Présenté en sélection officielle du Poitiers Film Festival, « To Each Your Sarah » (« A chacun sa Sarah ») du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim raconte l’histoire d’une femme en plein échec personnel et professionnel, contrainte de retourner dans son village natal où vit toujours sa soeur. Ce drame est l’une des révélations de l’édition 2019.
L’actrice Mi-ne Oh, dans la rôle de Sarah. (« To Each Your Sarah » réalisé par Deokgeun Kim)
C’est l’une des joies de suivre le Poitiers Film Festival chaque année : découvrir des pépites cinématographiques du monde entier par des réalisateurs encore ou sur le point de terminer leurs études en école de cinéma. « To Each Your Sarah » du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim entre dans cette catégorie. En apparence, un film sur le déclassement social, il se révèle un drame personnel puissant sur les cruels tournants de la vie.
La bande-annonce, à découvrir, ci-dessous :
Jeong-Ja, interprétée par l’actrice Mi-ne Ho – prodigieuse dans ce rôle -, est de retour dans son village natal où réside toujours sa soeur. Par son intermédiaire, elle trouve un travail dans une triperie industrielle, un travail à la chaîne réservé aux femmes chargées de nettoyer des intestins d’animaux. Mais Jeong-Ja a un secret : avant son retour précipité de Séoul, elle se faisait appeler Sarah. Sarah, un prénom plus sophistiqué que le sien, associé à la vie campagnarde sud-coréenne.
Si le film semble tout d’abord se situer sur le terrain social (une femme quitte Séoul où elle vient de faire faillite et où son mari la trompe pour retourner sans le sou dans sa campagne natale), il se révèle avant tout l’histoire d’une femme confrontée à ses rêves contrariés par les années. Dans cette triperie où l’odeur des intestins la révulse, Jeong-Ja devient la risée des autres femmes, loin d’être dupes et, prend sur elle.
L’histoire d’une génération
Deokgeun Kim livre ainsi un très réussi portrait de femme, entre colère et trahison, cruauté et espoir. Le jeune réalisateur issu de la KNUA (Korean National University of Arts) dresse le portrait d’une génération.
« C’est la génération de mes parents », explique Deokgeun Kim, à quelques heures de la remise des prix. « Ils ont couru après le succès : une bonne situation, la réussite économique. Et puis, 30 ans plus tard, un certain nombre d’entre eux ont en fait échoué, lâchés par le capitalisme. »
Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain (Deokgeun Kim)
Assis sur un canapé de l’espace professionnel du Poitiers Film festival, le jeune réalisateur aux larges lunettes cerclées d’un fin rebord doré a l’apparence d’un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence, la carrure large mais la voix encore douce et posée.
« Ma propre mère a vécu cet échec, personnel et professionnel. Mon père aussi. Tous les deux ont tout perdu. »
« Je n’ai pas voulu faire un film social mais me confronter à une histoire personnelle, celle d’une femme qui perd tout. Je voulais m’attacher aux espoirs et aux rêves de cette femme, la cinquantaine. Comme d’autres de sa génération, elle a échoué mais elle refuse de regarder les choses en face. Elle se trouve trop d’excuses et préfère accuser le monde entier plutôt que de voir sa part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. »
« Comprendre l’être humain »
Jeong-Jo se projettait en Sarah et se retrouve une femme qu’elle pensait avoir laisser derrière elle.
« Sarah sonne comme un prénom sophistiqué. Il révèle les émotions et la personnalité du personnage principal. Elle voulait cette vie sophistiquée, de réussite, mais elle est aussi cette fille de la campagne. »
Deokgeun Kim le reconnaît volontiers : ce qui l’a mené au cinéma, c’est un besoin de « comprendre l’être humain ». Pour lui, la révélation s’est produite à la cinémathèque de Séoul, où il traînait souvent, devant « Les Biens-Aimés » de Christophe Honoré. « Le personnage principal voulait comprendre ses parents, leur vie amoureuse », explique-t-il. « Elle finit par les voir comme simplement humains. Ce film de Christophe Honoré est arrivé au bon moment pour moi. »
Deokgeun Kim conclut notre rencontre par ces mots : « Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain », ce qu’il est parvenu à mettre en images dans ce court métrage très prégnant.
