Une histoire se raconte de mille et une façons.. L’important est d’embarquer son lecteur. Voici deux récits très différents; André Houot et Fabien Lacaf partagent une passion pour Gustave Courbet et ils ont emprunté des chemins très différents pour créer chacun leur album. L’un, « Courbet : L’Origine du monde » de Fabien Lacaf est sorti le 18 novembre dernier et l’autre « Le rendez-vous d’onze heures » d’André Houot est présenté ce week-end en avant-première au festival Festi’Dbulles à Saint-Rémy en Bourgogne. France 3 Bourgogne a réalisé un reportage ce week-end
Ces deux albums sont différents car l’intention de départ n’est pas du tout la même. La BD de Fabien Lacaf s’intègre à une collection ayant pour principe d’inventer une fiction à partir de la création d’un célèbre tableau. Fabien Lacaf avait depuis longtemps l’idée de raconter l’histoire de L’Origine du Monde. Pour coller à la collection de Glénat, il a proposé à son éditeur une nouvelle version de l’histoire qu’il avait en tête. Dans la plus pure tradition d’une fiction, il a imaginé une histoire policière avec meurtres, enquête et un soupçon de sexe. Tous les ingrédients pour tenir le lecteur en haleine. Fabien Lacaf revendique tous ces éléments narratifs qui n’ont jamais existé.
« Je brode à l’Alexandre Dumas et je décris aussi précisément que possible l’époque ».
C’est vrai que la restitution du Paris sous Napoléon III est très réussie. L’environnement social, ouvrier a toujours sa place dans le travail de Fabien Lacaf. « Je me sens une filiation avec Gustave Courbet » précise l’auteur. Courbet est important pour moi, c’est un modèle. Dans mes albums, il y a toujours le thème du travail. Des héros qui ont un métier. Comme Courbet, j’aime montrer que l’aventure humaine n’est pas seulement chez les nantis ».
La BD de Fabien Lacaf est documentée même si il a pris délibérément le parti de s’arranger avec la réalité. Si vous souhaitez tirer le vrai du faux, la lecture de l’article du blog de thierry Savatier est très utile. Le spécialiste a repéré les anachronismes de l’histoire. Le pari de Fabien Lacaf est de bâtir une intrigue policière à partir du tableau dont Gustave Courbet n’a jamais parlé… Dans sa correspondance, le peintre a souvent précisé ses intentions à propos de la réalisation de ses toiles mais pas un mot sur L’Origine du monde. Il faut lire cette BD sans chercher à mieux connaître Courbet, juste pour le plaisir du récit et des images.
André Houot avait une toute autre ambition. Il voulait raconter la vie de Courbet, du réel rien que du réel. Une narration basée sur une série de flash-backs qui, au fil des pages, fait naître une émotion. La même que celle éprouvée lorsque j’ai lu pour la première fois des lettres de Courbet.
« Je voulais que l’on apprenne quelque chose, je voulais aller au delà de la simple fantaisie. Au départ, Courbet ne m’intéressait pas plus que cela. J’avais juste la nostalgie des paysages de mon enfance ».
André Houot s’est coulé dans les pas de Courbet, à Paris, Besançon, Ornans et la vallée de la Loue. « J’ai eu l’impression de mieux comprendre Courbet car moi aussi j’ai vécu le déchirement de quitter ma terre natale ».
Et si la vie de Gustave Courbet avait tout des attraits d’une fiction ? Pour imaginer une histoire, il y a quelques fondamentaux à respecter. Une quête : la célébrité à tout prix, des obstacles et des ambivalences : les relations de Courbet avec le pouvoir de l’époque, de l’émotion : la fragilité d’un être tantôt dépressif, tantôt exalté.. Courbet a tout d’un héros. Il est attachant et énervant, il provoque tout en cherchant à se faire aimer. La BD d’André Houot fait vivre tout ces sentiments. Collé au réel n’a rien d’ennuyant. Et l’imaginaire d’André Houot est là pour nous emmener au delà des apparences comme le montre cette planche.
Ceux qui aiment Courbet se régaleront de retrouver de multiples détails sur la vie du peintre et ceux qui ne le connaissent pas encore, découvriront un grand peintre.
Isabelle Brunnarius
isabelle.brunnarius@francetv.fr