08 Déc

Poitiers Film Festival : la bouleversante Sarah du jeune cinéaste sud-coréen Deokgeun Kim

Présenté en sélection officielle du Poitiers Film Festival, « To Each Your Sarah » (« A chacun sa Sarah ») du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim raconte l’histoire d’une femme en plein échec personnel et professionnel, contrainte de retourner dans son village natal où vit toujours sa soeur. Ce drame est l’une des révélations de l’édition 2019.

L’actrice Mi-ne Oh, dans la rôle de Sarah. (« To Each Your Sarah » réalisé par Deokgeun Kim)

C’est l’une des joies de suivre le Poitiers Film Festival chaque année : découvrir des pépites cinématographiques du monde entier par des réalisateurs encore ou sur le point de terminer leurs études en école de cinéma. « To Each Your Sarah » du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim entre dans cette catégorie. En apparence, un film sur le déclassement social, il se révèle un drame personnel puissant sur les cruels tournants de la vie.

La bande-annonce, à découvrir, ci-dessous :

Jeong-Ja, interprétée par l’actrice Mi-ne Ho – prodigieuse dans ce rôle -, est de retour dans son village natal où réside toujours sa soeur. Par son intermédiaire, elle trouve un travail dans une triperie industrielle, un travail à la chaîne réservé aux femmes chargées de nettoyer des intestins d’animaux. Mais Jeong-Ja a un secret : avant son retour précipité de Séoul, elle se faisait appeler Sarah. Sarah, un prénom plus sophistiqué que le sien, associé à la vie campagnarde sud-coréenne.

Si le film semble tout d’abord se situer sur le terrain social (une femme quitte Séoul où elle vient de faire faillite et où son mari la trompe pour retourner sans le sou dans sa campagne natale), il se révèle avant tout l’histoire d’une femme confrontée à ses rêves contrariés par les années. Dans cette triperie où l’odeur des intestins la révulse, Jeong-Ja devient la risée des autres femmes, loin d’être dupes et, prend sur elle.

L’histoire d’une génération

Deokgeun Kim livre ainsi un très réussi portrait de femme, entre colère et trahison, cruauté et espoir. Le jeune réalisateur issu de la KNUA (Korean National University of Arts) dresse le portrait d’une génération.

« C’est la génération de mes parents », explique Deokgeun Kim, à quelques heures de la remise des prix. « Ils ont couru après le succès : une bonne situation, la réussite économique. Et puis, 30 ans plus tard, un certain nombre d’entre eux ont en fait échoué, lâchés par le capitalisme. »

Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain (Deokgeun Kim)

Assis sur un canapé de l’espace professionnel du Poitiers Film festival, le jeune réalisateur aux larges lunettes cerclées d’un fin rebord doré a l’apparence d’un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence, la carrure large mais la voix encore douce et posée.

« Ma propre mère a vécu cet échec, personnel et professionnel. Mon père aussi. Tous les deux ont tout perdu. »

« Je n’ai pas voulu faire un film social mais me confronter à une histoire personnelle, celle d’une femme qui perd tout. Je voulais m’attacher aux espoirs et aux rêves de cette femme, la cinquantaine. Comme d’autres de sa génération, elle a échoué mais elle refuse de regarder les choses en face. Elle se trouve trop d’excuses et préfère accuser le monde entier plutôt que de voir sa part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. »

« Comprendre l’être humain »

Jeong-Jo se projettait en Sarah et se retrouve une femme qu’elle pensait avoir laisser derrière elle.

« Sarah sonne comme un prénom sophistiqué. Il révèle les émotions et la personnalité du personnage principal. Elle voulait cette vie sophistiquée, de réussite, mais elle est aussi cette fille de la campagne. »

Deokgeun Kim le reconnaît volontiers : ce qui l’a mené au cinéma, c’est un besoin de « comprendre l’être humain ». Pour lui, la révélation s’est produite à la cinémathèque de Séoul, où il traînait souvent, devant « Les Biens-Aimés » de Christophe Honoré. « Le personnage principal voulait comprendre ses parents, leur vie amoureuse », explique-t-il. « Elle finit par les voir comme simplement humains. Ce film de Christophe Honoré est arrivé au bon moment pour moi. »

Deokgeun Kim conclut notre rencontre par ces mots : « Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain », ce qu’il est parvenu à mettre en images dans ce court métrage très prégnant.

Le jeune réalisateur, remarqué déjà dans plusieurs festivals, termine ses études à la KNUA le trimestre prochain. Il s’imaginerait volontiers poursuivre un Master dans une école en Europe. Depuis les déboires financiers de ses parents, il finance ses propres études en travaillant sur des plateaux de cinéma comme assistant tout en travaillant à son premier long métrage, une histoire de Nord Coréens fuyant le pays et qui franchissent la ligne de démarcation pour le sud. Le projet est pour l’instant « accueilli timidement » par les financiers mais le jeune réalisateur ne perd pas espoir d’imposer un sujet qui lui tient à coeur.

Deokgeun Kim, vendredi 6 décembre, au TAP théâtre de Poitiers, lors du 42ème Poitiers Film Festival

07 Déc

Poitiers Film Festival : le jury sacre le jeune réalisateur roumain Loránd Gábor

Le 42ème Poitiers Film Festival a sacré vendredi soir le jeune réalisateur roumain Loránd Gábor en lui attribuant le Grand Prix du jury, pour son film « How to Fly a Kite? ». Le jury récompense très justement un film sur le passage à l’âge adulte.

De tous les films en compétition répartis en dix sélections de courts métrages, les spectateurs ayant vu la sélection numéro 7 apparaissent aujourd’hui comme les plus avertis ou juste les plus chanceux. Sur les cinq films présentés, quatre ont été récompensés vendredi soir par le jury du Poitiers Film Festival 2019.

« How to Fly a Kite ? » (« Cum înalți un zmeu?« ) de Loránd Gábor reçoit le Grand Prix du jury (UNATC I.L. Caragiale Bucharest, Roumanie), « Le Cerf-volant » de Martin Smatana (FAMU, République tchèque), le Prix du public, « City of Children » de Arantxa Hernandez Barthe (NFTS, Grande-Bretagne) et « Hide N Seek » de Barbora Halirova (FAMU, République tchèque), le Prix L’Extra Court.

Loránd Gábor, l’une des révélations du Poitiers Film 2019

« How to Fly a Kite » est un film d’apprentissage, sur le passage inopiné à l’âge adulte d’un jeune garçon, Aurel. Alors qu’il ramasse du bois en forêt avec son père, ils sont interpellés par un policier qui les soupçonne de coupe illégale. L’intervention tourne au drame. Aurel, que l’on découvre au début du film à la recherche du regard et de la reconnaissance paternels se retrouve seul, face à lui-même, devenu un adulte désormais sans père. La force du film réside dans sa capacité à capter le moment où tout bascule, du regard de cet enfant dans sa quête de reconnaissance, au long moment de réflection où, face à lui-même, il prend conscience qu’il n’est plus tout à fait le même. Il saisit un mégot au sol, l’allume, une page est définitivement tournée. Ce court métrage venu de Roumanie emporte l’adhésion en 27 minutes, courtes, mais formidablement intenses. On sort de la projection avec l’envie de retenir le nom de ce réalisateur venu de Bucarest, Loránd Gábor, l’une des révélations de l’édition 2019 du Poitiers Film Festival, dont le film a également été remarqué et primé dans d’autres festivals.