Le jeune réalisateur, remarqué déjà dans plusieurs festivals, termine ses études à la KNUA le trimestre prochain. Il s’imaginerait volontiers poursuivre un Master dans une école en Europe. Depuis les déboires financiers de ses parents, il finance ses propres études en travaillant sur des plateaux de cinéma comme assistant tout en travaillant à son premier long métrage, une histoire de Nord Coréens fuyant le pays et qui franchissent la ligne de démarcation pour le sud. Le projet est pour l’instant « accueilli timidement » par les financiers mais le jeune réalisateur ne perd pas espoir d’imposer un sujet qui lui tient à coeur.
Deokgeun Kim, vendredi 6 décembre, au TAP théâtre de Poitiers, lors du 42ème Poitiers Film Festival
Ours d’Or à Berlin pour son nouveau film « Synonymes », en salles le 27 mars, l’Israélien Nadav Lapid répondra aux questions du public poitevin du TAP Castille, le 1er avril, à l’issue de la projection de 20h30. Le cinéaste a gardé des liens forts avec le Poitiers Film Festival où il a été découvert en France, avec deux courts-métrages d´école. « Synonymes » a été tourné à Paris, ville où il a vécu. Comme son personnage principal, lui aussi a voulu rompre avec son pays en le fuyant.
Nadav Lapid reçoit l’Ours d’Or à la Berlinale le 17 février 2019 pour son film « Synonymes ». (Photo : Xinhua News Agency/Newscom/MaxPPP)
J’ai découvert le cinéma de Nadav Lapid en 2005, à Poitiers, à l’occasion des Rencontres internationales Henri Langlois, depuis devenues le Poitiers Film Festival. Le cinéaste israélien présentait alors un court-métrage intitulé « Road » (lien youtube VO), film d’étudiant réalisé à la Sam Spiegel and Television Film School à Jérusalem.
Choc visuel et émotionnel
Ce jour-là, le choc visuel et émotionnel me fit immédiatement retenir le nom de ce jeune homme de 28 ans, alors inconnu.
Je me souviens surtout d’un garçon très curieux d’esprit, intéressé par tout ce que proposait le festival (…), quelqu’un qui savait très clairement ce qu’il voulait et qui savait l’imposer (C. Massé-Jamain, Poitiers Film Festival)
Qu´il prenne le temps d´échanger lundi 1er avril avec le public qui l´a découvert il y a presque 15 ans témoigne de son attachement avec Poitiers et des liens noués au fil des années avec le festival du film.
Bande annonce :
Premième sélection à Poitiers
Son premier court-métrage sélectionné à Poitiers, « Road », racontait l’histoire d’ouvriers palestiniens excédés par l’attitude de leur patron israélien. Ils le kidnappaient, faisaient son procès et, à travers lui, celui du sionisme. Le film donnait à voir le conflit israélo-palestinien sous un angle particulièrement transgressif. La toute fin, saisissante et apocalyptique, a laissé une profonde impression en moi.
Poitiers découvre alors un jeune cinéaste audacieux. Dans les couloirs du festival, quand on le croise, on tente quelques mots en anglais mais lui s’exprime déjà dans un français courant.
Nadav Lapid se souvient surtout de « la qualité des films sélectionnés ». « J’étais très étonné », m’a-t-il confié par téléphone depuis Israël à la mi-mars.
« C’était l’une des premières fois que son film était présenté en festival à l’étranger », se souvient Christine Massé-Jamain, chargée d’accueil des professionnels et de programmation au Poitiers Film Festival.
« De cette époque, je me souviens surtout d’un garçon très curieux d’esprit, intéressé par tout ce que proposait le festival », poursuit-elle. « J’ai rencontré à l’époque un jeune cinéaste très libre d’esprit, quelqu’un aussi qui savait très clairement ce qu’il voulait et qui savait l’imposer ».
Comme beaucoup d’étudiants cinéastes en compétiton à Poitiers, il garde de cette époque des liens d’amitié très forts.
« J’ai rencontré un étudiant allemand en cinéma qui est resté un très bon ami, quelqu’un avec qui je suis toujours en contact régulier. C’est un lien important pour moi qui a été créé à Poitiers. »
Le court-métrage « Road », via YouTube:
Deuxième sélection
Deux années plus tard, Nadav Lapid était à nouveau en sélection à Poitiers avec un second court-métrage d’école : « La petite amie d’Emile » (lien VOD). Le jeune cinéaste n’avait alors pas pu faire le déplacement.
