05 guichets des arènes.

Je récupère les accréditations. Je jette un coup d’œil dans le bureau, la pancarte annonçant la substitution traîne sur la table…

11 h 45 

Interview contre la barrera de Victorino Martin sur « Cobradiezmos », son toro gracié à Séville. Il est ému, se rappelle de sa vuelta avec Manuel Escribano, confirme qu’il ne sera jamais à vendre mais que dans quelques temps, il enverra des « paillettes » à ses amis ganaderos mexicains pour rafraichir leurs lignées.

12 h 30 

Montée sur les corrals pour assister au sorteo. Ambiance bizarre. Tout le monde semble en « statu quo ». Les pros parlent entre leurs lèvres, il se murmure que l’impresario doit des sous à Rafaelillo, d’où le bulletin médical. L’entourage d’Escribano et du Cid (peut-être aussi Victorino), veulent des garanties avant de toréer.

13 h 08

On profite de ce temps mort « financier » pour interroger face à la caméra, Félix, le mayoral de Victorino, Manuel Escribano et son père, toujours à propos de Séville. C’est en boite, mission accomplie, on était d’abord venu pour cela et ceux-là, vu qu’on les reverra à Vic pour pentecôte.

13 h 37 

Agitation, sorteo, mises en box. Le différent boursier a semble-il-été résolu. Tiré du chapeau, non pas un lapin, mais un ami de l’impresario (un riche de l’immobilier local, nous dit-on) qui signe les « pagarés », les traites, afin de garantir le paiement tous les acteurs. On sait par expérience, ce qu’il en est des traites mais aussi des traîtres dans le toreo…Le père Escribano me raconte qu’il a neuf kilos de chèques sans provision dans son coffre de Gerena.

15 h 40 

Retour à l’hôtel après gamelle au resto sous les gradins. L’épaule d’agneau de lait dépasse l’assiette de 10 cm de chaque bord. Bon, à manger pour quatre affamés de Cro-Magnon. Ticket moyen, 20 euros. Recommandable à souhait. Si pas satisfait, remboursé.

16 h 17 

Ascenseur, 3ème étage, surréalisme à gogo. Dans le couloir, Manuel Escribano galope. Il essaie sa taleguilla version époque de Cervantès. Un boléro impossible plus « opérette du Chatelet » que torero. Un truc avec des épaulettes argentées du style de celles dorées de Gaston Ouvrard chantant : « j’ai la rate qui se dilate, j’ai le foie qu’est pas droit… ». Fou-rires général. Michel lui remet le DVD de notre tournage du golf à Salamanque, il y a deux ans. Manuel (handicap 7) est ravi. Cela déconne plein tube, on perçoit déjà que la corrida n’aura pas lieu.

Costumes à paillette, de style "goyesque" ou "cervantesque" : les toreros d'une manière ou d'une autre sont toujours déguisés

Costumes à paillette, de style « goyesque » ou « cervantesque » : les toreros d’une manière ou d’une autre sont toujours déguisés

17 h 30, patio de caballos

El Cid arrive avec un costard d’Arlequin vert pomme. Je me planque derrière l’ambulance pour ne pas m’esclaffer devant lui. Un à un, les peones franchissent la porte, tous de noir vêtus, costumes loués à Madrid, époque Cervantes. À David Saugar  Pirri , je demande s’il n’a pas trouvé une pièce en or dans une des poches. Je pose la même question à l’Alcalarreño, il me répond finement : « oui mais je l’ai déjà revendue ».

18 h 00

Les trois toreros tâtent le sable du bout de leurs mocassins. C’est cousu de fil blanc, combiné depuis le matin. La corrida « Cervantina » n’aura pas lieu, la location a été un désastre, à peine 1000 places vendues, un 10ème de plaza, à vue de nez prés de 80.000 euros à perdre.

18 h 42

Les toreros sont repartis. Quelques spectateurs ont sifflé. Peu en comparaison de ce hold-up. Ici, les gens sont gentils mais on ne les y reprendra plus, surtout qu’il a fait beau à l’heure du paseo et jusqu’à la nuit tombée. Si nous voulons bousiller notre passion, continuons ainsi à se moquer du peuple. Inutile de convoquer Brigitte Bardot, les phoques et les végans.

20 h 58

Les fourgons des toreros quittent l’hôtel. Le Cid rentre à Séville, Escribano part à Saragosse pour la corrida-concours où l’attend Rafaelillo qui va beaucoup mieux. Chechú reste chez lui à Alcala. C’était son unique contrat, il n’a pas eu droit à la parole.

