Vicente Soler, 21 ans, fils de Vicente Soler, est torero. Comme papa. Dans quelques jours, le 3 mars à Castellón, il sera consacré matador de toros. Comme papa.
Ils vivent à Burriana ou Borriana, selon qu’on prononce le nom du village en castillan ou en valencian. C’est au bord de la mer, dans la huerta, la plaine fertile de Castellón. Pour aller chez eux, on traverse les vergers d’orangers.
Personne ne dit que Vicente est le futur Enrique Ponce. Surtout pas lui. Il affirme avec un immense orgueil que sa place est parmi les toreros destinés à affronter à longueur d’année les corridas impossibles. C’est ce qu’a fait son père sans toucher la gloire, ils savent tous les deux pourquoi. Ils ne commettront pas les mêmes erreurs. Vicente marche sur les pas de son papa. Mais il ira beaucoup plus loin.
Vicente s’adresse à sa famille, à ses amis et aux gens de la rue en valencian. Mais quand il est question de toros, Vicente père et Vicente fils ne parlent qu’espagnol.
Il soutient « à mort » le Barça. Même si Barcelone a aboli la corrida.
Il ne se voit pas vivre ailleurs qu’en pays valencian, mais il vénère la Vierge des andalous, celle du Rocío. Il garde dans son portefeuille, entre la carte d’identité et les billets de banque, un morceau de Son châle dûment béni.
En quittant La Vall Duixó, capitale de l’orange, de l’espadrille et des toros de rue, une petite route de moins en moins carrossable s’élève au milieu des vergers en terrasse. On arrive à la finca « Los Amigos », propriété du papa, qui est par aileurs directeur de l’école taurine de Castellón.
Sur ce bout de terrain en pente raide, il élevait anciennement du bétail brave, mais c’est fini. Maintenant, il ne garde plus ici que des moutons, quelques chevaux, des poules. C’est le quartier général de Vicente junior qui prépare méticuleusement son rendez-vous du 3 mars. Du VTT et des courses dans la montagne. De la tauromachie de salon. Des vaches et des novillos qu’il torée dans la petite arène qu’une mince cloison sépare de la bergerie. Ce bétail est offert par les gens du village qui suivent pas à pas son entraînement.
J’ai passé avec Vicente une de ces journées taurines qui vous regonflent l’afición pour un bout de temps. L’émotion que donne un novillo du Conde de la Corte aux charges approximatives. Le vin qui rape un peu, mais en boit-on de plus amical ? La table saturée d’envie de passer un bon moment ensemble. Les rumeurs sur les cartels pas encore annoncés mais que tout le monde commente déjà.
Le bonheur ordinaire du mundillo…
Dans la voiture du retour, la radio a passé une chanson de Silvia Pérez Cruz, une catalane qui flirte avec le flamenco. C’est troublant, une voix si claire au milieu de la nuit. J’ai décidé de la poser sur la faena accidentée de Vicente avec le novillo du Conde de la Corte. La vidéo est à voir ici.
Joël Jacobi