« Dans ce film, on découvrait une jeune femme en quête d’elle-même, amoureuse d’un garçon qui brillait par son absence », se souvient Christine Massé-Jamain. « Et, à nouveau, dans ce court-métrage, le spectateur était confronté à un contexte politique, de manière très marquée, à travers l’émergence d’un dispositif policier massif anti-attentat lorsque la jeune femme oublie son sac par inadvertance. »
Nadav Lapid, sur le tournage de son troisième long métrage, « Synonymes » (SBS Distribution)
Premier long métrage primé
La sortie de son premier long métrage, « Le Policier », en 2012, confirme le talent du cinéaste. Il reçoit le Prix Spécial du Jury du festival du film de Locarno, le Prix du Public du festival des 3 Continents et, chez lui, en Israël, le prix du Meilleur Premier Film, Meilleur Scénario, Meilleure photographie au festival du film de Jérusalem
Son film se focalise sur la vie d’un jeune policier, symbole israélien ultra viril. L’homme, dont la femme s’apprête à accoucher, va être confronté à une attaque terroriste menée par un groupe de jeunes juifs israéliens. Une attaque de l’intérieur : le scénario, inimaginable, tend à mettre en lumière l’iniquité de la société israélienne.
Bande annonce du « Policier »:
Sensation à Cannes
En 2013, Nadav Lapid est de retour à Poitiers avec sa productrice, Anne-Dominique Toussaint (Les Films des Tourelles). Il est alors parrain du festival et participe au focus sur les pays méditerranéens.
Son second long métrage, « L’Institutrice », est en préparation. Avec Anne-Dominique Toussaint, il participe à la leçon de cinéma consacrée à la production cinématographique et évoque le travail en cours devant le public poitevin.
Alors, quand on apprend que la Berlinale 2019 lui remet son Ours d’Or pour son nouveau film, forcément, on est heureux pour lui, mais surtout, on a hâte de découvrir ce « Synonymes » qui, chose faite quelques jours plus tard, se révèle tout aussi saisissant que ses deux précédents longs métrages et fait tout autant l´effet d’une déflagration.
— PoitiersFilmFestival (@poitiersfilm) 6 mars 2019
Dans sa dernière oeuvre, Nadav Lapid interroge les questions d’identité de manière très frontale. Déjà encensé par la critique, « Synonymes » fait, ce mois-ci, la Une des Cahiers du Cinéma (Edito) (voir aussi entretien sur France Inter).
Au début du film, le personnage principal, Yoav, la vingtaine (interprété par Tom Mercier), fait la connaissance d’une jeune couple de Français (Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte). Il vient d’arriver en France et a débarqué de nuit dans un appartement inconnu dont on lui a mis une clef de côté pour sa première nuit parisienne. Très vite, ses vêtements lui sont tous dérobés; il se retrouve nu, totalement mis à nu, tel un nouveau-né. Il court, nu, à la recherche du voleur, en vain, et se réfugie dans la baignoire où il se réchauffe sous un jet d’eau chaude. Insuffisant.
« Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Tom Mercier et Louise Chevillotte dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Quentin Dolmaire et Tom Mercier dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Quentin Dolmaire et Tom Mercier dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Nadav Lapid, sur le tournage de « Synonymes » (SBS Distribution)
Tom Mercier (Yoav) dans « Synonymes » de Nadav Lapid (SBS Distribution)
Nadav Lapid raconte que son personnage « est prêt à ça », à se retrouver à nu. « Il veut mourrir en tant qu’Israélien et renaître en tant que Français », explique-t-il.
Yoav rejette son identité israélienne et va jusqu’à refuser de prononcer le moindre mot d’hébreu.
C’est comme ça que ça s’est passé pour moi. D’une certaine manière, le film est la réécriture cinématographique des évènements que j’ai vécus (Nadav Lapid)
Une oeuvre très autobiographique
Cette position radicale a aussi, dans la vie, été celle du cinéaste. Nadav Lapid a lui-même, à un moment donné, rejeté son pays qu’il a fui pour vivre à Paris au début des années 2000.