Sur le tournage du film « How to Fly a Kite » (« Cum înalți un zmeu? ») (Via la page Facebook consacrée au film)

Loránd Gábor, sur le tournage de son court métrage « Cum înalți un zmeu? »

22 Nov

Originaire de La Rochelle, le romancier Julien Dufresne-Lamy fait revivre l’univers des drag-queens new-yorkaises

Avec « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Julien Dufresne-Lamy plonge au cœur de la culture underground new-yorkaise des drag-queens. Sous sa plume, les reines des bals emmènent le lecteur à la découverte des cabarets et d’une culture oubliée, à l’orée des années 80. Un récit fascinant et enlevé qu’il évoquera samedi 23 novembre sur France 3, dans l’édition Poitou-Charentes à 19h, et dans une rencontre au cinéma Le Dietrich de Poitiers à 21h.

Julien Dufresne-Lamy, photographié par Melania Avanzato.

A Los Angeles, un jeune père de famille, ancien gangster, quitte femme et enfant pour vivre sa fascination pour les drag-queens. Direction New York, où il rencontre James Gilmore, un vieil Afro-Américain, icône oubliée de la scène drag du début des années sida. Le second va prendre le premier sous son aile et l’initier aux codes d’un monde de transgression.

Dans une narration foisonnante, alternent le récit introspectif des deux personnages principaux et, en toile de fond, les voix de celles qui ont écrit la légende des reines de la nuit underground new-yorkaise. Sous la plume de l’auteur, le lecteur assiste à la naissance de la mode du voguing et plonge au cœur de la scène ballroom.

Dans la foule des fêtards, se côtoient anonymes et célébrités : Keith Haring, David Bowie ou Madonna qui, avant de placer un coup de projecteur sur le voguing avec son hit « Vogue », fut, elle aussi, témoin de l’effervescence de cette scène.

« Jolis, jolis monstres », le quatrième roman de Julien Dufresne-Lamy, séduit par sa capacité à faire revivre une époque révolue et une scène artiste aussi bouillonnante qu’à la marge.

Originaire de La Rochelle, Julien Dufresne-Lamy est l’invité samedi de l’édition régional Poitou-Charentes, à 19h. Il participera ensuite à 21h une rencontre publique au cinéma Le Dietrich à Poitiers, à l’issue de la projection du film « Port Authority » de Danielle Lessovitz qui se déroule également dans le milieu du voguing contemporain à New York.

 

Rencontre avec Julien Dufresne-Lamy. 

De quelle manière avez-vous découvert l’univers drag et du voguing à New York ? Comment est-ce entré dans votre vie ?

Comme beaucoup de gens, je crois que c’est en regardant l’émission de DruPaul, Drag Race. Je la regarde depuis plusieurs années, sur Internet et sur Netflix. J’ai toujours bien aimé aller voir les drag-queens à Londres ou New York. En allant voir ces spectacles underground, j’avais l’impression de côtoyer enfin une culture qui n’était pas la mienne, d’être vraiment dans l’idée d’un voyage. J’aimais vraiment ça, voir l’alternatif, le clandestin, la marge… Et puis, le livre, je l’ai finalement laissé dormir pendant plusieurs années et ce n’est qu’il y a deux ans que je me suis dit que cette histoire regroupait toutes mes obsessions d’écriture, et je me suis dit : il faut que je le fasse et c’est comme ça que je me suis lancé.

Vous parliez de l’idée de voyage. Racontez-nous en un peu plus…

J’ai l’impression que quand on voit un homme devenir femme ou autre chose sur scène, j’ai l’impression que c’est un voyage, oui. C’est une autre forme de beauté, c’est une autre forme de l’autre, de l’altérité, de curiosité, d’exotisme, donc oui, ça représente un voyage.

Est-ce juste votre expérience personnelle qui nourrit le roman ou bien avez-vous accumulé une certaine dose de documentation pour faire revivre cette époque ?

C’est une fiction pure dans le sens où les deux narrateurs sont complètement invités, ceux qui prennent la parole. En revanche, toutes les galeries secondaires ont réellement existé. Toutes les histoires secondaires dont je parle dans le livre, sont vraies. Ce n’était pas un parti pris de départ. C’est vraiment lorsque je me suis plongé dans la culture drag et la culture voguing, et au fil des recherches, je rencontrais des histoires tellement rocambolesques et je me disais qu’il serait dommage de ne pas les retranscrire fidèlement. Au fur et à mesure des pages et des mois d’écriture, le livre devenait un peu politique et devenait un vrai hommage à la pré-histoire des drag-queens. Et quel plus bel hommage que de retranscrire fidèlement leurs histoires ? Finalement, c’est ainsi que toutes les galeries secondaires se sont imposées ainsi que le livret de photos à la fin du livre.

Ce livret, effectivement, assoie une histoire qui s’est déroulée…

C’est la première fois en littérature française qu’un livre se consacre à la culture drag. C’est étonnant. Il y a ce phénomène en ce moment qui est là, qui permet de déplacer les lignes. Mais les hommes déguisés en femmes, ça existe depuis toujours en fait. On refuse toujours de leur donner cette tribune et cette parole; c’est un peu triste. On vit dans une société très masculiniste et un homme déguisé en femme, ça ne plait pas beaucoup.

Dans votre roman, le personnage qui sort de prison et des gangs à Los Angeles, se cherche une mère pour l’initier à la culture drag. Est-ce que vous aussi vous avez eu une telle rencontre à un moment donné de votre parcours, pour ce roman, de quelqu’un qui vous a initié ?

C’est la première fois que l’on me pose cette question ! Non. Je n’ai pas eu de mère mentor ou symbolique. Pour ce livre, ça a été un sujet pas comme les autres et c’est un livre que je continuerai à défendre plus que les autres car j’ai l’impression qu’il me dépasse, moi, qu’il dépasse le cadre de l’écriture, le cadre de l’écrivain. Comme ce sont aussi de vraies histoires, des personnages qui ont tellement vécu l’oppression, le rejet, c’est important de le défendre, presque politiquement. J’ai fait ça seul, le travail de l’écrivain est quand même très ancré dans la solitude. J’ai rencontré évidemment à Paris quelques drag-queens et que la plupart de mes recherches se sont faites sur Internet. Il y a très peu voire aucune source littéraire, universitaire ou académique sur la culture drag, donc j’ai tissé une toile de façon très débrouille… D’un monde de clubs, de drag-queens, d’années 80, de noms d’artistes, j’ai réussi à créer une ambiance, un décor. Mais ça s’est fait très seul!

Cette part documentaire du livre donne une force colossale au récit, au-delà du parcours humain…

Ca fait un peu autorité, oui, un peu comme lorsque dans un générique de film, il est écrit que c’est inspiré d’une histoire vraie. J’avais envie avec cette large documentation de montrer un New York hyper tourbillonnant, j’avais envie qu’on s’imagine dans ces soirées-là, côtoyer les artistes de l’époque, les Keith Haring, David Bowie, mais aussi des gens que l’on ne connait pas forcément. C’était un New York où tout le monde se cotoyait et qui n’avait pas d’égard pour le statut social. Il y avait l’envie très libertaire, insouciante, de se réunir et de former une communauté. Ca s’est depuis gentrifié, embourgeoisé.

Propos recueillis par Clément Massé.

La couverture de « Jolis, jolis monstres » de Julien Dufresne-Lamy (Belfond)

Retrouvez Julien Dufresne-Lamy dans le journal de France 3, édition Poitou-Charentes, à 19h, samedi 23 novembre, puis à 21h au cinéma Le Dietrich à Poitiers à la séance du film « Port Authority » de Danielle Lessovitz.

