C’est dans un atelier sous les toits au centre de la ville d’Ornans dans le Doubs que Gustave Courbet a peint le célèbre Un enterrement à Ornans et bien d’autres toiles. L’immeuble qui abrite ce premier atelier (fermé au public) vient d’être mis en vente par la propriétaire actuelle.
Quand la raison l’emporte sur les sentiments, une décision peut être un vrai crève-cœur. C’est ce qu’éprouve Florence Couturier, la propriétaire de l’immeuble du 24 place Courbet à Ornans. Bien que très attachée à la ville de Courbet et à sa vallée de la Loue, cette retraitée parisienne doit se résigner à mettre en vente cette maison pleine de souvenirs. 400 m2 pour le prix d’un petit deux pièces parisien : 320 000 euros. L’annonce est publiée sur Leboncoin.
Descendante de Valentin Cusenier, l’un des frères des fondateurs de la distillerie Cusenier créée à Ornans en 1868, sa famille a acheté cet immeuble en 1965. Au dernier étage, une pièce qui n’a d’usage que celui de la mémoire. Ici, pas de malle de jouets entreposée, pas de meubles surannés mais un espace laissé en l’état. C’est dans ce grenier que Gustave Courbet peignait lorsqu’il revenait à Ornans au tout début de sa carrière. Un atelier qui n’a jamais fait l’objet de visite. Pour s’y rendre, il faut traverser des appartements privés.
« Mon père m’a fait faire un atelier d’une grandeur assez respectable, mais la fenêtre était trop petite et mal placée. Aussitôt j’en ai fait faire une trois fois aussi grande ; maintenant on y voit clair comme à la rue. De plus, je l’ai fait peindre en vert-jaune sombre, relevé de rouge sombre. Le plafond qui est très élevé est peint en bleu de ciel jusqu’au quart de la hauteur des murs, cela fait un effet fantastique, et les embrasures des fenêtres sont blanches. Que d’ennuis, que de temps perdu ! Déjà cependant, ma toile s’apprête ».
Lettre de Gustave Courbet à Francis et Marie Wey. Ornans, 30 octobre 1849.
Les notes de l’historienne de l’art, Petra Chu qui a publié la correspondance de Courbet, évoque la possibilité que la toile évoquée soit celle de Un enterrement à Ornans. Petra Chu précise que c’est à la mort des grands-parents maternels de Gustave Courbet, Sylvie et Régis Oudot, en 1847 et 1848 qu’il est décidé que leur maison devienne l’atelier du peintre. Un atelier immortalisé par la fameuse petite phrase de Courbet, le râleur :
Il faut être enragé pour travailler dans les conditions où je me trouve. Je travaille à l’aveuglotte ; je n’ai aucune reculée. Ne serai-je jamais casé comme je l’entends ? Enfin, dans ce moment-ci, je suis sur le point de finir 50 personnages grandeur nature, avec paysage et ciel pour fond, sur une toile de 20 pieds de longueur sur 10 de hauteur. Il y a de quoi crever.
Lettre de Gustave Courbet à Champfleury. Ornans, février-mars 1850
Ces personnages, ils ne seront finalement que 36, sont des habitants d’Ornans. Ils sont venus au dernier étage prendre la pose. Si fiers avant d’être déçus par le réalisme des portraits.. Aujourd’hui, le célèbre tableau, Un enterrement à Ornans, est exposé au musée d’Orsay à Paris.
En septembre 1859, Courbet demande à l’architecte Isabey de lui construire un nouvel atelier à la sortie d’Ornans. C’est cet atelier et ses dépendances qui ont été achetés en 2007 par le conseil départemental du Doubs.
Ce site, inscrit en totalité au titre des Monuments historiques, fait partie du projet « Pays de Courbet, Pays d’artiste ».
Actuellement en rénovation, ce vaste atelier a accueilli lors de l’été 2019 le peintre Yan Pei Ming pour une résidence. Au plafond, des hirondelles peintes par Courbet, veillent à l’esprit du lieu.