Nous partons dîner. En laisse, passe un chien.

Macadam toro, Zocato

23 Avr

Macadam toro, avril. Chapitre 3

Vendredi 22 avril 2016, Soto Del Real, hotel Prado, 8h30. 9 degrés.

Je demande des nouvelles du caniche albinos. Le temps que la patronne me dise qu’il dort encore, apparaît un molosse Mâtin Espagnol de 87 kg, tenu en laisse par une frêle jeune fille. Le surréalisme se poursuit.

mayoral BI

Domingo, mayoral depuis 26 ans chez Baltasar Ibán!

 

09h30, arrivée chez Baltasar Iban en longeant un camping où s’entassent caravanes et petits chalets en bois. A gauche, sur le chemin de terre, trente vaches astifinas, deux lapins devant la voiture. Domingo, mayoral depuis 26 ans nous embarque sur le pick-up et un à un nous présente les sept toros de la première corrida de Vic-Fezensac 2016. Du beau monde au balcon…

13h30 : Colmenar Del Arroyo, 1532 habitants et un consensus dans le village : des dizaines de citations, de vers, de phrases poétiques écrites à la main sur les murs blancs des maisonnettes.

 

On déjeune à la casa Mariano où Michel a mangé l’avant-veille quand il est venu repérer la ganaderia des frères Quintas. A 15h00, « Goyo » le patron, nous rejoint pour le café et nous embarque (nouveau pick-up) vers ses champs, filmer le toro de la corrida-concours vicoise. Un tío… Sur ses trois fincas, 1500 bêtes de combat, trois lignées, Domecq, Santa Coloma et Martínez. Il vend des novilladas avec où sans picadors et des toros pour les encierros de rue, juteux négoce, à 5000 euros par frontal. En le quittant devant un café crème, « Goyo » nous avoue qu’il aurait aimé posséder les ascenseurs de la Tour Eiffel. De la France, il ne connait que Paris. Dix euros, quatre ascenseurs, 60 personnes par ascenseur, il a vite calculé le velours…

19h43, par la rocade M50, nous contournons Madrid pour parvenir à Alcala de Henares. Je somnole. Soudain, à cent mètres devant nous une garde civile nous fait signe de nous garer. Michel à franchi une ligne blanche pour éviter de bifurquer à droite vers Torrejón de Ardoz. Il n’est pas le seul, trois voitures attendent leurs P.V.

-C’est 100 euros d’amende. Papiers, permis de conduire, por favor ordonne la fliquette. Et-là, le surréalisme, mis de côté depuis le Patou matinal, revient plein galop. L’autre policier, la trentaine, ramène les papiers à Michel et nous dit texto à travers la portière : « Moi je suis aficionado, mordu de corrida. Je vais vous sortir un mouchoir blanc pour vous gracier ».

Eberlués on se regarde avec Michel. On lui dit où on ne lui dit pas ?

Ensemble, d’une même voix et quitte à le vexer nous lui répondons que pour la grâce, c’est le mouchoir orange. Il se tape le front : « bien-sûr, suis-je bête, c’est le « naranja » !

Après le Victorino de Séville, le second « indulto » en neuf jours, c’est pour Michel.

Macadam Toro,Zocato.

P.S. : Parole d’honneur, jamais, avant qu’il ne nous gracie nous n’avons évoqué notre métier taurin.

22 Avr

Macadam toro, avril 2016. Chapitre 2

Jeudi 21 avril 2016, 8h16, hôtel Prado Real, Soto Del Real, 46 km au nord-ouest de Madrid. 9°4, 897m d’altitude.

Un bijou d’hôtel surréaliste, tout y est : la fille de la patronne a un chien, une boule de poil blanc comme le pelage des toros d’Aurelio Hernando d’origine Veragua chez qui nous avons passé la journée en tournage. Le cabot, race caniche aboie très haut, t’as les tympans en usure. Ah, si j’avais récupéré mon escopette. Je récupère ma clef, chambre 221. La porte poussée, un mini-salon, un canapé, la télé en face, un frigo, un évier. Je cherche le lit. Montez quinze marches, largeur 70 cm et vous parvenez à l’étage où se trouve le « plume » et la salle de bain. Faut que je me renseigne sur le nom de l’architecte ubuesque qui a pondu ces piaules.

