S’entendre dire « José Tomás sera lundi 9 décembre dans un théâtre du Boulevard Raspail à Paris pour parler », c’est comme entendre « Soirée barbecue dans un camping végétaliste crudiste », ou » Motörhead reprendra a capella l’intégral des Compagnons de la Chanson « . Un truc coince, ne fait pas raccord.
Mais. Mais. José Tomás.
Au début, on était presque conforté dans l’idée de départ. On commençait à envisager le chanteur à moustache-cage-de-foot, Lemmy Kilmister, en train de se chauffer la voix avec ses copains pour entonner à l’unisson « Les trois cloches ».
José Tomás n’avait pas l’air forcément à l’aise dans son costume noir d’orateur en attente, assis sur sa chaise, relisant ses notes, les genoux serrés, comme un aspirant bachelier chevrotant s’apprêtant à passer sur un texte de Ionesco, un jour de bac blanc, texte que ledit aspirant bachelier n’aurait évidemment pas préparé, parce que c’était facultatif, du moins, il l’avait compris comme ça.
Heureusement. José Tomás.
Le torero s’est levé et s’est avancé vers le pupitre. Sur sa tête un chapeau qu’il venait d’enfiler. Arrivé devant le micro, il a dit qu’il était de bon ton de se découvrir lorsqu’on entrait dans une plaza nouvelle, qui plus est éloignée de ses contrées à lui. Il a envelé le chapeau, l’a posé sur la chaise. Ovation. Olé et tout.
Et le discours, bref, a débuté. Sobre, direct et poignant comme la tauromachie de José Tomás. Il est revenu sur son « Dialogue avec Navegante » le toro « qui a failli… », on connaît la suite, puis il a parlé de ce jour où à 14 ans, au Mexique, il avait vu un novillero toréer de « sublime manière » un bon novillo, de la main gauche, au milieu d’une foule américaine émue, à peine débarquée d’un navire de croisière. L’arène s’appelait « La Paloma ». Ce jour, José Tomás eut le pressentiment que sa vocation était là, en bas, au milieu de tous les Navigateurs et au centre de toutes les Colombes existantes.
Et puis, José Tomás a posé une série de questions. Une série de questions qu’il continue de se poser, même si pour certaines d’entre elles, il a trouvé une réponse. Il serait fastidieux de toutes les restituer. En voilà une série de quatre, de la gauche, pieds joints et sans tremblement dans les voiles de la voix :
« Pourquoi certaines personnes, en voyant toréer, trouvent du sens à leur vie ?
Pourquoi, éloigné de l’arène, je trouve que la mienne a moins de sens ?
Pourquoi ce besoin d’être si près de cet animal ?
[…]
Pourquoi on souffre plus de ne pas comprendre la charge du taureau que de recevoir le coup de corne ? »
Et de citer en guise d’avant conclusion Einstein : « L’important est de ne pas cesser de s’interroger. »
On aurait entendu une mouche sans ailes marcher sur la scène, ces phrases étaient prononcées avec applomb, force, humilité, d’une voix claire et presque effacée, ou en train de s’effacer.
Le discours a fini par un remerciement aux toros et aux toreros qui se rencontrent avec un but : « se fondre en un être unique pour éterniser nos vies par le biais de l’art. ».
Ovation.
Le maestro a dédicacé sur la scène quelques livres, affiches, etc. La queue-leu-leu des fans, on aurait dit la file pour la grotte de Lourdes. Et lui, ça n’est pas Bernadette, ni la Vierge, ni le Christ, ni un miracle. Il n’est pas fait pour ça, mais il s’est prêté à l’exercice 10 minutes. Après il devait repartir pour le Mexique d’où il était arrivé le jour même. Un petit crochet.
Les fumeurs bravant le froid ont pu l’observer partir d’un pas vif vers le boulevard avec en fond la Tour Montparnasse et un dernier quartier de Lune tourné vers le bas. Il avait mis son chapeau.
A quelques kilomètres, sur le tarmac en train de givrer, un avion l’attendait pour le pays des Palomas et des Navegantes, le pays de ses 14 ans, du souvenir qu’il n’a peut-être jamais quitté.
Antoine Beauchamp