Mise à jour, 27 novembre 2019

Retrouvez l’entretien de Julien Dufresne-Lamy, samedi 23 novembre, sur France 3, dans l’édition de 19h du journal régional Poitou-Charentes

26 Sep

La Poitevine Charlotte Lemaire publie une palpitante fable écologique pour la jeunesse

Pour son premier livre, « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto), la Poitevine Charlotte Lemaire raconte l’histoire d’un jeune garçon qui, à l’aide de sa longue vue, part à la découverte de la jungle. Face à un tigre qui veut le manger, il lui propose un pacte.

Charlotte Lemaire signe l’histoire et les dessins de son premier livre « William, la longue-vue et le tigre » (Biscoto).

Sur les traces des grands explorateurs! Le jeune William règle sa longue-vue et part à la découverte de la jungle toute proche. Très vite, son regard est captivé par une chose lointaine qui, en se rapprochant de plus en plus dangereusement, se révèle être… un tigre.

« Pardon de troubler vos activités, mais je vais devoir vous manger », s’exclame l’animal.

A partir de ce moment-là, le jeune William n’a plus qu’une solution : trouver un moyen d’avoir la vie sauve. Pour y parvenir, il va proposer un pacte au tigre.

L’histoire palpitante de ce court livre jeunesse bascule alors dans un récit aux accents parfois angoissants.

Sans rien révéler de l’issue de ce livre au graphisme riche et aux couleurs chatoyantes, William va révéler toute son empathie, réalisant que pour sauver sa vie, il lui faudra d’abord sauver celle du tigre.

A l’heure d’une prise de conscience environnementale mondiale, Charlotte Lemaire livre une fable écologique humaniste qui devrait toucher au plus près le cœur des jeunes lecteurs.

La couverture du livre de la Poitevine Charlotte Lemaire.

Invitée du journal régional, samedi 28 octobre à 19h

L’auteure de ce livre jeunesse vit à Poitiers et est publiée par les éditions Biscoto, basée à Angoulême.

A noter que Charlotte Lemaire a animé un atelier avec de jeunes lecteurs à la librairie La belle Aventure à Poitiers, samedi 28 octobre et était l’invitée du journal de France 3 Poitou-Charentes, ce même samedi 28 octobre à 19h.

Entretien à revoir, ci-dessous.

« William, la longue-vue et le tigre » de Charlotte Lemaire (Biscoto), 14 euros. A partir de 4 ans.

02 Juin

Poitiers : un jeune cinéaste du Burkina Faso lauréat d’une résidence d’écriture à la Villa Bloch

Depuis son inauguration en février dernier, la villa Bloch à Poitiers accueille des artistes en résidence. Début mai, le cinéaste burkinabé Jean-Baptiste Ouedraogo y a séjourné deux semaines où il a travaillé au scénario de son premier long métrage, intitulé « Wakat ». Il a été retenu après ses sélections au Poitiers Film Festival en 2013 et 2018.

Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.

A Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo a trouvé un espace de travail au calme, un peu à l’écart de la ville. A la villa Bloch, il compte parmi les premiers artistes en résidence. Son domaine, c’est le cinéma. Dans l’ancienne demeure de l’écrivain et journaliste Jean-Richard Bloch, il vient de bénéficier d’une résidence de deux semaines pour travailler le scénario de son premier long métrage, l’histoire d’une vieille femme chargée de transmettre les codes d’un rituel ancestral, pour appeler la pluie.

Si les températures très fraîches de ce début mai l’ont un peu surpris à son arrivée du Burkina-Faso, Jean-Baptiste Ouedraogo, 33 ans, a trouvé ici, « un site idéal pour la création artistique ».

« Le cadre est enchanteur », lâche-t-il dans un sourire.

La villa, située dans le quartier de la Mérigotte, offre un écrin de verdure, loin du brouhaha citadin. Du salon, on aperçoit la vallée verdoyante.

Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? (J.-B. Ouedraogo)

Scénario de long-métrage

Le scénario sur lequel il travaille, intitulé « Wakat » (« Le Temps ») sera celui de son premier long-métrage. Il y est question d’une vieille dame et de récits qu’elle veut transmettre à sa petite fille. Victime d’un trou de mémoire, elle ne parvient plus à structurer sa pensée. Récits d’hier, d’aujourd’hui et de demain se confondent.

« C’est la particularité du scénario. On a des histoires qui s’enchevêtrent. Le scénario est assez complexe; ils se déroulent sur trois époques. »

Si le premier jet est terminé, Jean-Baptiste travaille désormais avec deux coaches, proposés par le Poitiers Film Festival.

« J’ai besoin de retours, c’est essentiel pour moi’, raconte-t-il. « C’est la première fois que j’écris un long métrage. Ça me permet de mieux voir les faiblesses du scénario. »

Ce projet est aussi inspiré de ma propre histoire. Ma grand-mère m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. (J.-B. Ouedraogo)

Dans sa fiction, la vieille femme doit donc transmettre tout un pan de la mémoire orale et les codes d’un rituel. Tout se déroule « sur fond de conception africaine du temps ».

« Dans la religion de cette femme, des maîtres du fer, du feu et de la terre, il faut passer par des rituels pour chaque saison », raconte Jean-Baptiste Ouedraogo. « Et pour la saison des pluies, il faut un rituel pour appeler la pluie. Et là, dans l’histoire, le temps passait, le rituel n’était pas fait, les gens commençaient à angoisser et à craindre que la pluie ne vienne pas. La vieille venait de se rendre compte qu’elle perdait la mémoire et qu’elle ne pourrait pas réaliser le rituel… Elle entreprend alors de transmettre à sa petite-fille. »

Des courts-métrages primés

Jusque-là, Jean-Baptiste Ouedraogo s’était fait connaître pour ses courts-métrages, dont certains ont été sélectionnés dans des festivals internationaux.

« Une partie de nous », son film présenté au Poitiers Film Festival en 2013, a aussi été primé au Fespacole grand festival de cinéma du continent africain (prix du meilleur film de fiction des écoles). Le passage au long métrage revêt un enjeu tout particulier, lié à la singularité de son scénario et des récits qui s’enchevêtrent : il lui faut donner vie à ses personnages dans une structure narrative complexe.

Jean-Baptiste Ouedraogo a décroché cette résidence à Poitiers, grâce au Poitiers Film Festival et au Ouaga Film Lab à Ouagadougou (Burkina Faso) où il a été lauréat du Prix Sud Ecriture, soit une bourse d’écriture qui le mènera à Tunis en Tunisie à l’automne prochain.

« L’idée est d’aider Jean-Baptiste à avoir un parcours qui mène son projet de film dans plusieurs laboratoires d’écriture », raconte Elodie Ferrer, déléguée aux programmes professionnels du Poitiers Film Festival et qui avait retenu le projet du cinéaste dans la sélection Jump-In de la dernière édition du festival. Mais, faute de visa, l’artiste avait alors été contraint de rester chez lui.

« On a fait le pari de le faire venir ici pour qu’il travaille et pour que son potentiel soit remarqué. »

Jean-Baptiste est suivi par une tutrice. Et pas n’importe laquelle : Dora Bouchoucha, la grande productrice de cinéma tunisienne (« La Saison des hommes ») qu’il devrait retrouver à Tunis.

Jean-Baptiste Ouedraogo, à la villa Bloch, le 9 mai 2019.

Un prince à Poitiers

De ses deux semaines de travail à Poitiers, Jean-Baptiste Ouedraogo ressort avec « le sentiment d’avoir bien avancé ».