La salle de bain fait 2,68 mètres carrés. A droite, la douche, le lavabo au centre, sur la gauche le bidet puis le WC. Je m’y pose en me mettant de profil : le genou gauche bute contre un angle de mur carrelé, le droit contre un mini chauffage! Ce n’est pas au WC que j’en veux mais à ce fichu bidet qui ne sert plus à rien depuis le début du XXème siècle. Qu’un de nos romanciers puisse écrire un jour un livre au titre de « Du désuet des bidets dans la construction des auberges et hôtels de Castille ».


De gauche à droite : Didier (caméra), Philippe (sons), Juan Carlos (affaires taurines), Curro (matador), Aurelio (ex-figurant), Vincent (Zocato). une fine équipe!

De gauche à droite : Didier (caméra), Philippe (sons), Juan Carlos (affaires taurines), Curro (matador), Aurelio (ex-figurant), Vincent (Zocato). Une fine équipe!

09h30. Au « p’tit Déj » Curro Diaz qui a dormi-là, revenant d’une tienta à Salamanque. Nous rejoignent Juan-Carlos Carreño, le mandataire des arènes de Céret, le banderillero Pablo Saugar « Pirri » et l’éleveur. Accolades toreras, départ à la finca.

Un énorme coup de cœur que cette propriété où rien n’a bougé depuis deux siècles. La placita est en pierre, les corrals itou et dans les corrals des burladeros formés de deux immenses blocs de granit à faire pâlir de jalousie tous les menhirs de Carnac. Un truc troglodyte. Bouleversant de beauté rustique. Rien à voir avec les fincas à la chaux de la Basse-Andalousie. Sur la remorque du tracteur nous filmons le lot de Céret. Huit toros blancs et deux noirs. Splendides, impressionnants de force et sérénité sauvage. Des toros de Lascaux.

Quatre vaches au tentadero, présence du jeune matador madrilène Gonzalez Caballero. Curro Diaz impérial.

Ce que "plier le matos" veut dire (photo : Philippe Ferrasse).

Ce que « plier le matos » veut dire (photo : Philippe Ferrasse).

15h00. On plie le matos, gamelle dans un resto de la cité, grande table de quinze, palabres taurines. On adore ces « after » de toreo. Au bout de la table, le ganadero Aurelio qui nous raconte que ses premières pesetas il les a gagné à l’âge de dix ans comme figurant dans un western spaghetti. La production avait demandé trois gosses montés sur des ânes pour traverser un rio. Aurelio et ses deux copains ont une nuit empruntés trois ânes à un voisin et les lui ont rendus le lendemain avant que le propriétaire n’aille porter plainte à la Guardia Civil.

20h48. Apéro-tapas dans la salle de restaurant de l’hôtel. J’apprends à l’équipe que Prince vient de mourir. Le caniche est sous la nappe du buffet. S’il bronche, mes bottes camperas vont s’en charger.

Macadam Toros, Zocato.



 

21 Avr

Macadam Toros , avril 2016

Mercredi 20 avril

09h30. Départ de Bordeaux, j’ai pris des bottes « camperas ». C’est fou comme cela vous simule en toréador … dans les tientas et autres rendez-vous taurins. A la ville comme aux champs : «  Faudra que je les cire, me suis-je dit au péage de Saugnac et Muret ».

Avant ce péage (3,60 euros), il y a un pont qui surplombe l’autoroute. Un sanglier et un chevreuil y sont peints au pochoir. Chaque fois que je passe dessous, promesse est faite d’y peindre un jour un toro de combat et une palombe, cousin du pigeon. Les pigeons, c’est nous à ce tarif-là…

12h07, Irun, commissariat de la Guardia Civil. J’attends une escopette à venir de Gandía (Valence). Une « bombe blonde » (je n’ai même pas vu son grade, tellement elle étincelait) enregistre ma carte d’identité. Elle me la rend et me fait un clin d’œil (si, si, je vous jure) et me précise que le bureau « Intervención de armas » est toujours la deuxième porte à gauche en ressortant du bâtiment. Je connais. Le caporal, aussi désolé que votre serviteur, me confirme que le tromblon n’est pas encore arrivé. Je verrais lundi prochain de retour de tournage.

13h12, hôtel Campanile, Hendaye. Didier et Philipe, venus de Toulouse, m’embarquent à bord du Vito. On a l’air de contrebandiers chargeant du matos. Nous traversons la frontière pour déjeuner à Béhobie, resto Ferbos, photos et cadres taurins partout.

 

On le dit paresseux. Zocato est tranquille, nuance. À la date, il a parcouru 173524 kilomètres sur la route des toros. Plus de 4 fois le tour de la planète. Qui dit mieux?