La position du personnage « est radicale, oui, mais d’une manière aussi, c’est très simple: c’est juste comme ça que ça s’est passé pour moi, dans ma vie. D’une certaine manière, le film est la réécriture cinématographique des évènements que j’ai vécus. »
Recueilli par un jeune couple de Français qui l’enveloppe d’une couverture sur leur lit, Yoav va ainsi « renaître, comme un bébé dans ce lit » et se retrouver vêtu d’un magnifique manteau orange qui lui est offert par le couple et le démarque de tout et tout le monde. Pour le réalisateur, son personnage est « quelqu’un qui se détache et s’arrache de tout ». Et, en premier lieu, donc, de son identité.
Pour Nadav Lapid, Yoav se « rend compte qu’il y a des liens forts qui l’enchaînent et lorsqu’il veut les rompre, bien sûr, ce n’est pas évident, il ne suffit pas de prendre un avion pour Charles-de-Gaulle; il prend conscience par exemple que chaque mot d’hébreu contient un bout de cette identité dont il ne veut plus. Il va donc rejeter ça entièrement. »
Le film décrit aussi un personnage qui déambule à vive allure dans les rues de Paris.
Il regarde ses pieds, puis le ciel, embrasse la ville de sa singulière présence physique, massive et sensible. Il capte les sons, les odeurs et semble refuser de regarder droit devant lui. Yoav a le nez rivé sur le dictionnaire qu’il a acheté à son arrivée. Il apprend le Français en mémorisant à voix haute, les mots et leurs synonymes qui, dans Paris, résonnent comme une litanie à la fois tonitruante et poétique, évoquant autant la rafale de mitraillette que la rime. Rarement au cinéma la beauté d’une langue aura été ainsi révélée, éclatante, aux oreilles du spectateur, et de manière aussi troublante. La liste de synonymes fait l’effet d’un tourbillon de mots desquels émerge une profusion inattendue de sens, comme si le cinéaste donnait ainsi à entendre sa propre quête (de sens) et révélait cette plaie ouverte dans laquelle il trempe sa plume.
Ce n’est pas un film de gauche, ce n’est pas un film qui prône telle ou telle position ou politique. Mais Israël rend le personnage fou, oui. (…) Pour lui, être Israélien, c’est être soldat. (Nadav Lapid)
Alors que Yoav s’immerge dans la langue et la culture françaises, à l’écran, le spectateur suit un personnage en plein combat avec lui-même. S’agit-il pour le personnage de rompre avec son pays et sa politique ?
Pour Nadav Lapid, « ce n’est pas une question politique dans le sens étroit du terme, il n’est pas par exemple question d’une critique d’une politique israélienne, aux check-points ou dans les Territoires, ce n’est pas dans ce sens-là, ce n’est pas un film de gauche, ce n’est pas un film qui prône telle ou telle position ou politique. Mais Israël le rend fou, oui. Dans le film, on le voit. L’existence israélienne est représentée par des hommes musclés virils prêts à lutter pour leur pays et qui ne se posent pas trop de questions, qui sont toujours enthousiastes et prêts à l’action. On peut dire que c’est ce qui le rend fou, ce côté qui est lié à l’armée, cette chose agressive et violente. Pour lui, être Israélien, c’est être soldat. »
Tom Mercier, dans le rôle de Yoav, dans « Synonymes » réalisé par Nadav Lapid (SBS Distribution)
Yoav apparait tel ce combattant dont parle le réalisateur. Lorsqu’il s’engage, c’est à bras le corps. Rien n’est jamais fait dans la demi-mesure.
Il est confronté à une « déchirure entre être Israélien et être Français », raconte Nadav Lapid. « Il y a, à la base, cette dichotonomie israélien/français, violent et calme, radical et cultivé, militaire et bohémien. Cette déchirure existe à l’intérieur du corps de ce jeune homme. Il essaie de se débarasser de cette dichotomie, il essaie de faire triompher l’autre, le Français. Ses mots deviennent français mais son corps reste israélien, la trace du passé ineffacable est israélienne. »
Yoav mène un combat imminemment personnel, contre sa propre nature. Mais au moment où la France semble l’avoir intégré, son corps fait à nouveau l’expérience du rejet.