« Vous savez, ce projet, je le porte depuis deux ans », confie-t-il assis dans le canapé du salon de la villa Bloch. « Il est aussi inspiré de ma propre histoire. » Cette grand-mère qui perd la mémoire dans le film est un peu la sienne. « Elle m’a transmis des choses de nos traditions mais me disait souvent ‘Tu veux trop savoir’. Et un jour, elle a fait un AVC et a perdu la mémoire. »

Cette histoire liée aux traditions des peuples du continent noir, il aimerait en voir plus au cinéma.

Lui-même issu d’une société royale du nord de son pays (chez lui on le nomme Pazouknam – prince -) estime qu’ « il nous faut retourner à nos grandes valeurs. (…) On ne peut pas avoir de films que sur des histoires de fric ou de tromperies », lâche-t-il en riant.

« Il faut proposer des films qui parlent de nous, sinon dans 40 ans, on n’aura pas d’images de nous et que penseront nos enfants ? », s’interroge-t-il avec une certaine gravité dans la voix.

Il le constate volontiers, peu de films du continent africain émerge sur la scène internationale.

« Au Sénégal, par exemple, il existe en ce moment une politique pour contribuer au cinéma du pays », explique-t-il. Chez lui, au Burkina Faso, « on a un petit fond qui permet aux cinéastes de faire des films ».

En parallèle à son travail de cinéaste, son cheval de bataille est de contribuer au développement du cinéma dans son pays. Il a, d’ailleurs, tout récemment, été élu à la tête de la Fédération nationale de cinéma et de l’audiovisuel du Burkina Faso.

25 Mar

Cinéma : Ours d’Or à la Berlinale, Nadav Lapid échange avec ses spectateurs à Poitiers

Ours d’Or à Berlin pour son nouveau film « Synonymes », en salles le 27 mars, l’Israélien Nadav Lapid répondra aux questions du public poitevin du TAP Castille, le 1er avril, à l’issue de la projection de 20h30. Le cinéaste a gardé des liens forts avec le Poitiers Film Festival où il a été découvert en France, avec deux courts-métrages d´école. « Synonymes » a été tourné à Paris, ville où il a vécu. Comme son personnage principal, lui aussi a voulu rompre avec son pays en le fuyant. 

Nadav Lapid reçoit l’Ours d’Or à la Berlinale le 17 février 2019 pour son film « Synonymes ». (Photo : Xinhua News Agency/Newscom/MaxPPP)

J’ai découvert le cinéma de Nadav Lapid en 2005, à Poitiers, à l’occasion des Rencontres internationales Henri Langlois, depuis devenues le Poitiers Film Festival. Le cinéaste israélien présentait alors un court-métrage intitulé « Road » (lien youtube VO), film d’étudiant réalisé à la Sam Spiegel and Television Film School à Jérusalem.

Choc visuel et émotionnel

Ce jour-là, le choc visuel et émotionnel me fit immédiatement retenir le nom de ce jeune homme de 28 ans, alors inconnu.

Je me souviens surtout d’un garçon très curieux d’esprit, intéressé par tout ce que proposait le festival (…), quelqu’un qui savait très clairement ce qu’il voulait et qui savait l’imposer (C. Massé-Jamain, Poitiers Film Festival)

Que Nadav Lapid reçoive l´Ours d´Or à Berlin le 17 février dernier pour son troisième long métrage, « Synonymes » (rencontre à Berlin – Télérama), constitue à peine une surprise; une récompense internationale devait un jour couronner son travail singulier.

Qu´il prenne le temps d´échanger lundi 1er avril avec le public qui l´a découvert il y a presque 15 ans témoigne de son attachement avec Poitiers et des liens noués au fil des années avec le festival du film.

Bande annonce :

Premième sélection à Poitiers

Son premier court-métrage sélectionné à Poitiers, « Road », racontait l’histoire d’ouvriers palestiniens excédés par l’attitude de leur patron israélien. Ils le kidnappaient, faisaient son procès et, à travers lui, celui du sionisme. Le film donnait à voir le conflit israélo-palestinien sous un angle particulièrement transgressif. La toute fin, saisissante et apocalyptique, a laissé une profonde impression en moi.

Poitiers découvre alors un jeune cinéaste audacieux. Dans les couloirs du festival, quand on le croise, on tente quelques mots en anglais mais lui s’exprime déjà dans un français courant.

Nadav Lapid se souvient surtout de « la qualité des films sélectionnés ». « J’étais très étonné », m’a-t-il confié par téléphone depuis Israël à la mi-mars.

« C’était l’une des premières fois que son film était présenté en festival à l’étranger », se souvient Christine Massé-Jamain, chargée d’accueil des professionnels et de programmation au Poitiers Film Festival.

« De cette époque, je me souviens surtout d’un garçon très curieux d’esprit, intéressé par tout ce que proposait le festival », poursuit-elle. « J’ai rencontré à l’époque un jeune cinéaste très libre d’esprit, quelqu’un aussi qui savait très clairement ce qu’il voulait et qui savait l’imposer ».

Comme beaucoup d’étudiants cinéastes en compétiton à Poitiers, il garde de cette époque des liens d’amitié très forts.

« J’ai rencontré un étudiant allemand en cinéma qui est resté un très bon ami, quelqu’un avec qui je suis toujours en contact régulier. C’est un lien important pour moi qui a été créé à Poitiers. »

Le court-métrage « Road », via YouTube:

Deuxième sélection

Deux années plus tard, Nadav Lapid était à nouveau en sélection à Poitiers avec un second court-métrage d’école : « La petite amie d’Emile » (lien VOD). Le jeune cinéaste n’avait alors pas pu faire le déplacement.

« Dans ce film, on découvrait une jeune femme en quête d’elle-même, amoureuse d’un garçon qui brillait par son absence », se souvient Christine Massé-Jamain. « Et, à nouveau, dans ce court-métrage, le spectateur était confronté à un contexte politique, de manière très marquée, à travers l’émergence d’un dispositif policier massif anti-attentat lorsque la jeune femme oublie son sac par inadvertance. »

Nadav Lapid, sur le tournage de son troisième long métrage, « Synonymes » (SBS Distribution)

Premier long métrage primé

La sortie de son premier long métrage, « Le Policier », en 2012, confirme le talent du cinéaste. Il reçoit le Prix Spécial du Jury du festival du film de Locarno, le Prix du Public du festival des 3 Continents et, chez lui, en Israël, le prix du Meilleur Premier Film, Meilleur Scénario, Meilleure photographie au festival du film de Jérusalem

Son film se focalise sur la vie d’un jeune policier, symbole israélien ultra viril. L’homme, dont la femme s’apprête à accoucher, va être confronté à une attaque terroriste menée par un groupe de jeunes juifs israéliens. Une attaque de l’intérieur : le scénario, inimaginable, tend à mettre en lumière l’iniquité de la société israélienne.

Bande annonce du « Policier »:

Sensation à Cannes

En 2013, Nadav Lapid est de retour à Poitiers avec sa productrice, Anne-Dominique Toussaint (Les Films des Tourelles). Il est alors parrain du festival et participe au focus sur les pays méditerranéens.

Son second long métrage, « L’Institutrice », est en préparation. Avec Anne-Dominique Toussaint, il participe à la leçon de cinéma consacrée à la production cinématographique et évoque le travail en cours devant le public poitevin.

Bande annonce de « L’Institutrice » :

L’année suivante, « L’Institutrice » est sélectionnée à la Semaine de la critique à Cannes où il est à nouveau remarqué (critique du journal Le Monde) et fait sensation.

