Traiter les questions de l’eau, c’est complexe… Depuis la création de ce blog, j’ai pu prendre conscience de cette difficulté de comprendre un univers de techniciens et de scientifiques et celle aussi de transmettre ces informations sans faire d’erreur ! Un vrai défi. L’histoire du jour est révèlatrice de cette complexité.
À l’occasion de la journée mondiale de l’eau de ce 22 mars, l’association de défense de consommateurs UFC Que Choisir a décidé de lancer un pavé dans la mare :
1000 sources d’eau potables prioritaires menacées de fermeture en France
L’UFC-Que Choisir exige un bilan des mesures de protection !La délégation du Doubs décline l’article national en publiant un communiqué en précisant :
« Parmi les 9 sources prioritaires qui sont situées dans les communes de notre département :
7 sont menacées de fermeture du fait des pollutions en pesticides : Cademene, Mathay, Vaire-arcier, Issans,Abbans-dessous, Mancenans, Luxiol .
2 sont menacées car aucune information n’est disponible: Hyemondans
S’agissant des pesticides et des nitrates, les mesures de protection prévues par la loi consistent à éviter tout risque de pollution à proximité des sources en favorisant les modes de protection les plus respectueux de l’environnement tels que l’agriculture biologique ou, dans le cas d’un maintien de l’agriculture conventionnelle, à encadrer très strictement, voire interdire, l’usage des pesticides et des engrais.
Mais alors que les lois issues du Grenelle de l’environnement prévoyaient une protection effective de ces sources en 2012, force est de constater à ce jour l’insuffisance d’information permettant de mesurer la mise en œuvre effective, captage par captage, des mesures de protection et leur impact.
L’UFC-Que Choisir du DOUBS entend remettre la protection de l’eau à l’agenda des Pouvoirs Publics. L’Association interpelle la préfecture du DOUBS et les agences de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse afin d’obtenir un bilan détaillé et des mesures de protection véritablement efficaces pour chacun de ces captages prioritaires de notre département. »
Intriguée par ces « menaces de fermeture », j’ai voulu trouver ce « bilan détaillé des mesures de protection ». C’est compliqué. J’ai d’abord contacté l’Agence Régionale de Santé pour retrouver l’accès aux zones de captage Grenelle et leurs résultats en pesticides et nitrates. L’Agence m’a renvoyée vers la Direction départementale des Territoires.. Et là, d’expérience, je sais que ma demande passera par la préfecture du Doubs qui se retournera à son tour vers ses services… Bref, c’est long et je tourne en rond ! Jusqu’à ce que la Ville de Besançon réagisse, le 4 avril, au communiqué de l’association de consommateurs :
Cette affirmation est totalement fausse comme d’ailleurs celle relatant l’absence de communication sur la qualité de l’eau distribuée.
Avis de tempête médiatique autour d’un verre d’eau… Des Bisontins, inquiets, se demandent s’ils peuvent continuer à boire de la « Bisontine », l’eau du robinet déclarée « patrimoine vital de Besançon » par la municipalité. Quant à l’absence de communication, la préfecture du Doubs va sortir le grand jeu. Le lendemain, le préfet invite les médias à « un point sur la qualité de l’eau à Besançon » le 10 avril.
Ce jour-là, tous les services de l’État sont présents et accessibles, sans le filtre des services de communication. Et le préfet du Doubs en personne indique aux journalistes le lien vers le site internet du ministère des Solidarités et de la Santé, très facile à trouver, pour avoir accès aux résultats d’analyse de l’eau potable, celle qui est distribuée au robinet. Effectivement, c’est une information publique et les communes doivent afficher les résultats des analyses de l’eau potable. Les 45% de Bisontins qui reçoivent chez eux l’eau venant de la source d’Arcier peuvent être rassurés : « Eau d’alimentation conforme aux exigences de qualité en vigueur pour l’ensemble des paramètres mesurés »
C’est écrit noir sur blanc. Mais, pour être complet, il faut pousser le bouchon un peu plus loin et regarder les résultats des analyses réalisées sur les eaux brutes, c’est-à-dire prélevées dans leur milieu naturel : rivière, source, nappe. Avant traitement. Là, le préfet du Doubs n’indique pas de lien vers un site internet. Mais cela existe ! Le 4 avril, l’Agence de l’eau présentait justement l’état des eaux en Bourgogne Franche-Comté. Seulement un tiers des rivières sont en bon état en Bourgogne Franche-Comté.
La toxicité des pesticides dans les rivières a chuté de moitié ces 10 dernières années, une baisse principalement due à l’évolution de la règlementation qui retire progressivement du marché les substances les plus toxiques. Malgré tout, les pesticides restent les substances toxiques les plus présentes dans les eaux, le glyphosate et son métabolite l’AMPA en tête.
L’Agence de l’eau est en train de préparer un accès plus facile pour le grand public aux données sur les eaux brutes. Pour l’instant, pour les captages prioritaires, on peut trouver les analyses en ligne :
Le SDAGE 2016-2021 du bassin Rhône Méditerranée adopté par le Comité de Bassin le 20 novembre 2015 identifie 269 captages prioritaires qui doivent faire l’objet de programmes d’actions pour restaurer la qualité des eaux brutes polluées par les nitrates ou les pesticides.
Cet interface permet l’accès à la valorisation des données sur eau brute nitrates et pesticides disponibles sur le portail national ADES pour les 260 captages prioritaires eaux souterraines du bassin Rhône-Méditerranée.
Et voilà les résultats des analyses sur les eaux brutes à Arcier de 1997 à 2017 ! Confirmation de ce que l’ingénieure de l’Agence régionale de l’eau a expliqué lors de la conférence de presse du 10 avril : il y a bien eu à Arcier une « contamination ponctuelle », un dépassement de la « norme » pour les taux de pesticides dans les eaux brutes mais l’eau potable distribuée a toujours été conforme aux normes.
