MAJ (vidéo en fin de billet)
Elles ont pris leur décision en fin de semaine dernière. Jusque là, comme la plupart des Français du Mali, ces deux amies ne s’étaient pas véritablement inquiétées. Le coup d’État ne les menaçaient pas directement. Le couvre feu à Bamako avait été une parenthèse…désœuvrée (voir billet précédent). Les combats dans le Nord semblaient encore lointains…Et puis, l’idée du départ s’est imposée d’un coup, comme une nécessité :
– « Nous avons pris la route samedi à l’aurore pour le Sénégal. Vendredi ma décision n’était absolument pas prise mais certains éléments, certaines conversations et ce que nous appellerons mon intuition féminine m’ont poussée à nous mettre mes enfants et moi à l’abri. »
–« Nous communiquions tous les jours et à un moment donné je crois que nos intuitions ont été les mêmes, à savoir la situation se dégrade très vite avec une montée du sentiment « anti-étranger » + une menace de fermeture des frontières à nouveau + une situation économique chaotique. Pour ma part, j’ai préféré quitter le Mali avant l’embargo de la CEDEAO car je pense qu’il va y avoir des violences cette semaine. »
Last exit, Dakar ?
L’une a pris la route, l’autre l’avion « au prix fort » vers le Sénégal. « Dans l’avion, peu de toubabs finalement mais beaucoup d’Africains.. Je ne saurais dire si ce sont des gens en mission qui voyagent, des Maliens ou d’autres nationalités qui allaient se mettre au vert en attendant des jours meilleurs. » Une escale de 24 heures, un avion d’Air France, et puis Paris, dès dimanche.
Sur les pistes, aucun signe de ce sentiment d’urgence qui avait prévalu au départ : « Cette traversée du Mali avait quelque chose de schizophrénique. Tout semblait normal, aucun contrôle aux différents postes, ni même à la frontière, les gens vaquaient à leur occupations ni pressés ni inquiets : normaux. Rien qui ne trahissait la situation que nous suivions à la radio et qui nous annonçait la progression des rebelles et les chutes successives de Gao et TBK (Tombouctou). La traversée de Kati, ville d’où est parti le coup d’état avait un côté presque comique avec ses tubes de lance roquettes pointés vides sur BKO (Bamako), les véhicules blindés postés à tous les coins de caserne et les militaires en tenue buvant le thé vautré sur des chaises de jardin à côté de tout ce matériel.
J’ai appris ce soir (dimanche) par un ami de Mopti que la route du Burkina n’est plus sûre : les rebelles y sont depuis 2 jours. Par un ami de Gao, je sais que des tirs en l’air sont permanents, probablement pour empêcher les gens de sortir de chez eux. Trois groupes rebelles se partagent la ville mais sans contact entre les différents groupes. Les rebelles sont passés dans chaque maison et ont demandé aux chefs de famille ou à leurs fils aînés (un seul homme par famille) de sortir et leur ont remis de la nourriture pour leur famille. Aucun pillage n’aurait lieu… Je ne veux pas vous dire ce que j’ai laissé derrière moi de peur que l’énumération seule ne me casse. Je ne peux pas me permettre de me laisser aller pour le moment. »
Ressentiments
Les deux amies sont aujourd’hui en sécurité. D’autres, sans doute, ont pris la même décision. Combien, parmi les 4463 Français enregistrés sur les registres consulaires ? Impossible de savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’il sera désormais plus difficile de sortir de ce qui pourrait bien devenir un nasse. Comme prévu, les pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, la Cédéao, ont annoncé lundi la fermeture des frontières.
Et puis, il y a les réfractaires. Ceux pour qui le retour n’est pas forcément une option et qui n’ont probablement pas fait la démarche de se faire recenser. Comme ce Français, qui décrivait lundi son état d’esprit après avoir « à contre courant, fait des pieds et des mains rentrer du Burkina au Mali » (…) « Au niveau des Français, qui comptent parmi les privilégiés, et dont je suis, on en est tous à compter le nombre de jours sans travail (et donc sans revenus) au-delà duquel, soit on pourra rester mais on devra licencier les employés (de maison, mais aussi les collaborateurs professionnels), soit, au final, on ne pourra plus rester ici et où on devra partir pour revenir dans un pays où on n’a plus rien à faire, et qui pour nous n’est plus un camp de base. »
Situation de crise
Jusqu’ici, le Quai d’Orsay n’a pas donné l’ordre d’évacuer, seulement le conseil de « quitter provisoirement » le pays. La situation se tend chaque jour davantage. Et plus le temps va passer, moins il sera confortable d’être Français au Mali. Comme le note ce mercredi pressafrik.com, La France est en effet soupçonnée de complaisance envers les rebelles touaregs qui avancent dans le Nord …en compagnie de combattants d’Acqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique), le groupe qui détient les six Français enlevés au Niger… et l’inquiétude monte à l’école française « liberté » dans la capitale malienne. »
Comment sortir de ce qui pourrait rassembler à un véritable « piège » ? Dans les coulisses, les pièces se mettent en place, relativement discrètement. On l’a appris, mercredi dernier, une société française de sécurité, Erys Group, a renforcé sa présence à Bamako…
Pendant ce temps, à Paris, la rapatriée volontaire essaye de trouver une solution pour participer… à la présidentielle. Jusqu’à preuve du contraire, elle est en effet inscrite sur les listes électorales à Bamako…
MAJ Interrogée par Métro, cette jeune coopérante gère l’incertitude sans trop d’inquiétude.. .. Carine et Sylvie, elles ont fait le choix du départ, voyez ce reportage de mes confrères de France 2, Dominique Derda et Frédéric Ranc.