Présenté en sélection officielle du Poitiers Film Festival, « To Each Your Sarah » (« A chacun sa Sarah ») du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim raconte l’histoire d’une femme en plein échec personnel et professionnel, contrainte de retourner dans son village natal où vit toujours sa soeur. Ce drame est l’une des révélations de l’édition 2019.
C’est l’une des joies de suivre le Poitiers Film Festival chaque année : découvrir des pépites cinématographiques du monde entier par des réalisateurs encore ou sur le point de terminer leurs études en école de cinéma. « To Each Your Sarah » du réalisateur sud-coréen Deokgeun Kim entre dans cette catégorie. En apparence, un film sur le déclassement social, il se révèle un drame personnel puissant sur les cruels tournants de la vie.
La bande-annonce, à découvrir, ci-dessous :
Jeong-Ja, interprétée par l’actrice Mi-ne Ho – prodigieuse dans ce rôle -, est de retour dans son village natal où réside toujours sa soeur. Par son intermédiaire, elle trouve un travail dans une triperie industrielle, un travail à la chaîne réservé aux femmes chargées de nettoyer des intestins d’animaux. Mais Jeong-Ja a un secret : avant son retour précipité de Séoul, elle se faisait appeler Sarah. Sarah, un prénom plus sophistiqué que le sien, associé à la vie campagnarde sud-coréenne.
Si le film semble tout d’abord se situer sur le terrain social (une femme quitte Séoul où elle vient de faire faillite et où son mari la trompe pour retourner sans le sou dans sa campagne natale), il se révèle avant tout l’histoire d’une femme confrontée à ses rêves contrariés par les années. Dans cette triperie où l’odeur des intestins la révulse, Jeong-Ja devient la risée des autres femmes, loin d’être dupes et, prend sur elle.
L’histoire d’une génération
Deokgeun Kim livre ainsi un très réussi portrait de femme, entre colère et trahison, cruauté et espoir. Le jeune réalisateur issu de la KNUA (Korean National University of Arts) dresse le portrait d’une génération.
« C’est la génération de mes parents », explique Deokgeun Kim, à quelques heures de la remise des prix. « Ils ont couru après le succès : une bonne situation, la réussite économique. Et puis, 30 ans plus tard, un certain nombre d’entre eux ont en fait échoué, lâchés par le capitalisme. »
Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain (Deokgeun Kim)
Assis sur un canapé de l’espace professionnel du Poitiers Film festival, le jeune réalisateur aux larges lunettes cerclées d’un fin rebord doré a l’apparence d’un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence, la carrure large mais la voix encore douce et posée.
« Ma propre mère a vécu cet échec, personnel et professionnel. Mon père aussi. Tous les deux ont tout perdu. »
« Je n’ai pas voulu faire un film social mais me confronter à une histoire personnelle, celle d’une femme qui perd tout. Je voulais m’attacher aux espoirs et aux rêves de cette femme, la cinquantaine. Comme d’autres de sa génération, elle a échoué mais elle refuse de regarder les choses en face. Elle se trouve trop d’excuses et préfère accuser le monde entier plutôt que de voir sa part de responsabilité dans ce qu’il lui arrive. »
« Comprendre l’être humain »
Jeong-Jo se projettait en Sarah et se retrouve une femme qu’elle pensait avoir laisser derrière elle.
« Sarah sonne comme un prénom sophistiqué. Il révèle les émotions et la personnalité du personnage principal. Elle voulait cette vie sophistiquée, de réussite, mais elle est aussi cette fille de la campagne. »
Deokgeun Kim le reconnaît volontiers : ce qui l’a mené au cinéma, c’est un besoin de « comprendre l’être humain ». Pour lui, la révélation s’est produite à la cinémathèque de Séoul, où il traînait souvent, devant « Les Biens-Aimés » de Christophe Honoré. « Le personnage principal voulait comprendre ses parents, leur vie amoureuse », explique-t-il. « Elle finit par les voir comme simplement humains. Ce film de Christophe Honoré est arrivé au bon moment pour moi. »
Deokgeun Kim conclut notre rencontre par ces mots : « Le cinéma est le meilleur moyen de comprendre l’être humain », ce qu’il est parvenu à mettre en images dans ce court métrage très prégnant.
Le jeune réalisateur, remarqué déjà dans plusieurs festivals, termine ses études à la KNUA le trimestre prochain. Il s’imaginerait volontiers poursuivre un Master dans une école en Europe. Depuis les déboires financiers de ses parents, il finance ses propres études en travaillant sur des plateaux de cinéma comme assistant tout en travaillant à son premier long métrage, une histoire de Nord Coréens fuyant le pays et qui franchissent la ligne de démarcation pour le sud. Le projet est pour l’instant « accueilli timidement » par les financiers mais le jeune réalisateur ne perd pas espoir d’imposer un sujet qui lui tient à coeur.