09 Juin

« Le saut du Doubs » : Une oeuvre de jeunesse de Gustave Courbet adjugée 50 000 euros à Besançon

Détail du Saut du Doubs de Gustave Courbet. vers 1839-1840

Une oeuvre de jeunesse de Gustave Courbet a été adjugée dimanche à 50 000 euros lors d’une vente aux enchères à Besançon par l’étude de maître Renoud-Grappin . A l’occasion d’une succession, des héritiers ont souhaité s’en séparer. Cette représentation d’une cascade a été acheté par un anglo-saxon. Peu d’enchères dans la salle, les propositions de prix sont essentiellement venus par téléphone. Une dizaine d’acheteurs ont privilégié ce mode discret et pratique. 

La vente s’est déroulée en moins de quatre minutes, là voici dans son intégralité :

 

Des coups de fil en provenance de Chine, d’Allemagne et du monde anglo-saxon. C’est justement un anglo-saxon qui a remporté la vente. Collectionneur privé ou intermédiaire spécialisé, le commissaire priseur est resté discret comme à l’accoutumée. Une certitude, le tableau va quitter le territoire français. Et, un regret : dans la salle, un intermédiaire spécialisé intervenait à la demande d’une institution française qui aurait bien aimé que cette petite cascade demeure dans l’Hexagone.

Et voici le reportage de mes confrères.

C’est un tableau guère plus grand qu’une feuille A4. Il représente une cascade. Signé Courbet déjà en bas à gauche mais pas encore en rouge sang. L’oeuvre respire la sagesse. Le feuillage est frais, délicat, l’eau coule comme un flot de soie, la roche n’est pas encore âpre et précise. Gustave Courbet n’avait pas encore quitté la Franche-Comté pour aller chercher la gloire à Paris. L’artiste avait tout juste 20 ans, sa peinture est en devenir. Pour ce tableau, il n’avait pas encore mis au point sa fameuse technique au couteau. Acheter une toile de jeunesse, c’est rêver sur une période délaissée, celle où rien n’est encore acquis.

Le saut du Doubs, Gustave Courbet. vers 1839-1840

Dans le catalogue raisonné de Robert Fernier, le tableau est nommé Cascade et non « Saut du Doubs » comme l’indique le catalogue de la vente aux enchères. Ce petit tableau côtoie sur la même page, une oeuvre particulièrement émouvante : un autoportrait, daté de 1840. Le jeune homme nous regarde et esquisse un léger sourire. Avait-il déjà cet appétit de reconnaissance ?

Portrait de Courbet par lui-même, 1840.

Dans son ouvrage « Le Journal de Courbet », l’historien de l’art,Thomas Schlesser, estime que cet autoportrait de 1840 « traduit une exploration tâtonnante de l’image de soi et une touchante maladresse technique ». Une oeuvre de jeunesse est forcément touchante puisque nous sommes les seuls à connaître la suite de l’histoire. Le peintre ne pouvait que la rêver.

Cinq ans plus tard, Courbet travaille comme un fou à Paris. Il écrit à ses parents régulièrement. En avril, il confie à son père :

« Quand on n’a pas encore de réputation, on ne vend pas facilement et tout ces petits tableaux ne font pas de réputation. C’est pourquoi il faut que l’an qui vient je fasse un grand tableau qui me fasse décidement connaître sous mon vrai jour, car je veux tout ou rien. (…) J’entends la peinture plus en grand, je veux faire de la grande peinture.(…).J’admets qu’il y a de l’exagération dans ces paroles mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut qu’avant cinq ans j’aie un nom dans Paris ». (Chu, 45-3).

Selon les notes de l’éminente spécialiste du peintre, Petra ten-Doesschate Chu, « il est possible » que le tableau évoqué dans cette lettre de 1845 soit le Désespéré. Un des tableaux les plus connus de Gustave Courbet, appartenant à une collection privée. Une valeur inestimable à la hauteur de l’ambition portée par le peintre à cette époque.

Portrait de l’artiste dit Le Désespéré. 1844-1845. Gustave Courbet

Vouloir enchérir pour acquérir une peinture des premières années,  c’est aussi tenter d’acheter un tableau de maître à un prix modeste. Ainsi va la vie des oeuvres. Leur côte est calquée sur l’inspiration et la force créatrice du moment. Pour ce Saut du Doubs, vendu aux enchères dimanche 10 juin,  M° Renoud-Grappin, commissaire-priseur à Besançon, est parti d' »une estimation basse » : entre 8 et 10 000 euros. « Faisons confiance au marché ! » lance le Bisontin. Déjà, plusieurs offres dépasse ce prix de départ. Pour établir son prix, le commissaire-priseur a pris comme référence la vente aux enchères d’un paysage de Courbet à Belfort. Nous avions suivi cette vente en avril 2017. Le tableau, qui nécessitait une restauration importante, représentait une source peinte vers 1860. Il était parti à 54000 euros, acheté par un collectionneur franc-comtois.

La vente aux enchères du tableau de Courbet sera diffusée sur internet, , le jour anniversaire de la naissance du maître d’Ornans. Dans un an, jour pour jour, nous fêterons le Bicentenaire de la naissance du peintre ! Présenté samedi et dimanche matin, le tableau est la vedette d’une vente provenant de plusieurs successions. 300 tableaux anciens et du mobilier.

Le petit tableau de Courbet porte le numéro 58. A ses côtés, le commissaire priseur a présenté le catalogue raisonné des oeuvres du peintre établi par Robert Fernier. Le petit portrait dont la localisation demeure inconnue, nous nargue. Cette oeuvre de jeunesse, pour Thomas Schlesser, a un sens sous-jacent.

« Percer les secrets de sa propre humanité pour se donner les moyens d’agir, à long terme, sur la transformation de l’Homme et de la société : là est le sens sous-jacent de cette oeuvre de jeunesse. Mineure sur le plan pictural, elle est essentielle quant à ce qu’elle annonce de la carrière de Courbet ».

Les enchères ont été à la hauteur de la toile, ni ridicules ni exceptionnelles. Son nouveau propriétaire devra trouver, à son tour, un sens à cette acquisition. Va-t-il regarder ce tableau tel un lingot d’or prêt à la revente ou comme une oeuvre fraîche à observer, le matin au réveil, pour s’ouvrir à tous les possibles ?

Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr