Il y a des vies qui paraissent n’avoir été vécues que pour être racontées dans un livre. Ainsi, celle de Belmonte, avec ses anecdotes tellement fameuses qu’on ne sait plus si le texte décrit la réalité ou si ça n’est pas plutôt l’inverse.
Celle de Joselito est de la même espèce : un roman qui attend son auteur. A-t-on idée, quand on va devenir figure de la tauromachie, de voir le jour dans un quartier chic de Madrid alors que vos parents vivent dans un minable gourbi ? D’être abandonné par sa mère ? D’assister son père dans ses petites affaires de dealer ?
C’est comme ça que commence la vraie vie de Joselito, le vrai, comme un roman d’apprentissage : un enfant malheureux victime de la cruauté des adultes et surtout de l’insouciance de son père, un filou, un noceur toxicomane qu’on n’arrive jamais à détester. Le jeune Joselito, au début du livre, c’est David Copperfield qui aurait quitté l’Angleterre victorienne pour l’Espagne de la movida.
Vient ensuite la rencontre avec la tauromachie et le personnage clé de la carrière de notre torero : Enrique Martín Arranz. C’est un professeur de tauromachie autoritaire, puis un père de substitution tyrannique, enfin un père tout court. Un type que notre héros vénère, mais qu’on n’arrive pas à aimer tout à fait.
L’adolescence taurine de Joselito à l’école taurine de Madrid, puis dans la maison d’Enrique qu’il partage avec El Fundi et Bote, c’est une vie de légionnaire. Entraînement à n’en plus finir, discipline de fer et brimades. El Fundi craque, Bote se fait blesser et la figure taurine de Joselito se forme. Cette silhouette arrogante et fragile, ce halo de mélancolie dans quoi il donnait toujours l’impression d’évoluer quand il était vêtu de lumières, ce regard qui osait si rarement se lever vers les gradins, tout ce qui faisait le charme de ce torero se comprend à la lecture de ces pages.
Ce livre si fort, si personnel, cède hélas aux conventions du genre. Se trouvent ainsi rassemblés, heureusement dans un seul chapitre, toutes sortes de lieux communs sur la tauromachie. Parmi lesquels la sempiternelle phrase de Belmonte (hélas !) selon laquelle se torea como se es, on torée comme on est. Une banalité tautologique dont les taurins nous rebattent unanimement les oreilles (en prenant l’air inspiré) depuis des générations.
A ce détail près, Joselito le vrai qui abonde par ailleurs en révélations savoureuses sur les relations du maestro avec ses collègues Ponce, Rincón, Jesulín ou José Tomás est un texte passionnant.
Un livre indispensable dans la bibliothèque taurine.
Joël Jacobi
Joselito, le vrai est paru aux éditions Verdier.