« Ce qu’il découvre, c’est qu’aucun pays n’est à la hauteur », poursuit Nadav Lapid, « à la hauteur de ce qu’on aurait aimé et peut-être découvre-t-il qu’il sera toujours une sorte de SDF du monde, que jamais il ne trouvera une identité qui lui conviendra entièrement et que, toujours, il se heurtera à des portes fermées. Son combat est de parvenir à changer son identité pour ne plus être prisonnier de lui-même. »
Dans son manteau orange, Yoav apparaît telle une figure héroïque, à part, capable de tout, mais qui a aussi ce pouvoir sur les autres, notamment ses amis français : celui de se raconter par le biais des histoires qu’il partage avec eux.
Encore une fois, ce troisième film de Nadav Lapid ne laisse pas indifférent. Sa force réside dans son inventivité narrative et dans une constante recherche formelle qui colle à l’évolution du personnage. « Synonymes » détonne par son propos et envoûte par sa capacité à réinventer ce qui fait cinéma aujourd’hui. Si son réalisateur est Israélien, le film lui est à 100% de production française. On se souviendra ainsi qu’en 2019, un réalisateur israélien a chamboulé le cinéma français.
Le Théâtre Auditorium de Poitiers présente jusqu’à samedi « Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, dans une mise en scène de Catherine Hiegel, avec dans les rôles titres : Clotilde Hesme (Silvia), Laure Calamy (Lisette), Vincent Dedienne (Arlequin) et, Emmanuel Noblet (Dorante). La première représentation, jeudi soir, a été très longuement et chaleureusement applaudie.
Vincent Dedienne et Laure Calamy dans « Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, mis en scène par Catherine Hiegel (Photo Pascal Victor).
C’est un classique, souvent vu et revu. Mais quelle joie de redécouvrir « Le Jeu de l’amour et du hasard » (1730) de Marivaux, dans cette mise en scène de Catherine Hiegel, sociétaire honoraire de la Comédie française, portée par l’énergie d’une troupe de comédiens formidables. Jeudi soir, le public pictave n’a pas caché son plaisir et a longuement applaudi, debout, les comédiens.
Silvia doit donc épouser Dorante qu’elle ne connait pas. Pour la visite de son futur mari, elle obtient de son père de se faire passer pour sa servante, Lisette, pour mieux l’observer. Seulement, ce qu’elle ignore, c’est que Dorante a eu la même idée…
Les maîtres revêtissent donc les habits de leurs valets qui, à leur tour, se glissent dans ceux de leurs maîtres. Les premiers pour mieux éprouvés les sentiments et le cœur de leur promis. Les seconds pour jouer le rôle attendu d’eux, tout en rêvant accéder à meilleur statut social. Mais les rapports qu’entretiennent valets et maîtres se retrouvent confrontés aux désirs individuels, aux sentiments amoureux naissants et aux conventions de l’époque. Si la pièce est tour à tour légère et enlevée, elle se révèle surtout cruelle et féroce, les uns et les autres longtemps incapables de s’affranchir de leurs préjugés et, de leur caste.
Rencontre avec Vincent Dedienne
Si la distribution aligne les noms de comédiennes et de comédiens connus, elle dévoile des choix judicieux. Sur scène, l’alchimie entre les comédiens fonctionnent. La plupart s’est déjà produit sur la scène pictave. C’est le cas de Vincent Dedienne, venu présenter son seul en scène pour quatre représentations à guichet fermé l’an dernier et qui, cette année, parraine l’édition des 10 ans du TAP et est présent dans deux productions (« Le Jeu de l’amour et du hasard » et une lecture de « Fou de Vincent » d’Hervé Guibert, en juin). Nous l’avons rencontré, ce matin, au TAP. Entretien filmé contre un poster de David Bowie.
« Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiegel, au TAP Poitiers – prochaines représentations : vendredi 8 mars à 19h30 et samedi 9 mars à 15h et 18h30. Avec Vincent Dedienne, Laure Calamy, Clotilde Hesme, Emmanuel Noblet, Alain Pralon, Cyrille Thouvenin.
« Fou de Vincent » de Hervé Guibert. Une lecture de Vincent Dedienne conçue avec le romancier Arnaud Cathrine. Représentation le mercredi 5 juin à 20h30.
Applaudissements à tout rompre du public poitevin, Eduardo Guerrero a enflammé le Théâtre auditorium de Poitiers (TAP) les 19 et 20 janvier dernier avec son spectacle « Guerrero ». Nous avons pu échanger avec lui.