Ours d’Or à Berlin

Alors, quand on apprend que la Berlinale 2019 lui remet son Ours d’Or pour son nouveau film, forcément, on est heureux pour lui, mais surtout, on a hâte de découvrir ce « Synonymes » qui, chose faite quelques jours plus tard, se révèle tout aussi saisissant que ses deux précédents longs métrages et fait tout autant l´effet d’une déflagration.

Dans sa dernière oeuvre, Nadav Lapid interroge les questions d’identité de manière très frontale. Déjà encensé par la critique, « Synonymes » fait, ce mois-ci, la Une des Cahiers du Cinéma (Edito) (voir aussi entretien sur France Inter).

Au début du film, le personnage principal, Yoav, la vingtaine (interprété par Tom Mercier), fait la connaissance d’une jeune couple de Français (Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte). Il vient d’arriver en France et a débarqué de nuit dans un appartement inconnu dont on lui a mis une clef de côté pour sa première nuit parisienne. Très vite, ses vêtements lui sont tous dérobés; il se retrouve nu, totalement mis à nu, tel un nouveau-né. Il court, nu, à la recherche du voleur, en vain, et se réfugie dans la baignoire où il se réchauffe sous un jet d’eau chaude. Insuffisant.

Nadav Lapid raconte que son personnage « est prêt à ça », à se retrouver à nu. « Il veut mourrir en tant qu’Israélien et renaître en tant que Français », explique-t-il.

Yoav rejette son identité israélienne et va jusqu’à refuser de prononcer le moindre mot d’hébreu.

C’est comme ça que ça s’est passé pour moi. D’une certaine manière, le film est la réécriture cinématographique des évènements que j’ai vécus (Nadav Lapid)

Une oeuvre très autobiographique

Cette position radicale a aussi, dans la vie, été celle du cinéaste. Nadav Lapid a lui-même, à un moment donné, rejeté son pays qu’il a fui pour vivre à Paris au début des années 2000.

La position du personnage « est radicale, oui, mais d’une manière aussi, c’est très simple: c’est juste comme ça que ça s’est passé pour moi, dans ma vie. D’une certaine manière, le film est la réécriture cinématographique des évènements que j’ai vécus. »

Recueilli par un jeune couple de Français qui l’enveloppe d’une couverture sur leur lit, Yoav va ainsi « renaître, comme un bébé dans ce lit » et se retrouver vêtu d’un magnifique manteau orange qui lui est offert par le couple et le démarque de tout et tout le monde. Pour le réalisateur, son personnage est « quelqu’un qui se détache et s’arrache de tout ». Et, en premier lieu, donc, de son identité.

Pour Nadav Lapid, Yoav se « rend compte qu’il y a des liens forts qui l’enchaînent et lorsqu’il veut les rompre, bien sûr, ce n’est pas évident, il ne suffit pas de prendre un avion pour Charles-de-Gaulle; il prend conscience par exemple que chaque mot d’hébreu contient un bout de cette identité dont il ne veut plus. Il va donc rejeter ça entièrement. »

Le film décrit aussi un personnage qui déambule à vive allure dans les rues de Paris.

Il regarde ses pieds, puis le ciel, embrasse la ville de sa singulière présence physique, massive et sensible. Il capte les sons, les odeurs et semble refuser de regarder droit devant lui. Yoav a le nez rivé sur le dictionnaire qu’il a acheté à son arrivée. Il apprend le Français en mémorisant à voix haute, les mots et leurs synonymes qui, dans Paris, résonnent comme une litanie à la fois tonitruante et poétique, évoquant autant la rafale de mitraillette que la rime. Rarement au cinéma la beauté d’une langue aura été ainsi révélée, éclatante, aux oreilles du spectateur, et de manière aussi troublante. La liste de synonymes fait l’effet d’un tourbillon de mots desquels émerge une profusion inattendue de sens, comme si le cinéaste donnait ainsi à entendre sa propre quête (de sens) et révélait cette plaie ouverte dans laquelle il trempe sa plume.

Ce n’est pas un film de gauche, ce n’est pas un film qui prône telle ou telle position ou politique. Mais Israël rend le personnage fou, oui. (…) Pour lui, être Israélien, c’est être soldat. (Nadav Lapid)

Alors que Yoav s’immerge dans la langue et la culture françaises, à l’écran, le spectateur suit un personnage en plein combat avec lui-même. S’agit-il pour le personnage de rompre avec son pays et sa politique ?

Pour Nadav Lapid, « ce n’est pas une question politique dans le sens étroit du terme, il n’est pas par exemple question d’une critique d’une politique israélienne, aux check-points ou dans les Territoires, ce n’est pas dans ce sens-là, ce n’est pas un film de gauche, ce n’est pas un film qui prône telle ou telle position ou politique. Mais Israël le rend fou, oui. Dans le film, on le voit. L’existence israélienne est représentée par des hommes musclés virils prêts à lutter pour leur pays et qui ne se posent pas trop de questions, qui sont toujours enthousiastes et prêts à l’action. On peut dire que c’est ce qui le rend fou, ce côté qui est lié à l’armée, cette chose agressive et violente. Pour lui, être Israélien, c’est être soldat. »

Tom Mercier, dans le rôle de Yoav, dans « Synonymes » réalisé par Nadav Lapid (SBS Distribution)

Yoav apparait tel ce combattant dont parle le réalisateur. Lorsqu’il s’engage, c’est à bras le corps. Rien n’est jamais fait dans la demi-mesure.

Il est confronté à une « déchirure entre être Israélien et être Français », raconte Nadav Lapid. « Il y a, à la base, cette dichotonomie israélien/français, violent et calme, radical et cultivé, militaire et bohémien. Cette déchirure existe à l’intérieur du corps de ce jeune homme. Il essaie de se débarasser de cette dichotomie, il essaie de faire triompher l’autre, le Français. Ses mots deviennent français mais son corps reste israélien, la trace du passé ineffacable est israélienne. »

Yoav mène un combat imminemment personnel, contre sa propre nature. Mais au moment où la France semble l’avoir intégré, son corps fait à nouveau l’expérience du rejet.

« Ce qu’il découvre, c’est qu’aucun pays n’est à la hauteur », poursuit Nadav Lapid, « à la hauteur de ce qu’on aurait aimé et peut-être découvre-t-il qu’il sera toujours une sorte de SDF du monde, que jamais il ne trouvera une identité qui lui conviendra entièrement et que, toujours, il se heurtera à des portes fermées. Son combat est de parvenir à changer son identité pour ne plus être prisonnier de lui-même. »

Dans son manteau orange, Yoav apparaît telle une figure héroïque, à part, capable de tout, mais qui a aussi ce pouvoir sur les autres, notamment ses amis français : celui de se raconter par le biais des histoires qu’il partage avec eux.

Encore une fois, ce troisième film de Nadav Lapid ne laisse pas indifférent. Sa force réside dans son inventivité narrative et dans une constante recherche formelle qui colle à l’évolution du personnage. « Synonymes » détonne par son propos et envoûte par sa capacité à réinventer ce qui fait cinéma aujourd’hui. Si son réalisateur est Israélien, le film lui est à 100% de production française. On se souviendra ainsi qu’en 2019, un réalisateur israélien a chamboulé le cinéma français.

Rencontre avec Nadav Lapid au TAP Castille à Poitiers, lundi 1er avril à 20h30 (Echange via Skype dans la salle à l’issue de la séance).

