Le romancier américain Eddy L. Harris publie cet automne « Mississippi Solo » (Liana Levi), le récit épique de sa descente du fleuve en canoë, du Minnesota à La Nouvelle Orléans. Depuis la Charente où il réside désormais, il se souvient de ce périple à l’origine de son premier livre publié il y a plus de 30 ans aux Etats-Unis et tout juste traduit en France.
L’auteur américain Eddy L. Harris, le 25 septembre 2020, lors de notre entretien à Angoulême pour la parution de « Mississippi Solo » (Liana Levy).
Il voulait vivre une aventure qui changerait sa vie pour toujours. Au mi-temps des années 80, alors que sa carrière de romancier aux Etats-Unis ne décolle pas, Eddy L. Harris s’imagine en canoë, descendant le fleuve Mississippi. Il n’a pour ainsi dire pas un sou en poche, encore moins de canoë. A que cela ne tienne, il s’en fait prêter un et s’engage dans une descente de plusieurs semaines, des sources du fleuve dans le Minnesota jusqu’à La Nouvelle Orléans où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique.
Dès les premiers kilomètres, l’aventure se révèle éminemment personnelle. Face à la nature et aux éléments, au fleuve imprévisible et d’une puissance inouïe, il se bat pour maintenir son embarcation à flot, hors des bancs de sable, loin des immenses barges qui transportent céréales et charbon. Mais ce qui frappe le plus le lecteur, c’est la découverte par le futur auteur qu’il semble juste en quête de lui-même, de l’écrivain qui pourrait naître de ce périple au cœur du plus grand des mythes américains, le fleuve Mississippi.
Car lorsque le lecteur pense au Mississippi, en littérature, il se remémore immanquablement les écrits de Mark Twain, ces récits de navigation sur le fleuve et les Aventures d’Huckleberry Finn. L’auteur, qui n’en est alors pas encore un, connait ces textes qu’il a lus dans sa jeunesse comme un grand nombre d’Américains, mais ce dont il rêve, c’est d’autre chose, loin d’une forme de folklore littéraire qui lui déplaît, c’est d’une aventure qui lui soit propre. Hors de question de revivre ce que d’autres ont vu ou décrit avant lui. Eddy Harris part à la conquête de lui-même.
C’est quelque chose de très fragile, la démocratie. Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis… (Eddy L. Harris)
Plus de 30 ans plus tard, son livre est devenu un classique du récit de voyage aux Etats-Unis. L’écrivain s’est depuis établi en France, en Charente, près d’Angoulême. Il a passé le premier confinement, en mars dernier, aux Etats-Unis, où il a été marqué par l’état de son pays après près de 4 années de présidence Trump. Et il s’inquiète désormais : « Si on ne fait pas plus attention, on est sur le point de perdre les Etats-Unis. C’est quelque chose de très fragile, la démocratie et avec ce président, avec cette manière qu’ont les Républicains de se comporter, je pense qu’on est en danger. Il faut faire quelque chose pour soutenir la démocratie dans le monde occidental. Peut-être est-ce au tour de la France de faire un pas pour défendre la démocratie. »
Sur l’état de son pays et son épopée le long du fleuve Mississippi, l’intégralité de l’entretien que nous a accordé Eddy L. Harris est à retrouver ci-dessous.
Entretien : Clément Massé, Stéphane Bourin avec Alexandre Keirle et Anastasia Nicolas France 3 Poitou-Charentes.
« Mississippi Solo » (Liana Levi), de Eddy L. Harris. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps – 20 euros.
Avec « Jolis, jolis monstres » (Belfond), Julien Dufresne-Lamy plonge au cœur de la culture underground new-yorkaise des drag-queens. Sous sa plume, les reines des bals emmènent le lecteur à la découverte des cabarets et d’une culture oubliée, à l’orée des années 80. Un récit fascinant et enlevé qu’il évoquera samedi 23 novembre sur France 3, dans l’édition Poitou-Charentes à 19h, et dans une rencontre au cinéma Le Dietrich de Poitiers à 21h.
Julien Dufresne-Lamy, photographié par Melania Avanzato.
A Los Angeles, un jeune père de famille, ancien gangster, quitte femme et enfant pour vivre sa fascination pour les drag-queens. Direction New York, où il rencontre James Gilmore, un vieil Afro-Américain, icône oubliée de la scène drag du début des années sida. Le second va prendre le premier sous son aile et l’initier aux codes d’un monde de transgression.
Dans une narration foisonnante, alternent le récit introspectif des deux personnages principaux et, en toile de fond, les voix de celles qui ont écrit la légende des reines de la nuit underground new-yorkaise. Sous la plume de l’auteur, le lecteur assiste à la naissance de la mode du voguing et plonge au cœur de la scène ballroom.
Dans la foule des fêtards, se côtoient anonymes et célébrités : Keith Haring, David Bowie ou Madonna qui, avant de placer un coup de projecteur sur le voguing avec son hit « Vogue », fut, elle aussi, témoin de l’effervescence de cette scène.
« Jolis, jolis monstres », le quatrième roman de Julien Dufresne-Lamy, séduit par sa capacité à faire revivre une époque révolue et une scène artiste aussi bouillonnante qu’à la marge.
De quelle manière avez-vous découvert l’univers drag et du voguing à New York ? Comment est-ce entré dans votre vie ?
