06 Sep

Rentrée littéraire. A La Rochelle, la romancière Jeanne Benameur nous ouvre ses portes à l’occasion de la sortie de « Ceux qui partent »

La romancière rochelaise Jeanne Benameur publie « Ceux qui partent », son nouveau roman, aux éditions Actes Sud. C’est l’un des livres de la rentrée littéraire 2019, déjà très plébiscité par les lecteurs et les libraires.

Jeanne Benameur, à la librairie Les Rebelles ordinaires, à La Rochelle, où se tient la fête de lancement du roman « Ceux qui partent » (Actes Sud), l’un des événements de la rentrée littéraire 2019. (Photo : Clément Massé)

A la librairie « Les Rebelles ordinaires » à La Rochelle, « Ceux qui partent » (Actes Sud) de Jeanne Benameur, est l’ « ultra chouchou de la rentrée ». Sorti dès le 21 août, la fête de lancement du roman se tient vendredi 6 septembre entre les murs de cette librairie, tenue… par le fils de la romancière, Guillaume Bourain.

L’enthousiasme des libraires pour le roman pourrait donc apparaître un peu biaisé. L’épopée de la jeune Emilia, une Italienne tout juste débarquée à Ellis Island avec son père un jour de 1910, emporte pourtant bel et bien le lecteur dans le tourbillon de l’histoire.

« Ceux qui partent » de Jeanne Benameur, dans la vitrine de la librairie Les Rebelles ordinaires à La Rochelle. (Photo : Clément Massé)

Une épopée de l’émigration européenne

« Ceux qui partent » raconte les 48 heures entre l’arrivée d’un bateau de migrants européens aux Etats-Unis et leur entrée à New York. Les visages tirés disent autant la fatigue du voyage que l’abandon prochain de leur vie, de leur langue et de leur culture d’avant pour devenir Américain. Dans la foule, émerge le visage de cette jeune Italienne, Emilia. Elle cristallise tous les regards autour d’elle. Sa beauté, son port altier, sa manière simple mais si forte de juste défaire ses cheveux font d’elle le centre des attentions. Au point de bouleverser des vies.

Gabor, par exemple, est un jeune tsigane. Il est l’un de ceux à remarquer Emilia. A sa vue, l’attachement à sa communauté commence à se fissurer. Tout près, la jeune femme qui jusque là se glissait à ses côtés la nuit perçoit déjà les sentiments de son amoureux pour cette Italienne et avec eux, les premiers tourments de son cœur brisé.

Il y a aussi le regard d’Andrew Jónsson, un jeune new-yorkais. A l’arrivée des bateaux à Ellis Island, il est présent avec son appareil photo. Il photographie les visages des nouveaux arrivants. Sa quête : saisir ce pan de l’histoire familiale jamais nommé qui le relie à celle des émigrants.  

L’Italienne remarque à peine ces regards posés sur elle. Elle est accaparée par sa propre histoire et par la jeune Esther, épuisée par le voyage, qu’elle recueille dans ses bras. Esther porte de beaux vêtements sobrement coupés. Elle est couturière et rêve d’habiller les Américaines, ces femmes qu’elle imagine libres. Elle arrive d’Arménie, sans sa famille, disséminée par le génocide.

L’Enéide de Virgile

Aux côtés d’Emilia, son père, Donato, ne se tient jamais bien loin. En Italie, il était comédien de théâtre. A Ellis Island, il n’est plus qu’un émigrant parmi d’autres. Contre lui, il tient un livre à la couverture rouge : « L’Enéide » de Virgile.

La force du roman de Jeanne Benameur tient peut-être dans cette allusion au poème mythologique. L’Enéide conte l’histoire d’Enée, de la chute de Troie à son arrivée sur les rivages où seront construites les fondations de la future Rome. Mais comme le héro qui a perdu sa femme Créuse avant le départ, Donato arrive lui aussi sans sa femme. Ira-t-il au-delà des rives de la nouvelle York ? Dans la solitude de l’attente, il revit l’amour qu’il a vécu avec la mère d’Emilia et semble pour la première envisager une autre vie.