Prochainement, le Centre de documentation du Pôle Courbet doit s’implanter dans cet espace rénové. Pour le département du Doubs et le musée Courbet d’Ornans , cela devra être « un espace de référence s’organisant autour de l’étude sur Gustave Courbet et conservant des ouvrages divers dédiés à l’histoire de l’art du XIXe siècle, ainsi que des documents rares et inédits ».
Florence Couturier, la propriétaire du premier atelier, m’a précisé qu’il y avait aussi sept hirondelles peintes dans le grenier de sa maison. En 1990, cet « atelier de Gustave Courbet et la toiture du corps de bâtiment qui l’intègre » ont été inscrits aux Monuments historiques.
Depuis quelques années, Florence Couturier a rénové son immeuble de la place principale d’Ornans. Ravalement refait et toiture neuve, des chantiers longs et onéreux. « J’ai fait ma part pour Courbet ! » s’exclame-t-elle.
Dans son annonce parue sur Leboncoin, la propriétaire précise que « Le grenier, lui, est chargé d’histoire suite au passage du célèbre peintre Gustave Courbet. L’enfant du pays y a peint « Un enterrement à Ornans ». Un lieu respecté, qui se devra d’être respecté dans le temps ». En clair, le futur propriétaire se retrouvera avec une pépite sous contrôle des services de l’Etat. Cet immeuble est inscrit partiellement aux Monuments historiques. Mais comment s’assurer que, dans les années à venir, ce patrimoine ne soit pas détruit ou soit juste maintenu en état ?
UN PATRIMOINE INVISIBLE
Ni le département du Doubs, ni la ville d’Ornans ne souhaitent acquérir cet endroit émouvant pour le rendre visible à tous. Le département, propriétaire du musée et du second atelier, a déjà investi largement pour rénover ces deux espaces. Quant à la municipalité d’Ornans, elle croule sous les dépenses. Passerelle à rénover, travaux pour des maisons mises en péril, aménagement du centre-ville.. Outre la contrainte budgétaire, il s’agit aussi d’avoir un projet culturel autour de ce lieu privé. Compliqué. Pourquoi pas une ouverture juste à l’occasion des journées du patrimoine ? Mais, comment circuler dans ce bâtiment qui n’est pas adapté aux visites.
Comme faire vivre ce patrimoine privé ? Cet atelier de Courbet, devenu grenier d’une résidence secondaire, illustre le lien que les habitants peuvent encore avoir avec le maître d’Ornans. Cette pièce qui a vu naître des chefs d’œuvre est à la fois un lieu universel et un lieu intégré au quotidien d’un territoire. Il est encore possible de recueillir des témoignages oraux sur des anecdotes autour de la personnalité de Courbet. Après tout, les grands-pères de nos grands-pères vivaient à la même époque de Gustave Courbet !
Florence Couturier l’incarne parfaitement. Avec sa famille, lorsqu’elle se rend au musée des Beaux-arts de Besançon, elle va rendre visite à l’Oncle Jules. Son ancêtre Jules Cusenier a servi de modèle pour le piqueur, l’un des personnages de L’Hallali du cerf. (Pour d’autres spécialistes, Courbet a voulu aussi représenter Napoleon III)
Dans l’abondante correspondance de Gustave Courbet rassemblée et commentée par Petra Chu, on apprend que « le fils Cusenier » a rendu visite à Gustave Courbet en 1876 lors de son exil en Suisse. Et c’est en partie chez ses voisins Cusenier que des toiles ont été préservées de certaines convoitises. Les frères Cusenier ont acheté des toiles de leur voisin Gustave Courbet. Elisée Cusenier, le frère de Jules, a fait don de sa fortune « aux œuvres de bienfaisance de la ville de Besançon ». Quand elle revient au pays de ces ancêtres, Florence Couturier peut voir au musée des Beaux-Arts de Besançon non seulement son oncle Jules mais aussi les tableaux légués par Elisée Cusenier. C’est le cas de La voyante ou la Somnambule donné au musée en 1934. Un autre tableau moins connu faisait partie de la collection Cusenier : La mort de Jeannot à Ornans. Une œuvre qui a disparu. Mais, voilà Florence Couturier n’a pas de tableau de l’ami de la famille et elle doit se résoudre à se séparer de sa maison de famille.
Isabelle Brunnarius
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