Comme beaucoup de gens, je crois que c’est en regardant l’émission de DruPaul, Drag Race. Je la regarde depuis plusieurs années, sur Internet et sur Netflix. J’ai toujours bien aimé aller voir les drag-queens à Londres ou New York. En allant voir ces spectacles underground, j’avais l’impression de côtoyer enfin une culture qui n’était pas la mienne, d’être vraiment dans l’idée d’un voyage. J’aimais vraiment ça, voir l’alternatif, le clandestin, la marge… Et puis, le livre, je l’ai finalement laissé dormir pendant plusieurs années et ce n’est qu’il y a deux ans que je me suis dit que cette histoire regroupait toutes mes obsessions d’écriture, et je me suis dit : il faut que je le fasse et c’est comme ça que je me suis lancé.
Vous parliez de l’idée de voyage. Racontez-nous en un peu plus…
J’ai l’impression que quand on voit un homme devenir femme ou autre chose sur scène, j’ai l’impression que c’est un voyage, oui. C’est une autre forme de beauté, c’est une autre forme de l’autre, de l’altérité, de curiosité, d’exotisme, donc oui, ça représente un voyage.
Est-ce juste votre expérience personnelle qui nourrit le roman ou bien avez-vous accumulé une certaine dose de documentation pour faire revivre cette époque ?
C’est une fiction pure dans le sens où les deux narrateurs sont complètement invités, ceux qui prennent la parole. En revanche, toutes les galeries secondaires ont réellement existé. Toutes les histoires secondaires dont je parle dans le livre, sont vraies. Ce n’était pas un parti pris de départ. C’est vraiment lorsque je me suis plongé dans la culture drag et la culture voguing, et au fil des recherches, je rencontrais des histoires tellement rocambolesques et je me disais qu’il serait dommage de ne pas les retranscrire fidèlement. Au fur et à mesure des pages et des mois d’écriture, le livre devenait un peu politique et devenait un vrai hommage à la pré-histoire des drag-queens. Et quel plus bel hommage que de retranscrire fidèlement leurs histoires ? Finalement, c’est ainsi que toutes les galeries secondaires se sont imposées ainsi que le livret de photos à la fin du livre.
Ce livret, effectivement, assoie une histoire qui s’est déroulée…
C’est la première fois en littérature française qu’un livre se consacre à la culture drag. C’est étonnant. Il y a ce phénomène en ce moment qui est là, qui permet de déplacer les lignes. Mais les hommes déguisés en femmes, ça existe depuis toujours en fait. On refuse toujours de leur donner cette tribune et cette parole; c’est un peu triste. On vit dans une société très masculiniste et un homme déguisé en femme, ça ne plait pas beaucoup.
Dans votre roman, le personnage qui sort de prison et des gangs à Los Angeles, se cherche une mère pour l’initier à la culture drag. Est-ce que vous aussi vous avez eu une telle rencontre à un moment donné de votre parcours, pour ce roman, de quelqu’un qui vous a initié ?
C’est la première fois que l’on me pose cette question ! Non. Je n’ai pas eu de mère mentor ou symbolique. Pour ce livre, ça a été un sujet pas comme les autres et c’est un livre que je continuerai à défendre plus que les autres car j’ai l’impression qu’il me dépasse, moi, qu’il dépasse le cadre de l’écriture, le cadre de l’écrivain. Comme ce sont aussi de vraies histoires, des personnages qui ont tellement vécu l’oppression, le rejet, c’est important de le défendre, presque politiquement. J’ai fait ça seul, le travail de l’écrivain est quand même très ancré dans la solitude. J’ai rencontré évidemment à Paris quelques drag-queens et que la plupart de mes recherches se sont faites sur Internet. Il y a très peu voire aucune source littéraire, universitaire ou académique sur la culture drag, donc j’ai tissé une toile de façon très débrouille… D’un monde de clubs, de drag-queens, d’années 80, de noms d’artistes, j’ai réussi à créer une ambiance, un décor. Mais ça s’est fait très seul!
Cette part documentaire du livre donne une force colossale au récit, au-delà du parcours humain…
Ca fait un peu autorité, oui, un peu comme lorsque dans un générique de film, il est écrit que c’est inspiré d’une histoire vraie. J’avais envie avec cette large documentation de montrer un New York hyper tourbillonnant, j’avais envie qu’on s’imagine dans ces soirées-là, côtoyer les artistes de l’époque, les Keith Haring, David Bowie, mais aussi des gens que l’on ne connait pas forcément. C’était un New York où tout le monde se cotoyait et qui n’avait pas d’égard pour le statut social. Il y avait l’envie très libertaire, insouciante, de se réunir et de former une communauté. Ca s’est depuis gentrifié, embourgeoisé.
Propos recueillis par Clément Massé.
La couverture de « Jolis, jolis monstres » de Julien Dufresne-Lamy (Belfond)
Retrouvez Julien Dufresne-Lamy dans le journal de France 3, édition Poitou-Charentes, à 19h, samedi 23 novembre, puis à 21h au cinéma Le Dietrich à Poitiers à la séance du film « Port Authority » de Danielle Lessovitz.
Mise à jour, 27 novembre 2019
Retrouvez l’entretien de Julien Dufresne-Lamy, samedi 23 novembre, sur France 3, dans l’édition de 19h du journal régional Poitou-Charentes