TAP Castille, 24 place du Maréchal Leclerc, 86000 Poitiers. Tél. +33(0)5 49 39 50 91 Contact : cinema@tap-poitiers.com 

Affiche du film « Synonymes »

19 Sep

Cinéma : « Leave no Trace », grand film indépendant américain présenté à Poitiers en présence de la réalisatrice

La réalisatrice américaine, Debra Granik, présentait à Poitiers le week-end dernier son nouveau film « Leave no Trace », sorti en salles ce mercredi. Nommée aux Oscars en 2011 pour « Winter’s Bone », son nouveau film se révèle un vibrant plaidoyer en faveur de la possibilité de vivre en dehors de la société.

Debra Granik, réalisatrice de « Leave no Trace » pose devant l’affiche de son film présenté à Poitiers en avant-première, samedi 15 septembre 2018.

Est-il possible aujourd’hui de vivre loin de la société ? Et même de s’en émanciper définitivement ? Les personnages du nouveau film de Debra Granik, « Leave no Trace », Will et sa fille Tom, en font la cruelle expérience dans l’Amérique contemporaine.

Adapté du roman « Abandon » (« My Abandonment« ) de Peter Rock, l’histoire est celle, réelle, d’un père et sa fille, ayant vécu plusieurs années en pleine forêt, à la limite de la ville de Portland, dans l’Etat de l’Oregon. 

Le père se disait que sa fille avait le reste de la sa vie pour se conformer à la société moderne et qu’à travers la vie qu’il lui proposait, il pouvait lui transmettre une alternative (D. Granik)

Debra Granik choisit de les filmer dans leur quotidien, sur leur campement, se réchauffant au coin du feu de camp, à la recherche de leur nourriture, dans leur quête d’eau potable. Dès la séquence d’ouverture, leur vie est présentée à travers une série de scènes très documentées, le père apprenant à sa fille à vivre et à survivre dans ce milieu naturel, fuyant la présence d’autres hommes. Le spectateur découvre leurs codes, leur mode de communication et ce souci de ne laisser aucune trace derrière eux pour demeurer indétectable par la société des hommes, si proche.

Le retour à la nature

A l’image, la réalisatrice déploie une palette infinie de tons de vert à travers lesquels filtre une lumière blanche. Le spectateur est plongé dans un monde qui pourrait autant lui paraître hostile qu’il lui semble familier, à travers les sentiers de la forêt, comme s’il était en balade.

Dans cette histoire, la ville n’est pas bien loin. Le père s’y rend d’ailleurs régulièrement. Pour toucher sa pension militaire. Pour acheter ce que la forêt ne peut lui procurer. Le spectateur découvre alors une tranche de l’histoire de cet homme, ancien combattant, incapable de revenir.

« Il est définitivement aliéné de notre monde, raconte Debra Granik lors d’un échange avec le public à l’issue de la projection de samedi au TAP Castille. Comme d’autres anciens combattants traumatisés, victimes de blessures de guerre, il ne peut plus vivre cette vie quotidienne qui est la notre. »

« Tous les deux vivent très humblement, poursuit-elle. Mais ils restent très dépendants de la ville, pour une raison simple : ils ne sont pas propriétaires de la terre sur laquelle ils vivent. »

Lorsque la société, à travers les services sociaux américains, les découvre, ils apparaissent d’abord suspects. Tous vont vouloir croire à une maltraitance paternelle envers une jeune fille dont le niveau d’éducation et le bien-être vont se révéler de très loin supérieurs à ceux des enfants de son âge.

La réalisatrice livre alors une passionnante réflexion sur la notion de transmission. Lors de l’échange avec le public, elle évoque une rencontre avec un autre père et sa fille, qui eux aussi ont tenté cette vie, à la marge. « Lui se disait qu’elle avait le reste de la sa vie pour se conformer à la société moderne et qu’à travers la vie qu’il lui proposait, il pouvait lui transmettre une alternative. »

A travers ce film, Debra Granik aborde une thématique régulièrement explorée par le cinéma américain : celle du retour à la nature. Le spectateur se souviendra d’« Into The Wild » de Sean Penn, de « Captain Fantastic » de Matt Ross ou du grand classique de Sydney Pollack, « Jeremiah Johnson » incarné par Robert Redford, situé au 19ème siècle.

PROJECTIONS DU FILM :
Au TAP Castille, à Poitiers (horaires, cliquez ici)

Au Moulin du Roc, à Niort (horaires, cliquez ici)

A La Coursive, à La Rochelle (horaires, cliquez ici)

06 Avr

Poitiers : un livre à la main, participez au projet « Inside Out » du photographe JR

La librairie La belle Aventure participe au projet « Inside Out » du photographe JR. Elle invite les lecteurs à venir se faire photographier, dans la librairie, avec leur livre préféré. Les tirages photos seront ensuite affichés dans le centre-ville de Poitiers.

Faites-vous photographier, ici, du 6 au 21 avril 2018, pour le projet Inside Out de JR. (Photo: La belle Aventure)

« Faites-vous photographier avec votre livre ». L’invitation de la librairie La belle Aventure à Poitiers s’adresse à l’ensemble de ses lecteurs. Il s’agit de participer au projet photographique « Inside Out » de JR, césarisé avec Agnès Varda pour leur documentaire « Villages Visages » (2017).

Pour la librairie pictave, l’idée est de rappeler que les « livres sont essentiels à nos vies ».

« Lire nous relie, nous rend libres et ouverts au monde, indique la librairie dans un flyer. Nous pensons que les librairies indépendantes sont des lieux indispensables de rencontre, de création et de diversité. »

C’est ce message que les lecteurs sont invités à partager et à transmettre à travers leur portrait.

Le projet du photographe JR « permet à chacun (…) de transformer un message personnel en oeuvre d’art publique », en l’occurrence, ici , un message sur l’importance du livre dans nos vies et dans la vie de la cité.

Au lancement du projet lors de la conférence TED à Long Beach en Californie (Etats-Unis) en 2011, le photographe appelait à la création d’un projet d’art global, mondial. 

« Je souhaite que vous vous leviez pour ce que vous aimez en participant à un projet d’art global, et ensemble, nous allons transformer le monde … INSIDE OUT. »

Par Inside out, entendez, mettre le monde sans dessus dessous, le changer pour le meilleur.

Le flyer de La belle Aventure, invitant les lecteurs à participer au projet Inside Out du photographe JR

Ailleurs dans le monde, d’autres projets ont déjà été réalisés. En Colombie par exemple, le projet « No Boundaries, Bigger Dreams » (Sans frontières, on rêve en grand) invite les enfants de Medellín à faire tomber les barrières imaginaires qui les empêchent de réaliser leurs rêves.

Tout est prêt!

A Poitiers, dans les locaux de la librairie, tout est déjà prêt. Un fond à pois noir et blanc, un tabouret, un éclairage de studio photo ont été installés dans l’espace dédié aux livres de photographies. Ne manquent plus que les lecteurs et leurs livres.

Dès vendredi 6 avril à 15h, et jusqu’au samedi 21 avril, les lecteurs pourront voir leur portrait réalisé avec le livre de leur choix.

Comme dans le documentaire d’Agnès Varda et JR, les portraits seront ensuite affichés en format géant, en centre-ville, début juin.

(Photographies réalisées par les libraires de La belle Aventure, du mardi au samedi, de 15h à 19h).

L’espace Studio photo pour participer au projet Inside Out à La belle Aventure à Poitiers.

 

Le photographe JR, lors de son allocution à la conférence TED en 2011:

28 Fév

Littérature : les prestigieuses Editions de Minuit à l’honneur à la médiathèque de Poitiers

Lors de l'ouverture des Editeuriales, mardi 27 février 2018, Tanguy Viel et Irène Lindon, son éditrice aux Editions de Minuit, répondent aux questions de Baptiste Liger.