On le dit paresseux. Zocato est tranquille, nuance. À la date, il a parcouru 173524 kilomètres sur la route des toros. Plus de 4 fois le tour de la planète. Qui dit mieux?

 

16h48, « La Varga », Burgos. Cafés dans cet hôtel-restaurant où stoppent les matadors, cuadrillas et ganaderos, en route ou de retour de France. Pas la peine de demander audience à Paco Ojeda, Morante, Victorino ou Juan Leal. Ils s’y arrêtent tous. La croisée des chemins du toreo. Prenez-y pension huit jours (30 euros la piaule, menu gastronomique à 20 euros) et vous deviendrez ami avec le mundillo entier, petits et grands. Incontournable.

18h22. Je ronfle.

19h37. Arrivée à Soto del Real. Michel Dumas descend les escaliers de l’hôtel. Il a atterrit à Madrid. Il a pris sa chambre comme l’on dit. Je cherche un coiffeur mais me répond que je fais plus intellectuel en cheveux longs. On dîne tous les quatre à l’Asador « Miratoros » le bien nommé. Trois chuletitas de cordero et un bacalao, précédés d’une salade de tomates et oignons. Halte au mais et thon. Une ration de fromage de oveja, un peu de vin pur, par trois fois recommandé. On n’est pas des sauvages ! Il pleut, Benzema vient de marquer pour le Real.

Minuit 22. Place aux couvertures. Ce jeudi matin, Curro Diaz tiente chez Aurelio Hernando.

Moteur.

zocato

07 Mar

Cinq minutes avec Juan Leal

IMG-20160307-WA0001On peut me voir sur la photo blanc & noir de Maurice Berho. Je suis au fond de l’image, dans un coin de burladero, une minuscule caméra dans les paluches. Mais personne ne me voit. Ce qu’on regarde bien sûr, c’est Juan Leal : tout un torero en appui sur la pointe d’un pied.

Le jeune toro revendique sa puissance de tous ses naseaux. Plus ses cornes cognent le vide, plus ses sabots labourent le sol. Il fulmine tellement qu’on le croit disposé à foncer la tête la première dans le sable.

Juan Leal, ployé au dessus de lui, semble au contraire sur le point de prendre son envol. Cette muleta, pour l’instant, montre à la bête le chemin. Qui sait si un jour elle ne se transformera pas en aile?

Il fait un froid de gueux. Nous sommes dans les installations de la ganadería Tierra d’Oc à Cardet, dans le piémont cévenol. C’est un pur dimanche d’hiver. Les gens du club taurin de Rieumes ont fait le voyage depuis la région de Toulouse pour passer une journée taurine. Sévillanes, paella, discours. Plus tienta de deux vaches et lidia de trois novillos.

Les toreros invités?  Mehdi Savalli et Juan Leal. Le bétail de Tierra d’Oc vient tout droit de la prestigieuse ganadería Sánchez Arjona.

Les vaches sont faiblotes, mais elles coopèrent.

Les deux novillos de Mehdi sont des brutes incertaines. Mehdi est sapé comme un milord. Il les torée sans transpirer. Il part bientôt pour le Pérou, c’est là-bas qu’il a des contrats. Il ne reviendra en France qu’au mois d’août, son premier engagement est à Béziers.

Juan Leal s’est habillé comme un jeune gentleman qui se disposerait à passer une journée tranquille à la campagne. Son novillo est un sparring-partner de premier choix. Il a la fougue et la noblesse caractéristiques du sang Domecq.

Il y a peu de monde pour assister à ce corps à corps qui dure un peu plus de cinq minutes. Les gens de Rieumes, le ganadero Damien Donzala, les cuadrillas, moi.

C’est un spectacle poignant. Le toro charge comme si ça vie en dépendait. Juan Leal torée comme si la suite de sa carrière dépendait de ce moment. La semaine prochaine, il torée la première corrida espagnole de sa saison à Fitero, Navarre. En mai il confirmera l’alternative à Madrid.

Il tient du bout des doigts sa muleta grâce à quoi il prendra peut-être cette saison son envol. Moi, je m’accroche à ma petite caméra pour vous montrer ça.

