Dès qu’il fut annoncé, le solo de Ponce à Istres a été critiqué. Plus la date approchait, plus les aficionados « sérieux » comme moi s’installaient confortablement dans leur rejet. On n’allait tout de même pas traverser la Crau un dimanche de juin pour ce truc là. Ponce tout seul avec six toros probablement minuscules! Et le ténor (à moins que ce ne soit un baryton), et le répertoire néo-classique joué par l’orchestre, et les arènes décorées, et cette affiche kitchissime où l’on voit le torero en smoking! Et puis quoi encore!
La plupart de mes collègues d’arènes, comme moi, sont restés chez eux ou sont allés faire une pétanque. Certains des media taurins que je lis avec le plus d’intérêt ne faisaient que renforcer ce préjugé.
Dans Toros 2000, Patrick Beuglot, comme souvent, jouait les Cassandre:
Autant on pourra apprécier « une saeta » qui éclate, un jour de faenon, au Puerto Santa Maria, et encore à une condition: Que le tout ne soit pas prévu d’avance, comme on l’a vu, avec Padilla, l’an dernier… autant on refusera d’un bloc l’orchestre symphonique, les morceaux classiques si lointains du pasodoble torero, bref, le mélange des cultures et des genres… Au moment où tout le monde taurin proteste de la défense de « la Tradition taurine », il semble paradoxal de voir une affiche torera, avec un beau monsieur, vêtu de smoking, entouré de notes de musique et, presque « accessoirement » des têtes de six toros… Ponce est ici fort décevant et prête le flanc a ceux qui ont toujours voulu sa perte, ou nié en bloc ses mérites toreros.
Dans Campos y Ruedos, Frédéric Bartholin, comme toujours, faisait son narquois:
« Symphonie de Ponce en 6 actes » (actes, sic !) et pour l’événement, la réalisation d’une affiche à faire blondir d’envie un Richard Clayderman qui en a vus d’autres : Henri de Valence, noeud pap’ et veste de smoking en véééélllouuuurs liserée de satin noir et pantalon noir pas tout à fait raccord mais assorti à l’implant brun-mat, la pochette bicolore et le sourcil droit légèrement arqué genre « ben quoi qu’est-ce qu’y a ?! » tel un subtil hommage à Elvis Golden Records volume 2 mais le rictus canaille en moins. Une merveille !
Non, définitivement non : pas question d’aller à Istres. D’ailleurs, mes collègues Michel et Zocato y seraient…
Après le cinquième toro, quand Zocato m’a téléphoné, j’ai d’abord cru qu’il ironisait encore. Mais au ton de sa voix, j’ai compris que j’avais raté un grand moment. Que j’avais rajouté nom à la liste de tous les imbéciles à qui on ne la fait pas. Je revois encore le type qui s’est levé après la corrida le vendredi de la feria de Pentecôte 83 à Nîmes avec ces mots : « eh ben moi, j’en ai marre, je m’en vais à Vic ». Le lendemain, nous découvrions Paco Ojeda… J’entends encore tous ceux qui, en mai 1989, ont préféré faire « n’importe quoi plutôt que se taper la mano à mano Mendes / Nimeño avec les Guardiola ».
Bon, j’en fait partie.