Lors de l’ouverture des Editeuriales, mardi 27 février 2018, Tanguy Viel et Irène Lindon, son éditrice aux Editions de Minuit, répondent aux questions de Baptiste Liger.

Les Editeuriales se sont ouvertes mardi soir par une rencontre avec le romancier Tanguy Viel, prix RTL Lire 2017 pour son dernier roman « Article 353 du code pénal » (Minuit). Consacrée cette année aux Editions de Minuit, la manifestation littéraire de la médiathèque de Poitiers recevait également, pour sa soirée inaugurale, l’éditrice Irène Lindon. L’occasion d’échanges sur le travail de l’auteur avec son éditrice. 

Très discrète, Irène Lindon. Comme gênée parfois ou intimidée. On sent que l’exercice de la prise de parole en public n’est pas ce qu’elle préfère. Pourtant, lorsqu’elle s’exprime, sa parole résonne, forte et assurée et dévoile même une impression qui se vérifie au fur et à mesure des discussions : l’éditrice des Editions de Minuit n’est pas du genre à garder longtemps sa langue dans la poche. Hier soir, à la soirée d’ouverture des Editeuriales, la manifestation littéraire de la médiathèque de Poitiers, elle a dérogé – un peu – à la règle qu’elle s’impose habituellement, celle de rester en retrait.

« Je trouve qu’un éditeur publie des livres, mais se tait », m’expliquait-elle dernièrement au téléphone pour décliner une demande d’interview. « Il n’y a rien d’intéressant à dire », trouvait-elle, avant d’ajouter qu’un « éditeur est content d’avoir des auteurs, mais c’est à eux de parler. »

Un livre, ça réconforte et ça déconcerte (I. Lindon)

La relation éditeur auteur

La présence de l’éditrice aux côtés de l’un des écrivains qu’elle publie depuis vingt ans, « presque jour pour jour, à une semaine près », rappelait hier soir Tanguy Viel, donne pourtant envie de l’entendre parler de son travail et d’en savoir un peu plus sur sa relation avec ses auteurs. Interrogée par mon confrère Baptiste Liger (Lire, L’Express, Technikart et Têtu) sur ce qu’elle recherche dans un manuscrit – une modernité littéraire? -, Irène Lindon balaie la question qu’elle « ne (se) pose pas » en ces termes et précise : « Je recherche quelque chose qui me réconforte et me déconcerte, c’est ce que j’appellerai la qualité d’écriture. »

La marque d’un écrivain est que son travail est parfait. Au-delà de trois virgules et de deux coquilles, je travaille peu avec l’auteur (I. Lindon)

Elle l’assure, elle « ne travaille pas vraiment avec les auteurs ». Pour une raison toute simple et évidente à ses yeux : « la marque d’un écrivain est que son travail est parfait. Au-delà de trois virgules et de deux coquilles, je travaille peu avec l’auteur. »

Tanguy Viel conforte les paroles de son éditrice d’un tout simple : « Irène a raison. » Irène Lindon intervient peu. Elle n’incarne donc pas cette image (fausse?) d’une éditrice qui aiderait l’écrivain à accoucher d’un roman. Comme pour expliquer le peu de changements apportés à un manuscrit, Tanguy Viel précise qu’ l’ « on écrit toujours un peu pour son éditeur », mais concède: « Elle exagère un peu, il peut y avoir quelques retouches. Mais parfois aussi, on se trompe. S’il y a un problème de dramaturgie, ce n’est pas l’éditeur qui va y changer quelque chose. »

Irène Lindon qui l’écoute attentivement, complète, comme une évidence, de sa voix rocailleuse : « Oui, l’éditeur n’intervient que pour des broutilles. »

Démystifier la place de l’éditeur

La rencontre de mardi soir a pris un tour passionnant dans ces brefs échanges où Irène Lindon a donné l’impression de vouloir minimiser l’importance de son travail. Ou de démystifier la place de l’éditeur. Sur son quotidien aux Editions de Minuit, elle confie le plus simplement du monde qu’ « elle ouvre le courrier, lit les manuscrits, gère le courrier administratif, s’occupe de la cession des droits à l’étranger… Nous sommes huit. Chacun est polyvalent. »

Ou encore, sur le choix du titre d’un roman : « ‘Article 353 du code pénal’, lorsque je l’ai déposé sur le bureau d’Irène, j’étais persuadé que ça ne passerait pas », se souvient Tanguy Viel, avec malice. « Allez, on a travaillé, une minute, une minute trente sur le titre! », concède l’auteur. Irène Lindon rebondit : « Oh oui, parce que ‘article 353 du code de procédure pénale’, c’était bien trop laid! »

Tanguy Viel poursuit : « La deuxième chose sur laquelle nous travaillons avec notre éditrice, c’est la quatrième de couverture ». Regardant son livre, il lit cette fameuse quatrième de couverture : « Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l’ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d’investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu’il soit construit. » Puis, il s’exclame dans un sourire : « Voilà, ça c’est de l’argument! C’est un petit travail… Quand même, il y a des choses que l’on fait avec un éditeur. » 

Le travail de composition de Tanguy Viel

« Article 353 du code pénal » est le dernier roman paru de Tanguy Viel. Sorti l’an dernier, il a depuis reçu le prix RTL Lire 2017 qui lui a valu un succès public. De ce roman, la critique a aimé souligner une certaine proximité avec le « polar ». Mais l’auteur joue surtout sur les codes.

A VOIR >> Reportage chez l’auteur, lors de la sortie d’ « Article 353 du code pénal »

Très vite, les échanges se concentrent sur l’écriture de l’auteur. Baptiste Liger l’interroge sur la singularité de son style, le rythme de ses phrases. Tanguy Viel confie que finalement, la phrase, « c’est ce qui se travaille le moins ». Il complète : « Ça fonctionne par blocs. La phrase a à voir avec un souffle, une image intérieure. Je ne dis pas qu’elle va être parfaite, il y aura peut-être des modifications, mais moi, j’ai plus l’impression de travailler sur la composition. Le phrasé, c’est presque une unité primaire qui n’est pas là tous les jours. Il arrive d’ailleurs que l’on doive jeter des blocs entiers, car ce sont de fausses notes…! »

Tanguy Viel a publié ses sept romans aux Editions de Minuit. Le premier de ses manuscrits n’a pourtant pas été retenu pour publication.

« Un jour, j’ai fait lire un manuscrit à François Bon qui l’a discrètement posé sur le bureau d’Irène, se souvient Tanguy Viel. J’ai eu un rendez-vous. C’était un rendez-vous d’encouragements. Le texte était fragile dans sa forme, difficile d’accès. Le conseil qui m’a été donné était le suivant : ‘essayez de faire un roman’. Avec un début, un milieu et une fin. J’avais 22 ans. Je suis sorti de ce rendez-vous, ça aurait pu me bloquer, mais ça m’a donné l’envie d’essayer d’écrire ce roman. Et ça a été ‘Le Black Note’. »

Pour lui, les Editions de Minuit, c’était les romans d’Eugène Savitzkaya ou les textes de Bernard-Marie Koltès. « J’ai découvert les Editions de Minuit vers 18 ans, assez tard finalement. Il s’est passé quelque chose qui ne s’était pas passé avant dans mon expérience de lecteur, quelque chose dans la densité de langage que je n’avais pas trouvé avant. » Et dont il est aujourd’hui l’un des héritiers.

Au bout d’une heure et demi d’échanges, dont certains avec le public, l’auteur s’est livré à une séance de dédicaces.