Trois chanteuses, deux guitaristes et un danseur évoluent sur la scène du TAP, d’un halo de lumière à l’autre. Les déplacements sont ponctués de coups frappés du pied par le danseur, Eduardo Guerrero. Des voix de femmes s’élèvent. Au loin, on entend le glas sonner. Leur chœur entame l’évocation d’un drame dont le spectacle est l’écho. Dès les premières notes, le spectateur est saisi…
Quelques jours après le spectacle, Eduardo Guerrero nous a accordés quelques instants pour échanger avec lui, par mail. Rencontre.
Cela fait plusieurs années que je travaille en France et je ne me souviens pas d’ovations similaires à celles que nous avons reçues lors des deux soirées à Poitiers. C’est flatteur de voir que dans une salle comme celle du théâtre de Poitiers il n’y avait plus un siège de libre. Poitiers m’a donné beaucoup d’affection (E. Guerrero)
Qu’évoque le chœur des femmes au début du spectacle ? Est-ce le récit de l’épopée du personnage que vous interprétez ?
C’est le prélude, il annonce ce qui va se passer dans le spectacle. Le chœur des femmes interprète une sorte de prière et de chanson religieuse que l’on appelle « Saeta », traditionnellement chantée devant la Vierge ou le Christ lors des cérémonies de la Semaine sainte en Espagne. Mais ici, c’est plutôt un chant de lutte et de courage. Elles interprètent un hymne de guerrières pour faire face à la bataille des sentiments qui est sur le point d’éclater sur scène.
Dans le spectacle, quels liens unissent le danseur aux chanteuses ?
Tout au long de la représentation, le spectacle révèle des émotions très riches et des personnages qui ne sont pas enfermés dans un rôle. On est à la fois amants, amis, fils et elles, les femmes, sont aussi bien institutrices que mères de famille… C’est très enrichissant. Tu réalises que dans un même spectacle tu vas pouvoir interpréter différents personnages de la vie quotidienne. Et tout ça en une heure et demi.
Votre spectacle trouve-t-il sa source dans le flamenco traditionnel ou vous situez-vous dans une quête d’horizons nouveaux ?
C’est un spectacle de flamenco. Il est l’expression de c’est ce que nous sommes en tant que troupe et de ce que nous ressentons. Mais c’est aussi un flamenco qui s’ouvre à d’autres univers. Je l’ai voulu plus innovant. C’est le flamenco que je ressens en moi en ce moment même. Mais il reste foncièrement imprégné de nos racines et de nos origines.
Au final, quelle histoire, quel récit, voulez-vous transmettre ?
C’est ma relation (et celle de l’homme en général) aux femmes : que ce soit la relation à la mère, l’amie, l’institutrice, la maîtresse. J’accorde beaucoup d’importance à cette relation. Ce spectacle est un hommage personnel à toutes les femmes.
Pour vous, quelle serait la meilleure définition du flamenco ?
Pour moi le flamenco est un langage qui nous identifie, c’est une culture, une façon d’être et un mode de vie. C’est un art qui transperce. On est ému, touché, quand on entend la guitare et la voix en direct. Et si à cela, on ajoute la danse, tout prend forme. Pour moi le flamenco est l’un des langages les plus puissants au monde. Il n’a pas besoin d’une langue parlée, il suffit de le sentir et de prendre du plaisir. C’est très fort.
Pour terminer, l’enthousiasme du public français et à Poitiers en particulier, vous a-t-il surpris ?
Je suis vraiment très satisfait des représentations de « Guerrero ». Dans chaque pays dans lequel on s’est produits, le public s’est révélé très réceptif. Cela fait plusieurs années que je travaille en France et je ne me souviens pas d’ovations similaires à celles que nous avons reçues lors des deux soirées à Poitiers. C’est flatteur de voir que dans une salle comme celle du théâtre de Poitiers il n’y avait plus un siège de libre. Poitiers m’a donné beaucoup d’affection, c’est un rêve pour moi de voir mes chorégraphies représentées dans de magnifiques salles en France. Les infrastructures sont bien meilleures que dans mon pays où la danse n’est pas aussi présente. Je suis très reconnaissant envers le public français, les programmateurs qui me font confiance et surtout envers mon équipe, qui rend possible tout ce qui est en train d’arriver dans ma vie.
Propos recueillis par Clément Massé et traduits par Valentine Leboeuf.