La capacité de Jeanne Benameur à dire ce moment où la vie de ces migrants est sur le point de basculer alimente le souffle de la fiction et tient le lecteur en haleine tout au long du roman. Du basculement physique de la vieille Europe vers New York et l’Amérique, se joue un autre basculement, profondément intime, celui des vies individuelles. Le roman acquiert la force des grandes épopées humaines. Le lecteur se met à rêver d’une suite, d’une grande saga de l’émigration. Pourtant, l’auteure semble vouloir y couper court dans le dernier chapitre où apparaissent des pistes sur le devenir de chacun de ses personnages, comme une manière de refermer une boîte de pandor à peine ouverte. A moins que…

Rencontre avec la romancière

A la veille de la sortie de son roman, Jeanne Benameur nous a reçus chez elle, près de La Rochelle. Notre reportage est visible, ci-dessous (Clément Massé, Louis Claveau et Caroline Lecocq).

16 Août

Rentrée littéraire : l’amour fou avec Sarah

Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, « Ça raconte Sarah » parait à l’occasion de la rentrée littéraire de septembre 2018. Le récit se focalise sur les bouleversements du cœur provoqués par une rencontre amoureuse inattendue. « L’amour avec une femme : une tempête », lance, laconique, la narratrice de ce roman.

« Ça raconte Sarah » de Pauline Delabroy-Allard paraît à l’occasion de la rentrée littéraire de septembre 2018.

Née sous le signe du soufre. De l’embrasement. De la passion. Mais aussi sous le signe de la souf-france. Du replis sur soi. De la fuite. Telle une allumette que l’on craque, l’entrée de Sarah dans la vie de la narratrice se révèle immédiatement incandescente, bouleverse tout sur son passage, jusqu’à, quelques années plus tard, convaincre l’une d’avoir laissée l’autre pour morte dans la chambre où elle lutte contre la maladie et où elles viennent de faire l’amour.

« Ça raconte Sarah » se présente comme une série d’entrées plus ou moins courtes, tel un journal intime tenu par la narratrice, mais prend aussi le ton d’une voix off à la manière d’un film de la nouvelle vague et, de manière plus inquiétante, laisse également parfois l’impression d’une déposition de police.

Car si la narratrice se souvient tout le long du livre de sa vie avec Sarah, elle se focalise surtout sur cette nuit où, convaincue d’avoir tuée sa compagne, « enfin, je ne suis pas sûre », lâche-t-elle dans la seconde moitié du roman, elle tente de se remémorer les événements qui ont conduit à son départ précipité, cette nuit-là.

En équilibre sur un fil singulier

Dans cette histoire, la mort se révèle potentiellement tout aussi métaphorique que l’histoire vécue entre les deux femmes dont l’intensité et l’évolution est le plus souvent racontée par analogies, par le prisme de l’évocation d’un titre de film vu par les personnages, d’une chanson entendue, d’une ville visitée. Ainsi l’histoire progresse-t-elle de références musicales classiques, à une pièce de Shakespeare, « Songe d’une nuit d’été » par exemple – « une réflexion sur les pouvoirs de l’imagination face à l’arbitraire de la loi et notamment face aux rigueurs de la loi familiale » -, à une référence trufaldienne, après une dispute, – « Je hurle l’amour en fuite » – à Marguerite Duras – « l’amour est voué à l’échec » -, jusqu’à « La Jeune fille et la mort » de Schubert et à l’arrivée de la narratrice à Trieste, en Italie, ville présentée de manière impassible et froide, comme dans une fiche technique ou une définition de dictionnaire.

Le roman trouve son équilibre sur ce fil singulier où les souvenirs de la narratrice sont associés à des références ou des allusions à des œuvres connues de tous. Elles construisent un récit hors champ pour mieux suggérer et dire l’histoire vécue. « Ça raconte Sarah » séduit ainsi par sa forme. S’il y est question d’une histoire d’amour entre deux femmes, la thématique lesbienne n’épouse pas l’enjeu de société mais bien la cause de la littérature.

Clément Massé

« Ça raconte Sarah », de Pauline Delabroy-Allard (Editions de Minuit), 192 pages, 15 euros. 

Pour lire les premières pages du roman, cliquez ici.