La manifestation se poursuit jusqu’au 15 mars avec des rencontres avec Yves Ravey, Julia Deck, Anne Godard, Eric Laurrent, Vincent Almendros ou encore un hommage à Christian Gailly.

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17 Jan

Chanson : Violette dévoile ses compositions sur la scène pictave

Le 4 novembre 2017, Violette se produisait sur la scène de L'Envers du bocal à Poitiers.

Le 4 novembre 2017, Violette se produisait sur la scène de L’Envers du bocal à Poitiers.

Depuis notre table à L’Envers du bocal, le brouhaha de la salle pose un voile intempestif sur la voix de Violette. Avec Dominique et Javier, nous sommes installés à l’extrémité opposée, à l’une des tables en bois recyclé; d’anciens volets découpés qui portent encore leur ferrage. Devant nous, des groupes se sont formés et discutent debout un verre à la main. D’autres dînent d’une soupe et d’une salade création maison. Le long de la baie vitrée, on observe les passants entrer. Un filet d’air frais s’immisce. Le vibrato de Violette survole les discussions d’un samedi soir entre amis dans ce haut lieu culturel et alternatif du centre-ville de Poitiers.

Capter l’attention du public

Nous sommes venus sur les conseils de Dominique. Son amie Clémence, alias Violette, chante. Elle voulait qu’on la connaisse. Violette interprète de nouvelles chansons. Dans la caisse de sa guitare, elle présente son dernier EP, « Breath » (septembre 2017), le premier qu’elle publie sur support CD (disponible au Monde du Disque et à l’Espace culturel Leclerc Poitiers et en téléchargement sur Bandcamp). Le précédent, « Brainstorm » (novembre 2015), avait paru en ligne sur le site Soundcloud et comptabilise à ce jour plus d’un millier d’écoutes pour le titre phare, « My travel with you » et plusieurs centaines pour les suivants.

Le public du bar culturel L'Envers du décor applaudit Violette à l'issue de son set, le 4 novembre 2017

Le public du bar culturel L’Envers du décor applaudit Violette à l’issue de son set, le 4 novembre 2017

 

Chanter dans un bar, ça apprend à se dépasser, à attirer l’attention, à capter les gens (Violette)

Elle aime Bob Dylan et Cat Power

Sur sa petite scène, Violette a ajouté une petite guirlande de lumières blanches qui tombe de son ampli. Quand elle se présente, elle semble s’exprimer du bout des lèvres, presque timide. Pourtant, dès qu’elle chante, sa voix douce perce aisément au dessus des discussions et impose une présence au creux de l’oreille. Violette sait que « les gens ne sont pas forcément venus l’écouter ». « Ca apprend à se dépasser, à attirer l’attention, à capter les gens », confie-t-elle.

Violette s’est trouvée une proximité avec les univers musicaux des grands folkeux américains. Elle a choisi de s’exprimer dans leur langue, mais elle ne s’inscrit pas pour autant dans la tradition folk anglo-américaine. Certaines inflections de sa voix rappellent le lyrisme de celle de l’Américaine Judy Collins. Elle aime Bob Dylan, dit avoir beaucoup écouté Sheryl Crow et Cat Power et chante ses propres textes.

 Après le premier set à Northampton, je me suis dit, les gens savent tout. Ils ont tout compris (Violette)

En anglais

On s’interroge sur le choix de la langue anglaise. Une manière de « se protéger », avoue-t-elle. De ne pas complètement « se dévoiler ».

Sur son dernier EP, « The Rose » évoque par exemple la maternité. « The little song », qui ferme le disque, retrace une amitié  – amoureuse, semble-t-il -, dont, des années plus tard, il est temps de tourner la page. Les paroles sont simples, imagées et touchent juste.

Lorsqu’on la retrouve chez elle quelques semaines plus tard, elle en sourit et admet que lorsqu’elle s’est produite sur des scènes étrangères, en Grande-Bretagne par exemple, elle « a pris conscience que les gens pouvaient comprendre (ses) textes ». « Je me suis retrouvée complètement ‘nue' », avoue-t-elle, encore surprise. « Après le premier set, je me suis dit, les gens savent tout. Ils ont tout compris. »

Violette, rencontrée chez elle à Poitiers, le 10 janvier 2018

Violette, rencontrée chez elle à Poitiers, le 10 janvier 2018

Confortablement installée sur le canapé du salon de son appartement qui surplombe l’entrée du parc de Blossac, elle poursuit. « Ce n’est pas naturel pour moi de chanter en français. Le Français me fait peur, vraiment. (…) Beaucoup de gens écrivent de très beaux textes en français, je trouve dur de passer derrière eux. Je ne me sens pas encore à la hauteur. » Puis elle ajoute : « Peut-être que ça changera. » Elle note que Radio Elvis chante en français, alors, « pourquoi ne pas essayer… » Mais elle se reprend : « Quand la mélodie arrive, ce ne sont pas des mots français qui me viennent. »

Les Anglais étaient émus. Certains m’ont dit qu’ils étaient touchés par mes chansons (Violette)

L’expérience européenne

Violette a beaucoup tourné sur les scènes pictaves; et au-delà. Un tremplin Face B lui a permis, à Poitiers, de participer aux Expressifs en 2016. Présents cette année-là, des organisateurs du MaNo Musikfestival de Marbourg (ville jumelée à Poitiers) l’invitent à leur tour à se produire chez eux, en mars 2017. Là, à nouveau, d’autres organisateurs, cette fois du Twinfest de Northampton (autre ville jumelée à Poitiers – le festival est celui des trois villes, Poitiers, Marbourg et Northampton), lui offrent sa première scène anglaise.

L’expérience européenne demeure l’une des plus importantes de sa jeune carrière. « J’ai testé mes chansons auprès d’un public d’une autre culture musicale. On reçoit d’autres critiques », confie-t-elle. Le regard sur son travail change. Les retours qu’elle recevaient jusqu’à présent étaient ceux de ses proches. Au départ, « le premier miroir réellement, ce sont les amis et la famille. Certains ne soupçonnaient pas que je chantais… » Là, c’était un public étranger qui la découvrait comme n’importe quelle autre artiste. « Les gens étaient émus. Certains m’ont dit qu’ils étaient touchés par mes chansons. C’était vraiment le plus beau compliment que l’on puisse me faire. »

 Je compose le soir, le moment où c’est plus calme, quand la journée est passée et que l’on se retrouve avec soi-même (Violette)

Dans son salon, ses deux guitares et un ukulélé trônent, face au canapé. Un lapin noir, prénommé Bobby, pointe ponctuellement le bout de son nez, renifle furtivement l’invité et retourne se cacher entre un coussin et sa maîtresse. « En ce moment, la musique occupe un gros tiers de mon temps, » explique-t-elle. « Je compose par périodes. C’est le sentiment du moment qui agit. » Pour elle, c’est le plus souvent le soir, à la maison, « au moment où c’est plus calme, où la journée est passée, où l’on se retrouve avec soi-même. » Dans la journée, elle se repose sur cet outil moderne, le téléphone portable. « Il me sert à enregistrer mes idées quand elles me viennent. »

Lorsque l’on s’est rencontrés en janvier, Violette parlait de six morceaux en chantier. Certains deviendront des chansons, d’autres peut-être pas. Ils viendront s’ajouter aux sets de ses prochains concerts dont elle espère dévoiler la liste prochainement.

ALLER PLUS LOIN

Pour écouter Violette:

« Brainstorm » (novembre 2015)

« Breath » (septembre 2017)