Cette interview de Nicole Appery, est intéressante car cette ingénieure à l’Agence Régionale de la Santé introduit une nuance que je n’ai pas pu conserver lors de la diffusion du reportage pour le Jt de France 3 Franche-Comté, faute de temps. Pour la présence de pesticides dans l’eau brute, la norme à ne pas dépasser est de 2 microgrammes par litre mais il est possible de trouver des pesticides à des taux supérieurs de la norme pour l’eau distribuée. Une situation qui peut se retrouver sur d’autres zones vulnérables. Et comme les stations de traitement des eaux n’ont pas toutes la capacité d’éliminer les pesticides, à Arcier comme ailleurs,
c’est un signal, on a une vulnérabilité de la ressource par les pesticides.
D’autant plus que l’Agence de l’eau, dans son état des eaux, rappelle que « de nombreuses questions restent en suspens quant à l’effet cocktail » des pesticides, substances pharmaceutiques et autres micropolluants organiques. Pour le bassin Rhône Méditerranée Corse, sur les 1100 paramètres analysés, 400 d’entre eux ont été détectés dans les eaux brutes de ce bassin.
D’où la mise en place de zones vulnérables autour de captages dits « prioritaires ». Sur ces zones, des plans d’actions sont établis pour diminuer l’usage des phytosanitaires par les particuliers, les entreprises, les collectivités et les agriculteurs. En Bourgogne Franche-Comté, il y a 111 captages prioritaires. 73 ont des plans d’actions engagés et 38 devront les mettre au point soit avant la fin de l’année soit avant fin 2021. L’association national Que Choisir a interpellé préfectures et agences de l’eau pour obtenir ce « bilan détaillé des mesures de protection exigées par la loi ». Une bonne idée, car l’information n’est pas forcément mise en avant partout. Mais, dans notre région, d’après l’Agence de l’eau, si ces captages sont prioritaires, c’est justement qu’ils ne vont pas disparaître étant donné les moyens investis pour diminuer les sources de pollution.
Revenons à notre exemple de la source d’Arcier. Dans son courrier du 7 avril adressé au maire de Besançon, Eliane Vincent, la présidente de l’UFC Que Choisir du Doubs précise :
Notre campagne ne visait donc pas à « porter préjudice à l’image de la qualité de l’eau du robinet. Par contre, nous visons l’absence de résultats, d’impact des mesures du plan d’actions sur la qualité des eaux brutes servant à alimenter les réseaux d’eau potables, voire les coûts qui pourraient être évités au consommateur par une politique de protection exigeante.
S’il est ardu de trouver le détail du plan d’actions des petits captages prioritaires, ce n’est pas le cas pour Arcier. Depuis la protection du captage d’Arcier, le plan d’actions est régulièrement présenté par le syndicat mixte du marais de Saône. En 2015, la ville de Besançon a dressé le bilan de 10 ans d’actions sur le bassin versant d’Arcier. « L’utilisation des produits phytosanitaires a chuté de 40% en 4 ans » précisait à l’époque un des agriculteurs les plus impliqués dans ce plan d’actions. Aujourd’hui, 60% des surfaces agricoles du bassin versant d’Arcier sont engagés dans ce programme de réduction des phytosanitaires. La chambre d’agriculture du Doubs publie une lettre d’information à ce sujet et a fait le point en 2016 sur leurs engagements.
Lors de la conférence de presse à la préfecture du Doubs, la chambre d’agriculture a rappelé une étude faite en 2015. Elle estime à plus de 300 kilos le poids de glyphosate vendus aux particuliers sur le bassin versant d’Arcier ; les collectivités en utilisent environ 4,5 kilos et les agriculteurs 97 kilos. Effectivement, même si c’est difficile de savoir si le glyphosate vendu est utilisé sur place, le syndicat du marais de Saône, estime qu’
à l’échelle du bassin versant de la source d’Arcier, les quantités de glyphosate vendues aux particuliers sont deux à quatre fois supérieures à celles vendues aux exploitants agricoles.
C’est pour évaluer l’impact de la nouvelle réglementation sur l’usage des phytosanitaires pour le désherbage ( interdiction depuis janvier 2017 aux collectivités de l’utiliser sauf pour les cimetières et interdiction pour les particuliers en 2019) que dix prélèvements ont été réalisés pour estimer les concentrations en pesticides entrant dans les marais. Des prélèvements ont été aussi effectués par la FREDON et à des moments bien choisis.
Les concentrations mesurées dans les cours d’eau qui parcourent le marais de Sâone ont pu atteindre 4.16 microgrammes par litre pour le glyphosate (7.07 pour son dérivé l’AMPA) alors que le seuil est fixé à 2 microgrammes par litre pour les eaux brutes.
Ces produits proviennent essentiellement du traitement des allées, terrasses, cours ou trottoirs qui sont lessivés à la première pluie et qui se retrouvent dans les réseaux d’assainissement. Ces produits se concentrent dans les stations d’épuration qui, ne pouvant les traiter, les rejettent en forte concentration dans le milieu naturel. (…) Heureusement, la source d’Arcier bénéficie d’un traitement efficace à l’usine de traitement de l’eau de la Malate avant d’être distribuée aux Bisontins.
Des résultats qui n’ont pas été mis en avant lors de la conférence de presse de la préfecture. Effectivement, la zone de captage qui alimente 45% de la population bisontine en eau potable est particulièrement vulnérable. Agriculteurs et collectivités ont fait des efforts. C’est maintenant aux consommateurs d’en faire autant.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius(a)francetv.fr