 

28 Fév

Communion privée

Thomas Joubert. Silhouette arrogante et regard mélancolique

Thomas Joubert. Silhouette arrogante et regard mélancolique

Samedi 27 février 2016. Les bulletins météos n’exagéraient pas. Ils annonçaient depuis plusieurs jours un épisode cévenol majeur pour la fin de la semaine, c’est un déluge qui est tombé sur le département de l’Hérault toute la journée. Au pied du Pic Saint-Loup, au domaine de Lacan où la famille Vangelisti élève ses toros, on a été sur le point d’annuler la cérémonie taurine prévue de longue date pour cette matinée. Mais la piste a tenu le coup. Et un des invités, Adrien Salenc, était venu tout exprès de Madrid pour cette opportunité…

La pluie était glacée, je n’ai pas eu le cœur de me glisser dans un burladero ou de monter sur la plateforme au dessus des corrales. Je suis resté dans le salon, la cheminée fonctionnait bien et j’ai filmé le spectacle par la fenêtre.

Les 3 novillos (deux d’origine Jandilla, un d’origine Daniel Ruiz) toréés et mis à mort par Thomas Joubert, Andy Younès et Adrien Salenc avaient comme principale qualité de ne présenter aucun défaut. Pour chacun des trois toreros, cette matinée était une étape majeure dans la préparation. Adrien est élève de l’école taurine de Juli en Espagne, cette année sera sûrement sa dernière dans la catégorie « sans chevaux ». Andy commence dans quelques semaines une saison de novillero dans les arènes d’importance : Valencia pour les Fallas, puis Arles pour Pâques pour commencer. Ses premiers « résultats artistiques » détermineront la suite.

Quant à Thomas Joubert, depuis qu’il ne s’annonce plus sous le pseudonyme de Tomasito, mais qu’il revendique dans l’arène son prénom de baptème et son nom d’état civil, il assume de mieux en mieux son personnage. Silhouette arrogante, visage mélancolique et tauromachie académique.

Le lundi de Pâques, à Arles, c’est son premier contrat pour 2016, il va se cogner les toros de Pedraza, à coup sûr les plus costauds de la feria, pas nécessairement les moins maniables. Sa préparation? Huit toros « en privé », c’est à dire à l’abri des regards. En privé, mais en habit de lumière, histoire d’arriver pour sa première corrida comme s’il en avait toréé quatre.

Son toro, d’origine Jandilla, était sans vice. Il semblait soupeser le pour et le contre avant de charger la muleta. Et quand il fonçait, on sentait de la rage. Thomas a pris le dessus petit à petit. Il a fini par trouver le bon rythme.

La pluie redoublait. Le souffle du novillo s’accordait à celui du toro. Une communion privée. Et un parfum de solennité au pied du pic Saint-Loup.

 

JJ

 

 

25 Fév

Il y a 110 ans, à Borox…

Portrait de Domingo Ortega par Ignacio Zuloaga (Musée de Las Ventas, Madrid)

Portrait de Domingo Ortega par Ignacio Zuloaga (Musée de Las Ventas, Madrid)

Il y a 110 ans, le 25 février 1906, naissait à Borox, province de Tolède, Domingo Ortega, un des toreros majeurs du vingtième siècle. Encore analphabète à l’âge de 15 ans, il se paya des leçons avec ses premiers cachets et devint l’ami, au faîte de sa carrière, des intellectuels de son temps comme Ortega y Gasset. Sa tauromachie rigoureuse, presque aussi austère que les paysages de sa terre natale, se caractérisait paraît-il par son temple.

Quand il se préparait pour l’alternative (il la prit en 1975), Luis Francisco Esplá passait beaucoup de temps à tienter dans la ganadería Hernández Plá. C’est là qu’il a rencontré, à plusieurs reprises, le maestro Ortega. Esplá avait 16 ou 17 ans et Domingo Ortega près de 70 (et non 80, comme l’affirme Esplá). Quand la vache était bonne, le maestro descendait en piste et donnait quelques passes.

 

Luis Francisco raconte…

Je respecte énormément les anciens. Ils constituent un puits d’expérience. Il y a la légende. Mais c’était surtout la chance de voir un artiste de près de 80 ans se mouvoir en public : c’est très émouvant. Je ne ressentais pas ce qu’on ressent en voyant des personnes âgées, une sorte de piété. C’était tout le contraire. Il se dégageait de lui une impression de splendeur, de force, de connaissance, de solidité devant la vache. Le tout avec une lenteur stupéfiante. En résumé, j’étais dans l’admiration absolue. Il était impeccablement vêtu, il portait des jambières de cuir. Comme il était frileux, il portait toujours les gants. Il fumait le cigare. Je crois même l’avoir vu toréer avec le cigare à la main. Il maniait la muleta et on aurait dit que la vache en était éblouie. Il marchait dans l’arène avec une lenteur absolue. Il lui manquait juste un cendrier pour déposer ces cendres de temps à autre. C’était magique, Domingo Ortega.