J’ai demandé son âge à Frascuelo, c’est une faute de goût évidente, on ne pose pas cette question aux toreros qu’on chérit. Ni aux dames. Je n’ai pas d’âge, a-t-il répondu. Il marchait sur un chemin bordé de roseaux où les voitures d’aficionados étaient garées en désordre. Il était 17h30, le soir tombait selon le nouvel horaire inauguré le matin même.
Un type qui venait de s’éloigner pour faire pipi dans la roubine avant de reprendre sa voiture nous croisa et félicita le maestro qui le remercia et reprit la conversation avec moi.
On finit tous par devenir vieux, me dit Frascuelo qui s’était arrêté au soleil, mais si on devient vieux en continuant à toréer, c’est vraiment mieux. D’ailleurs il ne dit pas « devenir vieux », je traduis mal, il dit « prendre de l’âge ». Les rides de son visage parurent avoir un relief plus fort dans la lumière.
Il venait de toréer, mano a mano avec Camille Juan, 4 méchants novillos de l’élevage « La Cravenque » dans les petits arènes de Gimeaux pleines à craquer d’un public venu là pour passer un bon moment de détente. De ce point de vue, ça a été plutôt raté. On a distribué en tout et pour tout une oreille, et encore n’était elle pas totalement méritée. Ni Frascuelo ni Camille n’ont été à proprement parler « heureux avec les aciers » comme on disait dans les revues taurines du temps où Frascuelo était jeune (et moi aussi). Et les toros n’étaient pas du genre à autoriser la fantaisie.
Mais pour l’émotion, nous fumes servis! Carlos Escobar Frascuelo, tellement préoccupé par la perfection de sa silhouette qu’il en est presque raide, a donné une faena pleine de défauts sans doute, mais basée sur la très haute idée que cet homme se fait de l’élégance en général et de la sienne en particulier. Un régal.
J’ai laissé l’interview qui suit la faena en version originale. Je suis persuadé que même ceux d’entre vous qui ne parlent pas le castillan comprendront tout.