« Un cloaque immonde ! » Alexandre Cheval, le chargé de développement de la Fédération départementale de la pêche du Doubs, ne mâche pas ses mots. Le choc des photos ne le contredira pas. L’affaire de cette pollution de la Mée, un affluent de la Loue, remonte avant la fameuse date du 17 mars mais elle a été instruite par les services de l’Etat pendant le confinement. Depuis, la fromagerie Jean Perrin dont les rejets des eaux usées sont à l’origine de cette pollution dans le secteur de Cléron, a pris des mesures pour réparer son installation. Une enquête judiciaire est en cours.
Le 24 janvier, des habitants de Cléron préviennent le responsable du secteur à la Fédération départementale de la pêche du Doubs. C’est la seconde fois depuis le début de l’année qu’ils avertissent Alexandre Cheval. Si le représentant de la fédération n’avait rien pu constaté lors de son premier déplacement à Cléron, sa seconde visite sera, elle, édifiante.
Sur les photos prises ce 24 janvier, ce ruisseau de première catégorie n’est plus que l’ombre de lui-même. Des rejets blanchâtres le dénature et entrave toute vie aquatique. A cette époque de l’année, les salmonidés se reproduisent encore. Une période cruciale d’autant plus que le cheptel des truites s’est effondré à Cléron.
Sur place, la discussion s’engage avec Jean-Luc Perrin, l’un des deux responsables de la fromagerie Jean Perrin. Egalement présents, un agent de l’OFB (l’Office Français de la Biodiversité qui regroupe désormais les services de la police de l’eau) et des représentants des pêcheurs locaux.
A la fromagerie, il y a bien eu un problème à la station de traitement des eaux usées. Le 7 janvier, la société en avait informé comme il se doit les services de l’Etat. Il s’agit d’un problème de vanne. Contacté aujourd’hui Jean-Marie Perrin, le PDG, confirme qu’il y a bien eu des rejets bruts pendant huit heures et précise qu’une vanne de secours a été mise en place.
Un problème récurrent
Deux semaines plus tard, le problème ne semblait pas réglé. Le petit groupe se rend dans le petit bois où la fromagerie a l’autorisation de rejeter ses eaux usées en respectant des normes fixées par un arrêté préfectoral puis dans le local technique de la fromagerie.
L’entreprise a déjà eu des problèmes avec sa station de traitement des eaux usées. Déjà en 2010, le traitement du phosphore n’était pas satisfaisant et de la mousse blanchâtre flottait sur le ruisseau. Une pollution dénoncée par la Commission de Protection des Eaux. « Le plus compliqué, c’est le phosphore » reconnaît Jean-Marie Perrin. Des investissements sont prévus pour mettre en place un nouveau système mais en attendant la rivière est malmenée.
En juin 2019, les services de l’Etat avaient constaté des dépassements ponctuels des normes autorisées pour les rejets en volume d’eau, en température et aussi en concentration de phosphore et azote.
Cette fois-ci, l’Etat a pris en quelque sorte le taureau par les cornes. Sur le bureau du procureur de la République Etienne Manteaux, le rapport d’Alexandre Cheval relatant la pollution constatée le 24 janvier et le procès-verbal de l’OFB. Sur celui du préfet du Doubs, Joël Mathurin, les différents signalements des services de l’Etat.
Des solutions mises en place
Le 17 mars, le préfet du Doubs signe un arrêté de mise en demeure de conformité. La fromagerie doit immédiatement limiter son volume d’eau rejeté à ce qui est prévu par la réglementation, trouver une solution pour le traitement de ses effluents et elle a un mois pour respecter les normes de rejets.
L’entreprise a finalement recruté un technicien pour renforcer son équipe de maintenance. Jusqu’à la mise en place d’un nouveau système de traitement du phosphore, le filtre doit être changé manuellement toutes les quatre heures. Quant à l’investissement qui permettra une automatisation de ce traitement, il devrait être mis en place en septembre. Autre mesure, des économies d’eau sont réalisées pour éviter de rejeter un volume trop important.
Comme prévu, un contrôle inopiné a eu lieu à la fromagerie le 4 mai. D’après les analyses réalisées, les normes seraient respectées. Mais l’affaire n’est pas terminée. L’Office Français de la Biodiversité a ouvert une enquête judiciaire sous l’autorité du procureur de la République. La Fédération de pêche du Doubs doit intenter une action en justice.
Dix ans après les fortes mortalités de truites et d’ombres dans les eaux de la Loue, il est question de faire de cet espace naturel un « territoire d’excellence environnemental ». Les différentes atteintes à l’environnement retardent la réalisation de cet objectif affiché mais si difficile à réaliser.
Isabelle Brunnarius
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